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Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault, chantre : bis repetita placent repetita placent

III- Cretin : une déploration à échelle humaine

4/ Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault, chantre : bis repetita placent repetita placent

Après Ockeghem, Cretin déplore pour la deuxième fois le décès d’un musicien : le chantre Lourdault, vraisemblablement mort au début de l’année 1512. Si pour Lemaire il y avait une sorte de défi dans l’écriture toujours nouvelle de la déploration d’un illustre protecteur, Cretin (qui

rédige certainement la Plainte sur le trespas de Byssipat dans les semaines qui précèdent ou, moins

vraisemblablement, qui suivent) en profite au contraire pour exhiber les rouages de la déploration, faire des raccourcis, employant un ton enlevé et parfois rieur qui rend avant tout hommage à la joyeuse compagnie que fut Lourdault. Charbonnier, l’éditeur posthume des œuvres de Cretin met d’ailleurs en valeur l’aspect ludique de cette déploration, sorte de récréation

courtisane, puisqu’il la place juste avant les épîtres royales au registre moyen (Epistre au nom des

146 Dans le Panegyric du chevallier sans reproche (1527), Bouchet en propose un nouvel exemple en adressant

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Dames de Paris au Roy Charles Huytiesme) voire bas (Au Roy Loys Douziesme pour lui demander

piteusement et humoristiquement de l’argent). Les déplorations « sérieuses » (Déploration sur le

trespas de feu Okergan, Plainte sur le trespas de Byssipat) sont quant à elles regroupées entre les pièces à

caractère religieux (chants royaux et autres poèmes à la vierge) et un vaste Débat entre deux dames

sur le passetemps des chiens et oyseaux, composition unique chez Cretin par sa forme et par son thème,

directement rattachée à la tradition médiévale des débats147. Nous allons donc montrer en quoi la

Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault se distingue des autres déplorations par un son aspect réflexif, qui exhibe ou met à distance des motifs ou lieux traditionnels de la déploration, dans un but humoristique. Cretin en effet y enchaîne songe (v. 1-20), éloge du défunt et lamentation (redoublés dans le poème, v. 41-60 et 121-170), invective contre la mort (v. 61-90) et prière à Dieu (v. 171-190) de façon trop rapide et trop peu subtile pour que cette déploration ait un sens univoque. Il ne s’agit pas pour Cretin de saper les outils rhétoriques de la déploration, mais au contraire de la rattacher plus profondément au respect du défunt à travers un discours qui prend en compte les aspects – en l’occurence comiques – de sa personnalité. Cette étude, chez Cretin, de la réflexivité sur le genre de la déploration funèbre et l’adaptation de ses attentes à l’hommage du défunt nous sera d’autant plus précieuse que ce sont là autant de pistes empruntées par Marot dans sa propre exploitation du genre.

Détournements humoristiques

Sans surprise, la Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault commence par le

sommeil du poète, qui semble installer la déploration dans un cadre onirique et allégorique, où les figures de la mort (Atropos et Accident) sont traditionnellement représentées munies d’un « dart » (v. 8), prêtes à frapper. Mais l’irruption du sommeil et du songe, contrairement aux précédentes déplorations de Cretin où à celles de Lemaire, n’est pas la réponse d’un « ennuy » lié à un mauvais pressentiment ou à l’annonce de la mort du proche. Ce type-cadre ne sert pas ici non plus à expliquer l’apothéose du défunt ou à donner sens à la mort d’une quelque autre façon. Le poète s’endort parce que c’est l’heure, comme l’aurait fait tout un chacun :

Ung seoir tout tard, a l’heure que lasse homme Le pesant faiz de differens propos,

Et que travail apres veiller le assomme, Le constraignant mettre en oubly la somme De ses ennuyctz pour prendre aulcun repos, En mon dormir vit la fiere Atropos [...]. (v. 1-6)

147 L’édition de Chesney (où la Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault figure p. 210-216) reprend à cette édition de 1527 la disposition des poèmes. Elle s’en explique dans l’introduction, p. XLI.

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Le détournement de la nature de l’endormissement et du songe est matérialisé par les rimes

équivoques en « la somme », qui occultent précisément « le somme » topique. Le caractère

terrifiant du cauchemar, dont Cretin pense être la victime (« Et doubtay fort que feusse envahy d’eulx, / Car prestez estoient de me livrer assault », v. 14-15), le réveille subitement (« de la frayeur m’esveillay en sursault », v. 16). Voilà le songe déjà terminé, et tout ce que le poète a appris, c’est que la mort a frappé, et encore, il n’est pas certain que ce mauvais rêve soit « verité ou mensonge » (v. 20). On est loin des grandes architectures allégoriques qui expliquent la mort et fixent à jamais la gloire du défunt.

Après ce topos déjoué, un autre motif, cette fois propre aux déplorations de Cretin, est

détourné : c’est l’annonce du nom du trépassé148. Les hésitations entourant l’annonce de la mort

d’un proche, qui prennent la forme d’échanges dialogiques parfois longs, marqués par l’aposiopèse, tout en étant l’occasion de faire un premier éloge du défunt, renforcent le pathétique

de la mauvaise nouvelle et suggèrent l’indicible de la douleur éprouvée. Mais dans la Plainte sur le

trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault, cette annonce est d’autant plus retardée que le premier nom formulé n’est pas le bon :

« Qui vois je dire ? esse pas ce gentil Musicien maistre Anthoyne Fevin ? Esse celuy qui par art tressubtil Si bien faisoit, et composer sceut il Chant d’armonye en l’office divin ? » « Non c’est celuy vray parent et affin

Des chantz nouveaux, qu’on ne sceut estancher De melodie, on le tenoit tant cher,

Car voix avoit tresbelle, bas et hault. »

« Nommez le donc ? » « Las c’est... » « Et qui ? » « Lourdault. » (v. 31-40)

Ce n’est pas Fevin qui est mort, mais Lourdault. Cette erreur sur la personne – maladresse particulièrement cocasse et embarrassante dans un tel contexte – renforce l’aspect spontané d’un poème jusqu’à présent très narratif dans le déploiement des motifs topiques de la déploration funèbre. Mais la confusion s’accroît à la fin de la déploration, qui invite les compositeurs et chantres à pleurer non pas un, mais deux trépassés :

148 Voir la Déploration sur le trespas de feu Okergan (« Il est donc mort ? c’est mon ; mais qui ? helas ! / C’est Okergan le vaillant Tresorier [...]. », p. 61, v. 36-37), la Plainte sur le trespas de Byssipat (« Diray je quy ? las ! se pourra il faire / De le nommer, sans premier satisfaire / A tel mal ayse ? », p. 75, v. 59-61 ; le nom de Byssipat n’apparaît qu’au terme d’un vaste éloge, au v. 117) ou encore L’apparition du Mareschal sans reproche

(« Je recongneuz que c’estoit – qui ? Helas ! / C’estoit le bon chevalier sans reproche [...]. / Le nommeray je ? impossible est sans rendre / Et faire a tas source de pleurs aux yeulx [...]. / Diray je qui ? besoing n’est dire, non ; / C’estoit celluy chevalier de renom / Vaillant et preux, Mareschal de Chabannes [...]. », p. 149-150, v. 210-211, 216-217, 221-223).

131 Chantres plaignez ces deux corps decedez [...]. Leur trespas rend votre bende affoiblye, L’ung pour chanter, l’aultre pour composer, Plorez Fevin et sans vous reposer :

Plorez Lourdault : brief, regretez ces deux [...]. (v. 161-169)

Le titre du poème, qui n’évoque que « le trespas de Jehan Braconnier, dit Lourdault », et non celui de Fevin, n’est probablement pas de Cretin mais de son éditeur posthume. Il se justifie largement par le fait que la lamentation, l’éloge, l’invective contre la mort ou la convocation des pères de la musique ne se rapportent qu’à Lourdault, et non à son collègue Fevin. Si l’apparition de ce nom,

à l’occasion d’une erreur sur l’identification du défunt, était presque incongrue, son inclusion in

fine dans la déploration est assez cavalière, aspect que renforce l’adverbe « brief », qui semble

renvoyer ce qui précède à l’état de digression.

Ces détournements humoristiques, dans le contexte pourtant grave d’une déploration funèbre, s’expliquent par la personnalité du défunt. Ils ne sont pas la marque d’une désinvolture de Cretin envers le défunt ou un type de discours dont il a prouvé sa maîtrise, mais bien celle d’un hommage personnel envers un homme qui n’est pas seulement caractérisé par sa fonction (chantre) mais aussi par son caractère de bon vivant. Ainsi, l’éloge du défunt met naturellement en valeur ses talents de musicien (sa « puissante voix doulce et armonieuse », v. 106), mais il se clôt sur l’évocation d’un tempérament humble et joyeux :

C’estoit celuy qui tresbien devisoit, Et plaisamment sans riens entretailler Joieux propos souvant au roy disoit, Et de nully jamais ne mesdisoit, Pour y vouloir le bruyt d’aultre tailler. Pere Bachus vous debviez batailler Contre Accident et la faulse Atropos. Si quelque foiz il enfoncza trop potz, C’estoit pour vous faire honneur et service :

On ne doibt pas pourtant y penser vice. (v. 111-120)

On ne peut que s’amuser du burlesque de la rime équivoque entre « Atropos » et « trop potz ». Comme l’aurait fait le défunt par son talent musical, Cretin cherche, au moyen de ses vers, à faire revenir la joie, en adressant notamment des reproches non à mère Nature qui a laissé mourir un tel homme, mais au dieu du vin et de l’ivresse qui n’a pas défendu un fidèle mais néanmoins vertueux serviteur. Cette plaisanterie, ainsi que tous les détournements amusés des motifs traditionnels de la déploration entrent parfaitement en adéquation avec le tempérament joyeux du

défunt, tel que Cretin le décrit149.

149 On retrouve ce mélange du funèbre et du comique dans les Complaintes et epitaphes du roy de la Bazoche

132 Une « complainte expresse »

La brièveté du songe qui introduit la Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit

Lourdault induit d’autres inflexions au genre de la déploration funèbre. Traditionnellement, la vision onirique ne sert pas seulement à informer le poète de la mort d’un personnage éminent (souvent il s’endort à cause de la douleur provoquée par cette nouvelle ou la crainte d’une telle

nouvelle, comme dans la Plainte sur le trespas de Byssipat ou la Déploration sur le trespas de feu Okergan),

elle sert à expliquer la mort et l’annuler par la glorification du défunt et le souvenir de son éternel renom. Ensuite seulement, le poète témoin d’une vision onirique prend la plume (il est même

souvent prié de le faire, comme dans la Déploration sur le trespas de feu Okergan, mais aussi Le Temple

d’Honneur et de Vertus ou La Couronne Margaritique de Lemaire) afin de transmettre le précieux

savoir qu’il a ainsi involontairement acquis. Il formule topiquement une excusatio pour le style

« rude » de ses vers, dont il est seul responsable, étant entendu que le contenu de cette vision ne

relève pas de sa volonté. Mais dans la Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault,

plus rapidement encore que dans la Plainte sur le trespas de Byssipat, le songe annonçant la mort de

Lourdault se clôt et la mort reste à lamenter, éventuellement expliquer, puis annuler par le souvenir et la gloire du défunt. Conscient de l’attente du lecteur quant à ces fonctions traditionnelles de la déploration funèbre, le poète remédie de sa pleine volonté aux lacunes de son songe :

La vision congneue et exposee, Je voulu bien me tirer de la presse. Et des ce jour, sans nulle reposee, Prins plume en main pour estre disposee

Mettre en escript ceste complainte expresse [...]. (v. 61-70)

Une paraphrase s’impose pour éclairer le vocabulaire de Cretin : une fois le songe retranscrit, le poète se défait de toute contrainte (« presse ») pour prendre sa plume et composer sans discontinuer une complainte en bonne et due forme (« expresse »). Dès lors, non seulement le poète va enchaîner les différents lieux attendus de la déploration, mais il va aussi prendre soin de les identifier, de rendre explicite le caractère « expres » de sa déploration.

Il procède tout d’abord à l’invective contre la Mort :

les motifs et lieux communs topiques des déplorations funèbres des poètes de cour, n’est cependant pas contrebalancé, dépassé par une consolation plus sérieuse comme chez Cretin. Chez La Vigne, l’hommage au défunt s’efface derrière la poursuite du jeu de la Basoche et derrière la virtuosité de la versification qui échoue à sortir de l’invective contre la Mort, de la rupture qu’elle a introduit. Voir, sur les Complaintes et epitaphes du roy de la Bazoche, Cornilliat, « Or ne mens », op. cit., p. 347-360. Si le ton est fort différent, la

démarche est, au fond, comme on le verra, plus proche de la Complainte de Guillaume Preudhomme, en ce que

Marot y déploie les motifs et procédés de la Grande Rhétorique précisément pour perpétuer la mémoire de celui qui en était féru.

133 Cruelle Mort, annuyeuse et perverse ! Que te nuysoit ce bon corps sur la terre ? Tu monstres bien aux humains estre adverse, Quant le tien dart ainsi navre et traverse Ung corps si jeune, et aux cendres l’atterre. Qu’as tu gaigné le chasser de grant erre,

Veu qu’il estoit si bon et si honneste ? (v. 71-77)

Les adjectifs dépréciatifs, les exclamations et questions oratoires suffisent à eux seuls à identifier le discours de l’invective, mais le poète prend soin d’expliciter à la fois ce type de discours et les raisons de cet emportement :

Dueil me convye et regret m’admonneste Te fort blasmer, dont ung tel personnaige Par ta rigueur desvye et pert son eage. (v. 78-80)

Le « blasme », qui figurait déjà au vers 66, met en évidence le type de discours employé. Le poète en explique également la présence dans un tel contexte : c’est sa douleur qui s’exprime. Dans la strophe suivante, Clotho et Lachesis, les Parques, sont prises à parti pour ne pas avoir empêché leur sœur Atropos d’avoir coupé le fil de la vie du bon Lourdault. Ensuite, le lieu de l’invective contre la mort fait place à celui de l’éloge du défunt, car on regrette d’autant plus amèrement l’action de la Mort quand elle porte sur un homme de qualité. Ainsi, l’étroite relation entre l’un et l’autre lieu est mise en évidence par la question oratoire du poète adressée aux Parques :

Dictes pourquoy, et quelle raison a D’avoir si tost mys en terre ce corps :

Ce fut celuy dont la voix resonna [...]. (v. 91-93)

Cretin procède dans les trois strophes suivantes à l’éloge des qualités musicales et humaines de Lourdault (v. 91-120). L’anaphore « ce fut celuy », prolongée dans la strophe suivante par « C’estoit celuy » structure cet éloge. Enfin, l’appel aux illustres musiciens des temps mythiques et modernes sert à fixer le renom du musicien mort. Si, de son vivant, Lourdault était peu sensible au « bruyt » (v. 115) d’autrui, une fois mort le poète se soucie personnellement de sa survie par la gloire :

Tubalcayn, aussi Pitagoras,

Qui la musicque avez premier trouvee, Et toy, Dieu Pan qui l’art tant decoras, Que bruyt, renom et credit encor as D’avoir jadis la science esprouvee, Tesmoignez, comme chose approuvee, Se tel Lourdault regna de vostre temps. Je dictz que non, n’en soiez mal contens. Doncques fault il combien que le corps meure Que los et nom immortel luy demeure. (v. 121-130)

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Le terme de « bruyt » (v. 124) fait ainsi la transition entre l’éloge et la glorification du défunt. Le poète délègue sa voix aux illustres musiciens qui, en plaignant Lourdault, en assureront le renom. Se succèdent ainsi un appel à « Tubalcayn », « Pitagoras », « Pan », mais aussi à Calliope et aux Muses dans la strophe suivante, puis aux « Nymphes et dieux residens es haultz bois, / Et vous Equo » (v. 141-142) et enfin aux chantres modernes : « maistre Prioris » (v. 151), « Josquin des Prez » (v. 156), « Longueval, et Mouton » (v. 159). Tous doivent explicitement effectuer la lamentatio de Lourdault.

On peut rattacher le caractère « expres », c’est-à-dire explicite voire réflexif de cette déploration qui dit constamment ce qu’elle est en train de faire, à la proximité d’une autre

déploration de Cretin, la Plainte sur le trespas de Byssipat. Dans la Plainte concernant Lourdault, qui

porte sur un personnage moins illustre, le poète ferait le choix de ne plus amplifier des lieux

communs pour lesquels il a déjà, et encore récemment, montré son talent en termes d’inventio.

Mais il faut également rappeler que Cretin a déjà pleuré la mort d’un musicien, avec la Déploration

sur le trespas de feu Okergan. Ainsi le personnel musical convoqué pour faire la lamentatio de Lourdault (de Tubal à Josquin des Prés) est-il déjà présent dans cette déploration, à l’exception

des Muses, qui figurent dans la Plainte sur le trespas de Byssipat. De fait, tous les impératifs du poète

qui commande à ces différents musiciens de « regrette(r) » (v. 138), « jecte(r) souspirs et regretz desbondez » (v. 145), « lamente(r) » (v. 148), « compose(r) cy ung ‘‘ne recorderis’’ » (v. 153) semblent moins être l’expression d’un programme poétique que le diligent lecteur doit parachever

(comme dans La Plainte du Désiré) qu’une forme de prétérition : en disant qu’il faut faire la

lamentatio, c’est chose faite, sans qu’il soit nécessaire de développer une démarche déjà abondamment illustrée. C’est ce qui explique d’ailleurs certainement l’apparition d’un deuxième

musicien dont la mort doit être déplorée à la fin de la Plainte, le compositeur Fevin : après la

Déploration sur le trespas de feu Okergan et une fois que le programme de déploration est connu, déplorer un ou deux musiciens ne fait plus guère de différence... De fait, cette complainte « expresse » peut aussi se comprendre dans un sens plus moderne : le poète passe rapidement d’un lieu à l’autre, sans guère ménager de transition ou en explicitant ses procédés rhétoriques afin de s’en épargner l’application. La rapidité du rythme de cette complainte ajoute à la jovialité générale et semble mimétique des chansons légères du défunt chantre.

Le poète, le rhéteur et le musicien

Cretin propose pour la mort de Lourdault une déploration plus brève que ses précédentes compositions. S’il prend soin d’indiquer les étapes nécessaires de la rhétorique de la déploration, il renvoie à ces dernières pour y trouver le développement des motifs et lieux propres à la

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déploration d’un musicien (Lourdault, quoique de bonne compagnie, n’étant pas caractérisé

comme un ami150, toutes les nouveautés « éthiques » de la consolation présentes dans la Plainte sur

le trespas de Byssipat ne sont pas reprises ici). Ce faisant, Cretin met en valeur le « je » du poète, qui justifie son œuvre et qui s’apparente aussi à un chef d’orchestre organisant l’intervention des musiciens et réfléchissant aux ressources musicales de la poésie.

Dans la Déploration sur le trespas de feu Okergan, le poète Cretin s’effaçait au profit des

musiciens, plus aptes à mesurer la perte que constitue la mort du célèbre compositeur et à en

fixer le renom. Dans la Plainte sur le trespas de feu maistre Jehan Braconnier, dit Lourdault, au contraire,

le poète assume son rôle aux côtés des musiciens. Ainsi, après avoir effectué le blâme de la Mort (et indiqué comment et pourquoi il fallait le faire), il explique les ressorts de l’éloge et le lien avec la glorification, qui annule la mort :

Ce fut celuy qu’on doibt jusques au cieulx Plaindre en doulx chantz, et les voix acorder Pour telle perte à tousjours recorder [...]. (v. 98-100)

Organisant explicitement la déploration, « acord(ant) » les parties de discours, les lieux communs et les « voix » de chacun, le poète se fait plus que musicien : il est chef d’orchestre. Son « je » est omniprésent, que ce soit dans la déclaration d’intention (« je [...] prins plume ») ou indirectement à travers les questions oratoires ou les impératifs adressés aux musiciens mythiques et modernes. Le poète qui maîtrise la rhétorique de la déploration n’est plus inférieur ou égal aux musiciens, c’est lui qui donne sens à leurs chants.

Il s’efforce en outre de rivaliser voire de dépasser leur art en exploitant les ressources de la poésie. La forme de la déploration, où se succèdent des strophes carrées (des dizains de