E´DITORIAL / EDITORIAL
L’obe´site´, une maladie nutritionnelle ?
J.-M. Lecerf
Service de nutrition, Institut Pasteur de Lille, BP 245, F-59019 Lille cedex, France
Cliniciens et chercheurs partagent en commun une connaissance des re´alite´s du terrain qui est le leur : si ce n’est la modestie, l’humilite´ doit eˆtre leur credo ou tout au moins le devenir avec le temps : une certaine forme de sagesse finit par e´merger inexorablement.
Face a` l’obe´site´, a` la personne obe`se, comme pour d’autres pathologies chroniques, c’est la complexite´ de cette affection multifactorielle et aussi la petitesse de nos succe`s qui rendent compte de cet e´tat d’esprit.
D’autant plus que les e´vidences, les acquis ne sont plus des certitudes : l’e´closion d’une obe´site´, l’explosion de l’obe´site´ ne peuvent pas seulement s’expliquer par le de´se´quilibre de la balance e´nerge´tique, meˆme si le premier principede la thermodynamique (la conservation de l’e´nergie) reste a` un moment donne´ le primum movens de toute prise de poids.
Tant dans la physiopathologie que dans l’expression de cette affection, des facteurs multiples e´mergent et enrichissent les concepts classiques. Dans cette perspective, les Entretiens de nutrition de l’institut Pasteur de Lille (2008) ont voulu apporter un e´clairage pour aller au-dela` de ce que l’on conside´rait, il y a peu encore, comme une simple maladie nutritionnelle.
Une approche sche´matique consiste a` analyser successivement les facteurs pre´disposants, favorisants et de´clenchants.
Bien suˆr le roˆle de la ge´ne´tique est conside´rable : au-dela` des rares syndromes monoge´niques, l’obe´site´
est conside´re´e comme une affection polyge´nique, pour laquelle plus de 127 ge`nes ont e´te´ identifie´s comme e´tant susceptibles de permettre l’expression d’un gain de poids sous l’effet de facteurs d’environnement favorisants. L’e´pige´ne´tique « transmissible, mais non he´re´ditaire » (!) e´merge et pourrait rendre compte de facteurs intervenant tre`s toˆt in utero : restriction alimentaire, modifications de la chronobiologie... Enfin, des arguments se´rieux font apparaıˆtre de nouvelles voies de recherche avec le roˆle possible de la flore intestinale qui pourrait tre`s toˆt conduire a` de´tourner ou non une partie de l’e´nergie inge´re´e et/ou a` exercer des effets sur le controˆle des de´penses et des apports. Or, cette flore, dont le profil est stable, est acquise tre`s toˆt dans l’existence, influence´e, par exemple, par les modalite´s d’accouchement (ce´sarienne) et d’allaitement.
Les facteurs favorisants continuent a` avoir la belle part, certes avec le mode de vie et le tandem alimentation se´dentarite´, mais aussi avec d’autres facteurs tels que la re´duction du temps de sommeil favorise´e e´galement par le changement d’heure (e´te´/hiver), l’effet insidieux et se´culaire de certains polluants, le roˆle tre`s pre´coce du rapport ome´ga-6/ome´ga-3 sur la diffe´renciation adipocytaire... Sur le versant nutritionnel, on peine de plus en plus a` incriminer un type de nutriment et encore moins un type d’aliment, si ce n’est en exce`s, tels l’irruption des boissons sucre´es et le roˆle lipoge´nique du fructose : il s’agit plus d’un style alimentaire conduisant a` positiver durablement la balance e´nerge´tique. On insiste aussi beaucoup sur la perte de la re´gulation du comportement alimentaire adaptatif, tant du fait de la de´structuration et/ou de la disparition des repas que des me´faits d’une restriction intempestive conduisant a` la restriction cognitive.
Du coˆte´ de l’activite´ physique, volet crucial, chez les plus jeunes, ce sont les heures de te´le´vision qui sont montre´es du doigt. Bien suˆr, une part de ces facteurs environnementaux est sous-tendue par un niveau socioe´conomique et culturel « bas » et ses conse´quences multiples.
Mais les facteurs de´clenchants, propres a` l’approche clinique et psychologique, ne sont pas sans importance. A` coˆte´ des e´ve´nements hormonaux chez la femme, des traumatismes physiques et affectifs (agression sexuelle, avortement), le stress social, professionnel et mental semblent un e´le´ment majeur dans
Correspondance :jean-michel.lecerf@pasteur-lille.fr Obes (2008) 3: 97–98
©Springer 2008
DOI 10.1007/s11690-008-0148-y
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la localisation visce´rale de la prise de poids. Enfin, l’hypothe`se virale ou infectieuse n’est pas a` exclure parmi les facteurs de´clenchants. Mais on ne peut ne´gliger le caracte`re e´volutif propre de la maladie, avec la perte de controˆle du tissu adipeux qui se de´connecte de ses affe´rences endocrines et paracrines et l’apparition d’une composante inflammatoire, lie´e en partie aux cellules pe´riadipocytaires : l’obe´site´ devient alors une maladie me´tabolique, contribuant a` expliquer la re´sistance a` l’amaigrissement, et ce qui est ve´cu comme un e´chec, a`
moins de re´viser nos objectifs.
Les pistes de recherche autour des de´terminants non conventionnels me´ritent conside´ration. Elles ne doivent pas nous de´tourner des leviers a` notre disposition que sont les composantes du mode de vie et, plus encore, la relation au corps et a` la nourriture.
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