• Aucun résultat trouvé

Géographie Économie Société: Article pp.373-397 of Vol.16 n°4 (2014)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Géographie Économie Société: Article pp.373-397 of Vol.16 n°4 (2014)"

Copied!
26
0
0

Texte intégral

(1)

géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 16 (2014) 373-397

Précarité urbaine et fragmentation socio-spatiale au sein des métropoles brésiliennes : le cas de Recife

Jean-Paul Carrière

a*

et Luis de la Mora

b

a Département Aménagement de l’École Polytechnique de l’Université de Tours UMR CNRS 7324 CITERES

35 allée Ferdinand de Lesseps, BP 30553, 37205 Tours Cedex 3

b Université fédérale du Pernambouc Département d’Architechture et d’Urbanisme Programme de post-graduation en développement urbain

Av. Prof. Morais Rego, 1235 - Cidade Universitária, Recife - PE, 50670-901, Brésil

Résumé

La concomitance d’une segmentation forte de l’espace urbain et d’inégalités sociales persistantes jus- tifie que l’on utilise le concept de fragmentation socio-spatiale comme clé de lecture des métropoles brésiliennes. Il s’agit ainsi de se dégager des visions dichotomiques traditionnelles opposant centre et périphérie, et de rendre de compte des processus de segmentation qui transforment les grandes villes du Brésil en mosaïques, aux morphologies contrastées, composées par des « morceaux de ville », occupés alternativement par des populations aisées ou très aisées ou au contraire en grande précarité.

Si l’objectif principal de cet article est de mettre en évidence la géographie particulière des inégalités sociales qui marque les grandes villes brésiliennes, en particulier à travers le phéno- mène des favelas, il entend également proposer des éléments de réflexion sur la portée et les effets de l’action publique en direction des zones d’habitat précaire. Depuis de nombreuses années, les politiques publiques oscillent entre tentatives d’éradication des espaces de pauvreté, impliquant la délocalisation de leurs habitants, et volonté de requalification avec comme objectif le « droit à la ville » et le maintien sur place des populations concernées. Cette question est d’autant plus prégnante que les stratégies de marketing urbain imposées par la globalisation d’une part, et de lutte contre la fragmentation urbaine d’autre part, restent difficilement conciliables.

doi :10.3166/ges.16.373-397 © 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant : jean-paul.carriere@univ-tours.fr

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(2)

Toutefois, ne pouvant rendre compte de la question de la fragmentation socio-spatiale dans l’ensemble des grandes villes brésiliennes, nous privilégions dans cet article le cas de Recife, à bien des égards paradigmatique de la façon dont se pose la question du « droit à la ville » au Brésil, sans nous interdire d’évoquer d’autres exemples. C’est en particulier à Recife que, déjà sous la dictature, les habitants des favelas, relayés par des ONG et des universitaires, ont au nom du « droit à la ville » revendiqué des mesures de régularisation de leurs quartiers, qui devaient se concrétiser par la suite sous des formes législatives et réglementaires. Dans l’impossibilité également de traiter de toutes les formes d’action publique menée en réponse aux effets de la fragmentation, nous cherchons à évaluer plus particulièrement la portée et les limites du Plan de régularisation des zones spéciales d’intérêt social (PREZEIS) initié à Recife en 1987, et conçu suite aux demandes des habitants pour consolider et régulariser les favelas et les zones de grande précarité urbaine. Ainsi, après une première partie consacrée aux conséquences de la métropo- lisation en termes de fragmentation urbaine telles que le cas de la capitale du Nordeste nous les donne à voir, la seconde cherche à analyser les modalités et les effets du PREZEIS, au regard des objectifs de requalification des quartiers précaires et de lutte contre la fragmentation urbaine.

Mots clés : fragmentation socio-spatiale, favelas, précarité urbaine, métropoles, Brésil.

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

Urban precariousness and socio-spatial fragmentation in the Brazilian metropolises : the Recife case. The simultaneity of a strong spatial segmentation and of persistent social imbalances justifies the use of the concept of socio-spatial fragmentation, as a key to analysing the Brazilian metro- polises. This is the way to renounce traditional dichotomised visions which oppose centre and periphery, and to explain the processes of segmentation, which transform the big Brazilian cities into kinds of patchworks, with contrasting morphologies and made up of “pieces of town” occupied alternately by high-income people, or on the contrary by people in great precariousness.

Nevertheless, even though the main aim of this paper is to display the particular geography of social inequalities in the big Brazilian cities, specifically focusing on the phenomenon of the favelas, it aims to propose thinking about the outcomes and effects of public action concerning the precarious residential areas. For many years, public policies have wavered between attempts to eradicate the spaces of poverty, which implies the removal of the inhabitants, and the desire to requalify in order to ensure the “right to the city” and the right to tenancy for the popula- tions concerned. This issue is all the more important, as the strategies of metropolitan marketing imposed by globalisation on the one hand, and the fight against urban fragmentation on the other, are difficult to reconcile.

However, as we are not able to deal with the socio-spatial fragmentation in all big sized Brazilian cities, we focus in this paper on the case of Recife, which is, in many respects, paradigmatic of the issue of “the right to city” in Brazil, evoking when necessary other examples. It is in particular in Recife that the inhabitants of the favelas, aided by NGOs and academics, already during the dicta- torship, claimed measures of regularisation for their neighbourhoods, in the name of the “right to the city”, which later became laws and juridical rules. Morever, not being able to deal with all the types of public action conceived to reduce urban fragmentation, we attempt to analyse the impacts and limits of the “Regularization Plan of the special areas of social interest” (so-called PREZEIS), which was implemented in Recife in 1987, in order to consolidate and regularise the favelas and the areas of great urban precariousness, as the inhabitants had demanded.

(3)

Thus the first part of the paper is dedicated to the consequences of metropolisation in terms of urban fragmentation, as we can observe in Recife, whereas the second part analyses the procedures and the effects of the PREZEIS regarding the requalification of precarious neighbourhoods and the fight against urban fragmentation.

Keywords: socio-spatial fragmentation, favelas, urban precariousness, metropolises, Brazil.

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Introduction

Le Brésil, de plus en plus intégré à la globalisation, connaît une croissance specta- culaire qu’accompagne un processus d’urbanisation et de métropolisation particulière- ment rapide. Parvenu au 7e rang des économies mondiales avec une croissance annuelle de son PIB en moyenne supérieure à 4 % depuis le milieu des années 2000, ce pays a vu son taux d’urbanisation passer de 36 % en 1950 à 84 % en 2010, et même 92 % dans le sud-est. Au dernier recensement de 2010, 21 Régions Métropolitaines dépassaient le million d’habitants, les 7 principales, dont Recife, totalisant ensemble plus de 50 mil- lions. Le cas brésilien illustre de façon spectaculaire l’essor des grandes villes du sud et l’élargissement du réseau des villes de dimension mondiale aux pays émergents. Or les grandes villes brésiliennes, à l’instar de ce que l’on peut voir dans beaucoup de pays du sud (Bretagnolle et al., 2011), connaissent une exacerbation de leurs contrastes en termes de niveau de vie, de qualité du bâti, d’accès à l’emploi et aux services… Le renforcement des inégalités à l’échelle infra-métropolitaine dans ce pays est à l’origine de processus de fragmentation socio-spatiale, sans commune mesure avec ce que l’on peut connaître dans les métropoles mondialisées du « nord », européennes ou nord- américaines, la manifestation la plus tangible en étant la dissémination et l’extension continue des favelas au cœur même des villes. Mais corrélativement, on peut aussi observer que la fragmentation s’exprime par la concentration des populations les plus riches en des lieux exclusifs, et sécurisés, auxquels les plus modestes n’ont accès que dans la mesure où ils exécutent des tâches matérielles au profit des premiers (employés de maison, jardiniers, etc.).

Le concept de fragmentation mobilisé dans cet article est fortement utilisé par la recherche urbaine sur les « villes du sud », en particulier au Brésil, pour se détacher d’une lecture par trop duale de l’espace urbain, reposant sur la simple dichotomie centre-péri- phérie, et rendre compte des phénomènes de discontinuité du tissu urbain et d’entre-soi qui caractérise la composition sociale des quartiers ; ce qui n’exclut pas qu’il fasse débat, dans la mesure où les pratiques urbaines tendent à s’homogénéiser (Carrel et al., 2013) ! À travers l’usage de ce terme, il s’agit de mieux prendre en compte les processus de seg- mentation qui transforment la ville en une sorte de mosaïque, aux couleurs et aux formes contrastées, composée par des « morceaux de ville », occupés alternativement par des populations aisées ou très aisées ou au contraire en grande précarité.

Certes, des travaux récents soulignent la montée d’une nouvelle « classe moyenne » brésilienne, adoptant de nouveaux modes de consommation (Cary, 2010) et montrent que les favelas, ou a contrario les copropriétés fermées, les condominios, ne peuvent

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(4)

être assimilées à de simples enclaves de pauvres (ou de riches) sans articulation avec l’ensemble de l’espace urbain (Chétry, 2013), ce que pourrait donner à penser une approche sans nuances de la fragmentation. Trajectoires résidentielles, pratiques de mobilité, modalités d’accès au marché du travail et à certains services ou commerces extérieurs aux espaces en question, relations de travail proprement dites1, montrent qu’il est excessif de considérer les îlots ou quartiers concernés comme de simples enclaves totalement fermées. Cela peut se vérifier dans les favelas comme dans les quartiers des plus riches, en dépit de comportements de repli et de recherche d’entre- soi. En ce sens, le concept de fragmentation socio-spatiale doit être utilisé avec pré- caution, mais la persistance de très grandes différences dans les morphologies des espaces bâtis, de discontinuités brutales qui se conjuguent avec des formes de ségré- gations et d’inégalités sociales criantes, nous conduisent à analyser l’organisation des grandes villes brésiliennes, et tout particulièrement de Recife, en ces termes et à conserver le concept. Si sur un plan général, le lien entre l’existence de fortes iné- galités sociales et la fragmentation physique de l’espace ne se vérifie pas de façon systématique dans les villes du sud, comme l’a montré Navez-Bouchanine (2002), nous considérons qu’au Brésil la concomitance d’une segmentation forte de l’espace et d’inégalités sociales persistantes justifie que l’on utilise la fragmentation comme clé de lecture.

L’objectif principal de cet article est d’en restituer les aspects principaux en insis- tant sur la géographie particulière de la pauvreté qui marque les grandes villes bré- siliennes, tout en s’interrogeant sur la portée et les effets de l’action publique en direction des zones d’habitat précaire. Cette question est d’autant plus prégnante dans le cas brésilien que celui-ci est profondément affecté par la tension entre stratégies de marketing urbain et de lutte contre la fragmentation urbaine, comme on le verra par la suite.

Ne pouvant dans le cadre limité de cet article rendre compte de tous les aspects de la question de la fragmentation socio-spatiale dans l’ensemble des grandes villes brési- liennes (on ne saurait parler d’un modèle uniforme d’organisation de l’espace urbain au Brésil !) et des réponses qui lui sont apportées, nous privilégierons, sans nous interdire d’évoquer d’autres exemples, le cas de Recife, à bien des égards paradigmatique de la façon dont se pose la question du « droit à la ville » au Brésil.

Recife, 5e agglomération du Brésil, nous paraît particulièrement illustrative des dyna- miques à l’œuvre dans les métropoles brésiliennes. Regroupant 1 547 704 habitants sur 219,7 km², cette ville est au centre d’un vaste espace métropolitain de près de 3,7 millions (recensement de 2010), qui s’étale linéairement le long du littoral et de la route natio- nale BR 1012. C’est cet espace qui s’est structuré institutionnellement à travers la créa- tion en 1973 d’une Région Métropolitaine qui regroupe actuellement 14 municipalités

1 Ce qu’illustre de façon éloquente le film récent de Kleber Mendonça Filho, « Les bruits de Recife ».

2 Elle assure la liaison entre les principales métropoles du pays et les grandes villes littorales, fondées au cours de la période coloniale

(5)

(originellement, elles n’étaient que 9 lors de la création par la Loi complémentaire 14/1973)3.

Dans l’impossibilité de traiter à l’échelle de cet article l’ensemble de l’action publique menée en réponse aux effets de la fragmentation, nous avons choisi de concentrer notre attention sur l’action publique sur les zones de précarité, et plus particulièrement sur l’expérience du Plan de régularisation des zones spéciales d’intérêt social (PREZEIS) initié à Recife en 1987, dans la mesure où ce plan, et les zones concernées, font l’objet d’un programme de recherche en cours mené par des chercheurs seniors et juniors du Département d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université Fédérale du Pernambouc en coopération avec des chercheurs de l’UMR CNRS 7324 CITERES de l’Université de Tours4. La focalisation réalisée sur le PREZEIS ne doit pas faire oublier que ce plan, qui procède d’une action volontariste et d’une forme originale d’action publique, ne consti- tue pas pour autant la seule forme d’intervention en direction des zones occupées par les populations en situation de précarité, comme on le verra par la suite. Le PREZEIS a cependant pour spécificité de s’inscrire totalement et explicitement dans une stratégie de régularisation foncière et d’aménagement en assurant le maintien sur place des popula- tions concernées.

La première partie de l’article revient sur la situation de la métropolisation au Brésil et ses conséquences en termes de fragmentation urbaine en se focalisant sur le cas de la capi- tale nordestine. Dans la seconde partie, nous tenterons d’évaluer la portée et les limites du PREZEIS, au regard des objectifs de requalification des quartiers précaires et de lutte contre la fragmentation urbaine.

3 Selon la terminologie en vigueur au Brésil, la « Région Métropolitaine » (RM) correspond à une aire fonction- nelle définie à partir des flux de personnes et des interdépendances économiques. Elle a été créée pour organiser, planifier et mettre en œuvre des actions publiques d’intérêt commun aux municipes qui la composent. Toutefois, elle ne peut empiéter sur les compétences municipales, d’autant plus que les Municipes ont un statut d’Unités consti- tutives de la Fédération au même titre que les États fédérés depuis la Constitution de 1988. Dès lors les politiques et projets métropolitains procèdent le plus souvent par simple addition de choix municipaux et ne peuvent en toute hypothèse apporter de réponses globales au problème posé par la fragmentation socio-spatiale (Carrière, 2012). La RM ne doit pas être confondue avec « l’aire métropolitaine » qui désigne l’ensemble des municipes constituant un espace urbanisé continu, sans interstices ruraux. Par exemple, l’aire métropolitaine de Recife comprend les municipes de Recife, Olinda, Camaragibe, Paulista, Sao Lourenço da Mata alors que la RM englobe 10 Municipes supplémen- taires : Abreu e Lima, Araçoiaba, Cabo de anto Agostinho, Goiana, Igarassu, Ilha de Itamaracá, Ipojuca, Itapissuma, Jabotão dos Guarapares, Moreno. La Région Métropolitaine de Recife (RMR) occupe 3 % de la superficie de l’État du Pernambouc, mais concentre en 2010 plus de 42 % de la population de cet État et produit plus de 50 % de son PIB, selon les données de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)

4 Le programme, piloté par le Professeur Luis de la Mora au sein du Programa de pós graduação em Desenvolvimento Urbano - MDU - associe des enseignants-chercheurs des deux universités et donne lieu à la préparation d’une thèse de doctorat d’Aménagement – Urbanisme en co-tutelle, ainsi qu’à des Mestrados brési- liens et des Projets de fin d’études d’élèves-ingénieurs du Département Aménagement de l’École Polytechnique de l’Université de Tours, réalisant leurs stages de fin d’études à Recife.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(6)

1. La fragmentation urbaine au sein des métropoles brésiliennes et à Recife 1.1. La métropolisation, un processus inachevé mais générateur de différenciation morphologique et sociale

La métropolisation se présente de façon générale comme « un processus par lequel une ville, très grande le plus souvent mais pas nécessairement, acquiert des fonctions majeures de coordination d’activités économiques complexes de portée mondiale, ou globale » (Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005, p.40). Or ce processus dans sa réalité brésilienne reste inégal : dans le contexte de « polymétropolisation » qui caractérise l’Amérique Latine (Tellier, 2012), seules São Paulo (19,7 millions d’habitants) et Rio de Janeiro (11,8 mil- lions) peuvent prétendre au « statut » de métropole de premier rang, par leur taille, les fonc- tions supérieures et les services hautement qualifiés qu’elles assument. Ainsi, São Paulo concentre à elle seule 45,8 % des sièges sociaux des 500 plus grandes firmes installées au Brésil, 18,8 % des agences bancaires, plus de 30 % des revenus distribués dans le pays…

Les autres grandes agglomérations, en dépit d’une taille considérable – elles sont 8, dont Recife, à dépasser les 3 millions d’habitants ! – peuvent être définies comme des métropoles incomplètes, dont le développement est encore marqué par le poids de l’informel et du ter- tiaire « traditionnel », une influence plus de caractère régional – au sens des grandes régions brésiliennes5 - ou national qu’international, et leur situation macrocéphale à l’échelle de l’État fédéré dont elles sont la capitale (Carrière, 2012, et Carrière et De la Mora, 2012).

La métropolisation, « traduction spatiale de la globalisation » (Lacour, 1999, p. 74) s’accompagne d’une compétition intervilles d’autant plus forte que les modalités actuelles du développement économique mondialisé privilégient l’attractivité des investissements internationalement mobiles. Au Brésil, comme ailleurs, la globalisation est un puissant facteur de différenciation des villes valorisant celles qui ont la capacité de prendre place parmi les « lieux » les plus attractifs.

Dans ce contexte, les grandes villes brésiliennes sont toutes engagées dans une tenta- tive de dépasser leur situation de simple capitale d’État fédéré, pour acquérir une visibilité internationale, la plus forte possible. Les grands choix stratégiques d’aménagement y sont de plus en plus influencés par le paradigme de l’attractivité et la recherche d’un change- ment d’image. En effet, les grandes villes brésiliennes sont, elles aussi, soucieuses de « se vendre » sur le marché mondial des territoires, d’adapter leur centralité aux exigences de la mondialisation, de concentrer des fonctions supérieures à même de leur assurer un rang international et de leur permettre de capter des flux d’investissement étrangers. La course à la verticalité, les grands « gestes architecturaux », les opérations de marketing urbain, les grands événements emblématiques (Coupe du monde de football, JO) sont autant de manifestations des effets de la globalisation sur les stratégies de développement urbain des métropoles brésiliennes. Mais concilier de tels objectifs avec ceux de la requalifica- tion des espaces de la pauvreté relève d’une équation particulièrement difficile à résoudre, probablement encore plus au Brésil que dans de nombreux pays.

5 Le Brésil, État fédéral, composé de 27 États fédérés dotés d’une forte autonomie pour leurs affaires « inté- rieures », est découpé, notamment pour la mise en œuvre des politiques nationales d’investissement, en 5 macro-régions.

(7)

L’enjeu stratégique d’une plus grande insertion à l’économie mondiale entre en tension avec la nécessité de satisfaire les besoins d’une population urbaine en forte croissance, sous le double effet du croît naturel et de l’exode rural, en provenance pour l’essentiel des régions intérieures du Nordeste, régions dont le niveau de pauvreté reste exceptionnel, malgré une augmentation significative du revenu moyen (entre 2000 et 2010, son aug- mentation a été de 5,6 % par an en prix constants de 2010 dans le Nordeste et de 4,5 % dans l’ensemble du Brésil selon les données de IBGE (in Neri et al., 2012). Les gains de la croissance profitent surtout à une fraction minoritaire de la population, même si les années Lula ont vu l’indice de Gini descendre à 0,526 en 2012, alors que 20 ans plus tôt il s’élevait à 0,607 (Neri et al., 2012). Cependant, et en dépit d’une augmentation du pouvoir d’achat des plus pauvres6, permise par l’instauration de la « bolsa familia » et du programme « Fome zero »7, le Brésil se situe toujours au 6e rang mondial pour l’indice d’inégalité du PNUD (2011), et les métropoles brésiliennes concentrent toutes les inégali- tés qu’accentue encore la précarité de l‘habitat. 78 % des favelados (habitants des favelas) sont regroupés dans les 9 principales métropoles du pays. Il en résulte une contradiction majeure, à certains égards paradoxale, puisque la pérennité des zones de précarité est aussi un facteur de dégradation de l’image et de l’attractivité des villes brésiliennes. Cette contradiction, que l’on rencontre aussi en Afrique (Michelon, 2011), est un facteur de complexité auquel sont confrontés les pouvoirs publics désireux la fois de répondre aux attentes des bailleurs internationaux en matière de compétitivité et d’attractivité urbaine, et d’améliorer les conditions de vie des habitants des zones précaires, ne serait-ce que pour contenir leurs révoltes potentielles. La tension, notamment en termes d’affectation des ressources publiques, devient de plus en plus forte entre des politiques visant à insérer les villes dans des « espaces de flux », au sens de Castells (1991)8, et la volonté d’éra- diquer des concentrations de pauvreté qui sont à la fois sources d’inégalités spatiales et d’image négative et répulsive de la ville. C’est pourquoi on voit beaucoup de grandes villes brésiliennes chercher à mener simultanément des opérations, soit d’éradication, soit de requalification des favelas, et des grands projets emblématiques de développement urbain. À titre d’exemple, on peut évoquer la ville de Rio qui s’est engagée à la fois dans une politique volontariste d’interventions visant à pacifier et à restructurer des favelas, avec des opérations audacieuses telles que la construction d’un téléphérique desservant la favela do Alemão. Celle-ci, selon le recensement général de 2010 (IBGE, 2010) comptait plus de 60 000 habitants, et son Indice du Développement Humain était le plus bas de la ville de Rio (0,711 selon l’IBGE en 2000). Un autre exemple à Rio de Janeiro concerne

6 Dans le Nordeste, la proportion de ménages percevant un revenu inférieur au quart du revenu minimum a régressé de 43 % à 23 % entre 2000 et 2009 (de 23 % à 11 % au Brésil), tandis que le taux de mortalité infantile tombait de 26,5‰ à 15,6 ‰ (de 21,3‰ à 13,9‰ au Brésil). Sources : IBGE in Neri et al., 2012.

7 Qui signifient respectivement « bourse famille » et « faim zéro ».

8 C’est-à-dire des espaces de déploiement de la société informationnelle et valorisés par les élites, mais non intégrateurs des populations pauvres confinées dans des « espaces de lieux » déqualifiés où se déroule leur vie quotidienne. Michelon (2011) montre comment l’utilisation de la dichotomie espaces de flux – espaces de lieux, proposée par Castells, permet d’analyser l’évolution de l’urbanisation des villes africaines et des conditions de vie dans les quartiers précaires. Il nous semble que les termes de l’analyse proposés par Michelon sont aisément transposables au cas des villes brésiliennes, en dépit de fortes différences contextuelles.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(8)

la réalisation de grands projets de requalification des zones industrialo-portuaires, tel que le projet de Porto Maravilha, destiné entre autres à accueillir certaines manifestations des J.O. de 2016.

De même à Recife, la Municipalité, cherche à renouveler l’image de la ville par de grandes opérations d’aménagement de sa façade maritime, conçues pour lui donner une meilleure visibilité internationale La création de nouveaux « pôles de développement » à Goiana (centre d’industries de pointe, telle que la pharmacochimie) ou à São Lourenço da Mata, dont les aménagements sont directement liés à l’organisation de la coupe du monde de football relève aussi de la même volonté d’intégrer Recife dans la liste des métropoles de niveau international. On peut ajouter que les forces du marché et l’action très prégnante du secteur immobilier privé voient dans la restructuration des espaces centraux dégradés de nouvelles opportunités foncières permettant le développement de grands projets, fort peu compatibles avec le besoin d’inclusion sociale des populations en grande précarité.

Le dilemme reste donc entier entre la volonté de réduire la fragmentation urbaine, par des actions spécifiques de réhabilitation des espaces de précarité, et celle de prendre place dans les réseaux métropolitains internationaux, même si in fine la seconde présuppose la première. Les poches de pauvreté que sont les quartiers précaires, sources elles-mêmes de dégradation environnementale et de violence exacerbée – on dénombre plus de 40 000 homicides par an au Brésil, dont plus de 90 % dans les zones urbanisées – portent d’une part préjudice aux efforts de renouvellement d’image que les stratégies urbaines cherchent à promouvoir, et, occupent, d’autre part, au cœur même des cités, des espaces stratégiques, mais sans autre valeur fonctionnelle que celle de servir « d’abri » précaire à des populations marginalisées. Ce qui « fait métropole » à l’échelle d’une agglomération n’englobe que des « morceaux de ville » et la métropolisation n’est pas inclusive de tout l’espace urbain : ceci se vérifie avec beaucoup de force au Brésil !

La métropolisation y apparaît comme un rapide processus créateur de différenciation des lieux, de discrimination sociale et de conflictualité, et pour tout dire « non soute- nable », tant du point de vue social qu’environnemental.

Certes, on observe au Brésil depuis la fin du 20e siècle un relatif infléchissement de l’expan- sion urbaine sous l’effet du ralentissement de la croissance démographique et des flux migra- toires en provenance de l’intérieur. Mais les grandes villes brésiliennes concentrent toujours des populations particulièrement vulnérables au sein de quartiers précaires constitués de tau- dis, que ceux-ci aient l’apparence de bidonvilles, ou soient constitués d’un habitat « en dur » auto-produit, mais ne répondant pas aux normes actuelles de salubrité, de confort et de peuple- ment. Les quartiers précaires et les bidonvilles, au sens générique du terme, qualifiés par Agier (1999) de « villes–bis », sont aussi des lieux caractérisés par une identité et une sociabilité bien spécifiques. Ce sont des lieux de fabrication de normes et de pouvoirs parallèles. Or, ces lieux ne se distribuent pas spatialement selon un modèle simple qui opposerait le centre et la périphérie. Comme dans d’autres pays ayant connu une colonisation séculaire, le centre-ville des grandes villes brésiliennes, créé à partir des noyaux coloniaux9, reste le siège des centres des activités de portée internationale, du système bancaire, des activités interconnectées, etc.

Il offre aussi, au gré des disponibilités foncières occupées illégalement, des opportunités de

9 Brasilia faisant ici exception, ce qui se traduit d’ailleurs par une tout autre géographie de la pauvreté, celle- ci étant en grande partie rejetée dans les villes-satellites de la capitale (Bortolato, 2014).

(9)

localisation d’activités informelles et de zones de pauvreté, de marginalisation, et de dégra- dation environnementale. Le quartier bien nommé de « Crackolandia » de São Paulo, faisant face à la Pinacothèque, en est un bon exemple. Le paradoxe est alors de voir en coprésence des zones reproduisant les modèles urbains du « premier monde », telles que les zones de bureaux ou de résidences de luxe regroupés dans des tours de très grande hauteur, et des zones de précarité, horizontales, telles que les favelas. Les périphéries, elles-mêmes, laissent se déve- lopper dans une forte proximité, des zones résidentielles de haut standing, souvent sous forme de copropriétés closes et gardées par des vigiles en armes, et d’immenses quartiers précaires, comme on peut le voir de façon évidente à Brasilia (Borges, 2014).

Dès lors, s’impose l’image d’une ville segmentée, composant une mosaïque d’espaces identitaires, fortement différenciés par leur architecture et leurs caractéristiques paysagères, quand ils ne sont pas physiquement coupés par des barrières symboliques ou concrètes (murs, enceintes, avenues). La fragmentation laisse alors alterner, dans un voisinage sans distance spa- tiale, les zones d’habitat précaire et les ilots d’opulence, et paradoxalement renforce l’ancrage local des populations précarisées qui se replient sur leur espace de quotidienneté, même si par ailleurs diverses pratiques (travail, études, loisirs, fréquentation des malls…) amènent une pro- portion importante d’habitants à sortir régulièrement des favelas. Cette situation de contiguïté n’est pas sans incidence sur la fonctionnalité et la compétitivité des quartiers ayant vocation à accueillir les activités mondialisées. N’a-t-on pas vu récemment en plein cœur de Rio de véri- tables opérations militaires pour tenter de prendre le contrôle des favelas ? Véritables condensés de pauvreté, d’insécurité et d’insalubrité du fait de l’absence de systèmes d’assainissement, celles-ci expriment par leur ampleur, mais aussi leur dispersion dans tout le tissu urbain, en particulier central et péricentral, l’intensité de la fragmentation des métropoles brésiliennes.

Photo 1 : Proximité spatiale et distance sociale : deux mondes cloisonnés en co-présence. Des favelas au pied des condominios du quartier de Casa Forte, à Recife

FONTE : AUTORA, 2010. RECIFE, BAIRRO DE CASA FORTE.

FONTE : AUTORA, 2010. RECIFE, BAIRRO DE CASA FORTE.

Source : Thatiany LM Botelho (photo personnelle)

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(10)

Photo 2 : Pauvreté et insalubrité dans les favelas, à proximité des tours…

1.2. Recife, un cas exemplaire de fragmentation urbaine à l’échelle métropolitaine Les métropoles occupent une place « privilégiée » dans la réalité spatiale de l’inéga- lité sociale au Brésil, même si d’autres territoires (notamment les territoires ruraux de l‘intérieur du Nordeste) ne sont pas épargnés non plus par la grande pauvreté. Que la pauvreté ait reculé significativement au Brésil depuis les années 2000 est un fait avéré, confirmé par toutes les données statistiques disponibles à différentes échelles. Toutefois, selon l’IBGE, on estimait encore en 2010, à partir du recensement général de la popu- lation, le nombre de Brésiliens en situation de pauvreté extrême, c’est-à-dire disposant d’un revenu par tête inférieure à 70 Reais par mois10, à 16,27 millions, soit 8,5 % de la population totale. La majorité (53,3 %) de cette population vivant dans l’indigence se trouve concentrée dans les villes, principalement dans leurs favelas. Ce sont les villes du Nordeste qui en accueillent la plus grande proportion : 18,1 % des Nordestins vivent sous le seuil de la pauvreté extrême. Dès lors, on comprend la persistance d’un habitat très précaire dont le poids statistique reste considérable : selon les données du recensement de 2010, 11,4 millions d’habitants, soit 6 % des Brésiliens, vivaient dans des favelas définies comme des « aglomerados subnormais », c’est-à-dire selon la définition de l’IBGE, des

« agglomérats hors normes, soit des ensembles constitués par un minimum de 51 habita- tions occupant ou ayant occupé jusqu’à une période récente un terrain d’autrui, public ou privé, disposées, en général, de façon désordonnée et dense, et dépourvues, dans leur majorité, des services publics essentiels ». À partir de cette définition statistique, qui est loin d’épuiser toute la réalité de l’habitat précaire11, l’IBGE recense 6 359 favelas dans tout le pays, localisées dans 323 des 5 565 municipalités brésiliennes.

Recife, à l’instar des plus grandes villes du pays, se distingue par une proportion par-

10 Soit environ 25,50 euros en 2010.

11 Nombreuses sont les études à considérer cette définition statistique comme trop restrictive pour prendre en compte toute l’hétérogénéité de la réalité favelada.

Source : Observatório das Metropoles, Recife, 2000.

(11)

ticulièrement élevée de « favelados » : en 2010, 852 700 habitants de la RMR vivaient dans des îlots précaires, soit 23,2 % de la population totale, c’est-à-dire nettement plus qu’à Rio de Janeiro (14,4 %) ou São Paulo (11 %).

Or, dans cette ville, les familles pauvres sont réparties sur tout le territoire, occupant en priorité les espaces délaissés pour des raisons topographiques (pentes, zones inon- dables…) ou géographiques (proximité de nuisances diverses) ; ceci, d’autant plus que depuis 1983, contrairement à nombre de villes brésiliennes, l’ensemble des dispositifs législatifs et réglementaires concernant les zones précaires a pour finalité affichée de garantir leur insertion au tissu urbain et non plus leur éradication. Dans ces ilots épar- pillés, vivent des populations sans emploi et sans revenus formels, dans des conditions de forte exclusion sociale12 (De la Mora et Souza, 2002). Cette constatation se confirme au-delà des limites de la seule municipalité de Recife, et se vérifie dans tous les municipes de la RMR : selon une étude récente croisant traitements de relevés satellitaires et obser- vations de terrain, le total des îlots résidentiels précaires recensés dans la RMR s’élève à 1046, dont 441 à Recife-même et 111 à Olinda, la seconde ville de la RMR. L’ensemble de l’étude révèle une dissémination complète de ces zones de précarité dans l’ensemble du territoire métropolitain, mais le fait essentiel réside dans la prééminence en la matière de la ville-centre (Alves dos Santos et Barbosa Mahmood, 2013)

La carte des zones de pauvreté à Recife « intra-muros » (cf. Carte 1) reflète parfai- tement un des aspects de la fragmentation socio-spatiale de la ville, caractéristique de toutes les métropoles brésiliennes. Pour autant, on ne peut pas parler de distribution dif- fuse de la pauvreté, car les quartiers précaires disséminés dans tout l’espace urbain sont aussi des lieux de repli du fait d’une peur qui se propage dans les différents groupes sociaux, chez les riches comme chez les pauvres. Que ce soit dans les condominios, ou dans les favelas, d’un côté comme de l’autre, le sentiment d’insécurité prévaut dans toutes les couches sociales et incite les personnes et les groupes à se protéger dans des structures architecturales et urbaines limitant l’accès des individus extérieurs. Les « riches » se réfu- gieront dans des tours fermées, tandis que les pauvres dans leurs favelas « de plain-pied » chercheront à en limiter l’accès, notamment en réduisant les entrées du quartier. Ceci n’exclut pas pour autant des pratiques de mobilité entre ces espaces, mais de façon très contrôlée, notamment à l’entrée des tours. Dès lors, les sous-espaces de la ville fragmen- tée constituent autant de lieux de sociabilité restreinte aux seuls groupes ou personnes en qui l’on a confiance. On assiste à un véritable phénomène d’auto-ségrégation, dans les quartiers précaires, comme dans les quelques cités reconstruites par le gouvernement au bénéfice des populations à bas revenu. Au fur et à mesure que la métropole recifense croît sous l’effet des flux migratoires, les espaces clos se démultiplient (De la Mora, 2011, p. 10), la contradiction résultant de ces processus, qui n’est pas sans enjeu stratégique, est que cela détériore son image internationale. Mais inversement, au fur et à mesure que son caractère métropolitain s’affirme, elle devient de plus en plus attirante à la fois pour des populations pauvres provenant des régions rurales intérieures nordestines et se réfugiant

12 Ce qui n’empêche pas pour autant la fréquentation par ces mêmes habitants d’équipements d’envergure, comme le Parc Dona Lindu, ou leur participation active à des événements culturels majeurs comme le Carnaval.

La situation des populations pauvres du Brésil s’analyse toujours difficilement lorsqu’on emploie les catégories habituelles utilisées pour caractériser la pauvreté dans d’autres pays.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(12)

dans les favelas, mais aussi pour de nouvelles catégories sociales supérieures, dont la seule présence attise les forces du marché en faveur d’une production immobilière privée de standing élevé, principalement en bord de mer. Les deux processus co-génèrent en quelque sorte la fragmentation socio-spatiale.

Carte 1 : les zones de pauvreté à Recife

La distribution spatiale des zones d’habitat précaire, en vert sur la carte, se traduit par l’imbrication des espaces résidentiels « des riches et des pauvres » dans des ilots ou des quartiers cloisonnés.

Les zones d’occupation illégale se distribuent dans l’ensemble du territoire municipal. Aucun lieu, qu’il s’agisse du centre historique, des pôles commerciaux modernes ou des zones résidentielles de haut standing ne se trouve à plus de 1,2 km d’une favela.

On ne saurait réduire la favela au bidonville tel qu’on a pu le connaître dans les villes européennes. Territoire de pauvreté urbaine et d’exclusion sociale (Valladares, 2000), la favela résulte d’un processus de production spontanée, informelle, de l’habitat au sein de quartiers ou d’îlots dépourvus d’assainissement, et de services de transport, et souvent de voirie aménagée. Les habitations y sont souvent construites en dur, mais à partir de matériaux de récupération ou de basse qualité, avec le concours de la famille ou de la

« communauté » (Gallart, 2011). La construction des favelas est en soi un facteur de développement de relations sociales entre personnes confrontées aux mêmes problèmes de marginalisation et favorise cet « entre-soi » caractéristique des communautés pauvres brésiliennes. Si l’accès à l’électricité est généralement assuré, il n’en va pas de même de l’eau courante, de la collecte des déchets et de l’assainissement, ce qui favorise indénia- blement les pollutions et un taux de mortalité élevé. Les services publics permettant de satisfaire les besoins essentiels (éducation, santé) sont largement déficients, et souvent assurés de façon palliative par les Églises ou des ONG. Au total, l’habitat précaire dans ou hors des favelas représenterait près du tiers du parc de logements de la RMR (Alves

Source : Observatório das Metrópoles, Recife (2005)

(13)

dos Santos et Mahmood, 2013). Appliquer des critères d’illégalité d’occupation des sols, de production spontanée de l’habitat, de déficit d’équipements publics peut donner lieu à de grandes marges d’appréciation : la réalité favelada est beaucoup plus diverse et hété- rogène que ne le suggère la seule évocation du terme.

Si en première analyse, la précarité urbaine à Recife ressort des défaillances du sys- tème de production immobilière brésilien et de ses insuffisances en matière de logement social, la compréhension de la situation de fragmentation socio-spatiale que connaît aujourd’hui la ville ne peut faire l’économie de la prise en compte de sa situation géo- graphique et de son histoire depuis ses origines. La dynamique urbaine qui a conduit à la formation de Recife a connu ses prémices grâce à l’essor du commerce international du coton et du sucre, et l’agglomération a adopté sa configuration actuelle dès la fin du XIXe, lorsqu’elle a commencé à phagocyter les villes voisines, égrenées le long du littoral. La croissance de sa population s’est accélérée avec l’abolition de l’esclavage (1888), une partie considérable des esclaves libérés ayant abandonné les latifundios pour chercher du travail au sein d’une ville qui était incapable de l’absorber. La modernisation de l’agri- culture et la sécheresse ont amplifié le phénomène d’expulsion de la paysannerie pauvre, quittant le « sertão » et les latifundios13 pour cette ville, perçue comme seul lieu de survie possible. Cette main-d’œuvre nouvelle s’est alors tournée vers des activités sporadiques et informelles, ne permettant de dégager qu’un revenu de survie. Encore aujourd’hui, le revenu moyen mensuel par tête y dépasse à peine les 100 euros. La concentration des pauvres au cœur même de la cité n’est pas sans lien avec la situation de métropole que connaît Recife au sein du Nordeste brésilien, lui-même caractérisé par des taux de pau- vreté particulièrement élevés et des flux d’émigration massive, notamment dans ce qu’il est convenu d’appeler le « polygone des (ou de la, selon les auteurs) sécheresses »14, Tout compte fait, le développement urbain de Recife apparaît comme la contrepartie d’un

« mal-développement » rural, et sa croissance a plus résulté d’un phénomène de « push » rural que de « pull » urbain. Les familles pauvres du Nordeste, à la recherche de moyens de survie continuent à émigrer massivement vers le sud-est du Pays (Rio et São Paulo, principalement), mais aussi toujours vers Recife, qui en dépit d’opportunités moindres reste beaucoup plus accessible. Le système productif de la ville est dans l’incapacité d’absorber ces contingents de population migrante. Ceux-ci trouvent alors à s’occuper dans les « interstices » informels de l’économie, et s’installent dans des espaces encore vides, nombreux à Recife, qu’il s’agisse des collines de la périphérie ou des zones inon- dables de la partie centrale (De la Mora et Souza, 2002, p. 8).

13 Le Sertão désigne précisément la zone géographique du Nordeste caractérisée par un climat semi-aride, et éloignée des espaces urbanisés du littoral (le terme, dans ses origines sémantiques, renvoie à l’idée d’arrière- pays). Cette zone est le siège à la fois d’une petite agriculture de subsistance et de très grandes exploitations, souvent de plusieurs milliers, voire de dizaines de milliers d’hectares, pratiquant une agriculture extensive, sous-capitalisée et employant une main-d’œuvre précaire, de type latifundiaire.

14 Selon M. Molinier et E. Cadier (1984) Le Nordeste du Brésil. qui occupe une surface de 1 660 000 km², est soumis à un ensemble de mécanismes climatiques complexes. Dans le polygone de la sécheresse (950 000 km²), on observe une grande irrégularité spatiale et temporelle des précipitations et de grandes sécheresses, plusieurs fois par siècle, provoquant la perte des récoltes, dont les effets sont aggravés du fait d’une croissance démogra- phique très forte.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(14)

Telle est l’origine des habitations précaires et auto-construites, que sont les « mucam- bos15 » qui en 1913 représentaient déjà 43,3 % du bâti, et en 1939, 63,7 % (De la Mora, 1993, p. 18). Ces pourcentages ayant peu évolué expliquent la dissémination dans tout le tissu urbain, périphérique aussi bien que central, des favelas. Les recensements de la population réalisés en 1918, 1938, 1978, 1996 ont montré la constance de ces pourcen- tages au fil du temps, malgré les politiques publiques successives destinées à éradiquer ces espaces de précarité, considérés dès le début du XXe siècle comme autant de menaces à la santé publique, à la sécurité et à la tranquillité des habitants des autres quartiers.

Cela étant, Recife n’est pas qu’une ville de pauvres confinés dans un habitat précaire, même si le sociologue Gilberto Freyre déjà en 1936 la qualifiait de « Mocambopolis »16 ! Recife est une métropole régionale, qui étend son aire d’influence jusqu’à d’autres capi- tales d’États du Nordeste, comme João Pessoa, Maceió, Natal, voire Aracaju. Recife possède de nombreux atouts à faire valoir dans la concurrence métropolitaine, qui s’exa- cerbe tant à l’échelle du continent sud-américain qu’à l’échelle mondiale : elle dispose du plus grand parc technologique dédié aux NTIC du Brésil, le « Porto Digital », et du second pôle médical du pays (le premier pour tout le Nord et le Nordeste). Ouverte sur l’extérieur, elle rassemble le plus grand nombre de consulats étrangers après São Paulo et Rio. Dotée d’une puissante industrie du BTP, de secteurs de pointe (pharmaco-chimie, automobile…) elle dispose du grand complexe industrialo-portuaire de Suape qui abrite des raffineries de pétrole et le plus grand chantier naval de l’hémisphère sud, et un des principaux aéroports internationaux du pays. Elle présente des indicateurs économiques positifs, notamment son niveau de PIB/ habitant, le plus fort du Nordeste, et assure des fonctions de niveau métropolitain, alors même que ses indicateurs sociaux révèlent un fort taux de pauvreté et de précarité urbaine. Valoriser de tels atouts est un objectif qui ne peut se concrétiser qu’à travers des opérations d’urbanisme difficilement compatibles avec la persistance simultanée de la précarité urbaine. Toutefois la mise en valeur de ces atouts se heurte à de difficiles problèmes de gouvernance et de définition de son péri- mètre, la RMR ne pouvant du fait de son statut engager d’actions portant atteinte aux compétences municipales. Les conditions d’une véritable gouvernance métropolitaine au sein de périmètres transcendant les frontières municipales ne sont pas réunies à l’heure actuelle. Or, la nécessité d’un espace unique de régulation faisant l’objet d’un « projet métropolitain » partagé, destiné à enrayer les processus de fragmentation urbaine se fait sentir de plus en plus.

Ajoutons à cela que le Gouvernement du Pernambouc a tenté de mettre en place des instruments de gestion métropolitaine : Agence de développement, plan de développe- ment de la RMR, Fonds de Développement Métropolitain… mais le fonctionnement de ces outils est limité du fait de l’autonomie municipale, amplifiée par la Constitution de 1988. Par exemple, le système intégré des transports projeté par l’État, qui a pris en 2008 la forme du « Consortium du Grand Recife » n’a obtenu l’adhésion que de deux

15 Le terme de mucambo désigne une habitation très précaire. On peut approximativement traduire « mucambo » par le terme de taudis, tels qu’on les rencontre dans les favelas ou les « palafitas » des bords de fleuve.

16 Dans son célèbre ouvrage d’anthropologie urbaine « Sobrados e Mucambos » (que l’on pourrait traduire par : « Maisons de maîtres et taudis » – 1936, p. 5), G. Freyre désigne la ville par l’expression de

« Mocambopolis recifense » pour souligner l’importance des taudis au cœur de la ville.

(15)

Municipes, Recife et Olinda (les deux plus importants de l’agglomération, il est vrai !).

Les autres villes ont toujours refusé d’adhérer. Cette question de gouvernance n’est pas indifférente à la résolution de la précarité urbaine et des discontinuités urbaines, qui concernent l’ensemble de l’espace métropolitain.

2. Le programme PREZEIS : une réponse à la fragmentation urbaine ?

La question de la fragmentation socio-spatiale, à Recife comme dans les autres métro- poles brésiliennes, ne peut se comprendre en dehors du contexte social général, marqué par la persistance de très fortes inégalités, qui s’expriment également dans bien d’autres domaines (santé, éducation, qualité de l’environnement, etc.) ; ceci malgré la montée des classes moyennes et la croissance du PIB de ces dernières années. Cela étant, et de façon plus directe, on doit aussi relever parmi les facteurs explicatifs de cette situation, non seu- lement le lourd héritage historique sur lequel nous reviendrons ultérieurement, mais aussi des dysfonctionnements, toujours présents, du système de production du cadre bâti très largement soumis aux forces des marchés immobilier et foncier. Ces dysfonctionnements se concrétisent, entre autres, par la grande faiblesse du marché locatif, et par l’action de la Caixa econômica federal (CEF)17 en matière d’habitat social, qui ne favorise que l’acces- sion à la propriété par ses aides dans le cadre de financements dits « sociaux », ce qui exclut de fait les plus pauvres de l’accès à ces logements ; tandis que la promotion immo- bilière privée très active au Brésil se concentre sur la production des « condominios » réservés aux catégories sociales supérieures ou de la « nouvelle classe moyenne »18.

Depuis le début des années 2000 et surtout l’arrivée au pouvoir du Président Lula, en jan- vier 2003, les initiatives, tant au niveau fédéral que local, se sont multipliées en vue d’offrir des réponses au problème du logement des populations les moins solvables. Le statut de la ville, reconnaissant l’existence d’un « droit à la ville » pour tous, adopté en 2001 s’applique à l’échelle de l’État fédéral. En 2003, un ministère fédéral des villes fut créé en vue de promouvoir des réformes visant une meilleure inclusion sociale des populations urbaines à faible revenu. Les États fédérés, à l’instar du Pernambouc, ont aussi lancé des politiques du logement d’aménagement des favelas, spécifiques ou en appui de celles de l’État ; et l’Etat du Pernambouc a lui-même mis en place un cadre normatif, avec la création des ZEIS et du PREZEIS, qui servira ultérieurement de base à la politique urbaine nationale, que ce soit à travers les dispositions constitutionnelles ou l’adoption du statut de la ville en 2001.

La volonté politique de doter, tant l’Union que les États fédérés ou les villes, d’instru- ments favorisant une meilleure inclusion sociale est réellement affichée, sans pour autant porter vraiment atteinte aux forces du marché toujours orientées vers une production

17 La CEF est la seconde institution financière publique d’Amérique latine. Fondée en 1862, elle a pour mission de collecter l’épargne nationale, en particulier des ménages pauvres ou de la classe moyenne, tout en gérant les fonds de la loterie. Gérant ainsi plus de 380 milliards de Reais (environ 200 milliards de dollars US) elle joue un rôle majeur dans le financement des investissements publics et privés, notamment en ce qui concerne la production de logements.

18 On relèvera cependant que la CEF a signé en 2001 une convention avec la Caisse des Dépôts française pour essayer d’adapter le système d’aide en vue de favoriser des programmes de réhabilitation à vocation locative dans un certain nombre de centres historiques.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(16)

immobilière de standing. Le programme national le plus spectaculaire est le programme

« Minha casa, Minha vida »19. Ce programme, institué par la loi n° 11.977 du 7 juillet 2009 est destiné à favoriser l’accès à la propriété des ménages modestes. L’objectif est de financer la construction de deux millions de logements en accession, à l’horizon 2014, dont 60 % pour des familles ayant un revenu inférieur à 1 395 Reais par mois20. Même si les seuils de revenus exigés pour l’octroi des aides sont faibles, ces aides, d’autant plus fortes que les ressources des familles sont modestes, ne sont pas pour autant accessibles à tous et ne permettent pas aux plus pauvres de lever l’obstacle foncier.

Au niveau local, les villes ne sont pas non plus dépourvues d’instruments pour tenter de réduire la précarité urbaine. Elles peuvent notamment mobiliser leur budget parti- cipatif, directement inspiré de l’expérience de Porto Alegre initiée dans les années 90.

Concrètement, il s’agit à travers des réunions de quartiers et de « micro-régions » (elles sont 18 au sein du Municipe de Recife) de définir des priorités d’aménagement local et de planifier la répartition des investissements publics dans la ville, et plus particulièrement dans les quartiers où l’Indice du Développement Humain est faible, les citoyens étant in fine invités à classer ces priorités par vote électronique. Le budget participatif se veut donc à la fois un instrument d’inclusion sociale, et de gestion démocratique des politiques publiques requérant la participation des citoyens sans exclusive. À Recife, jusqu’en 2012, le budget participatif était le plus important du pays, selon le site Web de la Municipalité.

On relèvera enfin qu’un système d’informations géoréférencées, le SIGAP/RMR21 a été développé pour cartographier et cadastrer toutes les zones pauvres de la RMR (Alves dos Santos et Mahmood, 2013) afin de les relier à une banque de données sur les ZEIS (BDZEIS) et faciliter l’élaboration des projets d’aménagement des quartiers précaires.

Si le cas de Recife est à bien des égards exemplaire de la portée et des limites des tentatives actuelles de requalification des favelas, l’analyse du PREZEIS, requiert au pré- alable un bref rappel de l’histoire des politiques de lutte contre la précarité urbaine au Brésil, afin de montrer comment les gouvernements municipaux en sont progressivement devenus les maîtres d’œuvre.

2.1. Les favelas : une préoccupation ancienne au cœur des politiques brésiliennes L’évolution des réponses à la précarité de l’habitat, à Recife comme dans les autres villes brésiliennes, fut largement conditionnée par les changements politiques intervenus à l’échelle nationale, et leurs conséquences sur les rapports entre l’État Fédéral et les pouvoirs locaux. Les premières années du XXe siècle marquées par le développement des principes de l’urbanisme et de l’architecture modernes, et par les recherches de Louis Pasteur, ame- nèrent au Brésil les idées de l’hygiénisme. Dans ce contexte, et de façon pionnière à Recife (1924), furent créées des institutions publiques chargées de détruire les mocambos, en orga- nisant le transfert de leurs habitants vers un habitat plus salubre. En 1938, un dénombrement des mocambos fut réalisé qui donna cependant les mêmes résultats que ceux du recense- ment de 1913. Le gouvernement de l’État du Pernambouc décida alors de faire appel à l’ini-

19 « Ma maison, ma vie » en français.

20 Soit 460 euros au cours moyen du 9 avril 2014.

21 « Système d’informations géoréférencées des assentamentos populaires de la Région Métropolitaine de Recife »

(17)

tiative privée pour créer en partenariat une fondation dédiée à l’éradication des mocambos qui abritaient approximativement 12 000 familles, la Ligue Sociale Contre le Mocambo (LSCM). 5000 maisons furent ainsi construites, et les 7 000 familles restantes condamnées au « déguerpissement » n’eurent d’autres solutions que de se réfugier sur les collines et les berges des canaux situés en périphérie, reconstituant ainsi hors la ville des communautés faveladas. Il s’agit là d’une première étape dans la mise en œuvre d’une politique d’éradi- cation des taudis marquée par de fortes connotations paternalistes et une volonté explicite de contrôle social. Le Gouverneur à l’origine de cette politique déclarait à la presse : « Ne doivent plus habiter à Recife que les familles qui sont aptes à vivre de façon civilisée. Les autres, qui n’en sont pas capables, iront vivre dans les macacos », et ajoutait-il : « le père de famille, honnête travailleur, qui a à payer une mensualité pour disposer de la maison qu’il achète, va y regarder à deux fois, avant de se mêler au tumulte de la rue » (Jornal Folha da Manhã, 16/12/1942, p. 3), c’est-à-dire aux révoltes contre le pouvoir de l’époque.

Le Brésil connut par la suite, pendant une vingtaine d’années, une période de relative stabilité démocratique, brutalement interrompue par le coup d’état militaire de 1964, les militaires conservant le pouvoir jusqu’en 1985. En réponse à l’augmentation constante des favelas, le gouvernement militaire s’inspira de la proposition en faveur d’un Plan National de l’Habitat (PNH) formulée par la députée Sandra Calvacanti22. Durant tout le régime militaire, le PNH eut pour effet de supprimer les favelas des zones centrales présentant un intérêt immobilier ou commercial, et de transférer leurs habitants dans des grands ensembles construits en périphérie, à de très grandes distances des centres éco- nomiques urbains, où ces populations, dépourvues de moyens de transport, trouvaient juste de quoi survivre, sans pour autant toujours satisfaire leurs besoins essentiels (santé, éducation…). Cette période fut caractérisée par un paternalisme et un clientélisme qui s’exprimèrent à travers l’octroi de nouvelles habitations, le gouvernement « achetant » ainsi des appuis au sein de communautés pauvres. Ce fut également une période au cours de laquelle le capital immobilier bénéficia de fonds provenant de la sécurité sociale des salariés et de la mise à disposition de terrains dans des espaces à forte valorisation sociale.

Le processus de démocratisation de la fin des années 70 se traduisit par une pression accrue sur le régime militaire. De nombreux mouvements d’étudiants, de paysans, d’habitants de favelas se développèrent, à partir des groupes de réflexion animés par les Églises, notamment l’Église Catholique, dans les diocèses dirigés par les évêques les plus ouverts, en particulier Dom Helder Camara, Archevêque de Recife et Olinda. La loi d’amnistie permit d’ouvrir la discussion sur les graves problèmes sociaux affectant la société brésilienne, et tout particu- lièrement celui de l’habitat précaire. C’est dans ce climat qu’apparurent les mouvements de lutte en faveur des réformes agraire et urbaine. Les leaders des communautés de base, des étu- diants, des architectes, des ingénieurs, etc., se mobilisèrent en vue de l’amélioration des condi- tions de vie des populations les plus pauvres. La chute du régime militaire permit l’adoption de la nouvelle Constitution démocratique (1988), à l’élaboration de laquelle participèrent très activement les mouvements sociaux organisés. Beaucoup de leurs propositions furent reprises intégralement ou partiellement par l’Assemblée constituante (De la Mora, 2002).

22 Dans une lettre au Maréchal Castelo Branco, leader du coup d’État, envoyée 10 jours après la prise du pouvoir par les militaires, la députée formula la proposition d’élaboration du Plano Nacional de Habitação (Plan National de l’Habitat)

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

(18)

Dans ce contexte d’effervescence démocratique se constitua le Mouvement National pour la Réforme Urbaine, présent de façon plus ou moins active dans l’ensemble des États fédérés.

Les principales revendications de ce mouvement furent à la base de la Loi de la Réforme Urbaine. Celle-ci stipule dans son préambule que la ville, au-delà de ses fonctions écono- miques, politiques, environnementales, remplit une fonction sociale. L’habitat et la ville ne sont plus assimilés à de simples objets marchands auxquels on accède par le seul jeu du mar- ché. Mais ils ne sont pas pour autant considérés comme relevant exclusivement de l’action étatique. En outre, la Constitution de 1988 reconnaît les habitants comme des acteurs à part entière des politiques publiques, et dès lors, la participation de la société civile à la formulation et à la gestion de la politique urbaine est érigée en principe constitutionnel. C’est pourquoi ont été instituées à chaque niveau de pouvoir, municipal, étatique (à l’échelle de l’État fédéré), fédéral, des « Conférences » chargées de définir les orientations de politiques urbaines et sociales sur lesquelles les assemblées élues ont à se prononcer, et que les exécutifs de chaque niveau auront alors à mettre en œuvre. À Recife, le pouvoir municipal est supposé appliquer une politique de résorption de l’habitat précaire, préalablement débattue par les représentants de la société civile23. L’affirmation du droit à la ville emporte une autre conséquence : comme tous les droits, il implique le principe d’universalité. En d’autres termes, les droits s’appliquent à tous ou à personne. Le droit à la ville implique également celui de la possession du sol, de l’accès aux infrastructures de base, à un environnement sain, à l’accessibilité et à la mobi- lité au moyen de transport de qualité et bon marché, à l’éducation et à la santé, et à tout un ensemble de services qui, d’une part, garantissent la qualité de la vie et, de l’autre, nécessitent une gestion intégrée (De la Mora, 2005).

Dès lors, se pose la question de savoir comment assurer, à Recife comme dans les autres métropoles, l’effectivité de ces droits à des citoyens d’agglomérations comprenant des administrations locales différentes, et dotées d’une autonomie de gestion ?

2.2. Le PREZEIS : un instrument du droit à la ville pour les habitants des favelas de Recife ?

Le PREZEIS ne résume pas à lui seul toute l’action publique en direction des zones pauvres de l’agglomération, mais il constitue la traduction la plus directe de la volonté d’inhiber les effets de la spéculation immobilière et d’intervenir dans les favelas pour les requalifier, sans recours à l’expulsion des habitants, tout en légalisant les occupations jusque-là illégales. Il trouve sa source dans une histoire déjà longue faite de réponses diverses au problème de la précarité urbaine. À la fin du régime militaire, à partir de 1982, et alors que le maire de la capitale de chaque État, le Prefeito, était encore désigné par le Gouverneur de l’État24, la société civile brésilienne se mobilisa fortement en faveur d’une proposition de réforme urbaine reconnaissant aux pauvres le droit à rester dans les

23 L’article premier de la Constitution fédérale proclame que « Le pouvoir émane du peuple… qui l’exerce indirectement ou directement », ce qui signifie dans le dernier cas que la population est appelée à participer aux prises de décision relatives aux affaires publiques, à travers différents mécanismes tels que le PREZEIS, comme on le verra plus loin.

24 Celui-ci étant à son tour élu indirectement par les députés, membres de l’assemblée de chaque État fédéré, sur proposition du pouvoir militaire.

(19)

villes. C’est dans ce contexte que, pour la première fois, des règles d’occupation d’usage et d’occupation du sol furent définies, et que fut officiellement reconnue l’existence de zones occupées par des ensembles d’habitation, produits de façon spontanée et destinés à des communautés de pauvres, les « assentamentos precarios », où les pouvoirs publics pouvaient mener des actions de régularisation foncière et de requalification, et non plus d’éradication pure et simple. Ainsi, une première loi, la Loi 14.511 adoptée en 1983, identifiait à Recife 29 quartiers répondant à ces critères de pauvreté et de précarité, qu’elle définissait comme des « zones spéciales d’intérêt social », des ZEIS, et pour lesquelles un programme en vue de leur aménagement et de leur requalification, le PREZEIS, fut proposé en 1987 à travers une seconde loi, la Loi 14.947.

Au sein de chaque ZEIS, la Loi prévoit la mise en place d’une Commission d’Urba- nisation et de Légalisation (COMUL) composée de deux représentants de l’administra- tion municipale, deux représentants élus des habitants lors d’une élection spécifique et publique, et un membre d’une ONG, choisie par la communauté des habitants de la favela concernée pour faciliter un dialogue généralement difficile avec l’administration.

La COMUL a pour mission d’identifier les problèmes de vie urbaine de la ZEIS et les travaux d’infrastructure nécessaires à leur résolution, ainsi que de lancer le processus de régularisation foncière de la zone, dont l’occupation illégale n’a jamais été régularisée.

Afin de mettre leurs projets en débat, les membres de chaque COMUL participent mensuellement à un forum public réunissant toutes les COMUL, la Municipalité, les mouvements sociaux, etc. L’élaboration proprement dite des plans d’aménagement urbain et des projets d’infrastructure au sein des ZEIS est confiée à une Camara de Urbanização, constituée également de représentants des habitants, de la Mairie et des ONG. De même, une Commission de légalisation foncière coordonne la préparation des dossiers, avant qu’ils ne soient transmis aux tribunaux.

Pour financer le programme, fut institué le Fonds Municipal du PREZEIS, que le Municipe doit abonder à hauteur de 1,2 % des recettes fiscales municipales, pourcentage résultant d’un accord proposé lors d’un Forum du PREZEIS (Araujo et al., 1999). Mais cette ressource propre ne pouvant suffire, la majeure partie des grands projets sont financés par le gouverne- ment fédéral, dans le cadre de projets de coopération technique entre l’État et le Municipe.

La gestion démocratique des ressources est réalisée par la Camara de Finanças25 constituée comme les deux autres par des membres élus au sein des composantes du Forum du PREZEIS.

En 2012, on dénombre 61 ZEIS, dans lesquelles résident plus de 40 % des habitants de Recife, sur un peu moins de 12 % de la superficie de la ville, ce qui laisse entrevoir ce que peut être le degré de surpeuplement et de promiscuité des espaces concernés.

Tableau 1 : Population et superficie des zones ZEIS et de la Municipalité de Recife en 2010

Superficie Habitants

KM2 N %

RECIFE 218,75 100 1 422 905 100

ZEIS 25.92 11,85 583.724 41,03

Source : IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistique, 2010)

25 Littéralement : Chambre des Finances.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com

Références

Documents relatifs

Les deux premières parties du livre ont décrit l’ambiguïté dialectique du rapport du ter- ritoire à son langage, entre emprise et disjonctions. Par conséquent, la dernière

À l’Est, les politiques de densification sont souvent soutenues par des élus pour qui le changement de forme urbaine permet d’attirer des membres des classes... moyennes dans

Bref, dans un contexte où l’incitation à densifier est perçue comme une menace par les communes de la banlieue Ouest de Lyon (celle de perdre le « cachet de village » au profit

Les services communautaires, entre accompagnement et tentatives de débordement L’étude des négociations entre les acteurs locaux et les représentants de l’État dans la

Cet article vise à mettre en évidence l’existence de systèmes conflictuels territorialisés à partir d’une étude comparée sur une dizaine d’années des conflits

La localisation dans des lieux périphériques, là où la rente urbaine est la plus faible, s’explique par les faibles capacités monétaires des acteurs impliqués, ainsi que

La cuisine moléculaire est acclimatée, aujourd’hui, mais au début… Lorsque j’allais voir les maîtres cuisiniers de France pour leur proposer l’azote liquide,

La démonstration, réalisée à partir de l’exploitation d’entretiens semi-directifs menés au début des années 2000, se fait en trois temps pour le cas français : elle