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L’articulation du temps social médiatique aux temps vécus médiatisés permet de comprendre comment la télévision, institution construite pour une grande part étatiquement, est devenue le point de rencontre de pratiques sociales convergentes, de la part d'acteurs situés dans différents champs sociaux. Ce terme de « convergentes » est à prendre au sens strict : le discours télévisé est un point de rencontre de différentes stratégies, qui ont trouvé un intérêt commun dans une pratique médiatique particulière. Ainsi, par exemple, tel reportage d'un journal télévisé signe un accord tacite entre les différentes catégories d'acteurs concernés par cette forme de mise en discours, publiquement diffusé (acteurs médiatiques et hors média ayant intérêt à une médiatisation). Mais on pourra aussi considérer ce même reportage du point de vue des acteurs sociaux le consommant et en faisant usage : quels publics et, surtout, pourquoi une telle consommation ?

C’est ici que se loge le phénomène médiatique, et l’analyse de l’évolution des pratiques du média, notamment à travers ses discours, peut certainement nous renseigner sur son utilité sociale, sur les processus socio-politiques dont il est l’instrumentation. Institutionnalisation d’une technique médiatique (voire innovation technique) et pratiques médiatiques sont indissociablement liées, et une problématisation s’intéressant à ce lien permet d’éclairer les enjeux sociaux du média plus sûrement qu’une analyse spécialisée, comme l’explique P. Flichy :

« La plupart des historiens de la technique ne s'intéressent pas aux usages des nouvelles machines. Ils considèrent que ceux-ci se déduisent quasi mécaniquement de la technique. À l'inverse, les sociologues des usages ignorent souvent les questions techniques. Pour eux l'objet technique est une boîte noire. Ils étudient comment il se diffuse chez les utilisateurs, comment ceux-ci se l'approprient, mais l'usage n'a pas d'impact sur la technique, il s'agit de deux mondes séparés. A mon sens, pour progresser dans l'étude des machines à communiquer, il est essentiel de dépasser cette coupure entre ces deux domaines des sciences sociales » (Flichy, 1991, 51).

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I. Investissements croisés : les crédits des champs politique et médiatique

Pour initier notre approche de la télévision considérée comme une expérience socio-historique, nous allons d'abord nous focaliser sur certains acteurs participant à cette communication télévisuelle, en laissant provisoirement de côté les « publics » (que nous aborderons dans la partie suivante) : ceux qui ont un intérêt à y diffuser des informations, quelle que soit leur nature. Ces acteurs sont de deux ordres : les acteurs internes aux médias, ainsi que d'autres acteurs, externes à ces derniers. Afin de clarifier ce point, pour caractériser ces différents types d'acteurs, le concept de champ social défini par Pierre Bourdieu peut être convoqué : « Les champs se présentent à l'appréhension synchronique comme des espaces structurés de positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles) » (Bourdieu, 1984, 113). Ainsi, on voit coexister de manière synchronique différents champs sociaux à l'intérieur desquels des acteurs occupent des positions, champs qui par ailleurs structurent l'espace social dans son ensemble. Au cours de nos différentes recherches, nous avons travaillé essentiellement sur deux champs : le champ politique et le champ médiatique. Ce sont les interactions entre ces champs, leurs impositions respectives, leurs concurrences et leurs interdépendances que nous nous sommes efforcés d'éclairer à travers l'analyse de certains objets sociaux (construction d’un média territorialisé, la télévision régionale, mises en scène de représentants politiques, récits et interventions lors de catastrophes, question sociale des maladies…). Nous allons à présent présenter les différents points qui nous ont intéressé, en abordant d'abord la question des déterminants poussant ces acteurs sociaux à communiquer médiatiquement (questions du crédit et du capital symbolique), puis en nous focalisant sur un objectif croissant de ces interventions et investissements : les causes sans adversaires, thématiques éminemment consensuelles.

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1/ Les relations d’échanges des acteurs médiatiques et politiques

Ayant placé notre réflexion sur les interventions télévisuelles des acteurs sociaux sous l'angle d'une explicitation de leurs motivations, nous avons dès notre thèse de doctorat pu apprécier le travail conceptuel de Pierre Bourdieu. En effet, comprendre l'institutionnalisation des médias (le « pourquoi ») nécessite de notre point de vue la compréhension de leur rôle social profond, perceptible dans les motivations de leurs usagers : à la fois les acteurs amenés à s'y exprimer, à s’y investir et les acteurs amenés à consommer et à faire usage de ces discours (les publics). C’est pourquoi nous considérons que le questionnement des investissements auxquels donne lieu la communication médiatique doit nous rapprocher de la sociologie de Pierre Bourdieu, notamment de concepts développés initialement dans Ce que parler veut dire (1982, publié dans une version augmentée depuis : Langage et pouvoir symbolique, 2001), ainsi que dans certains articles de la revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales de la même période (notamment Bourdieu, 1981). Ainsi, nous partirons d'une conception des échanges communicationnels médiatisés fondée sur les notions de marchés, d’échanges, de capitaux et d’investissements, partant du principe que « les discours ne reçoivent leur valeur (et leur sens) que dans la relation à un marché, caractérisé par une loi de formation des prix particulière » (Bourdieu, 2001, 100).

Notre point de départ est né d’un rapprochement conceptuel entre :

- les investissements des acteurs médiatiques : économiques, l’activité médiatiques étant une industrie au sens propre (le Gresec a sur ce point une tradition de recherche historiquement ancrée), mais aussi symboliques ;

- les investissements des acteurs politiques : essentiellement symboliques (les acteurs politiques n’étant pas directement partie prenante du procès de marchandisation), mais aussi commerciaux dans une certaine mesure, comme nous allons le définir ci-après.

Ce rapprochement en termes d’investissements laisse entendre l’existence d’une industrie commune, comme nous le pensions en 2009 : « Acteurs politiques et médiatiques

(du divertissement comme de l’information) se trouvent par conséquent impliqués dans des logiques croisées et construisent ce faisant une industrie commune, qu’il s’agit d’analyser avec le cas du passage d’Olivier Besancenot chez Michel Drucker » (Lafon, 2009). En réalité, il n’en est rien, il ne nous apparaît pas aujourd’hui qu’il existe une industrie commune entre

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ces acteurs18. En 2012, nous avons ainsi reformulé cette proposition en ces termes :

« S’ils ne sont pas d’une même nature conceptuelle, ces derniers peuvent toutefois être mis en relation pour faire émerger les interactions liant acteurs politiques et médiatiques au sein d’une économie relationnelle commune et de buts partagés : il s’agit alors de s’interroger sur la nature de leurs investissements respectifs » (Lafon, 2012a, 61). Ainsi, force est de constater l’existence d’intérêts communs entre acteurs des champs médiatique et politique, que nous allons tenter d’éclairer à la lumière des processus sociaux définis dans la partie précédente.

Les intérêts de la télévision sont ainsi avant tout marchands, puisqu’elle est intrinsèquement une industrie ayant pour intérêt de maximiser son audience, prise dans un procès de marchandisation, d’abord sous monopole d’Etat (constitution de la RTF en établissement public à caractère industriel et commercial le 4 février 1959), puis dans le giron de quelques groupes-médias, eux-mêmes filiales d’entreprises issues pour la plupart des travaux publics : Bouygues, CGE, Lyonnaise des Eaux, plus récemment Bolloré. Les approches de la télévision comme industrie culturelle, propres à l’économie politique de la communication, sont alors nécessaires pour comprendre le contexte d’essor des chaînes de télévision, de même que, plus généralement, la mise en place du média, soutenu par un Etat français gagné à l’utopie du progrès industriel dès le XIXe siècle ainsi que l’a analysé en profondeur Armand Mattelart dans L’invention de la

communication (Mattelart, 1997). Ces questions étant aussi à rattacher à la création de valeur et aux modes de financement de la télévision, les chaînes apparaissant de plus en plus comme des « enseignes de grande distribution » de contenus. A ce titre, la télévision « met en rayon » des produits culturels, elle diffuse ce que les producteurs externes lui fournissent, bien que le développement de « marques distributeurs » soit la stratégie la plus rémunératrice. Nous avons rencontré cette logique d’externalisation à plusieurs reprises au cours de nos recherches sur la télévision, notamment les cas de France 2 achetant à la société DMD de Michel Drucker l’émission Vivement Dimanche, ou

18 Ce rapprochement est à valeur heuristique, il est un outil de réflexion pouvant aider à identifier des intérêts communs. Un échange avec B. Miège en 2010 nous avait éclairé sur ce point : industries culturelles et « industrie » politique ne sont pas de même nature. Les premières sont acteurs d’un secteur économique organisé, tandis que la seconde est un ensemble de pratiques et d’institutions professionnalisés qui, si elles sous-tendent une logique économique et budgétaire, ne présentent ni des structures, ni des finalités comparables.

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encore France 3 cherchant à renouveler les genres de programmes liés au local en lançant en 2012 une série de « fiction-réalité », Si près de chez vous, produire par 909 productions, filiale du groupe Lagardère (Lafon, 2012d).

Quant aux intérêts des acteurs politiques à prendre part à un processus de médiatisation, ils sont certes divers mais ont été bien perçus les sociologues et les politistes qui ont tenté de les qualifier. Dans ces diverses tentatives, le vocabulaire mobilisé en particulier par les politistes nous renvoie à celui des économistes comme nous le remarquions dans notre analyse relative à la participation d’O. Besancenot à l’émission de M. Drucker : « Capital, ressources, marché politique, second marché politique,

entrepreneurs politiques, marque politique, entreprises politiques : autant de termes supposant l’existence d’une « industrie politique ». Le politique, domaine du service public, peut-il être assimilé à une industrie, dont l’entreprise privée constitue l’un des fondements ? Ces termes constituent-il des concepts opératoires ou sont-ils autant de métaphores faisant écran au travail d’analyse ? » (Lafon, 2009). Il nous semble que la réponse est double :

- il s’agit de concepts réellement opératoires si on les limite à leur appréhension sociologique ;

- ces concepts ne peuvent être opératoires que si on les utilise pour analyser des configurations précises d’échanges et d’investissements.

En effet, on ne peut pas considérer le politique comme une industrie ou un marché sur lequel pèseraient des contraintes commerciales et une marchandisation croissantes, sauf à avoir une vue faussée de ce champ social. D’ailleurs, le politiste Daniel Gaxie proposait une analyse et une définition limitative de la notion de « marché politique » en ces termes : « les champs politiques (en relation avec les autres milieux de spécialistes) apparaissent (…) comme la structure d’offre d’un marché politique, c'est-à-dire d’un espace de transactions entre les agents politiquement actifs et les profanes. (…) Dans tous les cas, le marché politique est un lieu abstrait, construit pour l’analyse » (Gaxie, 1993 : 23-24). La prudence de D. Gaxie est louable, mais nous proposons ici de développer ces concepts liés aux « marchés politiques » afin de les rendre opératoires et de dépasser cette abstraction.

Ainsi, considérer les compétitions politiques et commerciales dans les enjeux qu’elles construisent en commun peut permettre de mieux cerner leurs modes de fonctionnement. Ce rapprochement a animé nos recherches consacrées à la médiatisation du personnel politique, local à la télévision régionale et national dans le

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cadre d’émissions divertissantes (Vivement Dimanche) ou d’informations (lors de l’annonce de plans de lutte contre les maladies ou lors de catastrophes collectives). Lors de ces enquêtes, les notions de capital politique et d’investissements furent définies et mobilisées pour expliquer les évolutions et mutations des interventions médiatiques des acteurs politiques : par exemple, le fait que Jacques Chirac initia la pratique de faire d’une maladie (le cancer en l’occurrence) un chantier présidentiel, suivi en cela par Nicolas Sarkozy sur la maladie d’Alzheimer, nous apparut comme la résultante d’investissements changeants, pour des raisons à la fois institutionnelles et personnelles (Lafon & de Oliveira, 2012). Nous reviendrons sur ces analyses dans la partie suivante. Pour l’heure, bornons-nous à reprendre nos définitions.

Notre pratique d’enseignement nous a en effet amené, pour expliquer à des étudiants de première année de licence la notion de « communication », à distinguer « commerce » (échange de biens et de services) et « communication » (échange d’informations et d’idées), ces deux types d’interactions pouvant prendre la forme d’échanges directs (troc et communication interpersonnelle) ou médiatisés (économie monétaire et communication médiatisée). Un détour par l’étymologie peut permettre de clarifier notre usage de ces notions. Ainsi, les deux termes présentent le même préfixe,

com- (du latin cum, signifiant avec). Mais si l'on consulte le dictionnaire étymologique

établi par Jacqueline Picoche (Picoche, 2002), les deux mots ne présentent pas la même origine. Le concept de « commerce » apparaît ainsi issu du latin mercx, mercis, soit la

marchandise, donnant aussi bien les termes de marché, de mercenaire, que de commerce : ce dernier terme, établi au XIVe s., désigne ainsi initialement les « relations sociales ». Le terme de « communication », pour sa part, se fonde sur une racine indo-européenne,

mei-, ayant donné les verbes muer ou commuer signifiant initialement changer, échanger. Le mot communication, apparu comme commerce au XIVe s. dans la lignée de commun au IXe s., signifie par conséquent « mettre en commun », puis « être en relation ». Ainsi, comme nous l’enseigne ce retour sur l’étymologie, commercer, c’est avant se focaliser sur un échange de marchandises et donc de valeurs tandis que communiquer, c’est échanger dans un souci d’influence sur soi-même et autrui. Cependant, ces deux types d’actions revêtent des aspects stratégiques sans que l’on doive préjuger de leur équité. Ces deux types d’échanges sont également présents dans les divers champs sociaux. Le tableau suivant décrit ces échanges dans le champ politique et dans le champ économique, que l’on appliquera au domaine des médias dans la partie suivante.

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Tableau 7 – Les relations de commerce et de communication dans les champs économique et politique

Champ politique Champ économique

Relations de

commerce

(matériel)

Echanges de services (protection, sécurité, redistribution vs

renoncement à la violence, versements imposés…) réglés par le droit constitutionnel

Echanges de marchandises et de services, éventuellement

monétisés, réglés par un droit privé des affaires

Relations de communication (idéel)

Echanges idéologiques, reconnaissance d’un pouvoir légitimé, incorporation de normes et construction d’une communauté

Echanges idéels visant

l’établissement d’une relation de confiance (fidus), accord minimal fondant un échange commercial (contractualisation)

Les implications d’une telle conception croisée commerce-communication (nous mettrons commerce en italique pour signifier que seule la dimension étymologique du terme nous concerne) permet de distinguer les modalités des échanges : pour reprendre les concepts de M. Godelier, la communication est le versant idéel des échanges humains, le commerce en étant le versant matériel. Cette distinction initiale se fonde sur la définition précédemment établie des procès sociaux d’appropriation de la nature (production vs communication), ces procès concernant les différents champs de la société (dont les champs économique et politique). Bien que nous n’ayons pas alors souligné cette distinction, nous avions pourtant observé les échanges sur ces deux plans dans nos analyses de la participation des acteurs politiques à des émissions télévisées (informations ou divertissements). Au niveau des échanges matériels, bien qu’indirectement observables dans les discours médiatiques, il s’agit essentiellement pour le champ politique des mesures prises dans le cadre de politiques publiques et, pour le champ médiatique, de la commercialisation de ses discours diffusés. Au niveau des échanges idéels, il s’agit pour le champ politique d’une mise en représentation de ses attributs (acceptés et reçus par des publics), et pour le champ médiatique de la consolidation de sa prétention à diffuser des discours acceptés par des publics. Ainsi que l’a défini P. Bourdieu, « l’échange linguistique est aussi un échange économique, qui s’établit dans un certain rapport de forces symbolique entre un producteur, pourvu

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d’un certain capital linguistique, et un consommateur (ou un marché), et qui est propre à procurer un certain profit matériel ou symbolique » (Bourdieu, 2001, 99).

En réalité, au vu de cette citation, il est bien évident que ces deux plans, échanges

commerciaux et communicationnels, sont entremêlés, mais cette opération de distinction

nous permet de décrire plus finement la nature des échanges mis en évidence dans nos études de cas.

2/ Investissements croisés : les causes sans adversaires, des spéculations symboliques croissantes ?

Les remarques qui suivent sont fondées sur nos analyses de l’émission de M. Drucker (2009, 2012a), ainsi que les interventions politiques liées à la lutte contre les maladies (Lafon & Romeyer, 2008 ; Lafon & de Oliveira, 2012). Les échanges en termes de

commerce et de communication lors de ces diverses situations sociales que nous avons

étudiées se traduisent par la mise en œuvre d’investissements des acteurs médiatiques et politiques concernés, comme nous le soulignions avec le cas de l’invitation d’O. Besancenot chez M. Drucker, alors que nous cherchions à « comprendre les stratégies

communicationnelles croisées d’acteurs médiatiques et politiques, leurs investissements réciproques visibles par leurs discours : du côté des médias, divertissements télévisuels et journalismes politiques cherchent à maximiser leurs audiences et à se crédibiliser auprès de leurs publics, tandis que du côté des acteurs politiques, partis et représentants cherchent à conquérir de nouveaux électeurs et à incarner un pouvoir accepté » (Lafon, 2009).

Ce que nous n’avions pas alors précisé, c’est la réalité propre de ces échanges et investissements. Opérons donc à présent cette distinction conceptuelle entre échanges matériels relevant d'un procès de production et échanges idéels relevant d’un procès de communication. Concernant les premiers, les échanges portaient sur une offre de temps d'antenne (appartenant au service public de télévision, et sous-traitée à un opérateur privé, la société DMD de M. Drucker) troquée contre la notoriété d'un acteur politique, garante de la constitution d'un groupe de téléspectateurs constituant un public par l'application d'un instrument de mesure d'audience (statistiques établies par la société Médiamétrie). Ainsi que notre entretien avec M. Drucker l’avait mis en évidence, cette ressource commerciale est bien perçue et fortement valorisée : « La consécration vient du

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trois heures, il n'y en a aucune. Sans interruption publicitaire » (M. Drucker, in Lafon, 2009). Le positionnement de M. Drucker nous apparaissait alors comme une cause explicative majeure : « Détenteur de ces ressources fortement valorisées, M. Drucker s’institue désormais

en relais d’acteurs politiques de stature nationale, dont les invitations sont soigneusement choisies, notamment parce qu’elles restent rares » (Lafon, 2012a, 67). Dans le même temps, des échanges proprement communicationnels étaient à l'œuvre, les investissements en ce domaine ayant pour but comme nous l'avons vu précédemment une influence : influence recherchée évidemment sur les publics par l'acteur politique lui-même, qui cherchait alors à se « notabiliser », influence recherchée de même par les acteurs médiatiques (Michel Drucker, ainsi que les journalistes de presse écrite), qui se posaient alors en animateurs pertinents du débat public.

Ainsi, il apparaît que les échanges commerciaux se développent entre les producteurs des discours diffusés que sont à la fois les médias et les acteurs politiques, et les publics qui consomment, mais offrent en échange le fait d'être quantifiés par des statistiques d'audience (et donc indirectement d'apporter une valeur économique aux médias audiovisuels). Dans le même temps, des échanges proprement communicationnels, que l'on peut qualifier de symboliques, se développent, participant de la nature commerciale de ces transactions. Cette double nature des échanges sociaux médiatisés marque, comme l’indique Andrew Milner pointant les convergences entre Raymond