• Aucun résultat trouvé

L'objectif de ce premier chapitre est de qualifier l’ancrage macro-social de la télévision sur le temps long en montrant les logiques du soutien étatique et industriel à ce média depuis ses origines. L'analyse du temps social médiatique se fonde comme nous l'avons vu sur une focale macro, c'est-à-dire sur la prise en compte du jeu des institutions et des acteurs sociaux inclus dans ces dernières. Bernard Miège défendait en 2004 l’intérêt d’un tel type de démarche :

« malgré l'intérêt que représente l'étude de la réception, ou la prise en compte des négociations qui interviennent entre acteurs dans les interactions quotidiennes, médiatisées ou non, l'approche de la communication ne saurait délaisser durablement comme elle tend à le faire présentement le niveau macro-sociétal, et en particulier les logiques d'action correspondant aux stratégies des acteurs dominants (grands groupes de communications, opérateurs de télécommunications, etc.) et des Etats » (Miège, 2004, 102).

Considérant que l’on ne peut comprendre le phénomène médiatique que par une articulation des focales et des temporalités comme nous l’avons vu dans la première partie, nous allons ici tenter d’observer à un niveau macrosocial certaines dimensions socio-symboliques de la télévision. Précisons toutefois que l'observation à cette échelle élargie consiste en une orientation du regard qui privilégie les grandes tendances, sans évacuer les micro-phénomènes dont l'agrégation produit précisément l'objet que l'on observe. Nous allons ainsi aborder la participation de la télévision à une « nationalisation des consciences », en questionnant son institutionnalisation en termes d’administration étatique et de constitution d’un espace public national.

Dès notre thèse de doctorat consacrée à l'institutionnalisation de la télévision régionale, nous avions pris pour acquis que la télévision, notamment publique, se doit d’être pensée dans une perspective dynamique liant « territoire, organisation politique et médias ». Cette démarche était alors présentée au début des années 1990 en ces termes par Isabelle Pailliart : « Les médias ont participé à la construction de l’Etat-nation. Plus généralement la situation française montre que l’Etat a précédé la nation, appréhendée comme une “forme politique liée à la modernité, à la nécessité de la centralisation politique, aux besoins de l’organisation économique, à l’intensité accrue des échanges, à

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 114

l’ambition démocratique”. C’est l’une des explications qu’il est possible de fournir à l’action de soumission du local (et des médias locaux) par l’Etat pour réussir l’uniformisation politique et culturelle. L’histoire du service public de l’audiovisuel s’inscrit dans cette volonté d’intégration. » (Pailliart, 1993, pp. 253-254).

La télévision française, qui jusqu'en 1984 et la création de Canal + était exclusivement publique, a ainsi joué un rôle majeur dans les politiques publiques culturelles, des années 1950 jusqu'aux années 1980. C'est la nature de ce rôle que nous pouvons contribuer à qualifier, puisque la plupart de nos recherches ont croisé, comme nous l'avons présenté dans la première partie, des enjeux politiques, médiatiques et historiques. Ainsi, afin d’introduire le temps social médiatique de la télévision, nous allons présenter la manière dont nous avons questionné sur le temps long deux problématiques macro-sociales relatives à l'héritage étatique de la télévision, tout en les reliant à des recherches menées par d’autres auteurs :

- la question de l'intégration territoriale et politique saisie par l'étude de la télévision régionale publique, ainsi que des programmes nationaux dans lesquelles elle s’insère (journal télévisé national 19/20 de France 3) ;

- la question de la production d'un espace public national, perçu à travers certains types de programmes télévisuels présentant un caractère politique plus ou moins affirmé : certains programmes a priori, divertissants (les séries fictionnelles de France 3), ou « info-divertissants » (l'émission Vivement Dimanche de Michel Drucker), ou encore les funérailles télévisées.

I. La télévision régionale publique française comme dispositif d’intégration

politique nationale

Comprendre le positionnement de la télévision régionale française de service public consiste à la penser dans le cadre socio-historique qui est le sien, à savoir celui de décrochages (« fenêtres » de programmes régionaux à certaines heures de la journée) créés par l’Etat dans une situation de monopole, et visant à installer la télévision dans le territoire national dans une optique d’aménagement du territoire. En outre, cette logique stratégique de l’institution unique de l’audiovisuel public, le RTF, Radiodiffusion Télévision Française, s’étend dans les années 1950 au-delà du territoire

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 115

métropolitain, à savoir dans les colonies d’Afrique du Nord et en Algérie en particulier (de Bussière, Méadel & Ulmann-Mauriat, 1999). La télévision en situation de monopole étatique est donc bien construite dans une optique stratégique visant à imposer sur un territoire un ensemble de représentations politiques au sens strict, c'est-à-dire à figurer les pouvoirs publics et à relayer des informations choisies par ces derniers. Jérôme Bourdon a bien souligné ce point, souvent sous-estimé :

« Un historien du cadre national pourra ainsi découvrir les dimensions « impériales » d’institutions dont on souligne (voire exalte) trop facilement le rôle culturel national en oubliant la dimension néo-coloniale bien réelle – par exemple, et à nouveau, les grandes radiotélévisions de service public : la BBC et la RTF par exemple ont été en leurs temps des instruments de politique impériale, ce que les idéalisations rétrospectives comme les critiques libérales du service public ont facilement oublié, et ce que la plupart des travaux historiques qui leur sont consacrés mentionnent à peine » (Bourdon, 2008, 166). Ainsi, mener l'étude de la télévision française dans une optique de temps long revient à relier son institutionnalisation à une socio-histoire du politique, en l’occurrence de l’Etat et de nation. Une approche politologique de la représentation politique à travers la figure de l'État peut s'avérer féconde. En effet, « loin d'être un donné, l'État est un construit social et historique qui doit être préalablement interrogé », et dont il s’agit de « retracer l'ensemble complexe des processus qui contribuèrent à la formation de cette forme de domination, à sa consolidation territoriale et à son affirmation politique » (Déloye, 2007, 28). Produite initialement dans le giron étatique, la télévision en France doit être pensée dans cette perspective comme un service de l’Etat, dont la dimension territoriale est essentielle.

1/ La télévision régionale et ses « concepts » : un média conçu stratégiquement

C'est ainsi que, partant du constat d’un « rôle intégrateur de la télévision publique française » sous la période du monopole, l’objet de notre thèse avait alors consisté en l’appliquant à la télévision régionale publique à « analyser la teneur de ce rôle, de même que

les tentatives mises en œuvres pour détacher la télévision régionale de cette emprise étatique »

(Lafon, 2000, 9). Pour ce faire, nous nous étions livrés à une analyse en trois temps, couvrant l'histoire de la télévision régionale dans son ensemble depuis sa création :

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 116

- une analyse socio-historique de « l'institution télévision régionale » montrant que cette dernière était « une institution d'État » ;

- une double analyse que nous qualifierions a posteriori d'analyse de contenu et d'analyse sémio-discursive, consacrée à l'étude des événements politiques médiatisés par le journal télévisé régional ;

- une double analyse de même nature, centré cette fois-ci sur les acteurs politiques médiatisés par ce même journal, approche en termes de fonctions et approche nominative afin de qualifier les « capitaux politiques » (nous n'avions alors pas utilisé ce concept, sur lequel nous reviendrons dans la partie suivante, II) des élus médiatisés.

Ces analyses, pour productives qu'elles furent, ne permirent cependant pas d'éclairer suffisamment les enjeux des débats sociaux durant certaines périodes autour de quelques concepts vivement discutés. Certes, notre thèse avait pris en compte cette réalité, mais nous n'étions pas parvenus à la questionner de manière satisfaisante, faute de l’avoir reliée à l’histoire des concepts (Koselleck, 1997, 153 ; 1990, 191). Nous avions alors utilisé certains termes approchants, comme ceux d’ « idée-force » ou de

« référentiel » : « Le débat public du début des années 1980 portant sur l'audiovisuel est très

profondément marqué par des idées-forces autour des concepts de démocratie, communication ou encore décentralisation. Ces idées-forces sont à rapprocher du concept de référentiel défini par Bruno Jobert et Pierre Muller » (Lafon, 2000, 109). Il nous semble que questionner ces réalités en les considérant comme des « concepts » permet de rendre compte de manière plus adaptée du développement et de l'évolution de ces « désignations », de leur transformation au fil des années et des débats qu’elles pouvaient alors susciter. En effet, ce sont les concepts qui, utilisés par les groupes sociaux, permettent à ces derniers de se constituer et d’orienter leurs actions communes, comme l’explique R. Koselleck :

« un groupe qui se désigne par « nous » ne peut devenir une unité d’action politiquement efficace qu’au moyen de concepts incluant plus qu’une simple désignation ou dénomination. Une unité d’action politique ou sociale se constitue seulement à partir de concepts par lesquels elle se délimite elle-même et, de ce fait, exclut les autres, autrement dit : se définit » (Koselleck, 1990, 192)

Ainsi, différents concepts traduisant différentes acceptions, parfois opposées, de l’organisation territoriale française et du rôle lié de la télévision, furent utilisés par les acteurs médiatiques et politiques tout au long de l’histoire de la télévision régionale,

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 117

renvoyant notamment aux champs sémantiques des territoires (par exemple : « aménagement du territoire » vs « territoires locaux »), des cultures locales ou de la « communication sociale ». Il nous semble que c'est dans ce type d'analyse que la notion de temps social médiatique prend tout son sens. En effet, il s'agit d'identifier des catégories d'acteurs utilisant des concepts, de les resituer dans un contexte historique, et de prendre en considération leurs positionnements respectifs au travers de concepts évolutifs et souvent antonymiques, dont on peut retracer la généalogie. Par exemple, les représentations construites par les acteurs sociaux des concepts de « régional » et de « national » peuvent être porteuses de connotations récurrentes, aboutissant à la définition d' « horizons d'attentes » particuliers. Jérôme Bourdon relate par exemple un cas relatif à la station régionale de Marseille, révélateur de la traditionnelle opposition Paris/province, doublée de préconçue sur les « gens du Sud » : « A l’intérieur du territoire national français, une enquête sur la télévision en Provence [Bourdon & Méadel, 1994], menée avec Cécile Méadel, nous a donné l’occasion d’entendre plus d’un stéréotype « auto-infligé » à la région par les acteurs eux-mêmes. La lenteur au travail, le peu de respect de la légalité, voire le goût de la violence, étant déplorés par certains Marseillais ou Corses comme des caractéristiques régionales à opposer au monde plus « sérieux » du Nord « parisien » » (Bourdon, 2008, 178). Au cours de nos entretiens avec certains professionnels de la télévision régionale, retraités ou en activité, nous avons pour notre part été confrontés à de multiples définitions de ce que « devait » être une télévision régionale, par opposition à une télévision parisienne. Répertorier ces ensembles de désignations afin de produire une définition de certains concepts centraux peut très certainement s'avérer extrêmement productif dans une analyse visant à saisir des évolutions. De fait, distinguer une histoire sociale d'une histoire des concepts peut être une étape préalable pour aider le chercheur à développer des méthodes d'enquêtes plus adaptées, plus précises quant à l'extraction des données analysables.

Quoi qu'il en soit, après avoir mené une approche institutionnelle du média en retraçant son histoire en lien avec le champ politique, et après avoir consciencieusement établi des comptabilisations sur la médiatisation par une édition du journal télévisé régional (Midi-Pyrénées actualités) des élites politiques, nous nous étions tout de même rendus à l'évidence : les logiques politiques nationales s'imposaient à l'actualité politique régionale. Bien évidemment, cela n'empêchait pas l'essor d'une médiatisation des pouvoirs politiques locaux – surtout à partir des lois de décentralisation de 1982 et 1983 –, mais tout un ensemble de facteurs contribuaient à en minorer la visibilité :

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 118

« si les représentants élus des pouvoirs locaux font une entrée remarquable au journal télévisé régional dès 1982, le déséquilibre constant de leur médiatisation au profit des acteurs politiques toulousains, allié à la difficulté à produire une représentation cohérente de leurs actions (procédures contractuelles et financements croisés pléthoriques, rivalités), contribue à brouiller l’image du système politique local. En outre, les tentatives de promotion de nouveaux référentiels territoriaux (Occitanie, Europe), se heurtent comme nous l’avons montré à une représentation globalement instrumentalisée ou idéalisée » (Lafon, 2000, 334).

2/ Une histoire sociale de la télévision régionale : comprendre ses possibilités d’institutionnalisation

Si l'intégration politique nationale est perceptible par les discours produits par la télévision régionale, elle l'est aussi par la logique institutionnelle de construction de ce média. Ainsi, une analyse socio-historique de la télévision garde tout son sens, c'est pourquoi nous nous sommes engagés dans un travail d'historiographie classique, c'est-à-dire écrire une histoire de la télévision régionale en France, partant du constat qu'aucune synthèse de ce genre n'avait encore été publiée, en dépit de quelques recherches abouties sur certaines stations régionales, Marseille (Bourdon & Méadel, 1994), Toulouse (Lafon, 2000), Lille (Lebtahi, 2004) ou Rouen (Sibout, 2009). Prise dans son ensemble, la télévision régionale française est bien la résultante des stations régionales qui la composent. Mais elle est plus encore la résultante d’une activité volontariste d’un Etat français visant à organiser une administration « efficace et rationnelle » contrôlée depuis la capitale, et redoutant « que son organisation sur le mode des grands corps techniques et militaires ne la constitue en force trop indépendante » (Rosanvallon, 1990, 67). Cette analyse de Pierre Rosanvallon, qui montre bien le « problème » administratif français, c’est-à-dire un retard en matière d’organisation administrative générale qui « contraste singulièrement avec son indéniable avance pour ce qui concerne la qualité de la formation des cadres techniques et miliaire de l’Etat » (idem, 66), a amené une primauté de la question technique dans l’implantation du réseau de télévision sur le territoire national, l’organisation administrative étant extrêmement resserrée autour du directeur des programmes de la RTF, Jean d’Arcy (1952-1959). Notre histoire de la télévision régionale souligne ce point :

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 119

« la constitution d’un réseau national de chemin de fer au XIXe siècle est analysée par Fernand Braudel, qui souligne la marque de l'État dans cette construction : « un réseau en étoile, bien entendu, à partir de Paris : les données du passé routier saisissent la nouveauté ferroviaire dès son départ (Braudel, 1986 : 292). » Pour paraphraser l'historien, nous pourrions dire que les données des passés routier et ferroviaire saisiront la nouveauté télévisuelle dès son départ. Institution d'État, la RTF sera elle aussi marquée par cette figure d'un réseau en étoile, la diffusion partant de Paris et s'étendant progressivement sur les provinces françaises. » (Lafon, 2012d).

L’institutionnalisation de la télévision régionale se renforcera avec le lancement, après les expériences pionnières de quatre premières stations régionales des années 1950 (Lille, 1950, Strasbourg, 1953, Marseille et Lyon, 1954), de Centres d’Actualités Télévisées (C.A.T.) dans chaque région. A partir d'octobre 1963 et sur quatre années sont mis en place 23 centres de collecte et de traitement locaux de l'information (les CAT, Centres d'actualités télévisées), regroupés au sein de 11 stations régionales, sous l’impulsion d’Alain Peyrefitte, qui inaugure la plupart d’entre eux en lançant officiellement le nouveau journal télévisé régional. Cette « présence inaugurale du ministre

de l’Information signe l’identité éditoriale dévolue aux actualités régionales télévisées, qui se doivent d’être conformes aux souhaits de ce que l’on peut appeler un journalisme gouvernemental, dénué de débats partisans, centré sur les actualités officielles, économiques, sportives et culturelles, dans une tonalité régionalisante » (Lafon, 2012d). La France, pays centralisé, se dotera pourtant en 1982 d’une législation décentralisatrice aboutissant à l’institutionnalisation politique des collectivités territoriales et notamment des régions avec les conseils régionaux, qui devaient prendre part à la création de comités régionaux de l’audiovisuel. En lien organique avec ces comités devaient être créées des sociétés régionales de télévision autonomes fonctionnant en réseau, prévues par la loi du 29 juillet 1982. Mais ces comités régionaux de l’audiovisuel ne verront pas le jour, condamnant la télévision régionale à être incarnée par la troisième chaîne nationale, lancée le 31 décembre 1972 (Lafon, 2000, 121-125) : « les années 1980 furent pour la

troisième chaîne des années d’expérimentations, dont les échecs (décentralisation) et réussites (audience des informations régionales, puis locales) cristalliseront la morphologie actuelle de France 3 » (Lafon, 2012b, 2).

Là encore, une réflexion peut être menée en termes d’histoire conceptuelle : les normes juridiques (lois de 1982) comme les rapports préalables (commission Moinot, cf. Lafon, 2000, 111-113) sont principalement soumis à des « préalables langagiers » et ont « été

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 120

rédigés dans une intention normative » (Koselleck, 1997, 153-154). Ainsi, une intention normative appréhendable à travers le concept de « décentralisation » succédant à celui de « régionalisation » est manifestement à l’œuvre en 1982. Mais l’histoire sociale nous renseigne sur les conditions de possibilité de ces « horizons d’attente » traduits en normalisations. En 1982-1983, les contraintes politiques et budgétaires des tout nouveaux conseils régionaux empêchaient la création des comités régionaux de l’audiovisuel et, partant, la création d’une télévision régionale sur un modèle décentralisé.

Depuis, un nouveau concept central s’est imposé : celui de l’information et de ses déclinaisons, locale, régionale, nationale et internationale (Lafon, 2000, 156 et s.; Bourdon, 2011, 141). Notre analyse du journal de France 3 lancé en 1986 suite aux échecs précédemment évoqués, le 19/20, illustre l’intégration nationale des informations régionales : « Depuis 25 ans, la chaîne propose un rendez-vous quotidien figurant les différents

territoires couverts par les BRI (Bureaux Régionaux d’information) et centres locaux dans un dispositif unifié » (Lafon, 2012c, 5). Au terme de cette enquête, ayant analysé à la fois l’évolution des formules (21 éditions correspondant aux changements de formule) et l’intégration de l’ensemble des éditions sur une journée (1 édition nationale, 24 éditions régionales, 34 éditions locales), il nous est apparu que « l’information télévisée régionale,

ainsi soumise à une contrainte de cohérence et d’enchâssement des cadres territoriaux permise par le dispositif du 19/20, constitue un espace de communication original, reliant local, régional, national et international. Grâce à ce journal, central en termes de stratégie de programmation, la télévision régionale française trouve – contrairement aux télévisions locales hertziennes – une audience pérenne et significative, et peut dès lors continuer à être ce média de masse territorialisé, figure originale réitérée depuis sa création au milieu des années 1960 » (Lafon, 2102b, 16). Pour en arriver à cette conclusion, nous avions montré que le dispositif scénographique, les cartes et les séquences transitoires, jouaient un rôle majeur pour

« contrer la labilité du 19/20 » méta-journal composé de plusieurs éditions : « Ces séquences, véritables « images balises », contribuent de la sorte à enchâsser symboliquement les cadres territoriaux, donnant une figuration du territoire national et au-delà, avec la proposition d’un survol à grande vitesse ou d’un surplomb géographique » (Lafon, 2012b, 8).

Ainsi, la télévision régionale française apparaît dans son histoire sociale comme une institution politique et culturelle, une organisation politiquement et juridiquement instituée, dans le but de permettre aux territoires et aux cultures locales d’avoir accès à l’espace public, mais un espace public nationalisé.

Partie 3. Les temps médiatiques télévisuels en pratiques

B. Lafon – Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches page 121

3/ Resituer l’institutionnalisation télévisuelle dans celle de l’Etat

On doit par conséquent pouvoir légitimement se poser la question d’une certaine corrélation entre histoire politique, imaginaires nationaux et organisation médiatique d’un pays. Il y aurait très certainement lieu de s’interroger sur la question de la structuration d’un Etat sur le temps long, en lien en dernière instance avec le système médiatique audiovisuel. Nous voudrions souligner à ce propos tout l’intérêt de la prise en compte d’objets infra-nationaux tels que la télévision régionale pour comprendre le rôle national de la télévision, tant il est vrai qu’une situation nationale ne se résume ni à un moment historique précis, ni à un lieu retreint (la capitale) mais couvre l’ensemble d’un territoire. J. Bourdon résume bien ce parti-pris :