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Les temps de la télévision. Penser la communication médiatique télévisuelle dans les processus socio-politiques

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-03218027

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Submitted on 5 May 2021

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Les temps de la télévision. Penser la communication

médiatique télévisuelle dans les processus

socio-politiques

Benoit Lafon

To cite this version:

Benoit Lafon. Les temps de la télévision. Penser la communication médiatique télévisuelle dans les processus socio-politiques. Sciences de l’information et de la communication. Université Grenoble 3, 2012. �tel-03218027�

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Université Stendhal – Grenoble 3, U.F.R. LLASIC

GRESEC – Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication

Mémoire pour l’obtention de l'Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de l’Information et de la Communication,

présentée à l’Institut de la Communication et des Médias le 3 décembre 2012 par

Benoit Lafon

Les temps de la télévision

Penser la communication médiatique télévisuelle

dans les processus socio-politiques

Volume 1

sous la co-supervision de :

Isabelle Pailliart, Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication Jérôme Bourdon, Professeur, Département de Communication, université de Tel Aviv

Jury :

Roger Bautier Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, université Paris 13

Jérôme Bourdon Professeur, Département de Communication,

université de Tel Aviv

Pierre Leroux Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, université catholique de l’Ouest, Angers

Cécile Méadel Professeure en Sociologie,

Ecole Nationale Supérieure des Mines Paristech

Bernard Miège Professeur émérite en Sciences de l’Information et de la Communication, université Stendhal – Grenoble 3

Isabelle Pailliart Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication,

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Université Stendhal – Grenoble 3, U.F.R. LLASIC

GRESEC – Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication

Les temps de la télévision

Penser la communication médiatique télévisuelle

dans les processus socio-politiques

Volume 1

Mémoire pour l’obtention de l'Habilitation à Diriger des Recherches

en Sciences de l’Information et de la Communication,

présentée à l’Institut de la Communication et des Médias

le 3 décembre 2012 par

Benoit Lafon

sous la co-supervision de :

Isabelle Pailliart,

Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication

Jérôme Bourdon,

Professeur, Département de Communication, université de Tel Aviv

Jury : Roger Bautier (Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, université Paris 13), Jérôme Bourdon (Professeur, Département de Communication, université de Tel Aviv), Pierre Leroux (Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, UCO, Angers), Cécile Méadel (Professeure en Sociologie, Ecole Nationale Supérieure des Mines Paristech), Bernard Miège (Professeur émérite en Sciences de l’Information et de la Communication, université Stendhal – Grenoble 3), Isabelle Pailliart (Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication, université Stendhal – Grenoble 3).

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Remerciements

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 2

R

EMERCIEMENTS

Je remercie en premier lieu ma famille pour sa patience tout au long de la réalisation de ce mémoire (qui se rajoutait à celle d’un ouvrage, qu’elle en soit doublement remerciée) : mon épouse Nadège – aux idées toujours stimulantes et à qui je dois l’impulsion décisive qui a rendu tout cela possible –, ainsi que nos filles, Marie, Constance et Charlotte, dont la patience et l’agréable présence m’ont été si précieuses. Merci aussi à tous mes amis qui par leur intérêt et leurs questions ont contribué à la réalisation de ce mémoire.

Merci à mes deux co-superviseurs, Isabelle Pailliart et Jérôme Bourdon, pour le temps qu’ils ont accordé à mon travail. Je tiens à remercier Isabelle avec qui je travaille avec grand plaisir depuis dix ans, dans une ambiance chaleureuse et dans une grande humanité. Je remercie de même Jérôme Bourdon, à qui je dois ma première publication et qui a toujours répondu avec bienveillance à mes sollicitations.

Je remercie les membres du jury pour avoir accepté de participer à cette discussion autour de mes thèmes de recherche : Cécile Méadel, Roger Bautier, Pierre Leroux et Bernard Miège.

Merci à mes collègues, qui m’ont soutenu au quotidien durant tous ces mois d’écriture et de progression, en première ligne Viviane Clavier et Jean-Philippe de Oliveira. Je remercie aussi tous ceux qui par leurs discussions et leur sympathie rendent le travail au Gresec et à l’ICM si agréable (ils sont nombreux).

Je remercie l’université Grenoble 3 et son conseil scientifique pour leur soutien institutionnel, par la voie d’un crédit-temps recherche, puis d’un CRCT, qui ont rendu possible cette double réalisation en 2012 : la publication d’un ouvrage et l’écriture de ce mémoire d’HDR. Enfin, je tiens en particulier à remercier Bernard Miège pour son très bon accueil en 2002 au sein du Gresec, son soutien bienveillant et sa disponibilité à mon égard (et notamment tout l’intérêt de notre travail commun sur la revue Les Enjeux de

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Sommaire

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 3

S

OMMAIRE

Remerciements ... 2

Sommaire ... 3

Introduction ... 4

Partie 1. La télévision et le temps, construction d’un objet de recherche ... 11

Chapitre 1. Nos recherches : discours télévisés, politique et perspectives diachroniques... 12

Chapitre 2. Télévision et Histoire : des recherches à échelles variables ... 41

Partie 2. Echelles de temps médiatiques : quel(s) temps long(s) pour les SIC ? ... 68

Chapitre 1. Les médias dans le temps long des procès sociaux... 69

Chapitre 2. Médias et Histoire : construction et délimitation des objets d’étude ... 92

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques ... 112

Chapitre 1. La télévision dans la construction de l’Etat-nation ... 113

Chapitre 2. La télévision comme expérience socio-historique ... 136

Conclusion : perspectives sur les ancrages socio-historiques des moyens de communication ... 170

Annexes ... 176

Bibliographie ... 183

Table des figures, illustrations et tableaux ... 202

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 4

I

NTRODUCTION

« L'activité sociale "communication" comprend l'ensemble des formes sous lesquelles s'expriment, se matérialisent en se modifiant les rapports sociaux, elle en dresse le cadre, en fixe la portée, en borne les limites, qu'il s'agisse des nations, des classes, des marchés, des empires » (de la Haye, 1984, 60). “When we get past this to realize that individuation is in fact the general process of our humanity, and that it is through individuation and communication that we have learned and are learning to live, we must recognize and respect the true scale and complexity of the process, which no one of us, and no group, is in a position to understand, let alone seek to control” (Williams, 1961, 118)1.

Débutées par une approche socio-historique sur la télévision régionale en France (de ses origines dans les années 1950 jusqu'aux années 2000), mes recherches m'ont amené à explorer le média télévisuel dans ses diverses expressions, du journalisme aux fictions, de la diffusion hertzienne à l’offre d'archives télé sur le web. Derrière cette apparente diversité d'objets se dessine toutefois une préoccupation commune : la prise en compte des médias dans temps long, pour chercher à comprendre la place de la communication médiatique dans les multiples processus sociaux à l’œuvre. Il s'agit en réalité d'un double questionnement, portant :

1 « Quand nous aurons réalisé que l'individuation est en fait le processus général de notre

humanité, et que c'est à travers l'individuation et la communication que nous avons appris et apprenons à vivre, nous devrons reconnaître et respecter la véritable échelle et la complexité du processus, qu’aucun de nous, et qu’aucun groupe, n’est en mesure de comprendre, et encore moins de chercher à contrôler. »

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 5

- d'une part sur la structuration et l'institutionnalisation politique et sociale d'un média et de ses productions (par exemple la télévision régionale, l’infodivertissement politique, un site d’archives TV),

- et d'autre part sur la contribution d'une analyse de la télévision à la compréhension de faits sociaux historicisés (par exemple : émergence des maladies, attitudes et rituels face à la mort, discussion politique dominicale). La prise en compte du temps long dans ces différentes recherches s'est principalement traduite par la construction de corpus, souvent exhaustifs et couvrant plusieurs décennies, considérant un programme ou un type de diffusion thématisé depuis ses origines. Il s’est ainsi agi de poser une réflexion théorique et une méthode d'analyse de ce média, dans un contexte où son antériorité, qui offre à l’observation plus d’un demi-siècle de productions diverses, permet cette distanciation. En outre, le contexte scientifique dans le domaine des SHS – en particulier depuis les années 1970 dans celui des sciences de l'information et de la communication – a durablement contribué au développement des études portant sur les médias en France, notamment sur la télévision. Ces quatre décennies de recherche ont produit un socle d'études variées, complétées par l'importation de nombreux travaux provenant de disciplines connexes (sociologie, science politique, sciences du langage, anthropologie, etc.) et d'horizons géographiques divers (principalement Grande-Bretagne, Allemagne, continent nord et sud-américains). Un recul de plusieurs décennies concernant les questionnements scientifiques sur la télévision est aujourd’hui disponible, produisant un débat scientifique actif et renouvelé, auquel il m’est donné de participer au sein du Gresec, le Groupe de Recherche sur le Enjeux de la Communication, à la fois par mes recherches et par une responsabilité éditoriale stimulante dans notre revue, Les Enjeux de

l’Information et de la Communication (http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/).

Porté par ce contexte, cette Habilitation à Diriger des Recherches, sur travaux, consiste à resituer mes recherches de manière critique, dans une double optique. Tout d’abord en précisant mon parcours, les problématisations que j’ai construit au fil d’enquêtes présentant en définitive une certaine cohérence, due en grande partie à une stabilité professionnelle appréciable et appréciée : d’abord en science politique à l’université Toulouse I, puis à l’université Grenoble 3, au sein du Gresec depuis 10 ans. La seconde optique de ce mémoire vise à prolonger mes axes de recherche et à les mettre en perspective les uns par rapport aux autres, puisque l’ensemble de mes travaux présente un cadrage théorique commun et des méthodes dont les choix ont été volontairement

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 6

variés au cours des dernières années, afin d’en évaluer l’application et d’enrichir mes enseignements, notamment dans des pratiques d’encadrement de mémoires en Master recherche.

A ce point ce l’introduction, je me permets d’opérer un changement de pronom et d’en expliciter la raison : si un mémoire d’HDR est un retour critique sur ses propres travaux et parcours, je tiens à préciser que ces travaux ont souvent été initiés par des chantiers collectifs (notamment sur la question de la santé), et doivent beaucoup à l’intelligence commune émanant des séminaires organisés par le Gresec, de même qu’aux (re)lectures critiques de collègues. En outre, les pratiques d’enseignement et de tutorat amènent au quotidien leurs lots de clarifications, tant théoriques que méthodologiques, sous les demandes toujours renouvelées d’étudiants soucieux de progresser. A ces divers titres, je vais opérer une substitution qui n’a rien de symbolique et traduit avant tout cet aspect collectif du travail de recherche universitaire, en adoptant un « nous », certes plus académique, mais surtout plus juste.

Ainsi, précisons pour commencer que le cadrage initial de nos recherches fut notre thèse sur la télévision régionale, dont le sous-titre était « socio-histoire d’un dispositif

d’intégration politique nationale » (Lafon, 2000). Il s’agissait bien d’une démarche socio-historique sur la télévision, visant à établir les logiques de constitution de ce média, à la fois sur le plan politique et institutionnel, et sur le plan de son ancrage social. Douze ans plus tard, revenant à cet objet d’étude, notre ouvrage sur l’histoire de la télévision régionale propose une synthèse dans une démarche similaire, visant à intégrer les aspects politiques, socio-économiques et culturels du média, comme nous l’expliquons en introduction : « certaines analyses ont déjà été publiées sur cette question ou menées dans le

milieu universitaire, mais il s'agit d'études consacrées le plus souvent à une région (Provence-Alpes-Côte d’azur : Bourdon & Méadel, 1994 ; Nord : Lebtahi, 2004). Il n'existait en revanche pas d'étude générale sur la télévision régionale en France, et c'est ce manque que cet ouvrage va s'efforcer de combler » (Lafon, 2012d, 7).

Entre ces deux travaux, nous avons travaillé différents objets, précités au début de cette introduction, et dont la présentation critique constitue le fond de ce mémoire. Le

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 7

volume annexe reproduit quinze de nos travaux dans une présentation chronologique2. Le point commun des approches que nous avons adoptées renvoie à cette dimension historique ou, tout au moins, à des durées de temps long, notion largement convoquée en SIC et que nous allons tenter de clarifier. En effet, travaillant dans le champ disciplinaire des SIC, nos enquêtes ont largement recoupé l’intérêt de cette discipline pour la démarche historique, comme y invitait déjà la SFSIC (Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication) lors de son congrès de 2002, à travers un atelier spécifiquement historique autour de cette interrogation question : « les sciences de l'information et de la communication ont-elles une dimension épistémologique qui leur permette d'échapper à la contingence du présent ? » (SFSIC, 2002, p. 5). Il est d'ailleurs notable que certains chercheurs de la discipline ont construit une approche fortement historicisée sur les médias, tels Yves de la Haye, Roger Bautier, Elisabeth Cazenave, Armand Mattelart, Michael Palmer, ou encore François Jost ou Jean-Claude Soulages plus spécifiquement sur la télévision. Dans le voisinage immédiat des SIC, Jérôme Bourdon précise la difficulté à borner ce type de démarche concernant la télévision : « Il n'y a pas d'accord sur ce qu’est l'histoire de « la télévision » (une institution ? un objet technique ? des groupes professionnels ?). L'adjectif « culturel » suggère une restriction, mais laquelle ? S'agit-il de culture professionnelle (celle des institutions qui ont fait la télévision), ou bien de celle des publics (le sujet devient alors immense, et il faut comprendre la réception des programmes – mais c'est bien l'intérêt majeur pour l'historien) » (Bourdon, 2011, 16). En effet, et pas seulement pour l’historien, l’enjeu d’une compréhension des médias, en particulier de la télévision, est bien de saisir leur réalité éminemment sociale, alors que ce questionnement général sur leur ancrage social reste peu discuté. Cette prise en compte des implications sociales de la télévision était pourtant bien la démarche généalogique vigilante des usages sociaux des technologies de communication évoquée Paul Beaud (Beaud, 1984, 148), qui nous semble tout à fait nécessaire. La télévision ne peut être en effet pensée de manière pertinente qu’en la resituant dans les processus sociaux desquels elle participe : la notion de processus, ou procès, sera ici entendue, à la

2 Ce volume annexe comprend ainsi : 10 articles publiés dans des revues scientifiques à comités

de lecture (dont une introduction à un dossier coordonné), 2 chapitres d’ouvrage, et 3 communications (dont 2 ont été publiées).

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 8

suite de Bernard Miège, comme un « mouvement de la société bien identifié, en cours, fait de mutations et de changements divers, et autour duquel, dans le temps long, s'affrontent et se confrontent les stratégies des acteurs sociaux concernés » (Miège, 2007, 8). Des sept procès contribuant à l'ancrage social des Tics (techniques d’information et de communication) identifiés par Bernard Miège, celui de la médiatisation de la communication, présenté comme « un procès central », nous semble fondamental à questionner eu égard au temps long évoqué précédemment, nous y reviendrons, non sans avoir procédé à une discussion de la place des différents procès sociaux, y compris le procès de civilisation des mœurs développé par Norbert Elias (Elias, 1990, 161) et largement évoqué dans nos travaux, afin de comprendre comment la télévision joue un rôle désormais fondamental dans ceux-ci. C'est donc bien une démarche socio-historique que nous voulons définir et promouvoir, dans une optique voisine de celle de de Roger Chartier lorsqu’il étudie la lecture et le « lire » sous l’ancien régime (Chartier, 1987, 2003), complétée par une attention particulière portée aux contenus culturels et à leur contextualisation socio-politique, comme a pu le réaliser pour l’imprimé Elizabeth Eisentein (Eisenstein, 1991)3.

Le travail d’analyse de la télévision réalisé dans nos recherches a ainsi visé à replacer ce média dans un contexte social plus large, et dans la temporalité historique qui est la sienne : essentiellement celle de la seconde moitié du XXe siècle. Durant cette période, la télévision a été partie prenante de maintes évolutions socio-politiques, des transformations des modes de représentation politique (essor d’une classe politique territoriale, développement de l’info-divertissement, évolution des rituels politiques…) à l’une émergence de nouvelles thématiques sociétales dans l’espace public (santé et maladies, accompagnement des victimes lors de catastrophes…), objets que nous avons abordé dans nos recherches, et dont nous allons, dans ce mémoire, remobiliser les problématisations, méthodes et principaux résultats pour en souligner à la fois les

3 Cependant, si le développement de l'imprimé a joué un rôle essentiel à tous les niveaux de la

production des connaissances, l'audiovisuel n'a, pour sa part, pas modifié en profondeur les conditions de production des savoirs, il a davantage joué un rôle dans la modification des réseaux de sociabilité, ainsi que dans la mise en forme des contenus culturels. L’arrière-plan socio technique de l’imprimé évoqué par E. Eisenstein est davantage comparable à l’émergence de l’électronique (d’ailleurs à l’origine de la télévision contemporaine) et de ses applications par les Tics dont les SIC ont fait un objet majeur.

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 9

apports et les insuffisances. Liée à tout un système médiatique et aux prises avec des Tics qui vont modifier en profondeur ses modes de production, d’écriture et de diffusion, notons enfin que la télévision a connu maintes évolutions techniques et symboliques (arrivée du direct, de la vidéo, de la numérisation, mutation des langages et des genres…) qu’il convient de relier à des questionnements sociaux.

Dans ce travail d’établissement de liens processuels entre technique et symbolique, économie et culture, nous reviendrons enfin sur les travaux de R. Williams, dont B. Miège soulignait en 2005 les potentialités :

« des auteurs comme Raymond Williams (ses travaux sur l'histoire sociale de la technologie de la télévision datent pour certains d'entre eux de plus de quarante ans, mais sont d'une surprenante actualité et s'appliquent précisément à ce qu'il est convenu d'appeler les nouveaux médias), et après lui Paul Beaud, ont insisté sur la nécessité de replacer l'étude des médias dans le cadre de la transformation des rapports sociaux (…) ; les médias ne sont plus alors conçus comme de simples objets techniques, assumant un certain nombre de fonctions sociales et culturelles, mais comme les lieux où s’opère de plus en plus, par le symbolique et le discours, la médiation du pouvoir social. Sociologie de la technique et sociologie des médiations sociales et culturelles ne sauraient ici être séparées. Cette voie de la recherche est loin d'avoir produit tout ce que l'on est en droit d'en attendre ; mais la perspective s'avère très prometteuse » (Miège, 2005, 65).

Nos travaux ont toujours tenté de prendre en considération ces diverses dimensions de recherche et de les faire dialoguer, afin de montrer les interactions réciproques et dynamiques entre technique, économie, politique et culture. Aussi, notre démarche de retour réflexif sur nos problématiques dans le cadre de cette Habilitation à Diriger des Recherches va-t-elle se développer en trois temps, pour souligner à la fois les nécessités de ces croisements théoriques, notre volonté de réaliser de telles hybridations pour concevoir les médias (par le biais de la télévision) comme des institutions socio-symboliques, et les limites constatées dans ce projet.

Dans un premier temps, nous reviendrons sur la construction de notre objet de recherche, que nous mettons au singulier car il s'avère que nos travaux ont toujours croisé les discours télévisés et le politique dans une perspective diachronique. Après une présentation de notre parcours, nous définirons notre situation actuelle dans le champ académique des recherches portant sur la thématique « télévision et histoire », ce qui permettra d'identifier les spécificités de notre approche en SIC, au croisement des différents axes de recherche du Gresec, entre industries culturelles, espace public et ancrages sociaux des médias.

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Introduction

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 10

Dans un second temps, nous élargirons volontairement le propos afin d’opérer une clarification théorique qui nous permettra de mieux appréhender par la suite nos recherches. Il s'agira en effet, en définissant et resituant plusieurs processus sociaux les uns par rapport aux autres par le recours à des auteurs de disciplines diversifiées (SIC, anthropologie, histoire…), de mieux positionner nos travaux et d'en saisir la double dimension : d'une part une dimension microsociale, restreinte à des expériences médiatiques précises ; d'autre part une dimension plus étendue, prenant en compte des médias ou des types de programmation dans leur ensemble, sur des durées élargies. Nous serons alors à même de définir des échelles de temps médiatiques nous permettant d'opérer un retour critique plus pertinent sur nos recherches.

Ainsi, dans un troisième temps, nous opèrerons un retour concret, critique et argumenté sur nos terrains d'étude, que nous restituerons autour de deux grandes thématiques de recherche indissociables : la télévision dans la construction de l'État-nation et la télévision comme expérience socio-historique. Nous serons alors à même de tracer en conclusion des perspectives de recherche en ces domaines.

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Partie 1. La télévision et le temps, construction d’un objet de recherche

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 11

P

ARTIE

1.

L

A TÉLÉVISION ET LE TEMPS

,

CONSTRUCTION D

UN OBJET DE RECHERCHE

Prendre en considération le temps dans l'analyse des médias, c'est la démarche à laquelle nous avons en permanence soumis nos recherches. Nous nous proposons dans cette première partie de montrer comment nous en sommes venu à travailler la question de la télévision resituée dans sa temporalité, et quelles recherches sont actuellement menées sur ces questions, afin de mieux situer nos propres travaux.

En premier lieu, nous allons retracer notre parcours de recherche, un parcours centré sur les discours télévisés, qui s'est efforcé de problématiser un certain nombre de questions, dans lesquelles le politique et la temporalité ont servi de fil conducteur. Une fois la logique de ce parcours retracée, nous nous efforcerons de présenter de manière globale les enjeux d'un champ de recherche, celui des analyses diachroniques portant sur la télévision. Après avoir souligné les relatives impasses de certaines approches que nous expliquerons par une insuffisante prise en compte de la dimension temporelle (soit qu'elle soit mise de côté ou impensée, soit qu'elle soit insuffisamment justifiée), nous tenterons de montrer la richesse des problématisations sur la question « télévision et histoire », tant du côté des cultural et media studies, qu’en France, où l’essor récent de ces objets oblige à une clarification : nous serons alors mieux à même de caractériser notre propre positionnement.

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Partie 1. La télévision et le temps, construction d’un objet de recherche

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 12

Chapitre 1. Nos recherches : discours télévisés, politique et perspectives

diachroniques

Avant de développer la question de la temporalité dans l'analyse des médias et plus particulièrement de la télévision, nous allons revenir sur les problématiques construites dans nos recherches, problématiques qui relèvent majoritairement de questions politiques. Celles-ci, développées initialement dans le contexte disciplinaire de la science politique, débordèrent très largement le champ des professionnels de la politique pour interroger certains points précis de la construction sociale et culturelle de l'État-nation. En outre, nos approches des médias furent dès notre thèse centrées sur les discours médiatiques, intégrant les logiques institutionnelles et économiques de ces derniers.

Nous allons tâcher dans cette première partie d’éclairer ces orientations, avant de détailler comment nous avons travaillé à la production de corpus médiatiques couvrant des périodes de plusieurs années. En effet, il s'est agi au fil de nos différentes publications d'interroger les évolutions des configurations sociales et les nécessités croisées liant les champs politiques et médiatiques. Nous montrerons donc le caractère diachronique de nos terrains d'études et le choix de méthodologies adaptées, ces choix étant dictés par la volonté de saisir des processus sociaux évolutifs. Au terme de cette partie, notre parcours de recherche devrait apparaître plus clairement : un parcours interrogeant les évolutions socio-politiques par le biais des discours télévisés.

I. Discours télévisés et politique

Prendre en considération la dimension communicationnelle du politique, c’est avant tout considérer que l’activité politique possède un versant discursif qui en oriente la nature. Jacques Gerstlé éclaire particulièrement bien cette nature communicationnelle de la politique, qui « ne se définit pas par un ensemble de secteurs ou de problèmes définitivement isolables dans la société puisque n’importe quelle question dans la société peut devenir politique. La politique se nourrit d’enjeux économiques, sociaux, culturels, religieux, ethniques, linguistiques, etc. L’activité politique concerne donc l’émergence des problèmes collectifs, la révélation des demandes adressées aux

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Partie 1. La télévision et le temps, construction d’un objet de recherche

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 13

autorités publiques, l’élaboration de projets de solution, le conflit entre ces projets et son mode de règlement. Dans chacun de ces processus se trouve impliquée la communication et sa contribution à l’activité politique est omniprésente qu’il s’agisse de la socialisation et de la participation, de l’élaboration de l’agenda, de la mobilisation ou de la négociation » (Gerstlé, 1992, 11). Au fil de notre parcours, cette dimension communicationnelle du politique fut l’objet de toute notre attention, avec une focalisation sur deux interrogations majeures :

- celle relative à la construction d’un espace institutionnel, géographique, linguistique et culturel commun : l’Etat-nation ;

- celle relative à la représentation politique considérée du point de vue de la sociologie politique (représentants des pouvoirs publics) : c’est-à-dire que nous nous sommes attachés aux traductions discursives de cette représentation, relayée notamment par les médias.

Ces deux questions imbriquées, ont, depuis notre thèse, alimenté nos problématisations. Initiée par un questionnement politologique, poursuivie par le constat de la centralité des médias, notre démarche de recherche vise à éclairer les processus socio-politiques par une approche communicationnelle, dont les médias sont des supports.

1/ Un questionnement initialement politologique…

Le point de départ de notre parcours de recherche fut une thèse de doctorat en science politique soutenue à l'université Toulouse I en 2000. Cherchant à mettre en évidence la production et la consolidation conjointes d’un territoire national et d’élites politiques locales et nationales, cette recherche s’était intéressée à la régionalisation politique et télévisée en France depuis les années 1960. Elle a ainsi analysé la télévision régionale comme une « dispositif d’intégration politique nationale », favorisé par la conception gaullienne de l’Etat et des institutions publiques. Cette perspective, proche de celle qu’Yves de la Haye a pu développer concernant la presse écrite au XIXe siècle, a cherché à comprendre comment l’Etat développe son propre « mode de rationalisation-justification » (de la Haye, 1984, 18) en s’appuyant sur le « secteur de l’information et de

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Partie 1. La télévision et le temps, construction d’un objet de recherche

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 14

la communication » afin de consolider son action, désormais orienté vers « un nouveau terrain : celui de l’opinion publique » (idem, 17).

L’essor du média télévisuel et des techniques de communication politique depuis les années 1950 ont en effet participé de ces logiques politico-communicationnelles de circonvolution d’une opinion publique. Bernard Miège note ainsi que « depuis le début des années quatre-vingts un déplacement s’est opéré dans les préoccupations des chercheurs (…). L’irruption des techniques du marketing politique, dans une société où les mécanismes de la représentation politique révèlent souvent leur inadaptation ou voient leur importance négligée par les responsables politiques, va favoriser ce déplacement des préoccupations ; et il n’est pas exagéré de reconnaître que la sociologie politique en est progressivement venue à occuper le devant de la « scène scientifique » en matière de communication de masse : alors même que les orientations de la recherche se sont considérablement élargies, c’est vers elle que se concentrent les demandes et les interrogations des responsables politiques, des dirigeants des médias ou des « stars » de la télévision » (Miège, 2004, 204-205). Ce constat d’un déplacement des préoccupations vers la sociologie politique nous semble révélateur d’une prise de conscience par les acteurs sociaux d’actions stratégiques à mener en termes d’« ingénierie communicationnelle ». Nos objets d’étude, centrés sur le média télévisuel, se situent dans ce contexte social et historique.

En revanche, nous cherchons à nous éloigner d’une vision médiacentrée en proposant une distance critique vis-à-vis de la télévision et des techniques de communication politique, perçues comme des institutions socialement construites et datées. De ce fait, nous accordons, ainsi comme le préconise B. Miège, une attention particulière à « l’étude de l’information comme action produite, résultant bien sûr d’un processus de production plus ou moins complexe et identifiable, mais consistant surtout en un prélèvement d’actions humaines érigées, à la suite d’une alchimie maintenue plus ou moins consciemment à distance des usagers-consommateurs, en événements sociaux » (Miège, 2004, 206). Démarche que nous adoptons à la suite d’auteurs comme Yves de la Haye, Eliseo Veron, mais aussi Raymond Williams, qui posent de manière pertinente l’analyse des discours médiatiques comme interface des rapports de pouvoir et comme lieux de productions de liens sociaux.

La convocation de ces auteurs plus de trois décennies après leurs productions nous semble fort opportune, puisqu’elle permet de réactualiser, avec les acquis de recherches qui se sont succédé depuis, une vision baignée de marxisme et de structuralisme - bien

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Partie 1. La télévision et le temps, construction d’un objet de recherche

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qu’elle n’en fut déjà à l’époque plus tributaire. Ce retour à une réflexion en termes de structures est pertinent pour tout un pan de nos recherches sur le politique et les médias. En effet, la construction des « événements sociaux » (cf. supra) - conduite éminemment stratégique de la part des acteurs politiques de l’Etat - se traduit par un « travail permanent sur la consolidation du consensus », le « développement d’un discours politique sur les thèmes de l’intérêt national » ou encore la recherche de « boucs émissaires unificateurs » (de la Haye, 1984, 19). Ce travail est en particulier et de manière croissante réalisé par des institutions politico-médiatiques, au premier chef l’audiovisuel de service public. Les cultural studies britanniques se sont d’ailleurs livré à cette analyse des modes d’imposition d’un cadre culturel dominant. Relayées par les institutions politiques et médiatiques, certains éléments d’« hégémonie » - pour reprendre la terminologie de Raymond Williams - sont ainsi rendus actifs par tout un ensemble de « processus d’incorporation » (Williams, 2009, 36-38).

Entre autres éléments d’hégémonie, la question de la construction du territoire national – notamment par l’étude du maillage médiatique dont il a fait l’objet et par l’analyse des discours politiques médiatisés – apparaît comme une question centrale pour comprendre les raisons de l’essor de la télévision en France à partir des années 1950. Notre thèse liait de la sorte très étroitement la question territoriale et politique à celle de l’essor de la télévision : « notre point de départ sera le territoire, pris dans ses dimensions

géographiques, culturelles et politiques, sans toutefois souscrire aux acceptions métaphoriques du terme (concepts de territoire mental ou imaginaire, par exemple). Dans leurs approches respectives, aussi bien P. Alliès, J-F. Tétu que I. Pailliart ont pris comme point de départ l’exemple de la formation de l’Etat-Nation sur un territoire donné, en soulignant - pour les deux derniers - le rôle concomitant des médias dans ce processus » (Alliès, 1985, Tétu, 1995, Pailliart, 1989) » (Lafon, 2000, 275).

Nos questionnements étaient alors, par leur ancrage initial en science politique, centrés sur la question de la construction territoriale et publique, au cœur de nombreuses recherches menées à la fin des années 1990. Les approches sur le politique et le local se situaient se situaient alors dans le contexte des lois de décentralisation de 1982-1983, très discutées dans le champ scientifique, avec une forte orientation communicationnelle liée à l’essor de la communication territoriale, alors initialement qualifiée de « publique » (Alibert, de la Haye, Miège, 1982). Nous nous étions d’ailleurs intéressés de près à l’utilisation des techniques vidéo par la mairie de Toulouse, qui diffusait ses propres émissions sur la chaîne locale hertzienne privée (en la finançant de

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ce fait par achat de temps d’antenne), Télé Toulouse, créée en avril 1988 (Lafon, 1999). Ces actions communicationnelles nous étaient alors apparues comme les productions d’un service administratif dont la professionnalisation était modérée (absence de journalistes ou de professionnels de la communication, prédominance de métiers techniques) et les actions pragmatiques et largement intuitives, adoptant une « posture

intermédiaire qui n’est pas sans rappeler la démarche de l’infotainment, mélange d’information

et de divertissement, le tout accompagné d’une promotion active satisfaisant la hiérarchie politique par une connaissance intuitive des axes de campagne des élus et du principal d’entre eux : D. Baudis » (Lafon, 1999, 136).

Cette activité qui était alors qualifiée de « journalisme territorial » était en plein essor, suscitant colloques et prises de position dans le champ scientifique comme dans l’espace public, avec la publication d’ouvrages visant à promouvoir et à légitimer ce nouveau champ professionnel. La dimension professionnelle croissante de la communication politique était alors bien été analysée par les SIC et en particulier par le Gresec, notamment en la resituant dans des processus historiques de construction de l’Espace Public (Miège, 1989 ; Pailliart, 1995). Cette problématique de la communication territoriale, largement traitée jusqu’à la fin des années 1990, connaît un regain d’intérêt, comme le montre l’approche en termes de « travail territorial des médias » (Noyer, 2011). Cette question recouvre désormais « une certaine communauté de travaux » interdisciplinaires visant à « éclairer la communication de l’Etat » : « ainsi l’analyse territoriale est-elle également une analyse de l’Etat et sur l’Etat en local » (Pailliart, 2011, 150-152).

Tous ces objets relatifs à la dimension territoriale des médias et des pratiques communicationnelles locales ont une vertu essentielle, celle de montrer la diversité géographique du territoire national. Historicisés, ils obligent à poser un regard renouvelé sur la (re)construction des identités locales, les cultures locales et les modes de vie de sociétés rurales ayant été au cours du XXe siècle progressivement remises en question par les modes de vie urbains. La question de la construction d’un Etat-Nation recoupe également largement celle de la représentation politique, à savoir l’institutionnalisation d’un appareil politico-administratif et la construction symbolique à visée légitimante de ces institutions (légitimité étant entendue comme « l’acceptation du pouvoir », Gingras, 2008, 3). Cet objet, le territoire national et sa construction, objet initialement politique au sens strict, gagne ainsi à être ouvert aux questionnements pluridisciplinaires et notamment info-communicationnels : les médias sont aussi des

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relais de publicisation de toute une « ingénierie symbolique démocratique » produisant un « gouvernement du social » (Ollivier-Yaniv, 2009) qu’il s’agit de prendre en compte. Cet apport des Sciences de l’Information et de la Communication vient ainsi amender utilement nos problématisations initiales, non moins nécessaires mais davantage socio-historiques – voire juridiques –, en science politique.

2/ …poursuivi par le constat de la centralité des médias…

Ainsi se dessine un objet scientifique à la fois politique et communicationnel : l’Etat-Nation et ses territoires, mis en discours par leurs acteurs dans une représentation politique intégrant désormais les logiques médiatiques. En effet, l’apport des deux disciplines, science politique (avec des auteurs comme Jacques Gerstlé, Erik Neveu, Eric Darras) et sciences de la communication (Bernard Miège, Isabelle Pailliart, Robert Boure, Caroline Ollivier-Yaniv par exemple), s’avère sur ce point majeur pour saisir la manière dont le champ politique cherche à « rénover ses dispositifs de figuration » dans un contexte de « relations publiques généralisées » (Miège, 1989, 110). Nos problématisations sur ces questions se sont par conséquent enrichies de ces deux approches, au point que nous considérons désormais les discours médiatiques comme un point de rencontre d’intérêts communs des champs médiatique et politique.

Acteurs politiques et médiatiques se trouvent ainsi impliqués dans des « logiques

d’investissements croisés », que nous avons par exemple analysées avec le cas du passage

d’Olivier Besancenot chez Michel Drucker (Lafon, 2009). Penser les investissements croisés sur ces marchés politiques et médiatiques revient donc en quelque sorte à identifier certaines logiques d’acteurs précises, et avant tout à mettre en lumière les objectifs des « investisseurs », qu’il s’agisse d’acteurs politiques ou médiatiques (cf. infra, partie III, chap. 2). Il existe par conséquent des configurations communes dans lesquelles peut se développer un « discours politique », distinct d’une parole non construite. Le discours politique, et davantage encore lorsqu’il est télévisé, relève donc pour une large part de stratégies (mâtinées de tactiques), reposant sur une « croyance unanime dans le pouvoir lié de la télévision et des sondages. Car ce n’est pas tant la télévision et les sondages qui font les rois, mais bien la croyance médiacratique (dans la toute-puissance de la télévision et la validité des sondages) qui s’avère ainsi opératoire dans le réel » (Darras, 2008). Ce point d’une croyance en la puissance du média et des

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sondages est d’ailleurs une question largement abordée dès les années 1980 par certains auteurs (Beaud, 1984, 331 ; Champagne, 1990).

Notre intérêt pour la télévision repose pour une large part sur son caractère « massif » en termes d’audience et sur son caractère structurant en termes d’effets supposés, tout au moins en termes de visibilité (Derville, 2005, 109-115, Heinich, 2012). C’est aussi pour ces mêmes raisons que nos recherches ont progressivement « glissé » de la télévision locale privée hertzienne – aux audiences confidentielles – à la télévision régionale publique à l’audience pérenne et importante quantitativement (voir « totale » dans les années 1970 lors de la diffusion simultanée des actualités régionales sur les trois chaînes publiques). C’est ainsi que nos premiers objets de recherche ont pris en considération Télé-Toulouse et les émissions de la mairie de Toulouse sur cette chaîne locale (Lafon, 1999), avant de se réorienter par notre doctorat sur la télévision de service public. Cependant, nous avons dès ces premières publications fondé nos études sur une prise en compte des discours télévisuels, au croisement des approches discursives et sociologiques (cf. infra, même chapitre, III, 3/). Bernard Miège faisait le constat de certains manques des recherches françaises portant sur les médias depuis leurs origines : « dans les conceptions le plus souvent défendues, il est rarement fait appel à la fois aux ressources de la sémiologie et à celle de la sociologie » (Miège, 2004, 203). C’est cette voie que nous nous efforçons de suivre, en mobilisant les acquis pluridisciplinaires des analyses portant sur les médias et en particulier la télévision, en fort essor depuis les années 1990. Malgré cet essor, les « études médiatiques » en France (pour éviter l’anglicisme Media Studies qui ne recoupe pas de champ de recherche institutionnalisé) furent à ce point écrasées par les approches disciplinaires que certains observateurs les ont qualifiées de french blind spot (Cusset, 2012). Certes, la sociologie de Pierre Bourdieu avait dès les années 1970 importé et publié les écrits d’auteurs anglo-saxons sur la question médiatique (notamment Richard Hoggart). Certes, les études cinématographiques et linguistiques ont pu aboutir à l’essor de recherches sémiologiques sur les productions médiatiques (encore que les objets d’études furent conjoncturels et disparates). Des intellectuels brillants (M. de Certeau) ont aussi pu se saisir de l’objet, en se fondant sur des enquêtes publiques. Mais en réalité, jusqu’à la naissance - ou plutôt jusqu’à la consolidation - des sciences de l’information et de la communication à partir du milieu années 1980, les études sur les médias et la télévision ont peu produit d’ouvrages ou articles scientifiques (mis à part certains travaux pionniers comme ceux, au Gresec, d’Y. de la Haye et de B. Miège).

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Depuis les années 1980 en revanche, les productions universitaires sur les médias se sont multipliées au point de produire des sous-champs spécifiques, aux approches méthodologiques variables. Concernant la télévision, on peut par exemple aussi bien rencontrer des études sémio-discursives (Lochard, Soulages) que sociologiques à orientation sémiotique (Jost). Nous pouvons distinguer schématiquement les recherches sur la télévision en trois groupes, centrés sur :

- les logiques économiques et politiques (industries culturelles, publicisation, professionnalisation, socio-économie des médias) ;

- les pratiques (réception, éthnométhodologie, ancrages sociaux) ; - les discours (analyses du discours, sémiotiques).

Comment nos propres recherches se sont-elles alors positionnées ? Pour répondre à cette interrogation, notons que nous abordons les médias par leurs productions : les discours. Mais, à la différence de conceptions médiacentrées, cette approche se veut externe au discours. De même que Jesús Martín-Barbero propose avec sa conception de la médiation de « déplacer les questions pour permettre la recherche sur les processus de constitution de la culture de masse en échappant au chantage culturaliste qui les change inévitablement en processus de dégradation culturelle » (Martín-Barbero, 2002, 7), nous avons cherché à « déplacer » notre regard sur la télévision. Par exemple, l’usage d’émissions de télévision considérées comme divertissantes par les publics peut avoir une finalité politique, comme nous l’a montré l’analyse de l’émission Vivement Dimanche, qui a donné lieu à deux études (Lafon, 2009, 2012a) : « Considérant que la

notion d’infodivertissement fait écran à la compréhension des rapports unissant les acteurs des champs médiatique (presse écrite vs télévision) et politique, cette étude questionne ces émissions en termes d’investissements et d’intérêts croisés » (Lafon, 2012a, 59). Il ne s’agit donc pas d’étudier le langage médiatique en tant que tel mais, par l’étude de corpus d’émissions télévisées, saisir le fait médiatique dans ses logiques économiques, politiques, culturelles et dans ses pratiques : autrement dit, considérer le fait médiatique télévisuel comme un fait social total (cf. point suivant). Cependant, afin d’éviter une objectivation abusive des médias et leurs actions, nous allons préférer au terme de « fait médiatique » celui de « phénomène médiatique », qui induit une conception processuelle pour l’observateur, d’autant que nous entendons resituer ce phénomène dans ses temporalités.

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3/ …et visant à éclairer les processus sociaux par une approche communicationnelle

Le phénomène médiatique, c’est-à-dire l’institution sociale des médias et leurs pratiques saisissables par leurs discours produits, constitue de notre point de vue un fait social total au sens de Marcel Mauss. Rappelons ici la définition qu’en donnait le sociologue en 1923 dans son Essai sur le don : « Dans ces phénomènes sociaux « totaux », comme nous proposons de les appeler, s'expriment à la fois et d'un coup toutes sortes d'institutions : religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en même temps ; économiques - et celles-ci supposent des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes esthétiques auxquels aboutissent ces faits et les phénomènes morphologiques que manifestent ces institutions » (Mauss, 1950, 7).

Partant de cette définition, il apparaît que les médias – et spécialement la télévision généraliste de masse – traduisent les stratégies de mise en visibilité de multiples champs sociaux dont ils sont une chambre d’écho, en même temps qu’ils impliquent une consommation familiale et privée, déterminée par une offre économique d’industries culturelles. Comme l’indique aussi Marcel Mauss, ces faits sociaux totaux aboutissent à des phénomènes esthétiques et morphologiques : les discours médiatiques se caractérisent par une mise en forme choisie, un souci esthétique afin de susciter une attirance des publics et de maximiser l’audience. Mais ils sont aussi un phénomène morphologique affectant des populations qui s’agrègent et forment des groupes sociaux à leur occasion. Thierry Wendling dans une réflexion récente sur ce concept montre bien l’importance de ses caractères morphologiques, dont les médias sont des vecteurs : « d’un point de vue historique, les mass media (presse puis télévision et maintenant internet) jouent à cet égard un rôle comparable à la fête locale en rendant possible cette connaissance « immédiate » de l’événement par les acteurs sociaux concernés » (Wendling, 2010, 97). En dépit d’une vision unifiante des « mass media », cette remarque pose bien le statut anthropologique du phénomène médiatique. Il s’agit d’un fait social regroupant des individus dans un événement commun, morphologiquement caractérisable :

- en termes d’étendue sociale : combien d’individus participent à cette communication médiatique (audience) ? Quels indicateurs en construire ? Des communautés de réception (publics) sont-elles pensables ?

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- en termes d’échanges : quel est le type de rituel, de spectacle, de discours auxquels participent les individus ? Quelle est la nature de l’espace de communication ainsi créé (Odin, 2011) ? Quelles communautés interprétatives en découlent-elles ?

Le phénomène médiatique considéré initialement comme phénomène social total est une première étape dans le travail de décentrement médiatique réalisé dans ce mémoire. Ainsi considérés, les médias apparaissent comme l’institutionnalisation de ce fait social, donnant lieu à des pratiques sociales historiquement situées, succédant à d’autres pratiques sociales préexistantes.

Prenons pour illustrer ce propos un exemple. Une famille de classe moyenne qui en 1965 achète un poste de télévision modifie du jour au lendemain son agenda quotidien, et substitue de nouvelles pratiques aux pratiques antérieures, qui remplissaient des fonctions comparables, bien que non exactement superposables : discussions suscitées par la consommation médiatique, curiosité éveillée par des histoires racontées (des faits divers à la romance…), évasion ou divertissement individuels, etc. Ce type d’interrogation permet de penser le phénomène médiatique comme un fait anthropologique aux implications sociales profondes, tant politiques, culturelles, que socio-démographiques, voire éthologiques. Fait anthropologique qui pourrait faire l’objet d’une enquête ethnographique a posteriori, avec toutes les difficultés que cela suppose, et que J. Bourdon a recensées : « À remonter dans le temps, on trouve bien peu d’information sur le public des médias, public plus modeste et moins bien représenté que celui des hautes cultures. Il faut donc inférer » (Bourdon, 2004, 13).

Il nous semble dès lors que le phénomène médiatique doit être resitué dans le contexte socio-historique qui est le sien – le contexte de la « modernité » comme a pu l’étudier John B. Thompson, qui a « cherché à montrer que le développement des médias de communication – depuis les premières formes d’imprimés jusqu’aux types les plus récents de communication électronique – faisaient partie intégrante de l’émergence des sociétés modernes » (Thompson, 1995, 3). Ainsi, resituer les médias dans leur contexte social oblige à prendre en considération les changements de ce contexte, de même que ceux des médias per se, en liant les uns et les autres dans une vision processuelle, c’est-à-dire de les resituer dans les pratiques évolutives du social. Cette démarche est partagée par de nombreux auteurs qui ont tenté, par-delà l'historiographie classique, de proposer une vision intégrée des processus historiques au fondement des systèmes médiatiques contemporains.

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Roger Bautier s'est livré à une analyse détaillée de quelques-unes de ces approches, montrant bien une opposition entre deux tendances, l'une faisant la part belle au déterminisme technologique (Mc Luhan, Debray, Popper), l'autre « cherchant toujours à envisager un ensemble de phénomènes conjoints dont on cherchera à établir l'apparition et l'évolution » (Bautier, 1994, 21). Ce qui est en jeu, ce qu'il convient donc de penser, c'est bien l' « ancrage social » (ibid.) des médias, les conséquences sociales multiples et interconnectées de leurs usages et pratiques, donnant lieu sur le moyen terme à des évolutions diverses, reposant sur des « potentialités » plutôt que sur des « déterminations ». Ainsi, le phénomène médiatique doit-il être questionné dans ses ancrages sociaux par la mise à jour des morphologies sociales auxquelles il donne lieu au fil des époques, morphologies variables mais jamais prédéterminées : un travail de mise à jour de ces relations sociales s'impose donc pour mieux comprendre a posteriori les principales caractéristiques du phénomène médiatique, en l'occurrence télévisuel en ce qui concerne nos objets de recherche.

Cette dimension processuelle que nous travaillons est désormais largement partagée par les chercheurs intéressés aux médias, dont Paul Beaud notait en 2000 qu’ils avaient « enfin pris la pleine mesure de la nature inséparablement matérielle et symbolique des produits dont ils entendaient étudier les conditions de production » (Beaud, 2000, 466). Double nature que pose aussi Eric Darras, signalant qu’« une fausse opposition académique récurrente encombre toujours les travaux sur la télévision, celle de l’interne et de l’externe, de la sémiologie et la sociologie » (Darras, 2003). Bernard Miège insiste de même dans sa définition des médias sur leur double nature, à la fois « dispositifs sociotechniques et sociosymboliques » (Miège, 2007, 106) : ces derniers sont caractérisés selon lui par un certain nombre de procès, notamment procès d’élargissement du domaine médiatique et de marchandisation. Si la discussion sur ces procès nous semble nécessaire pour comprendre les mutations techniques et économiques des médias contemporains, nous chercherons à élargir la focale pour saisir des procès complémentaires, liés au statut de fait social total du média télévisuel et donc aux phénomènes morphologiques précédemment évoqués : procès de « sociogenèse de l’Etat » (Elias, 1975, 103), procès microsociaux liés aux jeux médiatiques, c’est-à-dire aux expériences individuelles concrètes de réception. Ajoutons pour terminer que la convocation des notions de « procès » ou de « processus » doit avoir pour vertu d’obliger à considérer nos objets de recherche (politique, médias et discours télévisés) comme des faits sociaux dynamiques, en évolutions et constructions permanentes, ce qui nous amène à la notion de temporalité.

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II. Discours télévisés et temps : des terrains d’étude diachroniques

Les objets d’études auxquels nous nous sommes attachés ont été construits pour prendre en compte leurs transformations au fil du temps. En d'autres termes, nous sommes toujours efforcés de resituer temporellement l'émergence et les évolutions du traitement médiatique des questions que nous souhaitions éclairer, qu'il s'agisse de thématiques politiques (ex. : médiatisation des acteurs politiques ; Lafon, 2000, 2009, 2012a) ou sociétales (ex. : médiatisation de maladies ou de catastrophes ; Lafon, 2007, 2011c). Nous souscrivons sur ce point aux préconisations de Bernard Miège, qui note qu’ « à raisonner sur le (très) court terme on court le risque de dissimuler les évolutions les plus significatives » (Miège, 2004, 18). En effet, comment pourrait-on éviter les erreurs d'interprétation sans la distanciation que permet le recul temporel ? Comme l'expliquait Fernand Braudel, le temps court, celui de l'événement, est bref et « explosif », il est « la plus capricieuse, la plus trompeuse des durées » (Braudel, 1958, 728). Difficile en effet de ne pas se laisser impressionner par l'irruption de l'événement. Or, la posture réflexive des sciences humaines et sociales nécessite cette prise de recul, cette focalisation sur un temps social plus large comme le propose la socio-histoire, démarche mobilisée dans diverses disciplines (science politique, sociologie par exemple).

1/ Une volonté d’élargir les bornes temporelles

Cette approche diachronique était déjà celle à laquelle nous nous étions appliqués dans notre thèse de doctorat consacrée à la télévision régionale, dans laquelle nous soulignions en introduction : « notre objet d’étude se situe sur un terrain volontairement

réduit - la région Midi-Pyrénées - mais aux implications multiples, car concernant une télévision publique nationale (bien que prétendument régionale) sur quatre décennies (de 1963 à

2000) » (Lafon, 2000, 9). La démarche adoptait une méthode comparative diachronique

de manière à construire des indicateurs du caractère national de la télévision régionale : mesure des événements politiques et acteurs politiques médiatisés par exemple. Certes, un certain nombre de limitations méthodologiques nous avaient imposé ce choix. Il aurait en effet été préférable de comparer l'ensemble des stations régionales de la troisième chaîne, et d'opérer pour toutes ou au moins certaines d'entre elles une analyse

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diachronique. Malheureusement, les difficultés d'accès aux archives et le volume d'informations à traiter nous avaient obligé à nous centrer sur un seul journal télévisé régional, celui de la station toulousaine. Malgré cette restriction, le corpus retenu pour l'étude comportait 7380 reportages sur la période 1963-1995. Ont ainsi pu être mesurés les tendances politiques observées à l'antenne, de même que les évolutions du personnel et des événements politiques médiatisés. Cette perspective a encore été élargie par notre ouvrage sur la télévision régionale, prenant en compte la période 1950-2012 (Lafon, 1950-2012d). Cette durée d'une soixantaine d'années n'est pour autant pas suffisante pour bien comprendre l'implantation de la télévision sur le territoire national, et il aura fallu recourir à des sources bibliographiques pour retracer le contexte de naissance de la télévision régionale : un contexte marqué par la présence de la radio (Méadel, 1994), mais aussi par l'existence de grandes administrations structurant le territoire (Braudel, 1986).

L’insuffisante extension de bornes temporelles n’est pas propre à l’historiographie d’un média, qu’il s’agisse d’une chaîne de télévision comme d’un titre de presse ou d’une station de radio. Elle devient plus problématique encore lorsque l’on traite de questions et de corpus ouverts, c’est-à-dire de « parcours » qui « construisent eux-mêmes l’unité autour de laquelle se construit leur corpus » (Bonnafous, 2006, 222). Ainsi, notre recherche sur la télévision face aux catastrophes et deuils collectifs cherchant à identifier des marqueurs de religiosité dans le discours journalistique télévisuel (Lafon, 2011c) a posé de multiples complications sur ce point. Quelle période prendre en compte ? Le corpus devait-il prendre en compte des catastrophes « au présent », dans le récit de leur déroulement médiatisé, ou devait-il inclure des catastrophes « au passé », en incluant une dimension commémorative et/ou mémorielle ? Là encore, l’étendue des corpus possibles nous a dissuadé de prolonger le questionnement au-delà de l’interrogation simple de la couverture télévisée des catastrophes « au présent » : « Ce

choix résulte d’un parti-pris : bénéficier d’un corpus homogène permettant la comparaison diachronique (par exemple, trois séismes ont eu lieu en Italie ; les accidents sélectionnés présentent deux séries de caractéristiques communes : tunnels et autocars), condition première d’une approche à dimension historique » (Lafon, 2011c, 2). Cependant, même en tenant compte de cette limitation, le caractère diachronique de l’étude s’est au final avéré insuffisant. La croissance au fil des décennies d’un lexique « à teneur religieuse » utilisé par les journalistes pour décrire des catastrophes de même nature (par ex. les séismes en Italie) était certes observable, mais le travail sur l’émergence et l’évolution de ce vocabulaire aurait nécessité un ancrage bien plus étendu que les 36 ans couverts par

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l’étude (1972-2007). Ainsi, à cette fin, nous aurions pu par exemple prendre appui sur les récentes recherches sur les récits médiatiques menées par Jocelyne Arquembourg, qui a intégré l’analyse du séisme de Lisbonne de 1755 pour la mettre en perspective avec le tsunami de décembre 2004 (Arquembourg, 2011).

On le voit, construire une approche diachronique dépasse de loin la périodisation d'un corpus et nécessite la prise en compte d'un contexte d'émergence trouvant ses racines dans des durées séculaires. Les recherches des historiens, socio-historiens ou de scientifiques d'autres disciplines produisant un travail historiographique sont dès lors d'un grand secours pour le chercheur en information et communication, aux prises avec un objet technique, ses pratiques et ses discours. Ce sont ces apports que ce mémoire va mettre en avant, puisque nos propres travaux ont pris cette dimension temporelle en compte, comme nous allons le montrer à présent.

2/ Quelles durées prises en compte ?

En ce qui concerne notre travail de recherche, malgré les limitations inhérentes à la faisabilité dont nous avons donné quelques exemples plus haut, il s’est agi la plupart du temps de construire des corpus présentant une profondeur de plusieurs décennies ou, tout au moins, permettant de saisir des évolutions récentes. Le tableau ci-dessous répertorie la plupart des objets d’étude que nous avons construits, en indiquant pour chacun d’eux la période considérée et, par voie de conséquence, la durée couverte par l’analyse (et donc les corpus).

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Tableau 1 – Publications et travaux. Périodes et durées prises en compte

Objet Période considérée Durée prise en compte (années) Télévision régionale 1963-2000 (thèse)

1950-2012 (ouvrage) 63 19/20, JT de France 3 1986-2012 27 Séries TV de France 3 2005-2011 7 Funérailles télévisées 1957-2011 55 Catastrophes 1972-2007 36 Fictions cancer 1975-2007 33 Site ina.fr 1997-2009 13 Vivement Dimanche, M. Drucker 1999-2010 12 Chantiers présidentiels maladies 1995-2008 24

Sur les neuf objets d’étude recensés dans ce tableau, un seul concerne une période de moins de 10 ans. Bien que cela ne constitue pas un indicateur extrêmement élaboré, en établissant une moyenne des durées prises en compte dans mes recherches publiées, on aboutit à la durée moyenne de 30 ans. A l’échelle du média télévisuel, cette durée est significative et montre une prise en compte de la diachronie dans notre approche de ce dernier. Revenons brièvement sur ces terrains d’étude, que nous regroupons en deux types : un type de terrain couvrant une temporalité « limitée », un second type couvrant une temporalité « exhaustive ». Nous allons présenter successivement ces deux types de terrain.

Contrairement aux terrains à temporalité exhaustive, les terrains d’étude dont la temporalité est limitée ne couvrent pas un objet (média, programme, type de diffusion) dans la totalité de son existence depuis son origine. Deux recherches entrent dans cette catégorie : les séries TV de France 3 et la couverture par les journaux télévisés des catastrophes et deuils collectifs. Concernant notre étude portant sur les séries télévisées diffusées sur France 3, il s’agissait de prendre en compte les meilleures audiences des fictions diffusées sur la chaîne en prime time sur les sept dernières années : « Notre point

Figure

Figure 1 – Communication, médiatisation et procès sociaux
Tableau 5 – Echelles et focales des études médiatiques
Tableau 6 – Concepts de l’expérience temporelle des individus

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