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Géographie Économie Société: Article pp.455-478 of Vol.16 n°4 (2014)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 16 (2014) 455-478

Les circuits de proximité, cadre d’analyse de la relocalisation des circuits alimentaires

Cécile Praly

a*

, Carole Chazoule

b

, Claire Delfosse

c

et Patrick Mundler

d

aLaboratoire d’Études Rurales, Université Lyon 2, Chemin de Charrou, 26340 Saillans

b Laboratoire d’Études Rurales - ISARA Lyon, 23, rue Jean Baldassini, 69364 Lyon cedex 07

c Laboratoire d’Études Rurales, Université de Lyon 2, 14 avenue Berthelot, 69363 Lyon cedex 07

d Département d’Économie Agroalimentaire et des Sciences de la Consommation, Université Laval, Pavillon Paul-Comtois, 2425, rue de l’Agriculture, Québec (QC), G1V 0A6. Canada.

Résumé

Le phénomène de relocalisation des circuits alimentaires recouvre une diversité de réalités, anciennes et plus innovantes, nommées de diverses façons : circuits courts, de proximité, filières courtes, etc. L’objet de cet article est de proposer un cadre théorique applicable à l’ensemble des circuits relevant de la relocalisation. L’état de l’art concernant les notions existantes ainsi que l’économie de proximité appliquée aux circuits alimentaires (re)localisés permettent de construire le concept de « circuits de proximité » (I). Celui-ci est ensuite mis à l’épreuve de trois études de cas, représentant une diversité de circuits et de produits qui y sont commercialisés (II). Les principaux enseignements des études de cas montrent l’intérêt du concept de « circuits de proxi- mité » : d’une part, il englobe les objets qui dépassent la définition des circuits courts mais qui s’imposent aujourd’hui comme une nouvelle modalité pour relocaliser les filières alimentaires, d’autre part, il saisit le rôle des intermédiaires dans le développement des filières localisées.

Mots clés : relocalisation, circuits courts, proximité, fruits, e-commerce, restauration collective.

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

doi :10.3166/ges.16.455-478 © 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant : cecilepraly@hotmail.fr

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Summary

Proximity supply chains, an analytical framework for the localization of food supply chains. The localization of food supply chains represents various realities, old and most innovative, named in several ways: short food supply chains, local food, etc. The purpose of this paper is to propose a theo- retical framework enabled to all marketing channels relative to the localization phenomenon. From a literature review of the existing concepts and the economy of proximity applied to local food supply chains, we build the concept of «proximity supply chains» (I). It is then tested in three case studies representing a variety of marketing channels and products (II). The main findings of case studies demonstrate the value of the concept of «proximity supply chains»: on the one hand, it includes mar- keting channels that exceed the definition of short supply chains but which are a way to localize the food supply chains, and on the other hand, it highlights the role of intermediaries in this localization.

Keywords : localization, short food supply chains, proximity, e-business, collective catering

facilities. © 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Introduction

Dans un contexte général d’interrogations concernant la durabilité de nos systèmes ali- mentaires, les nombreuses initiatives visant à diminuer le nombre d’intermédiaires dans le système alimentaire et à rapprocher géographiquement production et consommation apparaissent de plus en plus comme des alternatives méritant l’attention (O’Hara et Stagl, 2001 ; Hendrickson et Hefferman, 2002 ; Renting et al., 2003 ; Goodman, 2004 ; Lyson, 2004 ; May et al., 2007 ; Maréchal., 2008 ; Traversac., 2011 ; Prigent-Simonin et Hérault- Fournier, 2012). Ce phénomène recouvre une diversité de réalités, anciennes et plus innovantes, nommées de diverses façons : circuits courts, circuits alternatifs, systèmes alimentaires territorialisés, circuits de proximité ou encore agriculture participative pour ce qui est des auteurs francophones ; local food systems, civic agriculture, alternatives food networks, sustainable food systems, short food supply chains… pour ce qui est des auteurs anglo-saxons. Ce foisonnement sémantique est caractéristique d’un phénomène en émergence que les sciences sociales cherchent à appréhender.

Si chacune de ces notions met l’accent sur un aspect particulier du phénomène, elles appartiennent toutes à une nébuleuse de pratiques et d’acteurs se réclamant d’une rupture avec le système agroalimentaire conventionnel ou global (May et al., 2007 ; Deverre et Lamine, 2010). Même si la durabilité de ces pratiques reste largement en débat (Jarosz, 2008), plusieurs auteurs estiment que ce foisonnement d’initiatives témoigne d’un pro- cessus de relocalisation de l’économie alimentaire (Marsden et al., 2000 ; Humbert et Castel, 2008 ; Prigent-Simonin, et Hérault-Fournier, 2012 ; Kebir et Torre, 2013), suscep- tible d’entraîner divers bénéfices :

• économiques grâce à une meilleure redistribution de la plus-value aux agriculteurs (Sage, 2003 ; Chiffoleau, 2008 ; Pearson et al., 2011) et à des effets positifs en termes de développement local (Marsden et al., 2000 ; Renting et al., 2003) ;

• sociaux par le renouvellement des liens entre les villes et les campagnes et par la reva- lorisation du métier d’agriculteur (Hinrichs, 2000 ; Lyson, 2004 ; Ilbery et Maye, 2005 ; Dufour et al., 2011) ;

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• environnementaux pour leur capacité à mieux préserver les ressources naturelles (Gilg et Battershill, 2000 ; Duram et Oberholtzer, 2010) ;

• en termes de gouvernance locale, ces systèmes conférant à leurs acteurs une meilleure maîtrise de l’alimentation que le système conventionnel (Hendrickson et Hefferman, 2002 ; Renting et al., 2003 ; Hinrichs, 2003).

L’objet de cet article est de proposer, par le concept de « circuits de proximité », un cadre d’analyse opératoire pour décrypter les caractéristiques structurantes des circuits alimentaires relevant de ce phénomène de relocalisation.

Pour ce faire, nous conduirons d’abord une revue de littérature des travaux portant sur ces circuits alimentaires, afin de préciser ce que chaque notion met en exergue dans leur fonctionnement. L’analyse plus fine des apports de l’économie de proximité appliquée à cet objet, et en particulier sur les circuits courts, permettra de proposer une première définition du concept de circuit de proximité et un cadre d’analyse à quatre dimensions : spatiale, fonctionnelle, relationnelle et économique.

Dans une seconde partie, ce cadre d’analyse sera testé sur différents exemples de cir- cuits de proximité, qui présentent la particularité d’un lien a priori « très proche » (la vente directe) ou plus « distendu » entre producteurs et consommateurs (les circuits de commercialisation régionaux de fruits, le e-commerce et l’approvisionnement local de la restauration collective).

Les cas de circuits de proximité présentés ont été étudiés par des enquêtes semi-direc- tives menées auprès des différents types d’acteurs intervenants dans les circuits : produc- teurs, intermédiaires, consommateurs. Ces enquêtes ont été réalisées dans le cadre d’une thèse de doctorat pour ce qui concerne la filière fruits (Praly, 2010), et du programme de recherche Liens Producteurs Consommateurs (LIPROCO) pour les autres cas.

Cette mise à l’épreuve empirique montrera que le concept ainsi proposé permet de tenir compte de la variété des acteurs locaux susceptibles de contribuer à la relocalisation de l’ali- mentation, comme le font d’ailleurs les travaux sur les alternatives food networks (Renting et al., 2003 ; Ilbery, et et Maye, 2005 ; Roep et Wiskerke, 2010 ; Kneafsey et al., 2012).

Mais là où ces auteurs mettent l’accent sur la capacité de ces systèmes alternatifs à répondre aux attentes variées des consommateurs et à établir de nouveaux dispositifs institutionnels garantissant la qualité, nous insisterons davantage sur les logiques structurantes liées à la valorisation des différentes dimensions du lien entre producteurs et consommateurs.

1. Définir le concept de circuits de proximité

Afin d’établir un cadre d’analyse opératoire pour saisir les formes de commercialisa- tion relevant de la relocalisation des circuits alimentaires, nous examinerons d’abord les définitions existantes, leurs principaux apports et leurs limites, puis nous nous appuierons sur l’état de l’art de l’économie de proximité et son application aux circuits alimentaires.

1.1. Revue des définitions existantes

En dehors de quelques études de cas, les premiers travaux mentionnant l’émergence significative et dans de nombreux pays d’un raccourcissement des circuits de distribu- tion alimentaire datent de la fin des années 1990 (Deverre, Lamine, 2010). On peut ici

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reprendre la définition proposée dans leur revue de la littérature par Kneafsey et al., (2012) pour qualifier ce qui relève du « short food supply chains » : « The foods involved are identified by, and traceable to a farmer. The number of intermediaries between far- mer and consumer should be “minimal” or ideally nil. » (p. 13). Les auteurs notent que cette définition est issue de quelques travaux fondateurs (Marsden et al. 2000 ; Renting et al. 2003) et qu’elle est adoptée par l’union européenne ou le gouvernement français. Ils précisent aussi que le concept de short food supply chains est plus aisé à définir que celui de « local food systems » du fait des difficultés à qualifier le concept de « local ».

Ce terme est moins englobant que celui de « alternatives food networks » qui couvre l’ensemble des réseaux émergents de producteurs, de consommateurs et d’autres acteurs s’engageant dans des alternatives au modèle conventionnel (industriel, concentré et stan- dardisé) d’approvisionnement alimentaire (Renting et al., 2003). Cela inclut les marques d’attachement des productions à un territoire (IGP, AOC, slow food), les différentes formes de ventes directes, les associations entre producteurs et consommateurs (coopé- ratives, Community Supported Agriculture, AMAP), les formes de production directes par les consommateurs (jardins communautaires ou scolaires), les structures ou adminis- trations communales ou territoriales d’approvisionnement et de distribution alimentaire (food policy councils, food security safety nests). Dans cet ensemble, ce sont la valorisa- tion de la confiance, de la relocalisation et de l’authenticité qui sont largement montrées.

Conceptuellement, ces notions font appel aux dimensions relationnelles et spatiales des circuits alimentaires, mais de manière imprécise, confondant parfois les référents sociaux et spatiaux du local, le socialement proche et le géographiquement proche (Selfa et Qazi, 2005).

En France, divers travaux mentionnèrent l’existence de stratégies alternatives dans des exploitations agricoles à partir de la fin des années 1980 (Pernet, 1982 ; Muller, 1984 et 1987, Colson, 1986). La vente directe y est étudiée, mais davantage dans la façon dont elle permet aux agriculteurs de reconquérir une autonomie en recombinant « ce qui a été dissocié de l’extérieur par la division du travail » (Muller, 1984, p. 44). Sont plus parti- culièrement identifiées les activités de transformation, de commercialisation et d’accueil sur les exploitations.

Après avoir pendant quelques années parlé de « vente directe », le terme « cir- cuit court » apparut dans les discussions sans qu’il soit très aisé d’en établir la genèse.

Employé depuis longtemps pour illustrer une chaîne de distribution, le terme « circuit » s’est vu qualifié au cours du temps de divers adjectifs, comme celui d’opposer circuit

« traditionnel » et circuit « organisé » de commercialisation dans les problématiques de développement (Léon, 1983). Une définition du circuit court est proposée en 1983 dans un article de Hy et Nicolas (1983). Les auteurs y établissent une typologie des circuits alimentaires dans laquelle ils distinguent les circuits directs (les fonctions de production, de distribution de gros et de distribution de détail sont intégrées par le même agent) des circuits courts ou semi-intégrés (deux fonctions sont intégrées par la même entreprise, ce qui entraîne la suppression d’un des niveaux de marché).

Dans les années 2000, différents auteurs vont apporter des précisions concernant le terme, qui est usuellement utilisé depuis plusieurs années. Il est admis que le circuit court peut englober de la vente directe (zéro intermédiaire) et de la vente indirecte (un intermé- diaire). Des typologies ont été proposées dans ce sens par Mundler (2007) ou Chaffote et

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Chiffoleau (2007). Ces auteures aboutissent à la définition du concept de « circuits courts de proximité ». Leur définition s’appuie alors sur la réglementation concernant l’agrément sanitaire pour les produits d’origine animale qui est spécifique pour des produits transfor- més par le producteur et vendus directement aux consommateurs dans un rayon de 80 km.

De là, la notion de circuits courts de proximité est proposée pour définir un circuit court n’excédant pas 80 km entre la production et la vente (Chaffote et Chiffoleau, 2007).

En 2008, la parution de l’ouvrage « Les circuits courts alimentaires » sous la direction de G. Maréchal (2008) va apporter diverses précisions. Les auteurs y développent la notion de « système alimentaire territorialisé » (SALT) - à l’origine du projet de recherche du même nom - pour qualifier un ensemble de circuits de commercialisation interdépen- dants les uns des autres, présents sur un même territoire délimité par l’ensemble de leurs arènes d’échanges (Denéchère et al., 2008). L’intérêt de cette notion est qu’elle permet d’observer un ensemble de circuits de commercialisation dans un cadre territorial, en faisant l’hypothèse que ces circuits font système. Mais ce choix les conduit à centrer leur analyse sur quelques modalités seulement : les marchés forains, les points de vente à la ferme, les points de vente collectifs et les systèmes de paniers.

Tous ces travaux aboutiront à ce que le Ministère de l’agriculture français, à l’occa- sion du lancement du Plan d’action en faveur des circuits courts en avril 2009, décide de définir un circuit court comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire » (Hérault-Fournier, 2010 : 2).

Si officielle soit-elle, cette définition présente deux insuffisances pour être applicable à la diversité des initiatives de relocalisation des circuits alimentaires.

D’une part, elle ne prend pas en compte la dimension spatiale qui sépare ou rapproche la production de la vente ou du consommateur. Or, c’est pourtant une acception large- ment sous-entendue et souvent revendiquée dans la notion de « court ». De nombreuses organisations promouvant les circuits courts argumentent en effet sur l’importance de leur soutien à l’agriculture « locale » (Traversac, 2011).

D’autre part, en limitant le circuit court à zéro ou un intermédiaire, elle ne permet pas d’appréhender l’ensemble des étapes et des opérateurs qui interviennent dans le bon fonc- tionnement du circuit. Soulignons que dans cette définition, l’intermédiaire est un acteur qui se situe entre le producteur et le consommateur lors de la vente du produit. Ainsi, les démarches qui font intervenir plus d’un intermédiaire n’entrent pas dans ce cadre, alors que nombre d’entre elles relèvent pourtant bien d’un système alimentaire local. Citons le cas de l’approvisionnement de la restauration collective, qui nécessite a minima l’intervention de la cuisine entre le producteur et le consommateur et qui mobilise souvent d’autres opérateurs intermédiaires comme une société de restauration, un grossiste, un atelier de transformation, etc. Par ailleurs, la question du statut de l’intermédiaire n’est pas explicitement posée alors qu’elle sous-tend de nombreux enjeux économiques et de gouvernance. Par exemple, cer- tains contributeurs proposent de différencier les intermédiaires privés des intermédiaires associatifs ou issus d’une organisation de producteurs1. Enfin, jamais n’est évoqué dans ces définitions, le cas des intermédiaires façonniers qui agissent comme prestataires de ser-

1 Débats ayant eu lieu notamment au sein des groupes de travail du Réseau Rural Français auxquels nous avons participé, en 2010.

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vices : abattoirs, ateliers de découpe pour la viande ; pressoirs ou légumeries pour les fruits et légumes ; moulins pour les farines, etc. De fait, nombreuses sont les situations où le producteur fait appel à un ou plusieurs intermédiaires de transformation ou de conditionne- ment pour des produits qu’il vendra lui-même (Ribier, 2010). La même remarque peut être faite par rapport aux prestataires logistiques (plates-formes, transporteurs) qui contribuent eux-aussi à permettre certains approvisionnements par des producteurs locaux (Praly et al., 2012). On se situe alors clairement dans cette définition des circuits courts, mais ni le travail réalisé par ces intermédiaires, ni le parcours effectué par le produit n’apparaissent.

À l’issue de cette revue de littérature, quatre grandes caractéristiques définissant ces circuits alimentaires jalonnent l’ensemble du corpus, quelles que soient la chronologie et l’origine des travaux conduits (francophones ou anglophones). Nous proposons de les retenir comme base de notre cadre d’analyse des circuits alimentaires relevant de la relo- calisation, sous forme de quatre dimensions :

• une dimension spatiale, par la référence au « local », à l’idée d’une distance plus courte parcourue par le produit que dans le cas des circuits dits longs. Néanmoins la difficulté d’ap- préhender et de définir ce « local », la variabilité des échelles observées, conduisent finale- ment souvent les auteurs à considérer cette caractéristique comme sous-entendue, voire même à l’évacuer (cas de la définition des circuits courts par le Ministère de l’Agriculture).

• une dimension fonctionnelle, expliquant concrètement le cheminement du produit depuis le producteur jusqu’aux consommateurs, via les éventuels intermédiaires (transfor- mateurs, logisticiens, etc.). Cette dimension est présente dans la littérature essentiellement par la référence au nombre d’intermédiaires intervenants entre producteurs et consomma- teurs, étant majoritairement dit que leur réduction est favorable soit en termes de répartition de la plus-value pour les producteurs et les consommateurs, soit en termes de gouvernance par une meilleure autonomie des exploitations. Nous avons explicité cependant l’importance de ne pas se restreindre à l’analyse du nombre d’intermédiaires marchands pour saisir le bon fonctionnement d’un circuit alimentaire. En outre, conclure que diminuer le nombre d’inter- médiaires est systématiquement favorable nous semble discutable. De fait, les avantages habituellement prêtés aux circuits courts en termes de soutien aux exploitations locales et au développement territorial (redistribution de la plus-value aux agriculteurs, relocalisation des flux économiques, développement de formes commerciales plus équitables, meilleure préservation des ressources environnementales) ne reposent pas sur le fait qu’il y ait zéro ou un intermédiaire marchand. Par exemple, dans cette acception stricte de la définition, l’achat direct d’une grande surface alimentaire à une exploitation industrielle brésilienne est un circuit court qui n’aura a priori pas d’effet positif sur l’agriculture du territoire : il n’y a pas dans ce cas de « rupture avec les logiques intensives et spécialisées » (Dubuisson- Quellier et Le Velly, 2008, p. 103). L’enjeu du soutien au développement territorial nous semble relever bien davantage du développement de circuits de commercialisation reposant sur des approvisionnements locaux et impliquant plusieurs acteurs sur le territoire.

• Une dimension relationnelle, liée à l’idée de rapprochement, de lien direct ou orga- nisé entre producteurs et consommateurs, terreau de la confiance, garant de la qualité du produit. Toutefois, dans les textes il y a souvent confusion quant à la nature de ce rap- prochement, qui peut être physique, relationnel ou symbolique, la confusion pouvant être renforcée par l’usage des termes « proche » ou « proximité ». Les contours et le sens de ce rapprochement restent à expliciter.

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• la dimension économique est enfin bien présente dans la littérature mais traitée de manière implicite, attendue comme conséquence évidente soit d’une réduction du nombre d’intermédiaires, de la distance plus courte ou encore d’une relation plus équitable entre pro- ducteurs et consommateurs. Or, ceci apparaît dans bien des situations comme une simplifica- tion excessive (Kneafsey et al., 2012).

Pour affiner cela, les outils conceptuels proposés par l’économie de proximité per- mettent de se dégager de la polysémie du terme « proximité ». De plus en plus de travaux les ont, d’ailleurs, appliqués au cas des circuits courts.

1.2. Apports de l’économie de proximité

La notion de proximité a été théorisée au début des années 1990, par un groupe de chercheurs associant des économistes régionaux intéressés par la mobilisation des outils de l’économie industrielle pour analyser le développement territorial et des économistes industriels intéressés par le caractère territorial des processus productifs (Torre et Gilly, 1999 ; Bouba-Olga et al., 2008)2. La proximité, dans cette perspective, est un concept à la fois relationnel et spatial. Elle touche à l’économie et à la géographie et concerne ce qui éloigne ou rapproche des individus ou des collectifs dans la résolution d’un problème économique. La distance ici n’est pas seulement métrique, mais aussi culturelle, cogni- tive, sociale. Elle permet d’analyser les dynamiques de coordination entre les acteurs situés dans un espace donné et la nature de ce qui les influence (Gilly et Torre, 2000 ; Dupuy et Burmeister, 2003 ; Pecqueur et Zimmermann, 2004 ; Talbot et Kirat, 2005).

Sa définition est sujette à débat au sein du groupe. On différencie notamment deux courants : le courant dit « institutionnaliste » qui distingue trois types de proximité : géo- graphique, organisationnelle et institutionnelle et le courant dit « interactionniste » qui rassemble en une seule catégorie appelée « proximité organisée » les proximités organisa- tionnelle et institutionnelle (Carrincazeaux et al., 2008). Dans les deux approches, le rôle des institutions, soit un ensemble de règles et représentations communes (Gilly et Lung, 2004) est donc souligné, car elles sont souvent en mesure d’accompagner les collectifs informels (Filippi et Torre, 2003) ainsi que la structuration de systèmes de gouvernance territoriale (Gilly et Pecqueur, 2000). Pour notre part, la base théorique de la « proximité géographique/organisée » offre un point de départ adapté pour distinguer la dimension spatiale des autres dimensions (nombre d’acteurs intervenant, dimension relationnelle et valorisation économique) des circuits alimentaires relevant de la relocalisation.

Les auteurs s’accordent sur une conception de la « proximité géographique » qui traduit la distance kilométrique entre deux acteurs, pouvant être pondérée par le temps ou le coût de trans- port et par la perception qu’ont les individus de cette distance (Rallet et Torre, 2004). Elle peut être recherchée ou subie et être par conséquent à l’origine d’externalités positives ou négatives.

La « proximité organisée » est la distance relationnelle entre deux personnes en termes de potentiel de coordination. Elle repose sur deux types de logiques. D’abord, une « logique d’appartenance », c’est-à-dire que sont proches des acteurs qui appartiennent à une même orga- nisation vue ici comme « tout ensemble structuré de relations sans préjuger de la forme de la

2 Le numéro spécial de la Revue d’Économie Régionale et Urbaine (RERU, n° 3, 1993) intitulé « Économie de proximité » est considéré comme la première publication des travaux de cette école.

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structure (…)» (Rallet et Torre, 2004, p. 27), puisqu’ils nouent plus facilement des interactions entre eux. Ensuite, la « logique de similitude », liée au fait que sont proches des acteurs qui se ressemblent et partagent un système commun de représentations, de valeurs, et de croyances.

Les proximités géographique et organisée sont interdépendantes. Si dans un premier temps on a pu considérer que l’activation du potentiel de la proximité géographique repo- sait sur la mise en place « de relations efficaces de proximité organisée » (Torre, 2004, p. 4), des travaux plus récents ont pu montrer des configurations variées dans lesquelles les proximités peuvent se compenser. Ainsi, dans certaines situations territoriales de conflictualité (par exemple dans les situations où la proximité géographique est subie parce que source d’effets externes négatifs pour certains acteurs), la construction de proximités organisées est un outil de gouvernance permettant de rapprocher les acteurs (Torre et Beuret, 2012). Mais, il a pu également être observé des situations où la proxi- mité géographique détermine suffisamment la nécessité pour les acteurs de se coordon- ner. Dans ce cas, la proximité organisée peut être faible, au moins au début des projets, et activée progressivement grâce à la proximité géographique (Mundler et al., 2013).

L’interdépendance entre proximités géographique et organisée a aussi été mobilisée pour analyser la coordination dans les contextes de circuits courts, que ce soit entre pro- ducteurs lorsqu’il y a des démarches collectives (Poisson et Saleilles, 2012 ; Mundler et al., 2013), mais aussi entre producteurs et autres acteurs du circuit (Praly et al., 2009) ou entre producteurs et consommateurs (Prigent-Simonin et al., 2012 ; Kebir et Torre, 2013).

Ils montrent tous qu’analyser la plus ou moins grande distance spatiale (par la proximité géographique) et relationnelle (par la proximité organisée) entre les acteurs permet de mieux comprendre le fonctionnement de ces circuits.

La proximité organisée, essentiellement par la logique de similitude, permet en effet d’ex- pliquer la dimension relationnelle des circuits alimentaires. De nombreux travaux montrent comment la qualité de la relation entre producteurs et consommateurs contribue à l’acte d’achat. Dans le cas de la vente directe, celle-ci s’appuie essentiellement sur la confiance construite grâce à la relation directe (Dubuisson-Quellier, 2005 ; Prigent-Simonin et Hérault- Fournier, 2005 ; Mundler, 2007 ; Pouzenc et al., 2007 ; Jarosz, 2008). La confiance ainsi qu’un rapprochement identitaire (Prigent-Simonin et al., 2012), bâtis sur un ensemble de valeurs partagées, peuvent aussi être obtenus par une médiatisation de cette relation par un support ou un intermédiaire (Kebir et Torre, 2013). Les échanges répétés entre producteurs et consom- mateurs peuvent enfin conduire à l’élaboration d’une qualité spécifiquement vendue en vente directe, et absente des circuits longs normalisés (Praly et Chazoule, 2013).

L’ensemble de ces travaux montrent par ailleurs que les proximités peuvent se com- biner de façon variée dans les circuits courts, la proximité géographique n’est pas systé- matique et la proximité organisée entre producteurs et consommateurs peut exister indé- pendamment de la proximité géographique (Blanquart et Gonçalves, 2011). Enfin, ces recherches soulignent que, contrairement à une vision parfois idéalisée de la proximité, les proximités géographique et organisée sont neutres tant qu’elles ne sont pas mobilisées au service d’un objectif quel qu’il soit.

Ainsi, l’approche par le cadre théorique de la proximité géographique/organisée offre les outils pour décrire les dimensions spatiales et relationnelles des circuits alimentaires. Il s’agit à présent d’enrichir ce cadre d’analyse afin d’intégrer les deux autres dimensions issues de la lit- térature, à savoir la dimension fonctionnelle du circuit et celle de la valorisation économique.

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1.3. Le « circuit de proximité », définition d’un cadre d’analyse

Nous proposons par conséquent d’enrichir les approches usuelles des proximités géo- graphique et organisée par la dimension fonctionnelle, qui se trouve à leur intersection.

En effet, si la logique de similitude permet de saisir les conditions dans lesquelles se construisent la confiance, la différenciation du produit, le partage de valeurs entre produc- teurs et consommateurs et donc in fine l’échange marchand ; elle ne suffit pas pour rendre compte des interactions plus concrètes qui permettent aux acteurs d’assurer l’achemine- ment et l’adaptation du produit de la production jusqu’à la consommation. Les travaux existants montrent que cette dimension est construite par les acteurs des circuits de proxi- mité selon différentes modalités, résultant à la fois de leurs interactions, de leurs valeurs communes et de leur situation géographique les uns par rapport aux autres. F. Denéchère et al. (2008) montrent en effet que les modalités de circuits courts proposant un service aux consommateurs, soit en construisant de la praticité (constitution d’une gamme dans les PVC3, livraison dans les systèmes de paniers), soit en élaborant un engagement réci- proque (AMAP) entre producteurs et consommateurs, relèvent d’abord d’une proximité organisée inscrite dans une logique d’appartenance. En revanche, ils concluent que les modalités dites « traditionnelles » (marchés, vente directe à la ferme), offrant peu de ser- vices aux consommateurs, sont essentiellement construites sur la proximité géographique.

Ainsi, on voit ici que la proximité organisée peut rendre plus fonctionnelle une proximité géographique entre producteurs et consommateurs (par l’organisation collective, le ras- semblement d’une offre, etc.). Elle permet même parfois d’optimiser la logistique en diminuant la dépense énergétique de la distribution (Mundler et Rumpus, 2012), ce point ayant souvent été présenté comme le talon d’Achille des circuits de proximité (Schlich et al. 2006 ; Coley et al. 2009). Enfin, cette dimension fonctionnelle fait souvent intervenir d’autres acteurs que les seuls producteurs et consommateurs généralement considérés dans les circuits courts, ce que montreront les exemples étudiés en seconde partie.

La dimension économique est en revanche peu abordée dans les travaux étudiés. De façon générale et implicite, elle apparaît être une valorisation supplémentaire perçue par le producteur, résultant de la relation « de proximité » entre producteurs et consomma- teurs. Mais elle peut tout aussi bien être perçue par le consommateur dans le cas d’un prix moins élevé. Or, l’analyse que nous venons de mener conduit à l’hypothèse que la proximité permettant de dégager cette meilleure valorisation peut venir soit de la dimen- sion fonctionnelle (réduction du nombre d’intermédiaires et donc meilleure répartition de la marge), soit de la proximité géographique (réduction des coûts logistiques, …), soit encore de la dimension relationnelle (logique de similitude entre consommateurs et producteurs défendant des valeurs d’équité, d’engagement réciproque, construction d’une qualité partagée, etc.). Ainsi, nous considérerons la dimension économique des circuits de proximité comme la façon de valoriser la ou les proximités caractéristiques du circuit.

Le circuit de proximité est donc un circuit de commercialisation qui mobilise les proxi- mités géographique et organisée entre acteurs du système alimentaire en permettant ainsi une meilleure viabilité économique pour les producteurs. Ces proximités revêtent une dimension spatiale, visant un rapprochement géographique entre consommation et pro-

3 Points de Vente Collectifs

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duction ; elles s’appuient sur une dimension fonctionnelle, visant le bon acheminement du produit du producteur jusqu’aux consommateurs via les différents acteurs du système ; elles valorisent l’interconnaissance entre ces acteurs et permettent des échanges mar- chands économiquement viables pour les acteurs concernés.

Tableau 1 : Les quatre dimensions (spatiale, fonctionnelle, relationnelle, économique) des cir- cuits de proximité

Dimension

spatiale Dimension

fonctionnelle Dimension

relationnelle Dimension économique Signification Échelle

géographique du circuit entre production et consommation

Moyen d’acheminer et d’adapter le produit de la production à la consommation

Moyen de renforcer les conditions de l’échange marchand : confiance, partage de valeurs, de connaissances, etc.

Relocalisation des flux économiques.

Meilleure répartition de la valeur ajoutée, prix rémunérateurs, engagements réciproques, etc.

Le cadre théorique ainsi établi (tableau 1) provient essentiellement d’analyses de circuits courts où la relation producteurs-consommateurs est le plus souvent directe. Nous allons dans la seconde partie examiner ce qu’il se passe dans les cas où celle-ci est distendue.

Comment et par qui les différentes proximités interviennent-elles ? Quel est alors le rôle des intermédiaires dans cette construction ? Et que peut-on dire de la dimension économique ? 2. Le concept de circuit de proximité applique à différents circuits de commercialisation Trois circuits de commercialisation ont été choisis en Région Rhône-Alpes pour représenter différentes modalités de commercialisation et divers types de produits qui y circulent afin de confronter le cadre d’analyse proposé à cette forte diversité : les circuits de commercialisation régionaux de fruits, le e-commerce et l’approvisionnement local de la restauration collective.

Le cas des circuits de commercialisation régionaux des fruits de la Moyenne Vallée du Rhône permettra dans un premier temps d’aborder les spécificités liées aux produits frais et périssables et d’interroger comment celles-ci sont valorisées grâce à différentes articu- lations entre dimensions spatiale et fonctionnelle. Les cas des circuits courts mobilisant Internet (e-circuits courts) et de l’approvisionnement local dans la restauration collective permettront pour leur part d’illustrer des structurations a priori dominées par les dimen- sions fonctionnelle et relationnelle. Ces deux modalités de circuits courts, que l’on peut qualifier d’innovantes, se caractérisent en effet par la présence d’un intermédiaire qui organise ou médiatise le lien entre les producteurs et les consommateurs. Le premier, le e-commerce, questionne l’importance de la proximité géographique alors qu’Inter- net paraît s’émanciper des distances spatiales, ne reposant plus que sur une proximité organisée virtuelle, à travers l’écran d’ordinateur. Le second, la restauration collective avec approvisionnement « local », amène à considérer l’importance des différents inter- médiaires pour construire les dimensions spatiale et fonctionnelle. Pour chacun de ces cas, nous montrerons quelles proximités sont activées, comment et par qui, pour dégager une meilleure valorisation pour les producteurs.

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2.1. L’arboriculture de la moyenne vallée du Rhône : importance de la dimension fonctionnelle pour une qualité différenciée

Les arboriculteurs commercialisent leurs fruits sur deux types de circuits régionaux (Praly, 2010) : la vente directe aux consommateurs et la vente aux détaillants

La vente directe aux consommateurs est pratiquée essentiellement à la ferme, sur des stands au bord des routes, sur les marchés forains ou plus rarement dans des points de vente collectifs. La proximité géographique est alors activée par les producteurs par la recherche d’accessibilité pour les consommateurs : recherche de localisation le long des grands axes de circulation ou sur des marchés d’agglomération, créant ainsi ce que Kebir et Torre (2013) appellent une proximité géographique temporaire. La dimension fonction- nelle ainsi construite permet de différencier l’offre de celle proposée sur les circuits longs, appelés « circuits d’expédition » dans le cas des fruits. En effet, la vente directe permet de vendre des fruits cueillis le matin même ou quelques jours auparavant et qui ne subissent pas autant de manipulations que pour l’expédition. Ils peuvent donc être proposés plus frais, plus mûrs. En outre, la vente directe autorise la vente d’une diversité de qualités qui ne correspondent pas aux standards commerciaux4, comme des petits calibres, des fruits hors normes, trop mûrs ou grêlés pour la confiture par exemple, que le consommateur ne peut trouver ailleurs. Le producteur peut ainsi dégager un prix pour ces qualités qui, sinon, ne vaudraient rien sur les circuits d’expédition.

La dimension relationnelle est également importante dans la vente directe, le contact avec le producteur étant le support principal de la confiance du consommateur. Le produc- teur apporte des conseils quant au choix des fruits, des explications sur la manière dont ils sont cultivés, ou comment les conserver et les consommer. Les échanges répétés entre le producteur et ses clients conduisent peu à peu à une évolution de l’offre, le premier s’adap- tant en fonction des demandes des seconds. Les producteurs développent ainsi la gamme proposée, en nombre de variétés pour couvrir la saison, d’espèces, en ajoutant quelques fois des légumes d’été. Sans renouveler les vergers, quelques arbres sont plantés en bord de chemin ou en coin de parcelle pour compléter la diversité de la gamme (mirabelliers, que- tschiers, poiriers, etc.). Les critères de choix des variétés plantées incorporent les remarques des consommateurs, recherchant telle variété ancienne particulièrement gustative ou telle autre adaptée à la conserve. Les pratiques des producteurs évoluent enfin : les travaux de récolte sont différenciés selon que les fruits sont destinés à l’expédition ou à la vente directe.

D’aucuns forment spécialement des salariés dédiés à la récolte des fruits mûrs et fragiles.

Dans ce cas, la dimension fonctionnelle via l’accessibilité et la réduction du nombre de personnes manipulant les fruits, permet au producteur de valoriser des fruits de qualité différente de ceux vendus sur les circuits d’expédition. En outre, la dimension relation- nelle permise par la vente directe conduit à la spécification d’une offre correspondant aux demandes des consommateurs locaux, en s’émancipant des normes commerciales.

L’approvisionnement des détaillants en fruits régionaux représente le second grand type de débouché mobilisé par les producteurs (Praly, 2010). Cela recouvre les pratiques de vente du producteur aux détaillants, soit par livraison directe, soit sur le marché de

4 Qui s’appuient essentiellement sur des critères de calibre, d’aspect, de variétés, et plus rarement de taux de sucre et de fermeté.

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production5, ainsi que les ventes à certains grossistes qui eux-mêmes distribuent les fruits aux détaillants sur les marchés de gros des agglomérations environnantes.

Les détaillants qui achètent directement aux producteurs sont des primeurs sédentaires ou non, ayant un magasin ou vendant sur un ou plusieurs marchés forains. Ils alimentent principalement les agglomérations du nord de Rhône-Alpes et des régions limitrophes où il n’y a pas de production fruitière : les Savoie, l’Auvergne, le sud de la Bourgogne et de la Franche-Comté. En s’approvisionnant directement auprès des producteurs, ils sont ainsi en mesure de proposer des fruits plus mûrs et plus frais pour un prix raisonnable, en comparaison de l’offre des circuits d’expédition. En outre, lorsque les producteurs assurent les livraisons, le détaillant bénéficie d’un service et d’une réactivité utile en cas de besoin. Par ses dimensions spatiale, fonctionnelle et relationnelle (entre le détaillant et le producteur), ce type de circuit relève des circuits de proximité (Praly et Chazoule, 2013). Pourtant, la grande majorité des détaillants qui s’approvisionnent auprès de pro- ducteurs locaux ne le communiquent pas aux consommateurs, expliquant que cela néces- siterait un dispositif trop contraignant sur les étalages pour peu de valeur ajoutée sup- plémentaire. Ce constat rejoint celui issu d’une étude réalisée à l’échelle nationale sur la commercialisation des productions maraîchères de ceinture verte par les circuits courts (Vernin et Baros, 2007).

Les grossistes qui interviennent dans ces circuits se différencient de leurs concurrents, les grands groupes nationaux et internationaux, en proposant une offre haut de gamme aux épiceries fines des bassins de consommation à fort pouvoir d’achat (Côte d’Azur, bassin genevois, etc.). Localisés au cœur de la Moyenne Vallée du Rhône, ils connaissent pré- cisément les meilleurs terroirs et les meilleurs producteurs de fruits qu’ils sélectionnent pour élaborer la diversité et la saveur de leur offre. Comme les détaillants, ces grossistes maintiennent un délai minimum entre la récolte et la mise en étal des fruits, pour valori- ser leur fraîcheur et leur maturité. Si les premiers s’approvisionnent généralement dans un rayon maximum de deux-trois heures de transport de leur lieu de vente, les seconds organisent un transport nocturne qui permet d’étendre ce rayon jusqu’à cinq-six heures de transport. Ainsi dans le meilleur des cas, des fruits ardéchois cueillis le matin peuvent être livrés en fin de journée chez le grossiste, transportés dans la nuit jusqu’au marché-gare de Toulon, vendus aux détaillants et mis en étalage le lendemain matin.

Dans ces cas d’approvisionnement des détaillants, deux dimensions sont essentiellement valorisées : la dimension fonctionnelle (liée au faible délai entre la récolte et la mise en étalage) et la dimension relationnelle d’interconnaissance entre les grossistes et les produc- teurs. Celles-ci sont permises par la proximité géographique existante entre la production et les bassins de consommation, qui est rendue fonctionnelle par l’organisation des circuits de commercialisation locaux, notamment via le marché de production et le réseau des marchés de gros. Les opérateurs de l’aval (grossistes, détaillants) assurent leur viabilité économique en proposant une offre différente de celle présente sur les circuits d’expédition. La diffé- rence repose sur la recherche d’une maturité et d’une fraîcheur des fruits, alors que les critères de la qualité habituellement considérés (calibres, variétés) sont beaucoup moins pris

5 Les marchés de production sont des marchés destinés principalement aux échanges entre agriculteurs et acheteurs professionnels (détaillants, grossistes…). Celui de Pont-de-l’Isère est le principal en Moyenne Vallée du Rhône. Certains producteurs vendent également sur le Marché d’Intérêt National de Lyon.

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en compte. Par conséquent, les producteurs bénéficient d’une partie de cette valorisation, soit parce qu’elle leur permet d’écouler des fruits trop mûrs ou de qualité commerciale peu payée à l’expédition (cas des fruits commercialisés sur le marché de production), soit parce qu’elle permet des prix de vente meilleurs (cas des circuits haut de gamme). En ce qui concerne la dimension relationnelle, elle est forte entre producteurs et intermédiaires, mais n’est pas transmise aux consommateurs, parce que peu utile pour la valorisation finale. En effet, la différenciation qualitative des fruits permise par le faible délai de mise en étalage et par l’interconnaissance entre producteurs et intermédiaires paraît suffisante pour assurer la viabilité économique des opérateurs de ces circuits.

Ainsi, malgré la diversité des pratiques existantes, une logique de fonctionnement commune aux circuits de proximité se dégage dans l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône. Les opérateurs y valorisent un délai de mise en étalage court (dimension fonc- tionnelle), permise par les proximités géographique et organisée entre les différents opé- rateurs et qui permet de proposer des fruits d’une maturité et d’une fraîcheur supérieure à celles disponibles sur les autres circuits. La dimension spatiale de ces circuits est donc essentiellement circonscrite par l’exigence de ce délai court entre la récolte et la vente au détail, devant permettre une maturité-fraicheur du fruit optimale.

2.2. Circuits-courts par Internet : entre proximité fonctionnelle et médiation du lien producteur-consommateur6

Les possibilités offertes par le e-commerce élargissent la palette des formes de circuits courts et modifient les relations entre producteurs et consommateurs (Gigon et Crevoisier, 1999). En Rhône-Alpes, l’inventaire entrepris début 2009 des sites Internet de vente de produits locaux montre une nette distinction entre deux modes de mobilisation d’Internet au service de la construction de proximités entre producteurs et consommateurs (Bon, 2009).

Le premier groupe de e-circuits-courts rassemble des sites Internet qui proposent une gamme de produits liés à un territoire à forte identité. Ces produits sont conservables, comme les charcuteries, les fromages, les vins et autres produits transformés, et peuvent être expédiés aux acheteurs à l’échelle nationale, généralement par Chronopost, sinon par des prestataires privés. « Le Panier Savoyard » ou le site de la marque collective « Goûtez l’Ardèche » en sont des exemples caractéristiques. Si le premier correspond à une entre- prise privée qui rassemble une gamme de produits identifiés de Savoie (fromages AOC, vins AOC, fruits, pâtes, etc.), le second correspond à une démarche collective de produc- teurs, sans intermédiaire entre eux et les consommateurs. Ils ont néanmoins en commun la même mobilisation d’Internet dans la construction de la proximité. De fait, l’ensemble des sites identifiés dans cette catégorie fonctionne finalement selon un modèle de vente par correspondance classique (dimension fonctionnelle valorisant un service), sauf qu’en outre une proximité organisée (dimension relationnelle) est construite et médiatisée par le site Internet entre les consommateurs et le territoire identifié. Par la mise en scène d’images emblématiques des territoires « vendus », celui-ci devient médiateur d’un lien affectif et symbolique entre le consommateur et le territoire associé aux produits pro-

6 Les résultats de cette section proviennent de l’enquête réalisée par N. Bon, dans le cadre du programme PSDR 3 - LIPROCO (Bon, 2009).

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posés. Le site Internet et l’écran d’ordinateur sont ici des outils permettant de renfor- cer la communication et la construction de l’identité territoriale des produits auprès des consommateurs, construction dont l’importance a déjà été décrite dans le cas des produits de terroir, par exemple par Lacroix et al. (2000). La vente par Internet permet en outre, pour les producteurs, de développer leur marché en atteignant directement des consom- mateurs « à distance » et non plus seulement les habitants et touristes de passage sur leur territoire. Elle permet aussi de prolonger le lien issu de la proximité géographique tempo- raire pour les personnes non-résidentes ayant apprécié les produits lors de leur visite sur le territoire. Cette forme de e-circuit-court (zéro ou un intermédiaire) est essentiellement présente dans les espaces rhône-alpins bénéficiant d’une identité renommée et de produits de terroirs reconnus. Ce sont donc les territoires ruraux et touristiques, comme la Savoie, la Haute-Savoie et l’Ardèche. Enfin, les sites Internet recensés apportent généralement un modeste débouché complémentaire aux produits déjà vendus par ailleurs, mais ne constituent pas, à eux seuls, un marché capable de faire vivre une exploitation agricole.

Le second groupe rassemble des e-circuits-courts majoritairement situés en espaces urbains et périurbains. Ces offres de vente par Internet proposent des livraisons très régu- lières de produits frais issus de la production locale aux consommateurs-habitants urbains.

Ici plus que dans le premier groupe, le statut et le mode d’organisation de l’e-commerce sont très variables. Pour exemple, « Les Paniers de Martin » (intermédiaire privé livrant des paniers sur commande) et « Alter Conso » (Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) passant commande en direct auprès de plusieurs producteurs) entrent dans cette catégorie. Dans tous les cas, le site Internet assure l’interface de vente, où le consom- mateur passe commande et, souvent, effectue son règlement. Ensuite, les produits sont livrés aux consommateurs, soit à domicile, soit sur un point de livraison (épicerie ou bar de quartier), soit encore sur leur lieu de travail. Il y a donc activation de la proximité géo- graphique entre producteurs et consommateurs, le site Internet la rendant lisible et l’orga- nisation des livraisons la rendant accessible. Cette proximité géographique est renforcée de diverses façons (« Les Paniers de Martin » sont par exemple installés dans les locaux d’une exploitation agricole partenaire). En outre, ces e-circuits-courts se caractérisent par la revendication d’une dimension éthique : soutien d’une agriculture « paysanne » locale dans Alter Conso, bio et locale pour les Paniers de Martin. Il y a ainsi construction d’une proximité organisée fondée sur des valeurs partagées entre les producteurs et les consom- mateurs, dont le site Internet se fait le média. Le choix du statut (SCIC) formalise cette proximité relationnelle dans la gouvernance de l’organisation en associant producteurs, consommateurs et salariés. La dimension économique est explicitement présente dans les objectifs de rémunérer correctement les produits aux producteurs partenaires.

En définitive, dans le premier cas Internet sert essentiellement à renforcer la commu- nication et apporter un accès supplémentaire à des consommateurs éloignés (dimension fonctionnelle) pour des productions issues d’espaces ruraux à forte identité. La dimension spatiale est donc ici nulle : la référence au territoire est utilisée pour ses attributs symbo- liques, mais sans proximité géographique permanente entre production et consommation.

Ce circuit constitue donc un exemple de circuit court (sans intermédiaire), mais n’entre pas dans la notion de circuit de proximité. Dans le second cas, Internet permet le développement de nouveaux modes de circuits de proximité. Ce média contribue à rendre fonctionnelle une proximité géographique existante entre des producteurs et des consommateurs urbains en la

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rendant lisible, tandis que les intermédiaires (privés ou collectifs) organisent les livraisons.

En outre, l’écran d’ordinateur devient médiateur d’une proximité relationnelle construite, non seulement parce que les consommateurs peuvent « visiter » les fermes des producteurs présentées sur le site, mais également par l’élaboration d’un discours et d’un graphisme porteurs de valeurs partagées. Notons enfin que dans les deux cas, les prix de vente restent bien maîtrisés par les agriculteurs, soit du fait que la vente est directe, soit de fait de la proxi- mité organisée avec les intermédiaires. Comme dans d’autres circuits courts, ces modes de commercialisation permettent aux agriculteurs de ne pas être affectés par la volatilité des prix des matières premières agricoles (Mundler, 2013).

2.3. L’approvisionnement local dans la restauration collective : des proximités fonctionnelle et relationnelle à construire7

L’approvisionnement local dans la restauration collective représente aujourd’hui une demande sociétale forte. Relayant cette attente, les collectivités territoriales et réseaux professionnels mobilisent leurs compétences et leurs moyens autour de cette probléma- tique (Darly, 2011 ; Romeyer, 2012). Politiques et projets territoriaux pour l’approvision- nement local se multiplient, ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes, dans la mesure où ces initiatives viennent bousculer les mécanismes de régulation propres à ce marché : code des marchés publics, secteur dominé par quelques grands acteurs combinant pour leurs approvisionnements les échelles régionales, nationales et interna- tionales (Bréchet et Le Velly, 2010). Dans ce cas de circuit de proximité, le consomma- teur ne rencontre pas directement le producteur. Toute une série d’intermédiaires inter- viennent : cuisiniers, prestataires de services, collectivités territoriales qui communiquent sur l’événement, etc. Comment s’exprime alors la proximité, en quoi consiste-t-elle ?

L’inventaire des cas existants en Rhône-Alpes réalisé en 2009 (Cornée, 2009) montre qu’en pratique, la structuration de ces circuits butte pour l’instant sur les contraintes logistiques propres au métier de la restauration collective8. Trois contraintes principales caractérisent en effet ce secteur professionnel. D’abord, visant à servir des volumes de repas à prix modestes (pour les cantines scolaires, d’entreprises, les hôpitaux, etc.), il est régi par une recherche d’approvisionnement à bas prix. Ensuite, le fonctionnement de ces restaurants exige des apports réguliers et planifiés qui doivent être sécurisés. Les menus étant prévus à l’avance, la capacité d’adaptation est limitée en cas de non-livraison d’un ingrédient important. Enfin, les restaurants collectifs fonctionnent avec des produits livrés après avoir subi une première étape de transformation : une viande découpée spécifique- ment pour les plats envisagés, les légumes peuvent être lavés, pelés et prédécoupés, etc.

7 Les résultats de cette section proviennent de l’enquête réalisée par M. Cornée, dans le cadre du programme PSDR 3 - LIPROCO (Cornée, 2009).

8 Nous concentrons ici notre analyse sur les contraintes logistiques. Il faut toutefois noter qu’une partie des cas étudiés sont soumis au code d’approvisionnement des marchés publics qui est à la source d’autres contraintes, puisque notamment, la proximité géographique ne peut être retenue comme critère d’achat. Cela dit, différents organismes (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, Fondation Nicolat Hulot, …) ont publié des guides pour aider les restaurants collectifs à publier des appels d’offres respectant le code des mar- chés publics, mais permettant de privilégier des approvisionnements de proximité.

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Dans ce contexte, de grands groupes se sont spécialisés pour proposer une offre adaptée à ces contraintes (comme Pomona ou Sodexho), alors que les organisations de producteurs régionaux se sont pendant longtemps détournées de ces marchés jugés trop peu rémuné- rateurs. Mais le Grenelle de l’environnement, en annonçant que 20 % des repas devaient provenir de l’agriculture biologique a entraîné une réflexion sur l’approvisionnement de ces produits, souvent importés. Dans les faits, de multiples initiatives se sont développées autour de l’achat local, entraînant d’ailleurs souvent une confusion entre « bio » et « local ».

Malgré cette injonction publique, les restaurateurs ont de ce fait beaucoup de difficultés à trouver des fournisseurs en produits locaux capables de répondre à leurs exigences. Les quelques expériences existantes en Rhône-Alpes montrent la nécessité de structurer un approvisionnement propre à ce secteur d’activités, dont les modalités organisationnelles sont différentes selon que les restaurants sont de statut privé ou public (Faraco, 2010).

Un restaurant d’entreprise privé servant un ensemble d’organismes de Lyon développe une politique volontariste en termes d’approvisionnement local, notamment en viande. Après s’être fourni auprès de bouchers-grossistes locaux entre 2007 et 2009, le restaurant se trouve obligé de s’approvisionner directement auprès de l’abattoir de son dernier fournisseur, celui-ci ayant cessé son activité. L’abattoir doit donc prendre en charge des compétences qui n’étaient pas les siennes : la découpe, la préparation, la livraison de la viande. Cette transition ne se fait pas sans erreurs, comme la livraison de pièces pour le pot-au-feu non découpées, ou de tripes qui n’étaient pas précuites. Si jusqu’à présent le restaurant a pu s’adapter à ces aléas, grâce à la compétence du chef cuisinier et à la réactivité de la petite équipe, la pérennité de ce fonctionne- ment reste conditionnée à la professionnalisation de l’abattoir. La traçabilité de cette nouvelle filière d’approvisionnement est organisée par l’interprofession bovine régionale et formalisée par un identifiant « Agricultures Rhône-Alpes ». Le restaurant peut ainsi communiquer explici- tement sur sa démarche et informer les convives lorsque du bœuf régional est servi.

Pour les restaurants scolaires ou hospitaliers publics, la contrainte économique est plus forte et les moyens humains dont disposent les cuisiniers sont déterminants. En revanche, dans ce cas, les collectivités territoriales et autres organismes de développement peuvent intervenir davantage. Leur mobilisation peut jouer un rôle facilitateur dans la construction de l’approvisionnement, comme dans l’exemple de l’initiative portée par l’ADAYG9, sur le territoire de l’Y Grenoblois. L’association, soutenue par des financements publics, a pu accompagner la structuration d’une filière viande bovine ainsi que la traçabilité des fruits et légumes locaux par une marque territoriale « Terres d’Ici » identifiant les productions issues de ce territoire administratif. Pour aller plus loin dans la structuration logistique, certains acteurs se sont engagés dans la mise en œuvre d’une « légumerie » qui assure la transformation préliminaire des légumes locaux et fournit les restaurants collectifs.

Ainsi, en Rhône-Alpes, la proximité géographique existante entre des espaces de pro- ductions diversifiées, qui pourraient permettre d’alimenter une partie de la consommation régionale via la restauration collective, doit être rendue fonctionnelle par la construction d’une logistique adaptée. La question logistique devient centrale (dimension fonctionnelle).

L’enjeu de structuration nécessite un accompagnement collectif et des soutiens financiers.

Si les collectivités territoriales peuvent y contribuer, la question des délimitations devient

9 Association pour le Développement de l’Agriculture dans l’Y Grenoblois. À noter que l’association a cessé ses activités en 2012.

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rapidement contraignante. Chaque territoire administratif définit en effet « sa » proximité à ses propres frontières, parfois matérialisée par un identifiant ou une marque territoriale. Le partenariat entre les organisations agricoles existantes, les professionnels de la restauration collective et les collectivités territoriales semble nécessaire pour assurer une gouvernance efficace de ces systèmes alimentaires en construction (Praly et al., 2012). En outre, dans les exemples cités ici, on observe une volonté de reconstruire de la proximité organisée entre consommateurs et producteurs : ces derniers sont invités à venir présenter leurs productions aux convives dans les lieux de restauration, avec des dégustations, des photos, des dépliants, etc. Ces moments d’échanges permettent, de manière occasionnelle, de relier les produits servis dans le restaurant au producteur de chez qui ils viennent.

2.4. Synthèse et enseignements tirés des trois cas étudiés

Nous avions identifié quatre dimensions à prendre en compte pour comprendre ce qui participe, ou non, du phénomène de relocalisation des circuits alimentaires : les dimen- sions spatiale, fonctionnelle, relationnelle et économique. Le tableau 2 résume, pour les différents circuits étudiés, chacune de ces dimensions.

Tableau 2 : Les circuits de proximité étudiés au prisme des dimensions spatiale, fonctionnelle, relationnelle et économique.

Dimension

spatiale Dimension

fonctionnelle Dimension

relationnelle Dimension économique Vente directe

en fruits 0-50 km Liée à

l’accessibilité des lieux de vente pour les consommateurs

Contact direct producteur- consommateur : confiance et co-construction de la qualité

Spécification de l’offre adaptée à la demande (goût, gamme, fruits à confiture, etc.). Meilleure valorisation pour l’agriculteur Vente par

détaillants régionaux en fruits

0-200 km, définie par le délai court de mise en marché (48 heures)

Liée aux réseaux des grossistes, détaillants et des marchés de production

Interconnaissance entre professionnels permet la confiance et la sélection de la qualité, peu médiatisée lors de la vente au détail (consommateurs)

Constitution d’une offre de fruits mûrs et frais, meilleure valorisation pour l’agriculteur

e-commerce vente par correspondance

Échelle nationale voire plus

Commandes par Internet et logistique assurée par La Poste, donne accès aux consommateurs éloignés

Internet assure la médiation de valeurs symboliques liées au territoire de production

Bonne maîtrise de prix par les agriculteurs

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e-commerce systèmes de paniers

0-100 km Commande

par internet et logistique assurée par organisation intermédiaire (privée ou collective)

Internet donne l’impression aux consommateurs de

« pénétrer » dans les fermes

Service qui reconstitue, pour les consommateurs, l’effet d’achat direct, mais sans se déplacer.

Objectif explicite d’appliquer les principes d’un commerce équitable.

Restauration

collective Échelle inter- communale à départementale

Assurée par des plateformes de producteurs ou par des intermédiaires privés qui transforment et acheminent les produits selon besoins de la RC : chevillard, négociant, etc.

Reconstruite de façon directe (éleveur dans les cantines) et indirecte par des supports de communication (marque territoriale, sets de table, etc.) entre production et convives.

Difficile à évaluer, manque de données jusqu’à ce jour.

Engagement fort du monde associatif et des collectivités territoriales

Plusieurs des circuits étudiés ici se caractérisent par une apparente distance, tant spa- tiale que relationnelle, entre producteurs et consommateurs. L’analyse à l’aide des outils issus de l’économie de la proximité montre toutefois que ces circuits s’inscrivent bien dans des dynamiques sociales et économiques similaires à celles relevant de la relocali- sation des circuits alimentaires : rapprochement producteurs – consommateurs, partage de la valeur ajoutée plus équilibré entre échangeurs artisanaux, voire du fait de la réduc- tion du nombre d’intermédiaires, relocalisation de la production et des flux économiques.

Cette analyse souligne en outre l’importance de deux aspects fondamentaux pour ces circuits, qualifiés ici de « circuits de proximité ».

Tout d’abord, la seule proximité géographique entre producteur et consommateur ne suffit pas à faire fonctionner le circuit, il est nécessaire que la faible distance spatiale soit rendue fonctionnelle. Il s’agit en effet d’être capable non seulement d’acheminer les produits alimentaires, du producteur jusqu’au consommateur (enjeu de logistique), mais également de transformer le produit brut de l’exploitation en produit correspondant aux attentes de l’acheteur (transformation, conservation, préparation), le tout dans des contraintes de délai, de normes sanitaires et de planification sur lesquelles producteurs et acheteurs doivent s’entendre. Si cela apparaissait dans la littérature sur les circuits courts (Pouzenc et al., 2007), les trois cas étudiés ici confirment l’importance de la question de l’activation de la proximité géographique pour la rendre fonctionnelle. De fait, même dans le cas de la vente directe des fruits, la proximité géographique seule ne suffit que rarement au fonctionnement d’un circuit. Les différentes configurations organisationnelles de ces cas montrent qu’il existe une diversité de manières de l’activer. Les modalités mises en œuvre dépendant alors des caractéristiques de la production (caractéristiques du produit, aptitude au stockage, quantité de l’offre), de la demande (type de consommation, qualité

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ou valeurs recherchées, quantité, etc.) et de ce qui les sépare ou les rapproche, donc des conditions de proximités préexistantes (infrastructures de transport, logistique, accessibi- lité, organisation, valeurs partagées, etc.).

Ensuite, les acteurs de ces circuits de proximité tendent à compenser l’absence de lien direct entre producteurs et consommateurs finaux en construisant un rapprochement rela- tionnel, réel ou perçu. La dimension relationnelle peut ainsi être médiatisée. Producteurs et intermédiaires mettent en place des dispositifs pour communiquer vers les consom- mateurs, pour les informer tant sur l’agriculteur lui-même que sur son exploitation et ses conditions de production, voire même sur son territoire (lors de relations directes, ou par des écriteaux, affiches, médiatisation par site internet, visite dans les cantines, etc.).

Conclusion : un cadre d’analyse applicable au-delà des seuls circuits « courts » Le cadre d’analyse par la proximité permet à la fois d’appréhender la caractéristique commune de ces circuits - la valorisation d’une proximité géographique et organisée entre producteurs et consommateurs - et de décliner leurs différentes modalités : spa- tiale, fonctionnelle, relationnelle, économique. De fait, dans le cas de la filière fruits, la dimension fonctionnelle est assurée par des intermédiaires professionnels de la filière, dans une échelle délimitée par un délai de livraison permettant le maintien de la fraîcheur des fruits, donc d’une qualité différente des autres circuits. Dans le cas de la restauration collective, la question de la logistique devient centrale ainsi que celle de la gouvernance territoriale. Si l’injonction politique est en effet très grande, chaque territoire administra- tif définissant « sa » proximité à ses propres frontières (Praly et al., 2012), l’organisation d’un approvisionnement local répondant aux exigences spécifiques de la restauration col- lective conduit généralement à dépasser ces frontières. Enfin, dans le cas de la vente par Internet, la dimension fonctionnelle est fondatrice (liée au service) tandis que la dimen- sion relationnelle peut être construite en misant sur l’attachement à certains symboles (par exemple sociétés qui expédient des « paniers savoyards » aux citadins de l’autre bout de la France), ou sur le partage de valeurs communes entre producteurs et consom- mateurs défendant un modèle d’agriculture. Cette construction de la proximité organisée peut même compenser l’absence de proximité géographique par la mobilisation d’un lien symbolique lié à l’identité territoriale. Dans ce cas, la dimension spatiale n’est pas reliée à la proximité géographique, mais mobilisée pour ses attributs identitaires, ce qui éloigne ce type de circuits de notre définition des circuits de proximité, puisque cette forme de e-commerce valorise les spécificités territoriales pour exporter les productions hors du territoire. De ce point de vue, il constitue une forme d’ancrage territorial de la production par la valorisation de l’origine, mais il ne contribue pas à la relocalisation du système alimentaire par le rapprochement géographique entre production et consommation, alors même qu’elle répond à la définition du circuit court au sens du Ministère de l’Agriculture.

Dans plusieurs des cas étudiés, le rôle des intermédiaires apparaît central pour la valori- sation de la proximité géographique par la dimension fonctionnelle du circuit, assurant des fonctions aussi variées que nécessaires, telles que la logistique, le transport, l’allotissement des produits, la découpe ou transformation, la restauration, les livraisons, etc. Ces fonctions relèvent en effet de compétences, savoirs et équipements, que les producteurs et les consom- mateurs seuls ne peuvent pas toujours prendre en charge. Les intermédiaires professionnels

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