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La compréhension de la communication médiatique, de son institutionnalisation comme de ses pratiques10, nécessite la prise en considération d’un temps long. En effet, c’est à une approche dynamique des médias que nous appelons, une approche processuelle permettant de mieux comprendre comment les médias apparaissent et se redéfinissent sans cesse en tant que dispositifs humains et sociaux, en lien avec des processus socio-politiques variés. Deux exemples issus de nos articles illustrent cette nécessité :

- cas des fictions télévisées sur le cancer : « Nous proposons de considérer le discours

télévisuel comme le révélateur d’une matrice culturelle du rapport à la maladie. En cela, la prise en compte de l’historicité des processus de réception des programmes télévisuels semble essentielle » (Lafon, 2007, 130) ;

- cas de la couverture télévisée des catastrophes collectives : « Cet article se fixe

pour objectif de mettre en évidence les processus historiques de transformation et de mobilisation de religiosités – notamment séculières – par la télévision à l’occasion de la médiatisation de certaines catastrophes » (Lafon, 2011c, 2).

Ces deux cas sont révélateurs de notre conception des médias, et de la télévision en particulier : lieux de sociabilités, ces institutions techniques et symboliques sont partie-prenantes de processus socio-politiques qu’elles contribuent à (re)définir. Voilà pourquoi nous proposons à présent dans ce chapitre de considérer les médias dans les processus socio-politiques, et comme des processus socio-politiques eux-mêmes.

10 C’est-à-dire le « phénomène médiatique » comme nous l’avons défini précédemment : Partie 1, chap. 1, I, 3/.

Partie 2. Echelles de temps médiatiques : quel(s) temps long(s) pour les SIC ?

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I. Reconsidérer les approches matérialistes sur les médias et la culture

La prise en compte d’une temporalité adaptée est un écueil récurrent, ou, tout au moins, une difficulté des études médiatiques, lorsqu’il ne s’agit pas purement et simplement d’un impensé. Nous allons ici montrer que cette dimension méthodologique est pourtant mobilisée de manière convaincante dans certaines analyses qui, au tournant des années 1980, se sont efforcées d’articuler les dimensions économique, matérielle (entendons technique et institutionnelle) et symbolique de la communication médiatique. La relecture critique de Karl Marx, amendé par la théorie de l’hégémonie d’Antonio Gramsci, fut alors au fondement de textes éclairants de deux auteurs dont nous allons brièvement rendre compte : ceux d’Yves de la Haye et de Raymond Williams.

1/ Le phénomène médiatique et la production matérielle de la culture

Le marxisme a marqué durablement le XXe siècle par son application idéologique, mais il l’a tout autant marqué sur le plan de la réflexion scientifique, surtout par son articulation avec l’approche structuraliste issue de Saussure. Il aura ainsi été le fondement d’une démarche scientifique progressivement disqualifiée, puisque comme Marx l’a lui-même montré, « la signification d’une théorie ne peut pas être comprise indépendamment de la pratique historique et sociale à laquelle elle correspond » (Castoriadis, 1975, 14). On trouve pourtant dans la philosophie de Marx la matrice explicative de tout un ensemble de conceptions ultérieures du rapport de la société à son environnement, de la culture à la nature, et de leurs rapports réciproques par les processus de production – infrastructures – se traduisant dans des rapports sociaux et des systèmes juridique, politique, religieux, etc. – superstructures – (sur ces questions, cf. Castoriadis, 1975, 35-38). Pour générales qu’elles soient, toutes ces considérations ne nous éloignent pas de notre propos, elles nous sont utiles à double titre :

- d’abord pour comprendre les réflexions menées en France sur l’histoire des médias dans un contexte où marxisme et structuralisme étaient encore prégnants (années 1960 à 1980) ;

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- ensuite pour reposer la question du phénomène médiatique – et donc du fait télévisuel – en le resituant à sa place institutionnelle et sociale, celle d’une « superstructure » pour reprendre la terminologie marxienne.

Ainsi brièvement resitués, les médias sont justifiables de toute une série d’analyses visant à les replacer dans les rapports sociaux incarnés par les superstructures, mais aussi en les reliant aux enjeux portés par les rapports de production (la base), autrement dit dans des pratiques hégémoniques dont ils sont l’un des agents d’ « incorporation » et une « articulation centrale » (Williams, 2009, 35-50). Les médias sont donc au cœur des processus culturels, ils sont utilisés par les individus pour transmettre, véhiculer et incorporer la culture, que nous considérons dans une acception à la fois « anthropologique » et « historique » au sens qu’en donne Raymond Williams dans son ouvrage Keywords :

« in archaeology and in cultural anthropology the reference to culture or a culture is primarily to material production, while in history and cultural studies the reference is primarily to signifying or symbolic systems. (…) The anthropological use is common in the German, Scandinavian and Slavonic language groups, but it is distinctly subordinate to the senses of art and learning, or of a general process of human development, in Italian and French.”11

(Williams, 1983, 92)

Cette citation montre bien l’extrême variété des définitions de la culture, selon que l’on se situe dans une discipline ou dans un contexte national particulier. Dans le cadre de notre analyse des médias, nous voudrions privilégier une approche extensive de la notion de culture, à la fois production matérielle (question de la technique) et systèmes symboliques signifiants. Dans cette acception, qui est l’une des plus larges selon les définitions proposées par Jean Caune (Caune, 2006, 55-61), la culture est opposée à la « nature » ou, plus exactement, elle traduit la manière dont les hommes tentent de s’organiser afin de contrôler, au moins partiellement, celle-ci. Venons-en à présent à

11 « en archéologie et en anthropologie culturelle la référence à culture ou une culture est principalement liée à la production matérielle, tandis qu'en histoire et dans les cultural studies la référence est principalement liée au signifiant ou à des systèmes symboliques. (...) L'utilisation anthropologique est commune dans les communautés de langue allemande, scandinave et slave, mais elle est nettement subordonnée aux sens d'art et d'apprentissage, ou d'un processus général de développement humain, en italien et en français."

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l’examen du rôle des médias dans ce processus culturel, tels qu’il a été analysé par Yves de la Haye en France et Raymond Williams en Grande-Bretagne.

2/ Yves de la Haye : moyens de communication, procès de production, Etat et rapports sociaux

Yves de la Haye s'est intéressé à ce qu'il a appelé une « analyse matérialiste des médias », en reprenant certains textes de Karl Marx et Friedrich Engels. Bien que publiée en 1984 dans un ouvrage préparé par Bernard Miège, la version initiale de ce texte fut publiée en 1980. Certes, le contexte était alors marqué par les premières lectures et publications autour d’un ouvrage majeur posant les enjeux historiques de la communication et de la publicité : L’Espace Public de Jürgen Habermas, tout juste traduit en français (1978). Mais l’approche d’Y. de la Haye est précieuse en ce qu’elle resitue les liens économiques et politiques des médias de masse naissants. Il montre bien que K. Marx et F. Engels vécurent les premiers temps du chemin de fer, les débuts de la machine à vapeur, du télégraphe, et qu'ils ont réfléchi à « ces inventions à la lumière du mouvement que le capital a commencé à dessiner sous ses formes marchandes, puis industrielle aux XVIe et XVIIe siècles » (de la Haye, 1984, 23) : « de phénomène périphérique et hasardeux dans la société féodale, le système de communication devient, à mesure du développement du mode de production capitaliste, un nerf essentiel » (idem, 26). Ainsi, c'est tout un contexte social qui évolue globalement, amenant la communication et son arrière-plan matériel et mécanique à devenir un champ particulier de la société, justifiant investissements et productions croissants dans les manufactures. Ce faisant, les moyens de communication jouent un rôle de plus en plus important dans « l'ajustement et/ou le bouleversement des rapports sociaux » : « on risquerait en effet de réduire le matérialisme historique à une combinaison de fonctions économiques si on oubliait de remarquer la façon dont Marx et Engels sont constamment attentifs à scruter les répercussions sur les classes, les consciences, les attitudes, etc. des bouleversements du mode de production » (idem, 32). C'est à une mutation des individus que l'on assiste alors, ces derniers échappant aux communautés locales étriquées, pour être intégrés à une société élargie. Mais les implications de l'analyse sont plus profondes, elles amènent à saisir le double rôle des premiers moyens de communication modernes : « éléments des forces productives et rapports sociaux de production, facteur de constitution d'une autre personnalité sociale,

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c'est-à-dire d'autres sensibilités, d'autres intérêts, d'autres modes d'appartenance au monde etc. » (idem, 37). Ainsi, les enjeux des moyens de communication modernes dépassent de loin la seule question des médias de diffusion et de l'aspect culturel de ces derniers. Ils permettent de redéfinir le statut des individus en société, ainsi que la nature des rapports de production qui les associent.

Mais l'analyse ne s'arrête pas là. Elle prend aussi en considération l'argent comme premier médium de toute société fondant des échanges commerciaux : « l'argent dissout les relations personnelles, il les remplace par des relations entre des choses qui expriment en réalité les relations sociales réelles. L'argent est en quelque sorte un exposant des rapports sociaux fondamentaux » (idem, 45). Ce faisant, l'argent permet de transformer, de convertir différents capitaux et favorise la mobilité au sein de la société. L'argent constitue en quelque sorte « l'engrenage fondamental, le pivot autour duquel se redistribue les différents modes de communications nouvelles. (…) À cet égard, l'histoire des moyens d'amélioration de la circulation monétaire - et notamment le rôle de l'État dans la garantie et la recherche d'une sécurité sans cesse plus grande - serait le premier chapitre fondamental d'une histoire matérialiste des moyens de communication » (idem, 47-48). Ainsi, les domaines d'intervention de l'État se multiplient, faisant de ce dernier un acteur majeur des moyens de communication modernes. Y. de la Haye résume lui-même les différentes implications de cette histoire matérialiste des médias, nous résumons ici ses conclusions :

1. il convient de prendre en considération les nécessités économiques générales qui déterminent de nouveaux modes d'échange, donc des modes de communication ;

2. l'argent représente un « médium de base » des sociétés ou gagne la valeur d'échange, il est un facteur de dissolution des communautés autarciques et délimite de nouveaux espaces de communication dans lesquels de nouvelles sensibilités individuelles, en lien avec l'activité sociale générale, émergent ; 3. les moyens de transport des marchandises et les moyens de communication des

messages sont des activités stratégiques, économiquement et politiquement (industrie moderne, force militaire garanties par l'État) ;

4. l'armée et l'industrie constituent les véritables matrices historiques du secteur des communications (et non les seules inventions techniques et le siècle des lumières).

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Cette insistance d’Yves de la Haye sur les rapports de production, certes due en partie à sa relecture de Marx et Engels, n’en est pas moins une originalité. En reliant l’émergence des médias à celle de la transformation des rapports de production et des rapports sociaux qui en résultent, il propose une « analyse matérialiste des médias », dans un contexte où domine encore largement une opposition structurante entre études critiques (incarnées par les auteurs de l’Ecole de Francfort, mais aussi la sémiologie) et études fonctionnalistes (courants empiriques et fonctionnalistes issus de la sociologie américaine), Yves de la Haye a su, parallèlement aux auteurs britanniques des cultural

studies, questionner les médias dans leurs dimensions matérielle (technique,

économique, juridique…) et symbolique. Ainsi que le résumait B. Miège dans une présentation de ce travail, « la communication (comprenons l’information-communication) n’est donc pas seulement une vaste industrie superstructurelle, elle est une activité sociale qui donne forme aux activités sociales d’échange et qui contribue à leurs changements » (Miège, site du Gresec12). Pour le dire autrement, la communication est un processus partie prenante de plusieurs processus, notamment processus de production et de circulation (de la Haye, 1984, 50). Ainsi, les moyens de communication sont créés au fur et à mesure des nécessités du mode de production capitaliste, et constituent un facteur majeur des modes de production et des rapports sociaux (cf. schéma établi par Y. de la Haye, annexe 2). Nous reviendrons sur ces processus plus loin dans cette partie, notons simplement à ce point de notre propos que la démarche d’Y. de la Haye présente « une préoccupation forte pour l’histoire des médias, non en eux-mêmes mais dans leur procès d’inscription dans les rapports sociaux » (idem). Cette préoccupation était alors partagée outre-Manche par Raymond Williams, dont nous allons à présent souligner quelques-uns des apports.

12 cf. http://w3.u-grenoble3.fr/gresec/pagespublic/portraits/portraitsDelaHaie.htm [page consultée le 03/09/2012]

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3/ Raymond Williams : moyens de communication, procès de production, culture et hégémonie

Davantage centré sur les questions culturelles qu’Yves de la Haye, Raymond Williams partage avec ce dernier une analyse des moyens de communication en lien avec le procès de production. Cet auteur, dont nous avons souligné dans une partie précédente la paternité écrasante pour les cultural studies dès lors qu’elles envisagent la question historique (avec E-P. Thompson), n’en demeure pas moins un auteur incontournable en ce qu’il a proposé une approche riche et approfondie des évolutions culturelles en lien avec les techniques de communication depuis la fin du XVIIIe siècle. Ouvrage essentiel par son ampleur, Culture and Society. 1780-1950 (1958) analyse les changements majeurs advenus dans la société britannique depuis la révolution industrielle, notamment pas les usages et conceptions de la « culture », dont il retrace la généalogie. Ce travail sur les concepts utilisés dans la société est l’un des piliers des recherches de R. Williams, qui sans la dénommer ainsi, se livre à une véritable « histoire des concepts », à l’instar de Reinhart Koselleck (cf. infra). Son ouvrage Keywords: A Vocabulary of Culture and Society, paru initialement en 1976, poursuit ce travail de définition et d’ancrage social des concepts, au premier chef celui de culture dont nous avons cité plus haut un extrait. Ainsi, la méthode de recherche de R. Williams est avant tout celle d’un historien cherchant à caractériser le plus finement possible les concepts d’une société passée, en lien avec les techniques et systèmes sociaux qui étaient les siens. Ce faisant, il aura tenté de relier les conditions de production (la « base » ou « infrastructure » dans une optique marxiste) à la question de la culture, mais sans inféoder cette dernière à la technique ou à l’économie, produisant de la sorte une approche matérialiste de la culture.

Son ouvrage The Long Revolution (1961) développe ainsi une approche plus institutionnelle des transformations culturelles et décrit le lent déroulement de changements liés entre eux dans les sphères économique, politique et culturelle depuis la révolution industrielle. R. Williams analyse ainsi et successivement : l’élargissement progressif de l'accès au système d'éducation, la croissance de la lecture publique, l’essor de la presse populaire, l'utilisation de l'anglais standard, ou encore l’histoire sociale des écrivains et des genres dramatiques. Il restitue de la sorte la toile de fond ayant permis la mise en place d’une culture contemporaine commune en Grande Bretagne, où le mouvement ouvrier devient lui-même partie intégrante du système capitaliste, les individus intégrant des normes culturelles communes. On voit bien ici le souci de

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réintégrer des éléments d’historiographies disparates dans un schéma explicatif général, dans lequel le « processus de communication » (Williams, 1961, 53) joue un rôle de premier plan.

La traduction récente et la publication d’un recueil de textes essentiels de R. Williams (Culture et matérialisme, 1980, trad. et réed. 2009), montre l’actualité de l’auteur. Erick Neveu soulignait dans une note de lecture sur cet ouvrage l’intérêt du regard de R. Williams : « Plus que dans un appareil conceptuel qui resterait des plus performants, ce sont dans des intuitions, des pistes de recherches souvent originales qu’il faut davantage chercher une actualité, une fécondité préservée de Williams. La modernité du « matérialisme culturel » qu’il revendique est sans doute moins dans les cautions théoriques de ses notes de bas de page que dans une intelligence souvent acérée des rapports entre les conditions matérielles de production et de développement du culturel, et ses formes et contenus » (Neveu, 2010, 3).

Considérant que les conceptions habituelles sur les médias sont porteuses de biais (Williams, 2009, 226-230), R. Williams appelle à une histoire globale des moyens de communication considérés comme des moyens de production, ce vaste chantier n’étant pas selon lui réellement engagé. Il propose ainsi une distinction entre différents types de moyens de communication : « (a) les moyens amplificateurs ; (b) les moyens de

stockage ; (c) les moyens de substitution ». La première catégorie regroupe les moyens d’amplification tels que le mégaphone ou la télévision en direct, la deuxième des moyens essentiellement récents tels que l’enregistrement audio et la troisième des moyens qui apparaissent très tôt dans l’histoire et « comprennent l’usage conventionnel d’objets (ou leur transformation) en tant que signes » (écriture, graphisme, techniques de reproduction…) (idem, 234). En conséquence, la télévision peut se rattacher aux catégories (a) et (c), en tant qu’amplificateur et moyen de substitution. Ce faisant, elle est doublement marquée par des tendances hégémoniques, à la fois parce qu’elle est contrôlée par certains groupes sociaux qui disposent d’un accès privilégié à ce moyen d’amplification, et parce qu’elle est aussi un moyen de substitution qui traduit des choix d’écriture stratégiques. La télévision n’est pas un média transparent, elle retranscrit des choix idéologiques : « la plupart des écrits, à toutes les époques, y compris la nôtre, constituent une forme de contribution à la culture dominante effective (…). A la littérature, il faut bien sûr ajouter les arts visuels et la musique et, dans notre société, les arts si puissants du cinéma, de la radio et de la télévision » (Williams, 2009, 49). Ainsi, on doit voir dans cette typologie des moyens de communication une

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préoccupation constante de R. Williams : celle de leur appropriation par des groupes sociaux dominants ainsi que par des publics. Il s’agit d’une vision dynamique de la notion d’hégémonie, qui doit être prise dans « toute sa complexité », s’agissant d’une « formation sociale réelle » prise en permanence dans des processus de transformation (idem, 36). Cette conception dynamique de l’hégémonie est à rattacher à la conception initiale d’Antonio Gramsci, d’ailleurs repris et cité par R. Williams comme par Y. de la Haye.

A ce titre, les moyens de communication sont institués et utilisés par les groupes sociaux dominants et dominés de manière commune, les mécanismes d’hégémonie se fondant sur un consentement. On voit ici tout l’apport de cette conception. Les médias qui, contrairement à la plupart des institutions d’Etat, ne disposent pas d’un pouvoir coercitif, ne dominent pas à proprement parler les publics (comme certains théoriciens de l’école de Francfort ont pu l’affirmer) comme l’a bien montré Jean-Pierre Esquenazi dans un ouvrage sur le discours de la chaîne de télévision TF1 :

« Une entreprise médiatique comme TF1 possède-t-elle un ou du pouvoir ? On voit immédiatement qu’une telle question reste incompréhensible si on ne précise pas ce que l’on entend par « pouvoir ». Car on ne peut pas comparer le pouvoir d’un média avec celui d’un Etat, ou celui de la justice. Pouvoir ne peut pas ici signifier coercition, assujettissement, domination. Un média ne peut pas s’imposer à son interlocuteur. Il ne