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Télévision et Histoire : des recherches à échelles variables

Après une première partie centrée sur nos propres travaux, cette deuxième partie - comme la suivante - va s’en écarter quelque peu (nous reviendrons sur nos propres recherches dans les chapitres 2 et 3) afin de présenter la manière dont les médias et la télévision ont été pensés dans leur inscription historique. Nous allons ainsi aborder la question épistémologique des approches diachroniques de la télévision et des médias, très variables comme nous allons le voir, en revenant sur trois points.

En premier lieu, nous aborderons deux approches ayant connu une activité éditoriale soutenue ces dernières années, ainsi qu’un succès public certain : la médiologie et les

médiacultures. Outre les néologismes (partie prenante de stratégies académiques), nous

évoquerons pour ces deux démarches des rapports aux temporalités diamétralement opposées conduisant à certaines impasses. Prenant acte de l'importation et de l'influence croissante des cultural et média studies en France, nous tâcherons dans un second temps de voir comment cet ensemble d'approches aux contours flous aborde la thématique « télévision et Histoire » dans des travaux récents en langue anglaise. Enfin, nous examinerons l'état de la recherche en France sur cette thématique. Nous nous rendrons compte alors à quel point l'historiographie du média télévisuel est active et les publications variées en termes d'objets de recherche.

I. Approches médiatiques en butte avec le temps : des impasses stimulantes ?

Dans cette première partie consacrée aux difficultés de certaines approches liées au temps, notre objectif est d’observer comment ce dernier peut constituer pour certains auteurs et groupes de recherche un oubli aboutissant à un certain présentisme, ou au contraire un point de focalisation abusif. Les travaux auxquels nous allons faire allusion nous paraissent porteurs de ces impasses, mais comme nous l’avons indiqué dans le titre de cette partie, ces impasses peuvent s'avérer stimulantes du point de vue des problématisations qu'elles proposent. Elles auront en tous les cas le mérite de nous obliger à mieux définir la temporalité de l'analyse. En effet, dans un cas comme dans l’autre, il nous semble que le temps doit être pris en compte et discuté en tant que variable de l’analyse, afin de passer d’une « approche historique » [ou d’une approche

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sociologique a-historique, ndlr.] à une approche sociologique évolutionnaire » (Elias, 1984, 238).

Nous allons discuter ce point en évoquant tour à tour certaines approches diachroniques globalisantes qui continuent à intéresser les éditeurs de SHS (essentiellement la médiologie), puis une approche synchronique centrée sur les enjeux contemporains de la culture et des médias, les médiacultures.

1/ Des approches diachroniques globalisantes

Nous souhaitons désormais évoquer certains problèmes – déjà largement discutés dans la communauté scientifique – liés à une historicisation (trop) large et trop lâche des médias. En effet, certains auteurs ont fait du questionnement historique sur les médias un objectif en soi, au point de faire de la méthode de recherche un point secondaire, privilégiant un point de vue culturaliste et érudit à une démarche scientifique en sciences sociales. Il se s’agit pas ici de réitérer une énième critique de ce genre d’approches, mais avant tout de voir au final ce que l’on pourrait retenir à la fois de ces textes et des commentaires qu’ils ont suscités.

Après avoir réexaminé attentivement l’ouvrage sans cesse réédité de Marshall Mc Luhan, Pour comprendre les médias (1964), nous avons choisi de ne pas en faire état ici, en raison d’un simple constat : ce livre, véritable mythologie médiatique, ne peut faire l’objet d’une démarche critique scientifique rigoureuse, étant lui-même en dehors de cette catégorie d’écrit. En revanche, il est évident que son effet d’amorçage en termes d’études médiatiques fut considérable, des Etats-Unis à la France. Ainsi, dans son ouvrage Se distraire à en mourir publié en 1985 (et traduit en 2010 en France), Neil Postman reprend la célèbre formule Mc Luhanienne pour la reformuler en « le média est la métaphore », signifiant que les médias imposent par la forme qu’ils donnent aux conversations une définition de la réalité, qui est propre à chaque civilisation : ce faisant, le discours « cohérent, sérieux et rationnel » sous le « règne de l’imprimerie » devient-il selon l’auteur « appauvri » et « absurde » sous celui de la télévision (Postman, 2011, 35). Cette référence initiale à Mc Luhan n’est pas le seul apanage d’auteurs anglo-saxons. En France, Régis Debray dans son Introduction à la médiologie présente ainsi la formule « the medium is the message » comme « le starter de la méthode » (Debray, 2000, 33).

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Beaucoup a déjà été écrit sur la médiologie (par exemple Miège, 1995 et 2004, Bautier, 1994, Cormerais, 2002). Nombre d’auteurs en sciences de l’information et de la communication comme dans d’autres sciences sociales ont critiqué le projet médiologique, qui se fondait lui-même sur une démarche « disciplinaire » ainsi que Régis Debray le défendait dans son Introduction à la médiologie (Debray, 2000, 139 et s.). Pourquoi alors vouloir y revenir ? Simplement pour prendre acte de la validité du questionnement, à défaut de validité scientifique.

Après un premier essor au cours des années 1990, une relance au cours des années 2000 avec l’Introduction précitée et le retour critique des SIC comme le montrait l’atelier consacré à l’Histoire lors du congrès 2002 de la Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication (SFSIC), un rapide bilan peut être tiré de l’expérience médiologique.

Bilan éditorial tout d’abord. La médiologie s’est dotée d’outils de parution à forte visibilité académique et médiatique, et a sur ce point réussi à visibiliser un point de vue, porté par la notoriété de son fondateur. Mais ce bilan apparaît mitigé pour cette même raison, la « discipline » n’étant discutée que dans quelques ouvrages, qu’une actualité éditoriale peine à réactiver (cf. site médiologie.org) : ceux de Régis Debray, de Daniel Bougnoux, ou encore Les Cahiers de médiologie : Une anthologie, paru en 2009 afin de redonner à cette revue défunte une visibilité éditoriale. Enfin, la collection Le Champ

médiologique, dirigée par Régis Debray aux éditions Odile Jacob, a publié ses principaux

textes entre 1997 et 2000. On peut d’ailleurs se demander si sur le plan de l’activité éditoriale, un intellectuel (Bernard Stiegler) et un collectif (Ars Industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit) n’en ont pas chassé un autre, réitérant les impasses de l’essayisme savant, très présent en France dès qu’il s’agit d’interroger la culture et les médias (cf. Finkielkraut, 1989).

Bilan académique ensuite. Liée à l’activité éditoriale, l’activité académique se poursuit sans l’essor des années 1990. Le bilan interroge les médiologues eux-mêmes, comme le montre l’ouvrage coordonné par Stéphane Spoiden en 2007, qui tente notamment d’analyser les insuccès de la pensée de Régis Debray outre-Atlantique et avance comme explication la forte institutionnalisation des cultural et media studies, ainsi que l’usage de la French Theory (Derrida, Baudrillard, de Certeau, Foucault…) (Spoiden, 2007, 92). Bilan scientifique enfin. Certes, la médiologie a proposé de questionner frontalement la technique et les phénomènes de transmission. Ce sont là ses principaux apports, nous y

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reviendrons. Mais, ainsi que l’analyse Franck Cormerais, professeur à l’université Bordeuax 3, la médiologie passe sous silence « l’économisme contemporain » : « il paraît surprenant que la médiologie se prive du processus d’accumulation pour penser la transmission. En effet, pas de transmission sans accumulation et, inversement, pas de d’accumulation sans transmission » (Cormerais, 2002, 380). Ce faisant, la médiologie se prive d’une analyse plus poussée des conditions d’émergence des techniques, et notamment des TIC, dans un contexte largement industrialisé, chantier que les SIC ont en revanche ont continué à développer via les analyses de l’industrialisation de la culture, de l’information et de la communication (ICIC). Autre problème, et non des moindres, celui d’une insuffisante prise en compte de l’épistémologie historique (champ que ce mémoire d’HDR tente d’intégrer). Cependant, le projet de recherche de la médiologie, en dehors de son incomplétude et de choix conceptuels et méthodologiques en marge des sciences humaines et sociales, a des atouts à faire valoir. Au premier chef, l’interrogation sur le temps long ainsi que le rappelle Daniel Bougnoux, non sans céder à une définition normative de la communication :

« Aujourd'hui la communication menace d'écraser la transmission, et nous valorisons la géographie (la conquête de l'espace) au détriment du temps historique, réduit au seul présent. Le médiologue se posera donc en défenseur de la transmission et en gardien de la profondeur historique. (…) La médiologie pourrait donc apporter aux sciences de l'information et de la communication une réelle profondeur historique, et une réflexion ou une mise en garde quant à l'insertion transcendantale de notre condition dans la longue durée de l'histoire. Ce qui nous distingue des animaux, ou le propre de notre nature, c'est en effet la transmission, c'est-à-dire l'accumulation d'un capital symbolique et technique au fil des générations » (Bougnoux, 2007, 27).

Les interrogations médiologiques recoupent par conséquent celles de l’anthropologie - voire de la paléo-anthropologie -, et l’on trouve retrouve chez Régis Debray comme chez Bernard Stiegler maintes références à l’œuvre d’André Leroi-Gourhan. En cela, la question technique peut révéler un certain déterminisme, que Roger Bautier a pointé en expliquant qu’il résidait dans une « insistance (…) sur les caractères fondamentaux de l’espèce humaine (d’ailleurs éventuellement discutables) » (Bautier, 1994, 21). Malgré cela, si propre de l’homme il y a, il se peut qu’il soit à rechercher dans la capitalisation culturelle de ces modes de transmission. Autrement dit dans une économie et une sociologie propres, qu’ont été étudié depuis quelques décennies déjà anthropologues, sociologues, historiens ou encore chercheurs en SIC (cf. notre partie sur les processus

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socio-politiques, Partie 2, chapitre 1). A ce titre, l’étude de la communication incluant les transformations des modes de transmission semble toujours pertinente, et nos questionnements initiaux - et donc nos objectifs de « découverte scientifique » - ne semblent donc pas si éloignés de la médiologie. A ceci près qu’il s’agit d’ancrer nos analyses dans ses terrains bien délimités, avec des méthodologies adaptées et clairement définies (cf. supra), ce qui correspond peu ou prou à apporter une réponse aux questions que Bernard Miège avait adressées à Régis Debray lors de la parution de son Cours de Médiologie Générale (Miège, 1992, 132) :

« - le souci de présenter des vues d'ensemble, d'une part, et la volonté de procéder à des analyses approfondies du développement de la communication, d'autre part, sont-ils des approches inconciliables ? Si le travail de l'essayiste permet dans bien des cas d'ouvrir la voie, est- il suffisant pour fonder et valider des assertions portant sur des problèmes si essentiels au devenir des hommes et des sociétés ?

- s'il est en effet pertinent d'opérer un renversement des perspectives de l'histoire culturelle ou de l'histoire des idéologies, en prenant en compte le rôle et l'efficacité des supports de transmission, faut-il pour autant passer d'un extrême à l'autre en remplaçant le primat de la culture par le « matiérisme » médiologique ? Autrement dit, pourquoi ne pas choisir la perspective intersciences des sciences de la communication quand elles se donnent effectivement pour but de relier supports/contenus, discours, stratégies des acteurs, sémiologie/sociologie ou histoire, écriture des messages/logiques techniques ? »

Vingt ans après que ces questions aient été posées, notre objectif de recherche consiste, en accord avec ces formulations, à concilier une vue de temps long sur l’évolution de la communication avec des études précises sur certains médias (en l’occurrence la télévision), tout en adoptant une perspective interdisciplinaire (qui est celle des SIC) liant contenus et institutions, matérialisme et discours. C’est ce dernier point que nous allons traiter dans une partie suivante, partant du constat de Stéphane Spoiden que « la médiologie de Debray, tout comme la réflexion de Williams et Thompson s’élabore à partir d’un silence de Marx » (Spoiden, 2007, 98). Nous montrerons alors que ce silence n’est pas si évident, comme le prouve l’approche d’Yves de la Haye. Pour l’heure, après la médiologie, venons-en à discuter une autre démarche s’intéressant aux médias et à la culture, mais cette fois-ci dans une échelle temporelle réduite : les médiacultures.

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2/ Approches synchroniques de la contemporanéité : les « médiacultures » en question

Avant de passer en revue certains choix théoriques et méthodologiques des recherches initiées par quelques auteurs se réclamant d’une « sociologie postcritique des médias », autodénommée « médiacultures », il convient de rappeler que le champ de la sociologie de la télévision en France fut jusqu’aux années 1980 singulièrement limité. Bien que la traduction et la publication de d’écrits en cultural studies britanniques par l'équipe de Pierre Bourdieu (R. Hoggart notamment) aient « déverrouillé » certains aspects de la recherche reliant les contenus médiatiques à l'économie politique de la communication, il n'y a pas eu en France de réel développement d'analyses sur ce point. Les sciences de l’information et de la communication, fondées dans les années 1970, n’ont pas davantage réussi à engager de manière suffisamment coordonnée un tel chantier, malgré quelques percées dans les années 1980 (notamment au sein du GRESEC, sous l'impulsion d'auteurs comme Yves de la Haye ou Bernard Miège, cf. infra, partie 2, chap. 1, I).

Des lors, on comprend mieux que la sociologie se soit saisie progressivement des objets d'études constitués par les médias de masse. Le courant des « médiacultures » est issu de ce phénomène de rattrapage disciplinaire. Plus en amont, cette démarche se réfère aux travaux fondateurs d'Edgar Morin dans les années 1960 (L'esprit du Temps, 1962) et, aujourd'hui, toute une génération de chercheurs en sociologie se tourne vers l'analyse de la culture véhiculée par les médias, notamment la télévision. Ainsi que le note Éric Maigret (professeur, université Paris 3), « la sociologie (de la culture, des mouvements sociaux) modifie son court en se tournant clairement vers les médias de masse avec les travaux de Dominique Cardon, Sabine Chalvon-Demersay, Éric Macé, Éric Maigret, Dominique Mehl, Patrick Mignon ou Dominique Pasquier » (Maigret, 2003, 158). Parmi ces chercheurs, certains (notamment Éric Maigret Éric Macé) ont défini ces dernières années une démarche originale visant à importer les acquis des cultural studies et de certains courants sociologiques français jusqu’alors marginaux, afin de se livrer à une analyse renouvelée des médias de masse et du plus visible d'entre eux : la télévision. Cette démarche est aujourd'hui nommément assumée et mise en avant, il s'agit des « médiacultures ». Quels en sont les principaux tenants et aboutissants ? Il nous semble que cet ensemble de recherches, très actives ces dix dernières années, repose sur la

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mobilisation d’au moins quatre types de ressources, qui par ailleurs sont communes à toute discipline ou champ de recherche en voie de visibilisation :

- une filiation théorique, - une démarche conceptuelle, - une démarche méthodologique, - une politique de publication active.

Concernant l'affiliation théorique, ce type d’approche est avant toute une approche sociologique. Éric Macé a un parcours disciplinaire en effet centré sur cette discipline, avec une thèse de doctorat soutenue sous la direction d’Alain Touraine en 1994, intitulée Sociologie de la télévision, sociologie de l'expérience. La sociologie des mouvements sociaux et de l'intervention sociologique d’Alain Touraine propose ainsi une réflexion critique sur la modernité comme un changement dans la position occupée par les individus. On comprend dès lors mieux que les médias sont appelés à jouer un rôle dans ce positionnement. Nous allons reproduire ci-dessous pour les mettre en parallèle des extraits d’un ouvrage d’Alain Touraine, Critique de la Modernité (1992), et d’un ouvrage d’Eric Macé, Les Imaginaires Médiatiques (2006), afin de percevoir les points communs de leurs positionnements. Pour ce faire, nous allons procéder à deux citations assez longues, mais dont la juxtaposition nous semble démonstrative d'une historicisation implicite - à défaut d'être explicite et partie prenante de la démonstration scientifique - de ce type de recherche. Commençons par les propos d'Alain Touraine :

« Nous voici parvenus au point de départ de ce livre. Si nous refusons le retour à la tradition et à la communauté, nous devons chercher une nouvelle définition de la modernité et une nouvelle interprétation de notre histoire « moderne », si souvent réduite à la montée, à la fois nécessaire et libératrice, de la raison et de la sécularisation. Si la modernité ne peut pas être définie seulement par la rationalisation et si, inversement, une vision de la modernité comme flux incessant de changements fait trop bon marché de la logique du pouvoir et de la résistance des identités culturelles, ne devient-il pas clair que la modernité se définit précisément par cette séparation croissante du monde objectif, créé par la raison en accord avec les lois de la nature, et du monde de la subjectivité, qui est d’abord celui de l'individualisme, ou plus précisément celui d'un appel à la liberté personnelle ? La modernité a rompu le monde sacré, qui était à la fois naturel et divin, transparent à la raison et créé. Elle ne l'a pas remplacé par celui de la raison et de la sécularisation, en renvoyant les fins dernières dans un monde que l'homme ne pourrait plus atteindre ; elle a imposé la séparation d'un Sujet descendu du ciel sur terre, humanisé, et du monde des objets, manipulés

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par les techniques. Elle a remplacé l’unité d'un monde créé par la volonté divine, la Raison ou l'Histoire, par la dualité de la rationalisation et de la subjectivation. (…) Comment recréer des médiations entre économie et culture ? Comment réinventer la vie sociale et en particulier la vie politique, dont la décomposition actuelle, presque partout dans le monde, est le produit de cette dissociation des instruments et du sens, des moyens et des fins ? Tel sera plus tard le prolongement politique de cette réflexion » (Touraine, 1992, 15-17)

Ainsi, la conception de la modernité défendue par Alain Touraine est celle d'une dualité des individus, tiraillés entre rationalisation et subjectivation, dans un monde où « tradition » et « communauté » ne sont plus des références. Dans le prolongement de cette vision d’individus aux prises avec l’incertitude (contexte dans lequel la sociologie a un rôle actif à jouer pour ce sociologue), Eric Macé pour sa part se propose d’analyser comment les modes de production des représentations culturelles accompagnent et médiatisent de nouveaux rapports sociaux. L’extrait que nous reproduisons ci-dessous nous semble ainsi prolonger tout naturellement le précédent :

« La production des représentations culturelles communes a longtemps été le monopole des institutions : la Tradition, Dieu, l'État. Depuis la fin du XIXe siècle, elles sont aussi, et principalement, le fait du marché, via les industries culturelles et ce que j'appelle les médiacultures, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux et des expériences médiatisées par les représentations médiatiques et leurs usages. Typique des mutations historiques postindustrielles, les médiacultures auront ainsi alimenté l'imaginaire collectif et accompagné le passage des sociétés modernes, celles des États-nations et du travail industriel, aux sociétés d'une seconde modernité, celles de l'individualisme incertain et détraditionnalisé, celles de l'interconnexion transnationale des réseaux, des marchés, des identités et des risques » (Macé, 2006, 12).

« La tradition et la communauté » vs « La Tradition, Dieu, l’Etat », « Post-modernité »

vs « seconde modernité » (mutation postindustrielle), « individualisme incertain » vs « dualité de la rationalisation et de la subjectivation », les parallèles sont nombreux et