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Poétiques de la filiation. Clément Marot et ses maîtres : Jean Marot, Jean Lemaire et Guillaume Cretin

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Submitted on 25 Jan 2018

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Poétiques de la filiation. Clément Marot et ses maîtres : Jean Marot, Jean Lemaire et Guillaume Cretin

Ellen Delvallee

To cite this version:

Ellen Delvallee. Poétiques de la filiation. Clément Marot et ses maîtres : Jean Marot, Jean Lemaire et Guillaume Cretin. Littératures. Université Grenoble Alpes, 2017. Français. �NNT : 2017GREAL006�.

�tel-01692632�

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THÈSE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITÉ GRENOBLE ALPES

préparée dans le cadre d’une cotutelle entre la Communauté Université Grenoble Alpes et Rutgers, The State University of New Jersey

Spécialité : Littératures française et francophone

Arrêté ministériel : le 6 janvier 2005 - 7 août 2006

Présentée par

Ellen DELVALLÉE

Thèse dirigée par Francis GOYET et François CORNILLIAT

préparée au sein du laboratoire Litt&Arts et du French Department dans l’École Doctorale n° 50 LLSH et la Graduate School -

New Brunswick

Poétiques de la filiation.

Clément Marot et ses maîtres : Jean Marot, Jean Lemaire et Guillaume Cretin

Volume I

Thèse soutenue publiquement le 23 juin 2017, devant le jury composé de :

M. François CORNILLIAT

Distinguished Professor, Rutgers University, Directeur de thèse Mme Nathalie DAUVOIS

Professeur des universités, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, Rapporteur Mme Estelle DOUDET

Professeur des universités, Université Grenoble Alpes, Examinateur M. Francis GOYET

Professeur des universités, Université Grenoble Alpes, Directeur de thèse M. Michel MAGNIEN

Professeur des universités, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, Rapporteur et Président du jury

Mme Ana PAIRET

Associate Professor, Rutgers University, Examinateur

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Remerciements

Il m’est agréable de remercier ici – même de façon non poétique – les maîtres qui m’ont guidée dans la réalisation de cette thèse. Francis Goyet et François Cornilliat ont rivalisé d’érudition et de sollicitude dans l’accompagnement de mes travaux. D’une façon unique et complémentaire, ils m’ont prodiguée de patients éclairages rhétoriques et poétiques, des relectures non moins critiques que bienveillantes, un soutien de tous les instants, et m’ont abreuvée de conseils judicieux, me permettant d’avancer avec un enthousiasme constant d’une idée à l’autre, et d’une institution à l’autre. Ma dette à leur égard est infinie.

Je tiens également à remercier les membres de mon jury, Estelle Doudet, Ana Pairet, Nathalie Dauvois et Michel Magnien, qui m’ont fait l’honneur de lire un travail qui leur doit tant.

Leur culture qui transcende les frontières du Moyen Âge et du XVIe siècle, leur conversation ou leurs écrits ont inlassablement inspiré ces recherches.

Mes remerciements vont aussi aux membres de l’équipe RARE de l’Université Grenoble- Alpes, qui m’ont chaleureusement accueillie dès mes années de Master et dont les débats animés et la passion pour les études rhétoriques ont nourri bien des pages de cette thèse, ainsi qu’aux professeurs du Département de Français de Rutgers University, dont la rigueur des enseignements et l’ardeur du soutien m’ont souvent préservée de l’erreur et du découragement.

Ces travaux n’auraient jamais abouti sans l’appui moral et matériel que j’ai reçu. De part et d’autre de l’Atlantique, ils m’ont offert un espace d’échanges aussi fécond que convivial, faisant de ces années de recherche un pèlerinage intellectuel et personnel d’une richesse inestimable.

Je me permets d’exprimer ici ma reconnaissance envers Michel Jourde, qui a suscité mon goût pour les études seiziémistes à l’ENS de Lyon par son savoir autant que par sa bienveillance.

Je ne pourrais imaginer de meilleure initiation à la lecture des livres de la Renaissance.

Je suis également redevable envers l’ensemble des collègues – professeurs ou étudiants, seiziémistes ou non – rencontrés dans les colloques et séminaires de France ou d’Amérique du Nord. Dresser la liste exhaustive de ces « pères » et pairs est un défi que je laisse aux poètes, mais je tiens ici à saluer en particulier la générosité de Guillaume Berthon dans le partage de son immense savoir marotique, les conseils de tous ordres de Scott Francis, la diligence d’Adeline Desbois-Ientile qui a mis sa thèse sur Lemaire fraîchement soutenue à ma disposition, les échanges pédagogiques et poétiques avec Susan Kenney, ou encore le soutien indéfectible de Maria Hernandez. Que tous sachent que leur aide ainsi que leur amitié ne cesseront de m’honorer.

Ma gratitude va aussi envers la fondation Andrew W. Mellon, dont la Completion Dissertation Fellowship m’a offert des conditions idéales pour mener ces travaux à leur terme.

Enfin, je ne saurais exprimer combien la patience et les encouragements constants de mes parents, de ma sœur et de Johan – qui ont vu non pas un, mais plusieurs Marot faire irruption dans leur existence – ont contribué, sans doute bien plus qu’ils ne l’imaginent, à l’aboutissement de ce travail. Puisse le fruit être à la hauteur de leur dévouement.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ... 13

1/ Problématique ... 14

2/ Corpus ... 16

3/ État de la recherche ... 23

4/ Méthodes et plan de l’étude ... 27

PREMIÈRE PARTIE LIEUX ET STRATÉGIES ÉTHIQUES DE LA DÉPLORATION FUNÈBRE ... 31

I-REGARDS RHÉTORIQUES : UN DISCOURS À LA CROISÉE DES GENRES DÉMONSTRATIF ET DÉLIBÉRATIF ... 36

1/ Le choix d’une approche par types de discours ... 36

• Utilité et méthodologie de l’approche selon le type de discours ...36

• Description de l’oratio funebris et de la consolatio ...39

2/ Remarques diachroniques sur le flottement générique de la déploration funèbre ... 42

• La théorisation antique de l’oratio funebris ...42

• Le tournant chrétien et la pratique de la déploration funèbre jusqu’à la fin du XVe siècle ...44

II-LEMAIRE : LEFFICACITÉ RHÉTORIQUE DE LA CONSOLATION ... 48

1/ Le Temple d’Honneur et de Vertus : maîtrise théorique et renouvellement pratique d’une tradition ... 48

• L’œuvre du « disciple de Molinet » ...49

• Enjeux de la pastorale funèbre ...53

2/ La Plainte du Désiré : aux confins de la lamentatio et de la consolatio... 59

• Le discours volontairement épidictique de Peinture et ses impasses ...60

• Une consolation amorcée par Rhétorique ...68

3/ La Couronne Margaritique : l’art de la consolation ... 76

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• Une consolatio masquée ...79

• Une delectatio de circonstance ...82

• Une laudatio performative ...86

4/ Les Epîtres de l’Amant vert : contrepoint personnel et badin ... 92

• Un miroir humoristique du deuil de Marguerite ...93

• Les lieux de la consolation visités par le perroquet ...98

5/ Les regretz de la Dame Infortunee sur le trespas de son treschier frere unicque et Des Anciennes pompes funeralles : inquiétudes politiques et poétiques ... 102

III-CRETIN : UNE DÉPLORATION À ÉCHELLE HUMAINE ... 107

1/ Déploration dudit Cretin sur le trespas de feu Okergan, Tresorier de Sainct Martin de Tours : quelle survie et quelle gloire ? ... 107

• Lamentations et éloges de Musique ... 108

• Le travail des orateurs et historiens ... 111

• L’alliance de la rhétorique et de la musique pour une consolation religieuse ... 113

2/ Les autres textes de Cretin sur la mort : un sens chrétien ... 115

• La Translation du chant de Misere ... 115

• L’Invective contre la mort ... 117

3/ Plainte sur le trespas du saige et vertueux Chevallier, feu de bonne mémoire messire Guillaume de Byssipat... : renouveau personnel et chrétien de la déploration funèbre ... 119

• Les limites du temple d’honneur ... 120

• Gloire et consolation familières ... 123

4/ Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault, chantre : bis repetita placent .... 128

• Détournements humoristiques ... 129

• Une « complainte expresse » ... 132

• Le poète, le rhéteur et le musicien ... 134

5/ L’apparition du Mareschal sans reproche, feu messire Jaques de Chabannes : la déploration à d’autres fins ... 137

• De la fiction poétique à la réalité historique : le type-cadre du songe ... 139

• La mesure dans l’épidictique ... 142

• La consolation d’une autre déploration ... 145

IV-CLÉMENT MAROT : VERS UNE CONSOLATION ÉVANGÉLIQUE ET PERSONNELLE ... 150

1/ Les complaintes de L’Adolescence clémentine : essais à la façon des Rhétoriqueurs ... 150

• La « Complaincte du Baron de Malleville » ... 151

• La « Complaincte d’une Niepce, sur la mort de sa Tante » ... 152

• La chanson première : « Plaisir n’ay plus... » ... 154

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2/ Le rondeau « Aux Amys, & Sœurs de feu Claude Perreal, Lyonnois » : une voix

personnelle contre les déplorations officielles de Lemaire ... 155

3/ La Déploration sur le trespas de Messire Florimond Robertet : une déploration ? ... 159

• De la mort de l’ami à la consolation du croyant ... 160

• La critique d’une tradition ... 164

• Un prêche évangélique ... 168

• Une rhétorique (trop) combative ... 173

4/ L’Eglogue sur le trespas de ma dame Loyse de Savoye, mere du Roy Françoys, premier de ce nom : adaptation pastorale (et marotique) de la déploration des Rhétoriqueurs ... 178

• Une tradition de l’antiquité aux Rhétoriqueurs revendiquée ... 180

• Une déploration chrétienne ... 188

• Une nouvelle rhétorique de la déploration ... 195

5/ Les « élégies déploratives » : exercices de style à la façon de Marot ... 200

6/ La Complainte de Monsieur le General, Guillaume Preudhomme ou la déploration de la Grande Rhétorique ... 208

• La Plainte sur le trespas de Byssipat comme modèle ... 209

• L’approfondissement du modèle ... 211

• Marot dans l’histoire littéraire ... 214

V-JEAN MAROT,JEAN LEMAIRE ET LES ÉPITAPHES DE CLÉMENT ... 218

1/ Des oraisons funèbres didactiques et chrétiennes ... 219

• Déploration funèbre et épitaphe : des attendus rhétoriques différents... 219

• Aspects moraux et chrétiens des épitaphes royales de Jean Marot ... 221

• Enseignement moral et évangélique des épitaphes de Clément Marot ... 226

2/ Une écriture gravée : fonction mnémonique et historique ... 235

• Complémentarité de l’épitaphe et de la déploration... 235

• Points de vue historiques sur la mort de Claude de France ... 240

• Lemaire et l’épitaphe de l’homme de lettres ... 249

3/ Esprit et modestie : la quintessence de la déploration marotique ... 255

• La fabrication des sections : un nivellement par le bas et par la foi ... 256

• Fous et comédiens : du « passetemps » à l’enseignement ... 259

• Vers un style joyeux ... 264

L’épitaphe « De Jan de Montdoulcet » ... 267

Épitaphe ou épigramme ? « De la fille de Vaugourt » ... 269

DEUXIÈME PARTIE MUTATIONS DE L’HISTOIRE ET DE LA PROPAGANDE ... 275

I-LE CORPUS HISTORIOGRAPHIQUE DE CLÉMENT MAROT ET LES RUPTURES QUIL ILLUSTRE 280

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8

1/ Relevé et périodisation dans le corpus de Clément Marot ... 280

2/ La charge d’historiographe au début du XVIe siècle ... 285

De la Bourgogne à la France ... 285

Titres et pratiques ... 288

Actor, assertor ou compilator : éthos, vérité et propagande ... 293

3/ Cretin et le tournant de 1525 ... 297

Pavie ... 297

L’apparition du Mareschal sans reproche : les limites de l’historiographie ... 299

La propagande n’apprend rien ... 299

L’autopsie ne suffit pas ... 303

Un manifeste pour la Chronique françoyse ... 308

L’étude et le recul de l’historien ... 308

La chronique françoyse : collation et partage du savoir ... 311

II-L’HEUREUX VOYAGE DU HAINAUT DE CLÉMENT MAROT ... 321

1/ La genèse : un voyage inachevé ? ... 321

Les bribes de récit de campagne de Clément ... 321

L’atelier des Voyages de Jean ... 323

L’inachèvement volontaire ? ... 327

2/ La forme et le style : l’avènement de l’épître de Gênes au Hainaut ... 329

Le Voyage de Gênes : les masques de l’acteur et de sa dédicataire ... 331

Le Voyage de Venise : « l’autheur » omniscient ... 336

Les lettres de Marignan : le cœur des dames et celui du poète ... 344

Rappels éditoriaux et hypothèses ... 345

La primauté du « cueur » sur les événements ... 347

L’historiographie des « cueurs » ... 350

Une nouvelle génération politique et poétique ... 354

Histoire et épîtres chez Clément ... 358

3/ L’engagement : un pacifisme non subversif ... 365

Les topoï de la sympathie pour Labeur ... 366

Sur le champ de bataille ... 366

Labeur en France ... 371

Le pacifisme de Clément en Hainaut ... 374

Un roi et un poète humanistes : la ballade « De la naissance de Monseigneur le Daulphin » ... 375

Fidélité politique de Clément en Hainaut : l’épître en prose ... 378

Le vrai courage : le rondeau « De ceulx, qui alloient sur Mulle au Camp d’Attigny » et la ballade « De l’arrivée de Monsieur d’Alençon en Haynault » ... 382

Préparatifs de guerre : « L’Epistre du Camp d’Attigny » ... 384

Le roi avec le peuple : La ballade « De Paix, & Victoire » ... 391

III-REDÉFINITION DE LA PLACE DE LÉCRIVAIN DE COUR ... 395

1/ De la gloire du sujet à celle de l’écrivain ... 395

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Éléments contextuels et rappels critiques ... 396

Nouveaux moyens de « l’émergence de la conscience littéraire »... 396

Gloire des Rhétoriqueurs, gloire humaniste ... 399

L’imprimé et la valorisation du travail littéraire ... 401

Lemaire : diffusion imprimée, style et autorité de l’indiciaire ... 402

Les aléas de la carrière ... 402

La Concorde du Genre Humain : enjeux d’une double diffusion ... 405

Prise en compte du public et méfiance des « rhétoriques couleurs » dans les Illustrations 409 La Concorde des deux langages : tentation vénérienne et programme palladien... 425

Autorité historiographique et pédagogie morale ... 435

2/ L’histoire des « petits » chez Clément Marot ... 443

Les bergers de la cour ... 443

Autorité poétique et poids du nombre ... 446

Discours de la publication ... 446

Le poète de France en exil ... 447

La propagande chez Marot après 1525 ... 452

Pavie et ses suites : la voix du peuple ... 453

Campagne de 1537 contre l’Empereur : le conformisme du poète rappelé ... 460

L’alliance avec Charles Quint : la conscience d’une nation chrétienne ... 462

Les poèmes de Cérisoles : un testament historiographique ou poétique ? ... 470

3/ La « petite » histoire ... 475

Chronique et « passetemps » ... 476

Le poète comme acteur burlesque de l’histoire ... 486

Du sujet regardé au sujet regardant ... 486

Requêtes marotiques... 490

4/ La chronique épidictique de la cour ... 499

Jeux littéraires à la cour ... 502

Mauvais perdant, bon encomiaste ... 502

L’éloge de François Ier et la familiarité avec Marguerite ... 505

Vie du poète et tâche du courtisan ... 508

Consubstantialité de la vie du poète et du courtisan ... 508

Un art poétique marotique développé à la cour ... 510

Rhétorique du récit personnel et de l’éloge : épître du valet de Gascogne et autres épigrammes ... 514

TROISIÈME PARTIE L’HISTOIRE POÉTIQUE DE CLÉMENT MAROT ... 521

I-STRATÉGIES DE CARRIÈRE ... 526

1/ Rhétoriqueurs et publicité dans L’Adolescence clémentine ... 526

Le poids de Jean Lemaire ... 527

Le maître ès coupes féminines de l’épître liminaire ... 528

Lemaire et la rhétorique au Temple de Cupido ... 530

Les réécritures du Temple de Cupido ... 536

Le Jugement de Minos et le verdict de Clément ... 543

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10

Cretin, le rhétoriqueur primé ... 544

2/ Deux Marot à la cour ... 549

« j’ay basty à Clement, [...] Et à Marot » ... 550

L’échange de compliments entre Clavier et Marot ... 550

L’Adolescence de Clément ... 552

« Le jour du trespas / De Jehan Marot » ... 554

Représentations de l’aide paternelle : des « bons vieillards » marotiques ... 557

La traduction de la Première Églogue de Virgile... 558

Coup d’essai et coup de maîtres dans l’« Epistre du Despourveu » ... 561

Collaborations souterraines ... 567

Rondeaux et ballade sur la naissance du Dauphin ... 568

Initiation, collaboration et saine compétition aux Puys rouennais ... 582

Splendeurs et misères du fils de Jean à la cour ... 601

Phaéton dans le premier livre des Métamorphoses d’Ovide ... 601

Le « vray disant avocat » des épîtres I et II de La Suite ... 603

II-RÉVOLUTIONS PROCLAMÉES ET DÉTOURNEMENTS TACITES ... 607

1/ Des hommages distancés aux maîtres du passé ... 608

Cretin, père de la Rhétorique française ... 609

Lemaire, repreneur intempestif ? ... 611

L’épître XXI « Au lieutenant Gontier » ... 611

L’épigramme « Sur la devise de Jan le Maire de Belges, laquelle est : De peu assez »... 614

2/ Pratique du rondeau chez les Marot ... 616

Postures et dialogues : Clément « maistre » et « disciple » ... 619

Un incipit magistral ... 621

Forme circulaire et cercles littéraires ... 624

Les Marot au cœur de l’évolution du rondeau ... 626

Du refrain au rentrement ... 628

Le rentrement dans le rondeau cinquain ... 631

Un cas particulier : le rondeau parfait ... 638

Définitions du genre ... 638

Le rondeau parfait à la croisée du chant royal et de l’épître ... 641

3/ Fidélité aux Puys ou subversion du chant royal ? ... 648

Le « Chant Royal Chrestien » : le discours évangélique ... 649

Inflexions évangéliques au Puy de May ... 651

Le « Chant Royal dont le Roy bailla le refrain » : une œuvre courtisane ... 653

Un chant littéralement royal ... 653

Le détournement par la tradition ... 656

Le « Chant Royal de la Conception nostre Dame » : la voix de Marie et le chant du cygne ... 657

4/ Coup d’éclat ou coup de grâce : autour de la « Petite Epistre au Roy » ... 664

L’épître familière, des cercles de poètes à la cour ... 667

Le cercle des Rhétoriqueurs ... 667

Le masque du Dépourvu ... 672

La familiarité de Marot à la cour... 678

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11

La mutation de l’équivoque ... 682

Chez Lemaire et Cretin ... 682

De Cretin à Marot : les épîtres du « sceau » ... 686

Les suites de la « Petite Epistre au Roy » ... 695

Mise en scène et datation ... 695

Postérité de l’équivoque et autres effets sonores ... 699

Saturation de la rime ... 702

III-UN PÈLERINAGE DE VIE POÉTIQUE... 708

1/ Les reconstitutions de L’Adolescence clémentine et de La Suite ... 708

Deux recueils : principes généraux ... 709

De L’Adolescence clémentine à La Suite ... 709

Organisation biographique et générique des recueils ... 714

Manipulations poétiques ... 717

Antidatations et réécritures ... 717

Logique des déplacements ... 722

2/ Une histoire poétique, des rondeaux aux épigrammes, en passant par les élégies ... 726

La composition des élégies entre rondeaux et épigrammes ... 728

Similarités de dispositio ... 728

La tentation du Canzoniere ... 732

Le mélange des traditions amoureuses dans les élégies ... 734

Une forme conçue (et recueillie) entre rondeaux et épigrammes ... 742

3/ L’apprentissage auprès du « Bon Vieillard » ... 749

« Autobiographie et allégorie narrative » ... 750

L’Enfer ... 754

Autobiographie et allégorie ... 755

Autobiographie et défense ... 756

L’épître XXIV de La Suite ... 763

L’Eglogue au Roy, soubs les noms de Pan, & Robin ... 768

De la requête au manifeste poétique : l’héritage du père ... 770

L’imitation impossible : la définition d’une poétique instable ... 778

Du symbolique à l’humain, Jean et Lemaire dans les épîtres ferraraises ... 783

4/ Clément, éditeur de Jean ... 786

Les principes de constitution du recueil ... 790

Un recueil élaboré par Jean ... 790

La composition d’un recueil pour le couple royal ... 793

Bornes chronologiques : le recueil d’une circonstance évanouie ... 796

Réécritures marotiques ... 800

Les différents types de réécritures : le cas des rondeaux ... 802

Les manuscrits fautifs ... 804

La prise en compte de la destinataire ... 805

Les coupes féminines dans le Recueil Jehan Marot ... 808

Les coupes féminines (et autres réécritures) entre Villon et les Deux heureux Voyages ... 811

5/ La constitution d’une histoire de la poésie française ... 814

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12

Géographie de l’épigramme « Des Poëtes Françoys, à Salel » ... 815

Généalogies de la Complainte de Guillaume Preudhomme ... 819

La mémoire ... 821

Une paternité remotivée et choisie ... 823

Continuité et cumul : le modèle du Roman de la Rose ... 828

CONCLUSION ... 833

1/ La filiation comme construction ... 833

2/ La surdité des successeurs, de son propre fils Michel au XVIIe siècle ... 835

BIBLIOGRAPHIE ... 847

1/ Sources primaires ... 847

Corpus ... 847

Sélection de manuscrits et d'éditions anciennes (par ordre chronologique des parutions)...847

Éditions modernes (par ordre alphabétique des auteurs)...850

• Autres sources primaires ... 851

2/ Bibliographie critique ... 855

• Études sur la rhétorique et la poétique de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance... 855

• Études consacrées à Clément Marot... 867

• Études consacrées à Jean Marot (et à son influence sur Clément) ... 878

• Études consacrées à Jean Lemaire de Belges (et à son influence sur Clément Marot) ... 880

• Études consacrées à Guillaume Cretin ... 885

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INTRODUCTION

Un texte littéraire est, par définition, un objet culturel portant des signes de sa provenance. En conséquence, toute étude littéraire est obligatoirement historique et anthropologique.

Terence Cave, Pré-Histoires. Textes troublés au seuil de la modernité, Genève, Droz, 1999, p. 11.

Depuis quelques décennies, Clément Marot puis les Rhétoriqueurs ont été amplement réhabilités. L’esprit de Clément et sa proximité avec François Ier autant qu’avec les cercles de poètes et imprimeurs humanistes font de lui un éminent représentant de la Renaissance française1, quoi qu’ait pu dire contre lui Du Bellay2. Quant aux Rhétoriqueurs (et non les

1 Sa consécration est venue dans les années 1960 avec la grande édition de Claude-Albert Mayer, Œuvres complètes, Londres, Athlone Press, 1958-1970, 5 vol. et Genève, Slatkine, 1980, 1 vol. Comme le fait remarquer Guillaume Berthon dans l’introduction de sa thèse L’intention du poète. Clément Marot « autheur » (Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 27-34), les éditions successives des œuvres complètes de Marot ont depuis provoqué ou accompagné des avancées considérables dans l’étude de la poésie de Clément : citons en particulier celle de Gérard Defaux, Œuvres poétiques, Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 2 vol., 1990 et 1993 (qui nous servira de référence et à laquelle renverront les abréviations OP1 et OP2) et les deux copieux colloques qui ont suivi (Clément Marot « Prince des poëtes françois » 1496-1996. Actes du colloque international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris, Champion, 1997 et La Génération Marot. Poètes français et néo-latins (1515-1550). Actes du colloque international de Baltimore – 5-7 décembre 1996, éd. Gérard Defaux, Paris, Champion, 1997) ; ainsi que celle de François Rigolot (Œuvres complètes, Paris, GF, 2 tomes, 2007 et 2009), qui par sa présentation chronologique des poèmes de Clément (véritable gageure chez un poète qui modifie, augmente, réorganise incessamment ses publications manuscrites et imprimées), prend acte, entre autres bienfaits, du soin apporté par Marot à la mise en recueil de ses poèmes. Ce point justifie aussi son édition du Recueil inédit offert au connétable de Montmorency en mars 1538, Genève, Droz, 2010. Il a encore été mis en évidence par des études liées à la présence L’Adolescence clémentine au programme de l’agrégation (Op. cit. Revue de littératures française et comparée, n° 7, Pau, Publications de l’Université de Pau, 1996 ; Les Cahiers du Centre Jacques de Laprade. IV. Clément Marot. À propos de L’Adolescence clémentine, Actes des quatrièmes Journées de Centre Jacques de Laprade tenues au Musée national du château de Pau les 29 et 30 novembre 1996, éd. James Dauphiné et Paul Mironneau, Biarritz, J&D éditions, 1996 ; Clément Marot et l’Adolescence clémentine, éd. Christine Martineau-Génieys, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Nice, Paris, CID diffusion, 1997 ; Clément Marot, L’Adolescence clémentine. Actes de la journée d'étude du 8 novembre 1996, éd. Simone Perrier, dans Cahiers

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14

« Grands Rhétoriqueurs3 »), de nombreuses études ont mis en lumière la finesse et la profondeur de leur poésie : ils ne sont ni de simples faiseurs d’« episseries4 », ni les chroniqueurs serviles et outrancièrement élogieux des hauts faits du prince qui les protège, comme l’ont cru des commentateurs des XIXe et XXe siècles5. Mais si la réhabilitation de Clément Marot et des Rhétoriqueurs est désormais acquise, elle nous paraît pourtant dans une forme d’impasse.

1/ Problématique

La plupart des études consacrées à Marot et aux Rhétoriqueurs se caractérise par un élément récurrent : l’idée d’une « révolution marotique », d’une rupture nette entre l’âge et l’esthétique des Rhétoriqueurs et ceux du fils Marot. Cette idée organise souvent les bornes chronologiques des Textuels, 16, 1997 ; Franck Lestringant, Clément Marot, de L’Adolescence clémentine à l’Enfer, Padoue, Biblioteca francese Unipress, 1998 ; et plus récemment, En relisant l’Adolescence clémentine. Actes de la journée d’étude du 24 novembre 2006 organisée par Marie-Madeleine Fragonard, Pascal Debailly et Jean Vignes, éd. Jean Vignes, Cahiers Textuels, n° 30, 2007). La thèse de Berthon (L’Intention du poète, op. cit.) est venue couronner ce mouvement.

2 La deffence, et illustration de la langue françoyse, dans Œuvres complètes, vol. I, éd. Francis Goyet et Olivier Millet, Paris, Champion, 2003, Livre second, chap. I, p. 48 : « Marot me plaist (dit quelqu’un) pour ce, qu’il est facile, & ne s’eloingne point de la commune maniere de parler. [...] Quand à moy, telle superstition ne m’a point retiré de mon Entreprinse : pour ce, que j’ay tousjours estimé notre Poësie Francoyse estre capable de quelque plus hault, & meilleur Style, que celuy, dont nous sommes si longuement contentez. »

3 L’expression « Grands Rhétoriqueurs » apparaît en 1481 dans un poème de Guillaume Coquillart (Les Droitz Nouveaux, dans Œuvres, éd. M. J. Freeman, Genève, Droz, 1975, p. 128) à l’intention éminemment satirique, pour qualifier les vulgaires faiseurs de vers, nommés ainsi injurieusement parce qu’ils ne font qu’appliquer sans talent les règles des arts de seconde rhétorique. Sur ce titre, voir William L. Wiley, « Who named them Rhétoriqueurs ? », dans Medieval Studies in Honor of Jeremiah Denis Mathias Ford, éd. Urban T.

Holmes Jr. et Alex J. Denomy, Cambridge (Massachussetts), Harvard University Press, 1948, p. 333-352 ainsi que les mises au point d’Estelle Doudet dans l’introduction de sa thèse Poétique de George Chastelain (1415-1475). Un cristal mucié en un coffre, Paris, Champion, 2005, p. 11-14.

4 Du Bellay, La deffence, et illustration de la langue françoyse, op. cit., p. 54.

5 Ce point de vue est notamment celui d’Henry Guy, dont l’étude des Rhétoriqueurs (dans Histoire de la poésie française au XVIe siècle, t. I : l’école des Rhétoriqueurs, Paris, Champion, 1910), quoique trop teintée de jugements négatifs, a eu le mérite de mettre en lumière ces auteurs ainsi que les traits communs de leur poétique. D’autres grandes études ont depuis rendu justice à ces écrivains : voir Paul Zumthor, Le Masque et la lumière, La poétique des grands rhétoriqueurs, Paris, Seuil, 1978 ; de Cynthia J. Brown, The Shaping of History and Poetry in Late Medieval France. Propaganda and artistic expression in the Works of the Rhétoriqueurs, Birmingham (Alabama), Summa, 1985 et Poets, Patrons and Printers. Crisis of Authority in Late Medieval France, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1995 ; de François Cornilliat, « Or ne mens ». Couleurs de l’éloge et du blâme chez les « Grands Rhétoriqueurs », Paris, Champion, 1994 ; d’Adrian Armstrong, Technique and Technology: Script, Print and Poetics in France, 1470-1550, Oxford, Oxford University Press, 2000 et The Virtuoso Circle : Competition, Collaboration and Complexity in Late Medieval French Poetry, Tempe (Arizona), Arizona Center for Medieval and Renaissance Texts and Studies, 2012 ; ainsi que les innombrables travaux de Claude Thiry, pour ne citer qu’eux. Nous reviendrons plus bas et plus précisément sur l’état de la recherche concernant spécifiquement les poètes de notre corpus.

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travaux en question, et détermine d’une certaine façon leur contenu. Tout le propos de la présente étude est de passer outre une telle idée de césure ou rupture, en lui opposant celle de dette ou de filiation. On est alors obligé de rééquilibrer le regard, et d’examiner les prédécesseurs selon une dialectique qui mêle de façon plus compliquée continuités et discontinuités.

Clément Marot, d’un bout à l’autre de sa carrière, n’a eu de cesse de réécrire ou citer les Rhétoriqueurs de la génération précédente. Du Temple de Cupido écrit en « grande jeunesse6 » à la Complainte de Guillaume Preudhomme composée à la toute fin de sa vie, en passant par des poèmes pseudo-autobiographiques telle que l’épître « Au Roy » de La Suite ou L’Eglogue au Roy, soubs les noms de Pan, & Robin, mais aussi à travers les genres que pratiquaient ses maîtres, tels la déploration funèbre, les ballades, chants royaux, épîtres ou rondeaux, Clément rappelle continuellement sa dette à l’égard des Rhétoriqueurs et pense sa poétique par rapport à la leur, bien au-delà des années de formation dont le fruit est consigné dans son Adolescence. Néanmoins, lorsque la critique aborde le rapport de Clément à ses prédécesseurs, c’est souvent pour argumenter en faveur d’une rupture nette entre les juvenilia et les chefs-d’œuvre de la maturité, voire pour souligner combien le jeune poète se fourvoyait à imiter les maîtres dont il se réclame régulièrement, ou enfin pour remarquer avec quelle habileté il a fini par « tuer » ses pères en développant, surtout à partir de La Suite, une poétique fort différente7.

À l’idée de rupture nette ou de révolution esthétique, il suffit d’opposer celle de dette ou de filiation, dans toute sa finesse, telle que l’expose Pétrarque, quand il réfléchit au passage d’une génération de poètes à l’autre :

Cette ressemblance ne doit pas être celle d’un portrait à l’original, qui fait d’autant plus d’honneur à l’artiste qu’elle est plus frappante, mais comme celle d’un fils à son père. Quoiqu’il y ait souvent entre eux une grande diversité de membres, une certaine apparence et ce que nos peintre nomment l’air, qui se remarque surtout dans le visage et dans les yeux, forme cette ressemblance qui, en voyant le fils, nous rappelle aussitôt le père. Pourtant, si l’on vient à mesurer les traits, tout est différent, mais il y a là quelque chose d’occulte qui produit cet effet.

Nous devons avoir soin qu’à côté d’une similitude il y ait beaucoup de choses dissemblables, et que cette similitude soit cachée et ne puisse être découverte que par une recherche secrète de l’esprit, en sorte qu’on puisse la sentir plutôt que la relever. On peut donc employer le talent et les couleurs d’un autre ; on doit s’abstenir de ses expressions8.

6 L’Adolescence clémentine, épître liminaire « A ung grand nombre de freres, qu’il a : tous enfans d’Apollo », OP1, p. 18.

7 Nous en ferons une liste précise plus bas. Évoquons toutefois d’emblée notre propre dette à l’égard de cette critique, avec laquelle nous sommes parfois en désaccord mais qui a indéniablement nourri et informé nos recherches.

8 Lettres de François Pétrarque à Jean Boccace, trad. Victor Develay, Paris, Flammarion, 1911, XXIII, 19, p. 46 [« curandum imitatori ud quod scribit simile non idem sit, eamque similitudinem talem esse oportere, non qualis est imaginis ad eum cuius imago est, que quo similior eo maior laus artificis, sed quali filii ad patrem. In quibus cum magna sepe diversitas sit membrorum, umbra quedam et quam pictores nostri aerem vocant, qui in vultu inque oculis maxime cernitur,

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Une telle image de l’emprunt et de la filiation littéraire ne repose pas sur la seule reproduction ou le rejet massif du prédécesseur, mais sur un prolongement souvent souterrain, qui n’apparaît qu’au prix d’une étude approfondie, et qui est moins attentif à la lettre qu’à la technique et au génie, aux « expressions » qu’au « talent » ou « couleurs ». Filiation et dette disent aussi le respect, par le poète de Cahors, de ses maîtres les Rhétoriqueurs, et l’on sait combien le respect du maître est une constante de toutes les corporations anciennes, en y incluant les ateliers d’artistes.

Derrière « l’effet » apparent d’une révolution marotique, notre propos est donc d’offrir une lecture de l’œuvre de Clément Marot à la lumière des textes, questionnements, nouveautés et impasses de ses prédécesseurs, mais aussi de prêter attention à des innovations de ces derniers (le ton familier, la diffusion imprimée des textes, le renouvellement des formes de la propagande royale, pour ne citer que ces aspects), que l’on attribue trop souvent à Clément seulement, alimentant l’idée d’une rupture, alors même que l’on « sent » que le poète de Cahors est fidèle aux Rhétoriqueurs, ne veut pas rompre avec leurs pratiques, et qu’il le dit parfois lui-même.

Il ne s’agit donc pas de nier des évolutions avérées ni de faire de Clément le dernier des Rhétoriqueurs avant la Pléiade. On se gardera également, à l’inverse, de toute lecture téléologique promouvant les Rhétoriqueurs à titre de précurseurs parfois heureux d’une Renaissance uniquement incarnée par Clément. En explorant les spécificités de leur poétique, en précisant les enjeux esthétiques et rhétoriques de certaines évolutions, on s’efforcera d’établir toutes sortes de passerelles entre les œuvres et les poétiques de ces deux générations de poètes, sur le modèle si riche et nuancé de la filiation, qui n’est ni reproduction à l’identique, ni révolution radicale.

2/ Corpus

Appliquée à Clément Marot, l’idée d’une filiation ou d’une paternité littéraire peut se comprendre en un sens très littéral, puisque son propre père, Jean, est poète de cour avant lui.

Notre étude inclura donc nécessairement le père et le fils, Jean et Clément. Au-delà, elle ne portera pas sur Clément Marot et les Rhétoriqueurs en général, mais sur son rapport de disciple et successeur à l’égard de trois maîtres en particulier : outre Jean Marot, Guillaume Cretin et Jean Lemaire. Un mot sur chacun de ces écrivains nous permettra de justifier le choix de ce corpus.

similitudinem illam facit, que statim viso filio, patris in memoriam nos reducat, cum tamen si res ad mensuram redeat, omnia sint diversa ; sed est ibi nescio quid occultum quad hanc habeat vim. Sic et nobis providendum ut cum simile aliquid sit, multa sint dissimilia, et id ipsum simile lateat ne deprehendi possit nisi tacita mentis indagine, ut intelligi simile queat potiusquam dici. Utendum igitur ingenio alieno utendumque coloribus, abstendinum verbis. » (Epistole, éd. Ugo Dotti, Turin, Unione Tipografico-Editrice Torinese, 1978, p. 516)].

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Originaire de Normandie, Jean Marot entre à la cour d’Anne de Bretagne vers 1506, après avoir présenté à la reine La Vraye disant Advocate des Dames9. Il accompagne Louis XII dans ses expéditions italiennes de Gênes en 1507 et de Venise en 1509, dont il tire Deux heureux voyages qu’il offre au couple royal sous forme de manuscrit orné10. Son œuvre historiographique se poursuit dans les années 1510-1512 alors qu’il prend position aux côtés de Louis XII dans son affrontement avec le pape Jules II. Mais Marot est sans doute moins poète du roi que de la reine : il compose en 1512 de touchantes Prières sur la restauration de la santé de Madame Anne de Bretaigne, alors que la reine est gravement malade, mais aussi un Doctrinal des Princesses et nobles Dames, difficile à dater et sans doute adressé à sa fille Claude de France. Après la mort de Louis XII et avant même que François de Valois ne devienne officiellement roi de France le 1er janvier 1515, Marot adresse à ce dernier de spirituels rondeaux et ballades qui semblent séduire le jeune prince, qui le retient à son service. Le poète accompagne ensuite François Ier à Marignan, et allie pour rendre compte de cette expédition victorieuse ses deux thèmes et formes d’écriture de prédilection – l’historiographie et la voix des femmes – dans des épîtres au nom des dames (« Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier de ce nom estant delà les monts, et ayant deffaict les Suisses » et « Epistre des Dames de Paris aux Courtisans de France estans pour lors en Italye ») ainsi que dans un compte rendu adressé à Claude de France, qu’il n’achève pas, intitulé de façon posthume par Clément « Commencement d’une Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude, en laquelle epistre (si mort luy eust donné le loisir) il avoit délibéré de descrire entierement la deffaicte des Suisses au Camp saincte Brigide ». Jean Marot a-t-il subitement délaissé cette activité historiographique ? Le reste de son œuvre se caractérise par des pièces plus brèves : quelques épitaphes, des chants royaux présentés au Puys de Rouen (dont un reçoit le second prix en 1521, alors que Clément avait aussi participé au concours) et surtout des rondeaux, forme légère, volontiers badine, dont il était le maître à son époque et qu’il a largement contribué à fixer. Jean Marot meurt à la fin de l’année 1526 ou au début de 1527, laissant sa place de poète à la cour de François Ier à son fils Clément. Hormis quelques plaquettes parues à l’occasion de la campagne d’opinion organisée en faveur de Louis XII contre le pape, Jean,

9 Pour de plus amples recherches biographiques, voir Louis Theureau, Étude sur la vie et les œuvres de Jean Marot, [Caen, Le Blanc-Hardel, 1873] Genève, Slatkine Reprints, 1970 ; Elizabeth M. Rutson, The Life and Works of Jean Marot, thèse non publiée, Bodleian Library, Oxford University, s.d., 1961 ainsi que les synthèses et hypothèses de Defaux et Mantovani dans leur édition des œuvres de Jean Marot : Les Deux Recueils, Genève, Droz, 1999, introduction, p. ciii-cxc. Cette édition, que nous aurons parfois l’occasion de discuter, servira de référence pour la présente étude. Voir aussi Berthon, « ‘‘Estre heritier du seul bien Paternel’’ : sur la date de la mort de Jean Marot », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 71-2, 2009, p. 301-307, repris dans L’Intention du poète, op. cit., p. 91-98.

10 Il s’agit, pour le manuscrit du Voyage de Gênes, du BN msfr 5091.

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comme d’autres Rhétoriqueurs de sa génération, n’a fait imprimer aucune de ses œuvres de son vivant, réservant son travail à une circulation courtisane, voire personnelle avec la reine : Clément éditera en 1533 seulement ses Deux heureux Voyages et à la fin de la même année un Recueil Jehan Marot qui, comme son titre l’indique, ne comprend qu’une sélection des poèmes de son père.

Guillaume Cretin était un collègue de Jean Marot à la cour de France, quoiqu’il l’ait désertée à partir de 1504 pour se retirer à Vincennes, où il rédige néanmoins de nombreuses épîtres familières pour prendre des nouvelles de la cour. Ses talents de versificateur, particulièrement visibles dans ces épîtres, lui vaudront le qualificatif de « bon Cretin aux Vers équivoqué » dans la Complainte de Guillaume Preudhomme de Clément Marot11. Les informations biographiques dont nous disposons sur ce poète sont encore plus rares que pour Jean Marot12. De formation ecclésiastique, la carrière poétique de Cretin semble être lancée en 1496 avec la grande Déploration dudit Cretin sur le trespas de feu Okergan, Tresorier de Sainct Martin de Tours. D’autres déplorations funèbres suivront, de même que quelques poèmes de propagande pour Charles VIII (« Dudit Cretin au nom des Dames de Paris au Roy Charles Huystiesme ») ou Louis XII, telle que l’« Invective contre la guerre papale » ou l’« Invective sur l’erreur, pusillanimité et lascheté des gens-d’armes de France a la journee des Esperons ». Chanoine puis Trésorier de la Sainte- Chapelle de Vincennes en 1508, il devient, à partir de 1522, chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris, puis chantre un an plus tard. Il n’est guère présent à la cour de Louis XII puis de François Ier, quoiqu’il soit l’aumônier ordinaire de ces rois à partir de 1514. Mettant sa plume au service de la propagande du régime, Cretin est chargé au début du règne de François Ier de rédiger une vaste Chronique Françoyse en vers retraçant l’histoire de France depuis ses origines. Mais il meurt avant de l’avoir achevée, en novembre 1525, peu après avoir composé « L’apparition du Mareschal sans reproche, feu messire Jacques de Chabannes », déploration funèbre qui analyse sans concession (mais sans désespoir) les causes de la défaite de Pavie et de la capture du roi.

Comme Jean Marot (et bientôt comme Clément), parallèlement à ses carrières ecclésiastique et courtisane il participe aux Puys rouennais, pour lesquels il est récompensé en 1513, 1516, 1520 et 1523. Sa renommée aux concours n’est donc plus à établir lorsque Clément lui adresse son propre

11 OP2, p. 388, v. 43.

12 Voir l’introduction de Chesney aux Œuvres poétiques de Cretin, [Paris, Droz, 1932] Genève, Slatkine Reprints, 1977, p. 10-19 ainsi que, dans une moindre mesure, l’étude de Joole sur son commerce épistolaire familier dans L’épître en vers et les grands rhétoriqueurs, thèse de doctorat réalisée sous la direction de Daniel Ménager, Paris X-Nanterre, 1991. Toutes nos références aux poèmes de Cretin renverront à l’édition de Chesney, à l’exception de la Chronique Françoyse, qui n’est que partiellement éditée par Henry Guy : « La Chronique française de Maître Guillaume Cretin », Revue des langues romanes, 1904, p. 385-417 ; 1905, p. 174-185, p. 324-373, p. 530-550.

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« Chant Royal de la Conception Nostre Dame » présenté à Rouen en 152113. Comme Jean Marot, il ne se soucie guère d’imprimer ses œuvres (six poèmes seulement l’ont été de son vivant, probablement sans l’accord de leur auteur), bien que sa notoriété lui eût assuré un bon succès de librairie : son ami et correspondant Charbonnier se charge de ce travail après sa mort, en 1527, classant les poèmes de Cretin par groupements chronologico-génériques et leur donnant un titre14.

Jean Lemaire, lui, s’est constamment soucié de l’impression de ses œuvres, de son autorité sur ses éditions, et ses Illustrations comptent parmi les ouvrages les plus réédités dans la première moitié du XVIe siècle. Avant Clément, il prête attention à la composition des recueils de ses œuvres, qu’il réécrit parfois pour l’occasion, et n’hésite pas à faire valoir son « honneur » au détriment du « proffit du Libraire » – pour paraphraser l’épître liminaire de L’Adolescence clémentine15. Né dans l’actuel Hainaut, Jean Lemaire de Belges se réclame des Rhétoriqueurs bourguignons Chastelain et Molinet, et se présente comme disciple de ce dernier sur la page de titre de sa première grande déploration funèbre : Le Temple d’Honneur et de Vertus. Mais dans la dédicace à Anne de France, Lemaire s’enorgueillit d’avoir été lu et approuvé par le français Cretin, qui rédige une épître en vers faisant l’éloge du jeune rhétoriqueur. Les deux hommes se sont vraisemblablement rencontrés en 1498 à Villefranche, près de Lyon. La carrière de Lemaire dans les cours bourguignonnes est particulièrement instable : à la mort de Pierre de Bourbon, son premier protecteur, en 1503, il sollicite en vain le service d’Anne de Bretagne puis se tourne vers le comte de Ligny, qui meurt quelques mois plus tard. Lemaire compose une nouvelle déploration pour l’occasion (La Plainte du Désiré) et il semble que c’est au moyen d’un autre poème funèbre (La Couronne Margaritique, consolant Marguerite d’Autriche de la mort de son époux Philibert de Savoie) que Lemaire se voit réserver la succession de Jean Molinet au titre d’indiciaire de la cour de Bourgogne, en 1505. Après la mort de ce dernier, en 1507, Lemaire compose une brève Chronique, ainsi qu’un prosimètre allégorique célébrant la paix de Cambrai de 1508 (La Concorde du genre humain). Mais il travaille surtout à ses Illustrations de Gaule et Singularitez de Troyes, grande œuvre historiographique qui paraîtra en trois livres de 1510 à 1513, consacrée à l’origine des nations de

« France orientale et occidentale » depuis Noé jusqu’à Louis le Pieux, et établissant les origines troyennes de ces nations. Dans ces volumes, il promeut le rapprochement des cours de Bourgogne et de France. Il ne tardera pas à rejoindre cette dernière : en 1512, fort de son succès auprès d’Anne de Bretagne avec les Epîtres de l’Amant vert, armé de ses talents d’historien et de

13 OP1, p. 127-129.

14 L’édition des Œuvres poétiques de Cretin donnée par Chesney reprend à Charbonnier cet ordre ainsi que les titres attribués de façon posthume.

15 OP1, p. 17.

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propagandiste pour soutenir Louis XII dans son affrontement contre Jules II, il entre enfin au service de la cour de France. Fervent défenseur et illustrateur de la langue française, au détriment de l’italien, dans la Concorde des deux langages, sa veine semble pourtant se tarir à partir de 1515. En 1524, une édition de ses œuvres le présente pour la première fois comme décédé : sans doute s’est-il retiré pendant neuf ans, âgé, malade, peut-être sénile16... Si Clément Marot rendra hommage au pédagogue dans son épître liminaire de L’Adolescence clémentine, ni lui ni aucun autre poète ne compose pourtant d’épitaphe à la mort de cette si grande figure des Rhétoriqueurs, dont les vers ou la prose nourrissent de façon plus ou moins directe nombre de poètes du XVIe siècle17.

Notre thèse générale étant la filiation plus que la rupture, on notera que, d’un point de vue purement statistique, ces trois poètes et historiographes comptent parmi les références les plus présentes dans les poèmes de Clément : que ce soit sous forme d’hommage explicite, à l’occasion d’une épitaphe ou d’une liste de poètes renommés, ou bien sous forme de réécriture plus ou moins voilée (comme dans Le Temple de Cupido, l’épître « Du Despourveu », L’Eglogue au Roy, soubs les noms de Pan, & Robin ou encore la Complainte de Guillaume Preudhomme, pour ne citer que quelques exemples), ou encore à travers des collaborations implicites, au moment où Clément commente la même actualité que ses maîtres, participe aux mêmes concours. Dans « À la recherche des pères : la liste des auteurs illustres à la fin du Moyen Âge18 », Jacqueline Cerquiglini- Toulet explique que les listes d’anciens poètes sont topiques de la littérature médiévale et ceux-ci étaient souvent considérés comme des « pères » de la littérature française, mais les trois Rhétoriqueurs que nous avons retenus pour notre étude – présents dans les listes de « pères » que Clément donne vers la fin de sa carrière, dans l’épigramme « Des Poëtes Françoys, à Salel19 » ou dans la Complainte de Guillaume Preudhomme20 – semblent effectivement avoir été particulièrement proches de Clément durant ses années de formation et au cours de sa recherche du service des princes. Outre bien sûr que Jean Marot est effectivement le père de Clément, Cretin et Lemaire,

16 La date de la mort de Jean Lemaire reste un mystère. Voir toutefois les hypothèses argumentées dans les études de Jacques Abélard, Les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye de Jean Lemaire de Belges, Genève, Droz, 1976 ; Jennifer Britnell, « La mort de Jean Lemaire de Belges, l’édition de 1517 du Traité des schismes et des conciles, et les impertinences d’un éditeur », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 56, 1994, p. 127-133 ; et enfin Pascale Chiron et Grantley McDonald, « The Testament of Jean Lemaire, 1524 », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 71, 2009, p. 527-533.

17 Fait reconnu par Du Bellay en personne : « Bien diray-je, que Jan le Maire de Belges, me semble avoir premier illustré & les Gaules, & la Langue Françoyse : luy donnant beaucoup de motz, & manieres de parler poëtiques, qui ont bien servy mesmes aux plus excellens de notre Tens. » (La Deffence, op. cit., Livre second, chap. II, p. 49).

18 Modern Language Notes, 116-4, 2001, p. 630-643.

19 OP2, p. 361.

20 Ibid., p. 388, v. 38-45.

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dans les poèmes où ils sont mentionnés, ont souvent une fonction de guide qui dépasse les prérogatives d’un modèle seulement poétique.

Clément a ainsi développé son talent au contact direct de ces trois poètes, et cette dimension personnelle du rapport aux maîtres, de l’échange, dans un groupe de poètes caractérisés par la sodalitas, nous a semblé être un critère pertinent pour distinguer ces trois Rhétoriqueurs d’autres sources avérées, quoique plus lointaines, de la poésie de Clément, comme Virgile, Ovide, Villon ou Le Roman de la Rose. En outre, au sein même du groupe des Rhétoriqueurs, Lemaire, Cretin et Jean Marot partagent de nombreuses caractéristiques qui justifient leur regroupement : ayant tous les trois travaillé pour la cour de France, ils ont accompagné le passage de flambeau politique et culturel entre Louis XII, le « père du peuple », et François Ier, dont le nom est indéfectiblement lié à la Renaissance française, mais aussi, du point de vue de l’histoire littéraire, à celui de son poète Clément Marot. Ce point commun exclut d’autres Rhétoriqueurs tels que Molinet ou Octovien de Saint-Gelais (de la génération antérieure aux maîtres de Clément, qui ne les connaît d’ailleurs que par leurs textes) ou encore Jean Bouchet (procureur poitevin contemporain de Clément, mais avec lequel le poète de Cahors ne dialogue guère). Enfin, Lemaire, Cretin et Jean Marot meurent entre 1524 et 1526, scellant la fin d’une génération de poètes et historiographes21. Or L’Adolescence clémentine, conçue par son auteur comme un recueil de juvenilia à travers lesquels se lit l’apprentissage poétique de Clément, a justement pour limite cette année 1526. Alors que le poète entre, à trente ans, dans l’âge adulte, alors qu’il parvient enfin au service de François Ier, la mort successive de ses trois maîtres semble aussi servir de point d’articulation de son œuvre. Au cœur de ses recueils, la filiation avec ces trois poètes semble être une clé de compréhension de la poétique de Clément.

L’étude conjointe de Clément avec les trois Rhétoriqueurs que sont Lemaire, Cretin et Jean Marot repose donc sur une forte cohérence biographique et chronologique. En même temps, les disparités observables chez ces poètes, à plusieurs niveaux, permettent encore mieux de saisir la poésie de Clément dans sa variété, qui est aussi celle de la poésie de cour au tournant du XVIe siècle. Lemaire s’oppose ainsi à Cretin et Jean Marot en ce qu’il est, de formation, un Rhétoriqueur de Bourgogne22, et n’a jamais participé à la tradition française des puys. Il s’intéresse rapidement à l’impression de ses œuvres, peut-être en raison de l’instabilité de sa position, en début de carrière, chez des protecteurs qui meurent tour à tour, mais peut-être aussi parce qu’il

21 On pourrait ajouter à celles de Lemaire, Marot et Cretin la mort d’André de la Vigne, autour de 1526.

Clément ne mentionne toutefois jamais ce Rhétoriqueur de Charles VIII, Louis XII et François Ier.

22 Sur les disparités historiques, idéologiques ou esthétiques entre les Rhétoriqueurs, voir notamment Claude Thiry, « Rhétoriqueurs de Bourgogne, rhétoriqueurs de France : convergences, divergences ? », dans Rhetoric – Rhétoriqueurs – Rederijkers, Proceedings of the Colloquium, Amsterdam, 10-13 November 1993, éd.

Jelle Koopmans et al., Amsterdam, Royal Netherlands Academy of Arts and Science, 1995, p. 101-116.

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conçoit son rôle de poète de cour comme intermédiaire privilégié entre le pouvoir et le peuple (si l’on peut ainsi nommer la frange ténue de la population qui achète et lit des livres), et pas seulement comme un encomiaste, source de divertissement ou conseiller des grands de la cour.

Cretin, contrairement aux deux collègues retenus dans cette étude, a une fonction ecclésiastique en dehors de la cour : cet éloignement explique peut-être, dans une certaine mesure, le recul avec lequel il analyse la politique de son temps dans quelques allusions de la Chronique Françoyse ou dans

« L’apparition du Mareschal sans reproche, feu messire Jacques de Chabannes ». Le registre épidictique est bien plus mesuré chez lui que dans les textes de propagande de Jean Marot (Voyages ou Prières notamment). Alors que Lemaire et Jean Marot composent nombre de prosimètres et après que Lemaire a mis en scène, dans les Illustrations et la Concorde des deux langages, son ambivalence à l’égard des ornements rhétoriques et même des vers qui en sont souvent le support, l’œuvre de Cretin ne laisse aucune place à la prose et fait souvent de l’équivoque une signature stylistique. Jean Marot enfin, contrairement à Lemaire et Cretin, ne compose pas de grande fresque historiographique des origines de la monarchie française. Il rappelle dans le Voyage de Venise son peu de connaissance des textes latins23, tandis que les deux autres réécrivent, comparent, critiquent fréquemment les sources historiques latines dans la Chronique Françoyse, les Illustrations ou le Traicté de la différence des schismes et des conciles de l’Eglise. L’humilité du ton de Jean Marot contraste souvent avec l’autorité de ses collègues. Surtout, Jean est le père biologique de Clément, et ce dernier lui succède en tant que poète de François Ier : pour ces raisons, l’influence du géniteur sur le style et la carrière de son fils paraît évidente, si évidente peut-être que Clément n’en fait aucune mention du vivant de son père, et dissimule – ou peut-être enrichit – sa dette dans des poèmes ultérieurs, derrière des réécritures d’autres poètes ou des mises en scène valorisant la bienveillance paternelle au détriment de la seule transmission d’un savoir technique.

Ces quelques oppositions entre Lemaire, Cretin et Jean Marot mettent au jour les enjeux de la poésie de cour au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance, enjeux auxquels Clément sera confronté à son tour : la définition du rôle du poète de cour, en tant qu’encomiaste, historiographe ou fournisseur de divertissement, le choix du vers ou de la prose et leur degré d’ornement, l’intérêt pour l’imprimerie naissante, la lecture ou la translatio studii à partir des auteurs latins. La sélection de ces trois Rhétoriqueurs, si cohérente par sa chronologie et dans sa diversité même, permettra donc de situer précisément les innovations ou partis-pris poétiques de Clément par rapport à l’esprit et à la variété des problèmes soulevés et des réponses (parfois) offertes par ses prédécesseurs directs. Empruntant çà et là à différents maîtres, effectuant des choix variant

23 « [...] clerc ne suis, mais seulement ay l’art / De rimoyer [...]. » (Voyage de Venise, Genève, Droz, 1977, v. 3612-3613).

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tout au long de sa carrière par rapport aux modèles offerts par ses aînés, la dette chez Clément doit se concevoir de manière nécessairement multiple pour rendre compte d’une esthétique qui se refuse au systématisme et à la théorisation abstraite : d’où les études, au pluriel, consacrées ici à autant de « poétiques de la filiation ». Avant de présenter notre façon d’aborder ces études qui, pour être plurielles, n’en recherchent pas moins une cohérence générale, nous voudrions revenir sur l’état de la recherche sur les poètes de notre corpus.

3/ État de la recherche

En effet, ces disparités quant à la carrière et à l’esthétique des trois Rhétoriqueurs retenus pour ce travail se retrouvent, d’une certaine façon, dans l’état de la recherche sur ces auteurs.

Lemaire est de loin le plus lu, édité, étudié. Si ses œuvres poétiques et historiques, et même sa correspondance, disposent d’éditions récentes et abondamment annotées – fruit du travail de Jean Frappier, Henri Hornik, Pierre Jodogne puis plus récemment de Jennifer Britnell, Adrian Armstrong, Marie-Madeleine Fontaine ou Anne Schoysman24 –, on ne peut que regretter que des chefs-d’œuvre tels que les Illustrations ou la Couronne Margaritique ne bénéficient pas encore d’un tel traitement25. Quant aux études sur cet auteur, après avoir longtemps consisté à faire de lui un

« Janus bifrons » tiraillé par une esthétique de Rhétoriqueur encore médiévale mais préparant néanmoins un XVIe siècle humaniste26, elles s’orientent aujourd’hui plus vers l’analyse de

24 La Concorde des deux langages, éd. Jean Frappier, Paris, Droz, 1947 ; Les Épîtres de l’Amant vert, éd. Jean Frappier, Genève, Droz, 1948 ; Le Temple d’honneur et de vertus, éd. Henri Hornik, Genève, Droz, 1957 ; La Concorde du genre humain, éd. Pierre Jodogne, Bruxelles, Palais des Académies, 1964 ; « Les Regretz de la Dame Infortunee », éd. Pierre Jodogne, Hommages à la Wallonie : mélanges d’histoire, de littérature et de philologie wallonnes offerts à Maurice A. Arnould et Pierre Ruelle, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1981, p. 321-334 ; Traicté de la différence des schismes et des conciles de l’Eglise avec l’Histoire du prince Sophy, et autres oeuvres, éd. Jennifer Britnell, Genève, Droz, 1997 ; La légende des Vénitiens, éd. Anne Schoysman, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1999 ; Epistre du roy à Hector : et autres pièces de circonstances (1511-1513), éd.

Adrian Armstrong et Jennifer Britnell, Paris, Société des textes français modernes, 2000 ; Chronique de 1507, éd. Anne Schoysman, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2001 ; Des Anciennes pompes funeralles, éd. Marie-Madeleine Fontaine, Paris, Société des textes français modernes, 2001 ; Lettres missives et épîtres dédicatoires, éd. Anne Schoysman, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2012.

25 Jacques Abélard a longtemps travaillé sur les Illustrations, pour en préparer une édition savante. De même, un projet d’édition mené par Marie-Madeleine Fontaine sur La Couronne Margaritique est en cours.

En attendant que ces deux textes bénéficient d’une édition moderne, nous renverrons à celle de Jean- Auguste Stecher, Œuvres, [Louvain, 1882-1885] Genève, Slatkine Reprints, 1969, 4 vol.

26 Voir les travaux de Pierre Jodogne (notamment Jean Lemaire de Belges, écrivain franco-bourguignon, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1972), les éditions et articles de Jean Frappier (« L’Humanisme de Jean Lemaire de Belges », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 25, 1963, p. 289-306 et « L’Humanisme dans la poésie de Jean Lemaire de Belges », Romance Philology, XVII, 1963, p. 272-284) ou encore l’essai intitulé Jean Lemaire de Belges et la Renaissance de Georges Doutrepont (Bruxelles, Académie Royale, 1934).

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l’esthétique singulière de cet écrivain, dont l’art de la composition et du montage offre un cadre particulièrement riche pour étudier les enjeux éthiques, rhétoriques ou esthétiques de ses prosimètres, tout en favorisant des travaux eux-mêmes toujours plus nombreux et détaillés.

Outre ceux de Cynthia Brown, François Cornilliat ou Adrian Armstrong déjà cités, mentionnons ici les contributions de David Cowling ou Michael Randall27 sur l’architecture allégorique des prosimètres lemairiens, de Michael F. O. Jenkins sur l’art rhétorique de Lemaire28, de François Rigolot sur la poétique et l’autorité mises en scène par le rhétoriqueur bourguignon29, de Jennifer Britnell sur les écrivains d’Anne de Bretagne30, ainsi que la récente thèse d’Adeline Desbois éclairant sous une lumière stylistique les multiples enjeux et collages des Illustrations31.

Le cas de Jean Marot est plus complexe. Le Voyage de Gênes ainsi que le Voyage de Venise ont été édités dans les années 1970 par les soins de Giovanna Trisolini32 et, ayant en outre fait l’objet d’une étude spécifique de l’éditrice33, ils sont depuis inclus dans les études sur l’historiographie de cette période34. Les rondeaux ou chants royaux de Jean Marot furent aussi étudiés assez tôt selon une perspective générique, que ce soit à propos des évolutions et innovations du rondeau au début du XVIe siècle35 ou bien dans le cadre d’études sur les Puys rouennais36. Toutes les œuvres historiographiques ou courtisanes de Jean Marot (hormis les deux Voyages) ont plus récemment

27 Respectivement Building the Text. Architecture as Metaphor in Late Medieval and Early Modern France, Oxford, Clarendon Press, 1998 et Building Resemblance. Analogical Imagery in the Early French Renaissance, Baltimore et Londres, The Johns Hopkins University Press, 1996.

28 Artful Eloquence. Jean Lemaire de Belges and the Rhetorical Tradition, Chapel Hill, North Carolina Studies, 1980.

29 Voir en particulier Le texte de la Renaissance. Des Rhétoriqueurs à Montaigne, Genève, Droz, 1982, ainsi que de nombreux articles de Rigolot détaillés dans la bibliographie.

30 Voir notamment son étude récente intitulée Le Roi très chrétien contre le pape. Écrits antipapaux en français sous le règne de Louis XII, Paris, Classiques Garnier, 2011.

31 L’histoire écoutée aux portes de la mythologie : l’écriture du mythe troyen autour des Illustrations de Lemaire de Belges, thèse de doctorat réalisée sous la direction de Mireille Huchon, Paris-Sorbonne, 2015.

32 Le Voyage de Gênes, Genève, Droz, 1974 et Le Voyage de Venise, op. cit.

33 Essai sur les écrits politiques de Jean Marot, Paris, Nizet, 1975.

34 Voir Brown, The Shaping of History..., op. cit. mais aussi The Queen’s Library : Image-Making at the Court of Anne of Brittany, 1477-1514, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2011 ; Britnell, Le Roi très chrétien contre le pape, op. cit. ; Sandra Provini, Les Guerres d’Italie entre chronique et épopée : le renouveau de l’écriture héroïque française et néo-latine en France au début de la Renaissance, Genève, Droz, à paraître.

35 Pierre-Yves Badel, « Le rondeau au temps de Jean Marot », dans Grands Rhétoriqueurs. Actes du colloque tenu à l’Université de Paris-Sorbonne le 21 mars 1996, Paris, Presses de L’Ecole Normale Supérieure, Cahier V.- L. Saulnier, n° 14, 1997, p. 13-35 ; Britnell, « Clore et rentrer : the decline of the rondeau », French Studies, XXXVII, 3, juillet 1983, p. 285-295. Le pétrarquisme des rondeaux du poète de Caen avait déjà intéressé Claude-Albert Mayer et Dana Bentley-Cranch dans « Le premier pétrarquiste français, Jean Marot », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 27, 1965, p. 183-185, article complété par celui de Margarita White, « Petrarchism in French rondeau before 1527 », French Studies, XXII, octobre 1968, p. 287-295.

36 Denis Hüe, La Poésie palinodique à Rouen (1486-1550), Paris, Champion, 2002.

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