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Géographie Économie Société : Article pp.33-46 du Vol.16 n°1 (2014)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, économie, Société 16 (2014) 33-46

Les proximités des microcrédits sociaux, une analyse en région Pays-de-la-Loire

Pascal Glémain

a*

et Emmanuel Bioteau

b

avec la collaboration d’Elizabeth Poutier

c

et de Valérie Billaudeau

d

a Maître de Conférences en Gestion-HDR en économie, Université de Rennes 2, CIAPHS EA2241 Rennes 2-Ueb

b Maître de Conférences en Géographie, Université d’Angers L’UNAM, Laboratoire ESO-Angers (Espaces et Sociétés – UMR CNRS 6590)

c Professeur associée à l’ESSCA, ESCCA CeRESS

d Maître de Conférences en Sciences de Communication, ISTIA Université d’Angers L’UNAM, Laboratoire ESO-Angers (Espaces et Sociétés – UMR CNRS 6590)

Résumé

Quels apports les dispositifs de microcrédit personnel ont-ils dans la résolution, plus ou moins partielle, de problématiques économiques et sociales territorialisées ? Le microcrédit dit « social » n’est pas la solution idoine à toutes situations de pauvretés et à toutes inégalités, loin s’en faut. Pour autant, il apparaît non seulement comme une opportunité de penser autrement ces inégalités d’accès aux services financiers (monétaire et bancaire), mais aussi d’envisager autrement les performances de ces établissements bancaires à « mission sociale » située. Le microcrédit préfigure ainsi de nou- velles formes de solidarités sociales territorialisées. L’innovation économique et sociale réside ici autant dans l’outil microcrédit en tant que service bancaire solidaire, que dans les performances socio-économiques territorialisées des mécanismes d’accompagnement des bénéficiaires. Par cet accompagnement singulier et une autre ambition de production de valeur, l’offre de microcrédit par ces établissements devient ainsi porteuse d’une véritable innovation socioéconomique située.

Mots clefs : Microcrédit social, Proximités, performances, Territorialisation.

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

doi:10.3166/ges.16.33-46 © 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant

Adresses email : pascal.glemain@univ-rennes2.fr, emmanuel.bioteau@univ-angers.fr

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Summary

The Localised Approaches of Social Microcredit, a First Analysis in “Pays-de-la-Loire”. What contributions have the personal microcredit in the resolution, more or less partial, of territorialized economic and social problems? The «social» microcredit is not the appropriate solution to any situa- tions of poverty and to any disparities, far from it. However, it appears as an opportunity to think differently these disparities of access to financial services (monetary and banking). The microcredit can so prefigure new forms of territorialized solidarities, and a new kind of performance review for this particular “social banking” organizations. The economic and social innovation lies so much in the microcredit as a tool: as a united banking service that in the mechanisms of accompaniment of its beneficiaries. By this singular accompaniment, the microcredit offer becomes a real territorialized socioeconomic innovation, and a new way to produce socio-econnomic and local values.

Keywords: Social Microcredit, Localised Approaches, performance review, Territorialisation.

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Introduction

Dans un contexte de financiarisation non seulement des économies depuis les années 1960, mais aussi des systèmes bancaires nationaux depuis les années 19801 suite à la révolution des « 3D » (désintermédiation-déréglementation-décloisonnement), le rôle des établissements bancaires dans le financement de l’économie locale a beaucoup évolué.

En effet, ainsi qu’on peut l’observer dans les Pays dits « en développement » (PED) où le dualisme financier fait coïncider les niveaux méso et macroterritoriaux de financement (Germinis et al., 1991), les Pays du Nord sont en train d’expérimenter à leur tour la coexistence d’opérations bancaires solidaires situées à performance sociale mais à objet économique, et d’opérations bancaires portées par les caisses locales des groupes ban- caires coopératifs à performance économique mais à objet social.

En effet, ces derniers, en proie à un certain isomorphisme institutionnel (Glémain, 2009) guidé par un modèle d’affaires plutôt commercial imposé par les différentes réglementa- tions bancaires en vigueur, semblent s’être de plus en plus éloignés des préoccupations locales qui furent historiquement les leurs, qu’il s’agisse de la dynamique économique locale ou de la cohésion sociale située. Dans ce contexte, et malgré l’affichage d’un certain retour sur place des banques mutualistes pour rétablir la légitimité de leur gouvernance participative et de leurs principes coopératifs, de nouveaux acteurs financiers dits « soli- daires » semblent avoir investi ces espaces locaux laissés « libres » pour produire à leur tour de la valeur sociale à partir de l’instrument socio-économique qu’est le crédit, à la fois producteur de confiance (donc de lien social) et producteur d’accès à l’argent pour couvrir des besoins économiques latents ou contraints. En d’autres termes, il existerait désormais deux échelles territoriales et deux modèles économiques en banque-finance, en France. La première, « macro », serait orientée vers la croissance économique nationale et l’interna- tionalisation des échanges via le financement des entreprises de taille intermédiaire et les clients « électeur-médian » avec les « Grandes » banques. La seconde, « micro », lierait

1 Aglietta et Scialom, 1997.

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développement local et relation de proximités articulant le social à l’économique au service d’un projet de territoire (Gilly et Torre, 2000, et Pecqueur et Zimmermann, 2004) portés par de plus petites organisations bancaires au service des plus petites entreprises et des plus petits clients. Mais, en quoi consistent ces nouvelles entreprises bancaires productrices de proximités financières à finalité sociale située, laissant envisager un nouveau modèle éco- nomique de performance bancaire à finalité solidaire située ?

Afin d’apporter des premiers éléments de réponse à cette question de recherche, nous nous appuyons sur une analyse de terrain conduite en Pays-de-la-Loire et concernant une activité particulière de banque au service de la cohésion sociale située : le microcrédit per- sonnel garanti (MPG) dit « social ». Pour ce faire, nous rendons compte et discutons ici nos investigations sur deux dispositifs locaux observés : celui des Caisses d’Épargne dans le cadre de leur association « Parcours Confiance » (banque coopérative depuis 1999), et celui du Crédit Municipal de Nantes (banque solidaire)2 dans le cadre de son offre de deux microcrédits « sociaux »3 : le « prêt stabilité » garanti par la Ville de Nantes, et le microcré- dit social garanti par la CDC via le Fonds de Cohésion Sociale (FCS). Dans une première partie, à partir d’un état de l’art des travaux en sciences économiques et de gestion, nous discuterons de l’approche en termes de proximités des opérations « sociales » de banques locales et de leur modèle de production de valeurs situées. Dans une seconde partie, nous tenterons de comprendre et de mesurer la dimension collective de l’action territoriale portée par ces dispositifs locaux de microcrédit personnel garanti en région4.

1. Le microcrédit social, un outil de production de proximités ?

Si le microcrédit social constitue un outil de lutte contre l’exclusion bancaire (Gloukoviezoff, 2011), il semble apparaître surtout comme un nouvel outil de proximité financière, c’est-à-dire de production d’accès local à des moyens de paiements et à des services bancaires de base à destination de clientèles à la marge des circuits bancaires habituels, donc des établissements bancaires qu’ils soient commerciaux ou mutualistes.

Le modèle d’affaires de ces derniers privilégie désormais la performance économique, et l’objet social qui les animait jusqu’alors a été transféré vers leurs fondations répon- dant ainsi à leur stratégie de RSE (responsabilité sociale des entreprises). Les groupes bancaires coopératifs rejoignent ainsi le modèle organisationnel des groupes bancaires commerciaux. En effet, on assiste à une prise de distance de ces établissements avec la réalité territoriale locale à laquelle ils étaient historiquement ancrés jusqu’alors. Il s’agit alors pour les « nouvelles » entreprises bancaires solidaires de consolider une relation bancaire à la fois pour éviter le piège du surendettement social des économies domestiques les plus fragiles, résultant de l’accès facile à des réserves d’argent (crédit

2 Nous rappelons ici que les Crédits Municipaux sont en France des établissements publics de crédit et d’aide sociale, assimilés aux banques à statut coopératif et héritiers des Monts-de-Piété (Fontaine, 2008).

3 Nous utiliserons pour faciliter la lecture l’expression « microcrédit social » en lieu et place de « microcrédit personnel garanti », et pour le distinguer du microcrédit professionnel auquel ce papier ne s’intéresse pas ici.

4 À noter que c’est la macro région du Grand Ouest (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes, et Nor- mandie) qui concentre l’essentiel des dispositifs de microcrédit personnel garanti en France. Ensuite, viennent l’Ile-de-France et la Région PACA (CDC, 2012).

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revolving) commercialisé à la fois par les établissements bancaires et non bancaires5, et pour maintenir la qualification sociale de l’individu en situation de trésorerie domes- tique en délicatesse dans des sociétés où : la proximité à l’argent fait statut social6.

La mise à l’écart de certaines clientèles, jugées moins profitables, est accentuée par la tendance des entreprises bancaires à opter pour le management à distance (Torrès, 2011), en rendant la relation bancaire de plus en plus a-territoriale au moyen des nouvelles tech- nologies d’information et de communication (NTIC). Face à cette dématérialisation de la relation bancaire qui invite à ne plus avoir à se déplacer à la banque et à produire par ce biais du lien social entre le client et son/sa chargé(e) de clientèle, nous observons une résurgence de la relation bancaire située, celle qui fait à nouveau le lien entre l’individu et la société dans laquelle il évolue, émergence qui ouvre dans l’absolu la perspective d’une thèse des sites en management de la relation bancaire. Celle-ci « ressuscite l’importance de la relation par rapport à la rationalité économique standard, et ouvre la voie à la per- tinence de la proximité et des approches transversales des territoires de vie des femmes et des hommes » aboutissant même, à une « pédagogie d’accompagnement des gens de la base » (Zaoual 2002 : 33).

À l’instar du bilan sociétal pour les coopératives agricoles (Cariou et al., 2006), on en vient à se demander si la relation bancaire ne devient pas - pour les banques soli- daires, dont les Crédits Municipaux et les sociétés coopératives financières telles que La Nef7 - un outil de management pour renforcer leur ancrage territorial, au moment où les groupes bancaires coopératifs ont fait de ce bilan sociétal un outil de management pour renforcer leur responsabilité sociétale comme le font les établissements bancaires com- merciaux, en lieu et place de leur modèle d’action socio-économique à échelle locale.

En d’autres termes, il s’agit de comprendre comment ces « nouvelles banques locales » s’approprient une politique territorialisée de « social banking » au profit de clientèles de bénéficiaires en situation de désaffiliation plus ou moins affirmée, vis-à-vis du système bancaire contemporain.

1.1. Des actions bancaires solidaires8 ancrées dans des territoires de proximité La relation bancaire est par nature une relation de proximité relationnelle. Dans le cadre d’une relation d’agence, elle repose sur la production de confiance qui permet à l’établis- sement bancaire de créer de la valeur en offrant des biens et des services bancaires qui répondent aux attentes des clients, et qui profitent à la constitution du produit net bancaire.

5 Nous pensons ici en particulier aux services bancaires offerts par des établissements tels que les services financiers de grands magasins, proposant des systèmes de paiement facilités pour acquérir des biens d’équipe- ment du foyer.

6 Au point où l’on voit émerger en France comme en Amérique Latine de nouvelles monnaies locales so- ciales/complémentaires, dont la dernière-née est le Galléco en Ille-et-Vilaine, portée par le Conseil Général et dont la chambre de compensation est hébergée par le Crédit Coopératif.

7 La Nef dispose d’un agrément bancaire qui lui permet de faire des opérations de banques (prêts) depuis 1988, en adossement en l’état au Crédit Coopératif.

8 Nous employons le qualificatif solidaire non pas dans le sens de l’aide « charitable » à autrui qui, à notre sens, pourrait être assimilée à du don ; mais, dans le sens de « in solidum » c’est-à-dire « qui consolide », « qui renforce » un état pour mettre en place un dispositif qui permette de maintenir la dignité de la personne, dans le cadre du maintien de ses capabilités, telles qu’elles sont définies par A.Sen (2000 et 2010).

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On comprend dès lors pourquoi elle fut aux fondements du modèle d’affaires des banques mutualistes et coopératives. En effet, le modèle coopératif dont relèvent les crédits mutuels et agricole du second XIXe siècle reposait sur un principe d’exclusivisme, qui se traduisait par le fait que la banque locale ne traitait qu’avec ses propres sociétaires, remplissant eux- mêmes leurs engagements et leur devoir (moral) de confiance définis par les statuts de la banque coopérative ou mutualiste. Mais les temps ont changé et le modèle économique a évolué. En effet, la relation clientèle organisée au service de sociétaires situés autour des paroisses pour les crédits mutuels et des exploitations agricoles pour les crédits agricoles, s’est élargie à d’autres clientèles plutôt éloignées du modèle d’agence à sociétariat local, donc à engagements plus diffus vis-à-vis de leur banque (fidélité, participation à la gouver- nance), et dont l’ancrage local effectif est lui-même de plus en plus diffus, en raison de leurs migrations alternantes entre leur lieu de résidence et celui de leur activité professionnelle.

Dans ce contexte et face à une situation socio-économique de plus en plus tendue au niveau des économies familiales, l’individu recherche à renforcer sa tendance à privilé- gier ce qui est proche de lui au détriment de ce qui s’en éloigne, en particulier dans un Monde où les horizons sont de plus en plus internationalisés. Si l’individu a besoin de crédit « monétaire » il a également besoin, face à un monde financier (monétaire et ban- caire) de plus en plus complexe, d’une aide sociale qui lui offre une véritable relation de

« confiance située »9. Elle correspond à une certaine forme de proxémie qui « met en évi- dence la conception subjective de l’espace dans lequel se situe l’individu c’est-à-dire son rapport à l’environnement (individus, événements…) » (Métailler et Gadille 2012 : 3).

Cet espace est l’espace bancaire « solidaire » dans l’esprit du nouveau client-bénéficiaire du microcrédit social. Ce lieu subjectif est celui qui a pour but de renforcer sa relation bancaire et correspond à ce nouvel espace de production des opérations bancaires, que sont : la réception de fonds du public, les opérations de crédit et la mise à disposition et la gestion de moyens de paiement. Ce client-bénéficiaire dans un espace bancaire par- ticulier se substitue au client-sociétaire des crédits mutuels et coopératifs historiques.

Nous assistons donc à un isomorphisme à l’envers, les établissements bancaires solidaires construisent leur légitimité et leur gouvernance10 ainsi que le firent les caisses locales des banques coopératives et mutualistes au sortir du XIXe siècle, à la différence près que la relation bancaire qu’ils animent est ouverte à toutes les clientèles et pas seulement à des clientèles de sociétaires, donc de « club » voire de communautés. Le microcrédit social, qui est un véritable crédit bancaire, rétablit non seulement une relation de proximité à l’argent11, mais aussi une relation de proximité à la personne dans le cadre d’une relation d’agence qui produit d’abord de la valeur sociale située, avant de considérer la production de valeur économique nécessaire à la pérennité de toute entreprise, quelle qu’elle soit.

9 Bien que nos concitoyens soient de plus en plus connectés, il n’en demeure pas moins qu’ils demandent pour la majeure partie d’entre eux, une relation d’agence effective entre principal et agent, entre banquier et client.

10 Les crédits municipaux sont gouvernés pas un comité d’orientation et de suivi (COS) animé par des élus et par des personnes qualifiées. Les parcours confiance des Caisses d’épargne sont animés dans le cadre de leur statut associatif par des bénévoles de compétences, souvent des administrateurs bénévoles d’ailleurs.

11 Même si cet argent n’est pas liquide parce que c’est un crédit, il « (emprunte aussi) les techniques des experts en efficacité ménagère (comme on l’a vu, les budgets familiaux étaient la pierre angulaire de cet édi- fice), les travailleurs sociaux - que l’on retrouve dans les dispositifs de microcrédit social - transformèrent les secours en espèces en un dispositif complexe qui donna la possibilité de réformer les systèmes de marquage des pauvres (…) » (Zelizer, 2005 : 250).

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Il s’agit de comprendre les modalités d’appropriation de cet espace bancaire particulier en considérant le microcrédit social comme un lieu mêlant « qualité spatiale » et « dispo- sitif d’individualisation » de la relation bancaire. Pour ce faire, nous devons emprunter à la géographie en tant que « science des lieux » (Vidal de la Blache, 1913), les éléments qui nous font défaut en sciences économique et de gestion pour comprendre la relation bancaire. La « topie » de la relation bancaire relève d’un « co-construit social » qui pro- duit tout autant une nouvelle forme de dynamique sociale, qu’une nouvelle territorialisa- tion des activités bancaires locales.

Pour le démontrer, nous nous appuyons ici sur une échelle locale - celle d’une région administrative : les Pays-de-la-Loire - où les établissements de crédit qu’ils soient coo- pératifs ou publics interagissent en faisant système. Ce choix est justifié par le fait que l’expérimentation du microcrédit social en Pays-de-la-Loire est antérieure à celle qui fut menée à partir de 2005 à l’échelle nationale, dans le cadre du Plan de Cohésion Sociale.

En outre, le Crédit Municipal de Nantes fut le premier établissement de crédit à expé- rimenter, dès la fin des années 1990, le « prêt stabilité » avec son agence d’Angers, en partenariat avec le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de cette ville. Il est inté- ressant de souligner ici que ce dispositif partenarial situé de coproduction, associe un établissement bancaire local et un acteur social au plus proche des populations parmi les plus fragiles au niveau socio-économique. Il en résulte non seulement une proximité spatiale qui traduit la coopération entre acteurs spatialement proches, mais aussi la mise en place d’un système d’information proxémique présentant deux caractéristiques fon- damentales : une préférence pour les relations directes et personnalisées, et un véritable investissement relationnel. Notre recherche s’est également intéressée au « parcours confiance » des Caisses d’Épargne, associant une banque coopérative et une association adossée (« parcours confiance »). Ce dispositif épouse la logique territoriale des « projets d’économie locale et sociale » (PELS) qu’animaient, jusqu’à la fin des années 1990, les Caisses d’Épargne dans le cadre de leurs missions d’intérêt général. Dans les deux cas, il s’agit pour nous de comprendre en quoi consiste la proximité à la fois organisationnelle et géographique, que portent ces dispositifs de microcrédit social ligérien.

Selon Gilly et Torre (2000, p.12), la proximité organisationnelle repose sur « deux types de logiques : de similitude ou d’appartenance ». La logique de similitude traduit le fait qu’interagissent des acteurs qui sont proches dans leur mode d’organisation : même espace de référence, mêmes savoirs, mais pas forcément même lieu de référence. La logique d’appartenance traduit l’existence d’interactions entre acteurs au sein d’un même espace de rapports, d’un même lieu. À l’observation, le dispositif Crédit Municipal- CCAS relève de la logique d’appartenance car les deux acteurs comportent une zone commune d’interaction stratégique : le territoire de l’aide sociale, ainsi qu’un même lieu qui porte la relation bancaire de proximité dont bénéficient les clients situés.

Au contraire, le dispositif « parcours confiance » tient de la logique de similitude car les associations parcours confiance sont sous tutelle, et ont été créées à l’initiative de l’établis- sement bancaire coopératif, ainsi que le font l’ensemble des autres établissements bancaires tels que le Crédit Agricole avec ses Points Passerelles, ou le Crédit Mutuel avec ses dispo- sitifs de Crédits Accompagnés. Par conséquent, la proximité géographique constitue un élé- ment fondamental de l’architecture de valeur de la logique d’appartenance observée par les banques solidaires, comme les Crédits Municipaux. En effet, non seulement elle « intègre

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la dimension sociale des mécanismes économiques ou « distance fonctionnelle » » (Gilly et Torre 2000, p.13), mais elle participe aussi à les ancrer à un lieu, pour faire advenir un territoire. Pouvons-nous alors parler de dynamiques de proximité ?

L’analyse discursive de la communication bancaire, orientée vers les institutions publiques locales, nous place face à l’argument de « l’ancrage territorial » de leur processus de micro- crédit social, au service de la cohésion sociale située et de la dynamique économique locale.

Dans ce cadre analytique, l’ancrage territorial devient ni plus ni moins qu’une notion de géo- graphie vulgarisée, empruntée par une analyse économique des territoires. Mais, sur le terrain du microcrédit, sous la logique d’appartenance, la proximité dépasse le simple cadre de l’an- crage territorial. En effet, si son usage « permet de qualifier les relations firme / territoire qui reposent sur le développement de rapports de coopération (marchands ou non marchands) entre acteurs d’un même territoire [s’agissant de la] co-construction de ressources spécifiques et territorialisées » (May, 2008), il ignore complètement la relation « humaine » de confiance qui s’établit dans la production des opérations bancaires solidaires.

L’ancrage procède également de rapports identitaires « au » territoire et « dans » le ter- ritoire. C’est ainsi que l’ancrage devient « local », en précisant le « lieu ». Nous pouvons caractériser le microcrédit social située comme un dispositif où « l’ancrage local apparaît a posteriori comme une des conditions de la confiance accordée par les acteurs locaux à la mise en place de la démarche [d’accompagnement]. Cet ancrage local provient soit du capital social du « commodien » [la personne qui accompagne] dû à une longue expérience de travail en commun avec une partie des parties prenantes participant au processus d’action collective accompagnée, soit du recours à un intermédiaire ayant ce capital social et prêt à le mobiliser » (Barreteau et al., 2010 : 34). Le local devient dans cette acceptation d’une part ce lieu identifié pour son unité et pour le sentiment d’appartenance collective qu’il produit, et d’autre part cet élément du discours qui réduit la distance entre l’individu concerné par les dispositifs et le territoire au sein duquel il évolue. L’espace local se transforme en un véritable construit social, et est appréhendé comme tel tant par ses producteurs que par ses bénéficiaires.

Les proximités relationnelles et locales du microcrédit social deviennent des « outils ressources » pour répondre aux besoins des bénéficiaires et produire de nouvelles convic- tions coopératives perdues pour partie en ce qui concerne les groupes bancaires coopéra- tifs historiques isomorphés (Crédit Mutuel-CIC, Crédit Agricole-LCL), et un peu moins pour les Caisses d’Épargne devenues coopératives seulement à la fin des années 1990, et restées dans leur esprit une banque au service de l’intérêt général et des territoires. Mais ce qui est constaté en milieu urbain vaut-il en milieu rural ?

1.2. Du rôle clef de la proximité localisée et située en milieu rural : de Comptoir de Vie avec le Crédit Municipal de Nantes, à Une Famille Un Toit avec Parcours Confiance des Caisses d’épargne

Sans entrer dans une analyse de ruraliste que nous ne sommes pas, il n’en demeure pas moins que l’essentiel des dispositifs de microcrédit est urbain et ce, qu’ils concernent les Pays du Sud ou du Nord. Face à constat et compte tenu du fait qu’il existait déjà, sur notre terrain de recherche, un dispositif Caisse d’Épargne avec l’association Une Famille Un Toit, orientant l’affectation du microcrédit sur la question du logement, nous avons expérimenté en milieu rural le « prêt stabilité » en accord avec Le Crédit Municipal de Nantes et l’association

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Comptoir de Vie. Nous plaçons notre méthode d’observation et d’expérimentation dans la droite lignée des travaux de Robert-Demontrond (2004, p.57), selon lesquels : « l’expérimen- tation ne consiste pas à se laisser guider par les faits, mais à les interroger activement ».

L’expérimentation a eu lieu en 2009-2010. Sur cette période, l’objectif assigné à l’asso- ciation Comptoir de Vie consistait à recevoir des populations-cibles à la Maison de l’Emploi de Châteaubriant, sous-préfecture du nord du département de la Loire-Atlantique, zone de contact avec les départements voisins de la Mayenne et du Maine-et-Loire, et de la région Bretagne. Parmi les demandeurs que nous avons rencontrés lors de focus groupes, peu avaient connaissance de l’association « comptoir de vie » dont la mission est d’accompa- gner la réalisation de soi et, encore moins, de l’offre locale de microcrédit social12.

Ce territoire bénéficie d’acteurs locaux et d’un tissu associatif relativement dense, mais pas forcément coordonné en termes d’accompagnement des personnes. Cet état de fait a justifié l’expérimentation en milieu rural avec Comptoir de Vie, dans le cadre d’une délé- gation de la proposition de valeur sur un territoire non-maîtrisé par le Crédit Municipal.

Cette situation est singulière car Parcours Confiance et Une Famille Un Toit travail- laient déjà avec une communauté des gens du voyage, sédentarisée, dans le cadre du logement. Stratégiquement, localiser l’activité de microcrédit social à Châteaubriant résulta aussi de l’opportunité de pouvoir utiliser des locaux vacants. Il s’agissait aussi pour Comptoir de Vie de disposer d’une « nouvelle » vitrine car, la Maison de l’Emploi est fréquentée par un public souvent étranger à celle-ci et à ses activités, susceptible d’être ainsi informé d’une offre de microcrédit social pouvant l’intéresser. À l’observation, ce dispositif a permis à l’association Comptoir de Vie, et à travers elle, au Crédit Municipal de Nantes de construire de nouvelles proximités :

– En agissant au plus proche des besoins, à l’échelle des territoires vécus des demandeurs et donc par la suite des bénéficiaires,

– En inscrivant l’offre de microcrédit social dans une dynamique fédérative à l’échelle des territoires considérés, entre Comptoir de Vie, Une Famille Un Toit, et l’ensemble des organisations opérant dans d’autres champs,

– En coordonnant la démarche bancaire sociale, et les objectifs de politiques publiques locales au service du territoire, et en réponse aux besoins identifiés à son échelle.

Au bout du compte, nous avons assisté à l’émergence d’une nouvelle offre ban- caire locale répondant à de vrais besoins situés. En reprenant les entretiens réalisés en juin 2009, nous avons constaté que le microcrédit social offre aux bénéficiaires en milieu rural « une bouffée d’oxygène », une aide « tombée du ciel », un support « inimaginable

», si l’on restitue les expressions utilisées par les bénéficiaires ruraux locaux. Pour ces bénéficiaires, le microcrédit social est perçu comme une nouvelle chance offerte pour réaliser leurs projets de vie. Au sujet de la mobilité, une bénéficiaire résidant dans une maison isolée en campagne, située à une dizaine de kilomètres de Châteaubriant, bénéfi- ciaire d’une prise en charge à 100 % au titre de son handicap (AAH), a pu financer l’achat d’une voiturette. Elle témoigne :

12 La Maison de l’Emploi de Châteaubriant regroupe dans ses locaux et fédère les actions de : la Mission Locale, la Chambre de Commerce et d’Industrie, la Chambre des Métiers et de l’Artisanat, le Conseil de Développement du Pays de Châteaubriant, le Groupement Interprofessionnel Régional pour la Promotion de l’Emploi des Personnes Handicapées des Pays de la Loire (GIRPEH), Pays de Châteaubriant Initiative, l’Association de Formation Professionnelle Adaptée (AFPA), et l’Association Des Industriels du Castelbriantais (ADIC)…

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« Sans voiture je ne suis plus rien. Sans voiture je ne peux rien faire, je reste chez moi et je m’ennuie », ajoutant « Dieu sait ce que je deviendrai sans voiture. Ça ne veut pas dire que je me ferai quelque chose, ça n’est pas dans ma culture. Mais avec la voiture je me débrouille seule. Je vais voir mon frère (résidant à proximité de Nantes, ndlr). Je sors. J’emmène ma mère faire des courses parce qu’elle n’a pas de voiture. Vous imaginez si je ne peux plus faire ça, et s’il faut aller à pied au village. Je pourrai toujours prendre les bus pour aller voir mon frère mais ce n’est pas pratique. Ma voiture c’est toute ma vie ».

Ce véhicule, accidenté, a pu être remplacé suite à l’obtention d’un microcrédit social.

Il a restauré une proximité sociale et géographique qui fait cohésion sociale, et a conso- lidé la place de l’individu dans son lieu de vie.

Une autre bénéficiaire, également originaire de Châteaubriant, ajoute que le micro- crédit social lui a permis de résoudre ses problèmes de trésorerie qui la plaçaient dans une situation d’isolement et de solitude. Elle dit : « sans le crédit, je serai encore chez moi derrière ma télévision… je ne ferai rien ». Une autre bénéficiaire rencontrée indique qu’avant l’obtention du microcrédit social elle ne recevait personne à son domicile.

Maintenant, elle le peut à nouveau.

Pour résumer, tous les bénéficiaires rencontrés confient que leur « mieux-être » se tra- duit par de nouveaux rapports à l’espace : soit qu’il s’agisse de rendre possibles les dépla- cements dans un périmètre élargi, de « voir le et du monde » ; soit qu’il s’agisse de rendre le domicile plus agréable à vivre, plus ouverts aux autres. Alors, le microcrédit social est-il véritablement un crédit comme les autres, un « simple » crédit à la consommation comme l’a considéré la Loi Lagarde en juillet 2010 ?

2. Le microcrédit social : un outil bancaire socialement utile au niveau local ? Le microcrédit est considéré comme un produit d’appel qui permet de toucher un public jusqu’alors non atteint par les services sociaux, soit par méconnaissance, soit par auto-interdiction (préservation de sa propre dignité), en ouvrant un droit de par- ticipation sociale aux individus les plus en difficulté ainsi que le furent les Rmistes (Duvoux, 2011). En effet, dans le cadre de notre terrain d’investigations, nous consta- tons que les personnes qui demandent des microcrédits représentent une clientèle qui ne s’adresse pas toujours aux interlocuteurs sociaux mais qui a entendu parler de cette possibilité par le bouche-à-oreille ou par l’intermédiaire d’un travailleur social, ou qui fait déjà confiance au Crédit Municipal en tant qu’établissement public de crédit ET d’aide sociale, dans le cadre du prêt sur gage (une autre forme de microcrédit personnel garanti) qu’ils ont déjà mobilisé. Le témoignage d’une femme venue signer un micro- crédit social, le 25 avril 2012, va en ce sens : « j’ai vu la brochure du microcrédit au Crédit Municipal parce que j’ai l’habitude de déposer des bijoux »13. Dans tous les cas, comme le confirment les résultats de l’enquête de la Fédération Nationale des Caisses d’Épargne (2011) et les nôtres (FIMOSOL, 2010), l’ensemble des personnes interro- gées estiment que l’obtention du microcrédit a eu une influence positive sur leur moral.

Ils disent avoir retrouvé leur dignité, et une certaine autonomie de décision : « je n’ai

13 Il s’agit du dépliant édité par la ville de Nantes mis à disposition des bénéficiaires au Crédit Municipal de Nantes.

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plus besoin d’aller m’adresser à Pierre, Paul, Jacques. On est mieux dans sa peau ».

En outre, quel que soit le montant emprunté, beaucoup pensent que leur relation avec la banque s’est améliorée : « j’ai une autre relation avec la banquière pour gérer des découverts », et la majorité des bénéficiaires sont satisfaits de leur accompagnement lors de la procédure d’obtention du prêt. Dès lors, nous validons l’hypothèse selon laquelle le microcrédit peut s’apparenter autant à un outil de lutte contre l’isolement spatial et social, qu’à une solution économique à des difficultés financières plus ou moins chroniques. Sommes-nous alors en présence d’une innovation bancaire locale ?

2.1. Une innovation bancaire de solidarité sociale vectrice de « dynamiques de proximité »

Les pôles de proximité organisent l’espace de vie des habitants alentours. Certes, les populations plus aisées ont la possibilité de se mouvoir dans un cadre territorial élargi, et peuvent ainsi se rendre dans les principaux centres urbains de la région. Ils peuvent y trouver et y occuper un emploi. Ils sont en mesure, également, de bénéficier sur place des services bancaires pour y trouver conseil si nécessaire. La relation bancaire a laissé place pour ces clients insérés à une industrialisation du modèle de bancassurance qui leur convient bien, peu importe que ce modèle aboutisse à la seule production d’opéra- tions bancaires marchandes. Leur relation à l’argent est de plus en plus dématérialisée et délocalisée. Peu importe le guichet automatique de banque (GAB) où qu’il soit, ils consomment du produit et du service bancaire. Mais, il n’en est pas de même pour les bénéficiaires du microcrédit social. Ce rapport distant à la spatialité de la banque et à la banque ne fonctionne pas. Le triple mouvement de « désintermédiation-déréglemen- tation-décloisonnement » a participé à l’éloignement de la banque coopérative locale à la fois de ces sociétaires, et de ses « nouveaux » clients qui ne sont bien souvent que de potentiels sociétaires. Ces clients non sociétaires – devenus majoritaires (seulement 5,4 % des sociétaires du Crédit Mutuel CM-12 ont participé aux AG en 2012) - ont recherché d’abord la meilleure opportunité économique d’accès aux opérations ban- caires, avant la relation bancaire de proximité qui fondait jadis le modèle d’affaires originel des établissements bancaires mutualistes et coopératifs. Il en va autrement pour les bénéficiaires du microcrédit social, à la recherche d’une relation clientèle de proxi- mités, sociale et géographique.

Pour parvenir à concerner l’ensemble des populations de bénéficiaires potentiels dans le cadre de la recherche d’une performance sociale optimale, il est impératif de rendre visible cette offre de crédit solidaire au plus proche de leur lieu de vie, au sein des espaces qu’ils pratiquent. Les entretiens qualitatifs que nous avons conduits ren- forcent ce constat que le microcrédit reste méconnu et trop peu utilisé et ce, bien que les bénéficiaires et les producteurs en aient une image globalement positive : « c’est un bon outil rangé en haut de l’armoire » (témoignage d’un responsable de CCAS de la région nantaise, 2011). Si les non-consommateurs relatifs n’y viennent pas par manque d’information ou par auto-interdiction comme nous l’avons souligné plus haut, il appa- raît à l’observation qu’il manque effectivement des organisations bancaires solidaires territorialisées, entendues comme des processus dans lesquels se coordonnent diffé- rents acteurs afin de créer ou bien de consolider une relation bancaire de proximités

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sociale et géographique. Il s’agit moins de réduire l’asymétrie d’informations ou le hasard moral, que de penser la fonction d’accompagnement « au plus près » comme la relation à objet bancaire la plus efficace.

2.2. La fonction accompagnement comme facteur de production des proximités sociale et géographique au service d’une relation clientèle solidaire ?

Les chercheurs en sciences humaines et sociales appliquées au développement durable sont, à notre connaissance, les premiers à avoir tenté une modélisation d’accompagne- ment (Étienne, 2010). Pour ce faire, ils sont partis du constat selon lequel « toute modéli- sation d’accompagnement met en relation un certain nombre d’individus dans la gestion d’une ou plusieurs ressources. Ceux-ci ont soit la faculté de conseiller ou de réglementer la relation d’autres individus entre eux ou avec la ressource, soit d’utiliser la ressource » (Barreteau et al. 2010, p. 23). La performance sociale attendue des dispositifs de micro- crédit social tient au fait que cette ressource doit être appropriée au mieux localement par les opérateurs bancaires et sociaux impliqués, de façon à œuvrer en faveur de la cohésion sociale d’un lieu, en y apportant des moyens de financement qui consolident l’insertion sociale et la dynamique économique locale de consommation, tout en évitant les risques d’un surendettement social situé aux effets individuels et collectifs destructeurs.

Nous constatons que le rôle d’accompagnement incombe d’abord dans tous les dis- positifs locaux de microcrédit observés aux acteurs de l’ingénierie sociale. Il s’agit donc bien de consolider l’affiliation, la relation non seulement à la banque mais aussi au monde de l’argent. Certains profitent de cette finalité pour qualifier le microcrédit social d’ins- trument au service d’un capitalisme moral. Il est vrai que la réalité sociale contemporaine donne un statut aux individus non plus par le travail, mais bien par la qualité de la relation à l’argent. Nier cette réalité sociale, c’est ne rien comprendre ni au fonctionnement de nos sociétés monétarisées, ni à l’apparition des monnaies sociales locales, parmi lesquelles on trouve le WIR en Suisse, et le Sol Violette ou le Galléco en France14. Toutefois, cet accès à l’argent via le microcrédit social doit absolument être accompagné ainsi qu’il le fut aux États-Unis d’Amérique. À ce titre, Zelizer (2005, p. 255) nous rappelle que : « les bénéficiaires (des aides en liquide) ne pouvaient devenir des consommateurs compétents qu’après avoir reçu une éducation personnalisée, prolongée et méthodique » par les tra- vailleurs sociaux qui modifiaient le « marquage des monnaies des pauvres ». Il en va de même pour les dispositifs locaux de microcrédit social qui modifient le « marquage des crédits aux pauvres » en en faisant des « outils au service du territoire, en réponse aux besoins du territoire » (Séguin et Divay 2004, p. 76).

Dans le Guide de l’accompagnement, document produit par la Caisse des Dépôts Consignation et la Fédération Bancaire Française (2012), il est spécifié que :

« L’accompagnement est un élément clé du microcrédit « à la française ». Il conforte les chances de réussite du projet de l’emprunteur, il aide à prévenir ou à résoudre les éventuelles difficultés de remboursement et permet d’accroître la maîtrise budgétaire et bancaire quand cela s’avère nécessaire ». En d’autres termes, il s’agit d’une particularité

14 À ce sujet, nous invitons le lecteur à consulter les travaux du socio-économiste Jérôme Blanc de l’Uni- versité de Lyon.

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nationale et d’un moyen efficace de lutte contre les défauts de paiements grâce à l’éduca- tion à la gestion des comptes au sein du ménage. Deux remarques sont à faire.

La première discute la singularité d’un modèle à la française alors que les modèles socioéconomiques de microcrédits, en particulier en Afrique, reposent sur des coproduc- tions d’accompagnement à la fois social et économique. Nous nous sommes peu attardés sur ce point dans cet article, mais l’expérimentation Comptoir de Vie et les liens avec les CCAS montrent que cette singularité doit être revue et nuancée. Le caractère novateur et original du dispositif tel que proposé par le Crédit Municipal de Nantes, repose sur la délégation d’une partie du dispositif (l’accompagnement), totalement pris en charge par les organismes relais que sont les associations au service de la cohésion sociale. A contra- rio, l’activité bancaire reste aux seules mains des établissements bancaires.

La seconde suppose qu’il faille organiser un dispositif d’accompagnement à l’éducation bancaire domestique selon deux grandes phases : la phase amont valide le projet du deman- deur et identifie si le microcrédit constitue une réponse adaptée (diagnostic, orientation, qualification du projet, évaluation financière et budgétaire, présentation du dossier au par- tenaire bancaire) et la phase aval qui débute à la signature et court jusqu’à épuisement du remboursement (signature de l’offre, accompagnement du projet et suivi préventif, accom- pagnement bancaire). En d’autres termes, cela signifie que la relation bancaire solidaire est portée par un « banquier artisan » qui renoue avec l’esprit de la banque à réseau qui fut à l’origine des banques mutualistes, telles que les Crédits Mutuels, par exemple.

Conclusion

Au terme de cette analyse, nous en concluons qu’au-delà du défi de la performance économique et sociale, le challenge auquel les entreprises bancaires solidaires produisant et distribuant du microcrédit social se vouent est aussi un défi géographique. À ce titre, au niveau analytique, il relève tout autant de la science des hommes et des sciences éco- nomiques et de gestion, que de celle de la science des lieux qui sont autant de proximités construites autour de la relation et de l’accès au crédit.

À travers l’accompagnement social et financier du dispositif de consolidation de la trésorerie domestique plus ou moins fragile, porté par le microcrédit social, les établisse- ments de crédit et d’aide sociale qu’ils soient publics (Crédits Municipaux) ou bien asso- ciatifs en coproduction avec des établissements bancaires coopératifs15, s’inscrivent dans le cadre des « dynamiques de proximité(s) » à la fois sociale et géographique. L’ensemble aboutit à une véritable territorialisation de l’offre de microcrédit non pas seulement ados- sée aux réseaux d’agences bancaires locales, mais calquée sur les territorialisations des réseaux associatifs et/ou des institutions partenaires de la banque, au service des popula- tions sur les lieux de vie et les bassins d’emploi qui sont les leurs. De la sorte, à travers les relations de confiance tissées entre bénévoles, travailleurs sociaux et bénéficiaires, le dispositif s’enracine localement au plus proche des besoins, et développe de nouvelles proximités financières plus « artisanales » qui, jadis, étaient portées par les caisses locales des banques coopératives autour du lieu de la paroisse (Crédit Mutuel), ou bien de celui

15 « Crédit accompagné » du Groupe Crédit Mutuel, « points passerelles » du Groupe Crédit Agricole, « par- cours confiance » du Groupe Banque Populaire-Caisses d’Épargne.

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de l’activité agricole ou artisanale locale (Crédit Agricole, Banque Populaire). C’est là l’un des apports majeurs du dispositif de microcrédit social et de la « banque solidaire » (social banking) en émergence en France, et en Europe (banque éthique) : le retour sur place (en lieu et place).

Ainsi, le retour à la « conviction coopérative » telle qu’elle fut définie par Desroche (1976), ne laisse-t-elle pas ouverte la possibilité pour les groupes bancaires coopératifs de réinvestir leurs caisses locales dans le cadre d’un réalignement stratégique de leurs parties prenantes : clients, salariés, et surtout sociétaires ?

Apporter des éléments de réponses à cette question constitue l’une des voies de recherche que nous investissons d’ores et déjà. Sommes-nous alors en présence d’une action sociale, ou bien d’une stratégie d’accompagnement de clientèles pour répondre d’une certaine responsabilité « sociétale » des entreprises, ou bien encore dans une simple stratégie marketing d’occupation d’espace commercial que les banques commerciales ont déjà investi avec BNP Paribas et l’ADIE, par exemple ?

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