ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER
Évaluation d ’ un programme de formation à la communication dans le cadre d ’ essais thérapeutiques de phase I selon l ’ expérience des oncologues
Evaluation of a Communication Training Programme within the Context of Phase I Therapeutic Studies According to the Experience of Oncologists
P. Rouby · A. Hollebecque · M. Philippart · A. Cano · J.-C. Soria · S. Dauchy
Reçu le 21 octobre 2014 ; accepté le 20 novembre 2014
© Lavoisier SAS 2014
RésuméCette étude réalisée dans un contexte d’essais théra- peutiques de phase I évalue l’impact d’un programme de for- mation à la communication selon l’expérience des oncologues.
Une évaluation de la satisfaction et de l’efficacité personnelle perçue concernant la communication médecin–patient avant et après formation était réalisée. La comparaison des scores d’ef- ficacité personnelle avant et après formation montre une pro- gression essentiellement pour les médecins juniors dans les situations de consultation en présence d’un proche du patient.
Avant formation, et en présence d’un proche, les médecins juniors présentent un score de satisfaction sensiblement moin- dre que les médecins seniors. Après formation, pour les consultations en présence d’un proche, le score des médecins juniors rejoint celui des seniors. La formation à la communi- cation bénéficie particulièrement aux médecins juniors.
Mots clésCommunication · Oncologie · Essais cliniques phase I · Formation
AbstractThe goal of our study was to evaluate the impact of communication training in the particular context of phase I clinical trials. Self-satisfaction and self-efficacy scales eva- luated doctor–patient communication before and after their communication training. For all the doctors, self-efficacy scores improved significantly after training. This improve- ment was more pronounced for junior oncologists in trilate- ral situations. Before training, satisfactory scores were worst in trilateral versus dual situations. This was particularly pro-
nounced for junior compared with senior doctors. After trai- ning, in trilateral situations, the satisfaction scores of junior doctors matched that of the senior doctors. The communica- tion training programs appear to benefit junior oncologists.
Keywords Communication · Oncology · Phase I clinical trials · Training
Introduction
Un certain nombre de programmes de formation à la com- munication ont pu être proposés aux médecins [1], avec une efficacité globale démontrée sur les compétences en commu- nications des cliniciens [2–4]. Sur les 15 études méthodolo- giquement correctes recensées dans la méta-analyse de Moore [4], seulement cinq études concernaient exclusive- ment une population de cancérologues. Parmi les recom- mandations des auteurs figure l’intérêt de formations ciblées sur une compétence ou une situation particulière, associant médecins expérimentés et jeunes médecins [3]. Nous avons voulu évaluer l’impact d’un programme de formation s’adressant à l’ensemble des oncologues d’un même service ayant une pratique spécifique, comportant à la fois de jeunes médecins et des praticiens plus expérimentés. L’impact de la formation à la communication a été mesuré selon le modèle classique d’évaluation des programmes de formation, à savoir les niveaux 1 et 2a du triangle de Kirkpatrick (évalua- tion de la satisfaction et de l’efficacité personnelle [self- efficacy]) [5–7]. Les niveaux 3 (évaluation des compétences lors d’un entretien avec un patient) et 4 (mesure de la satis- faction des patients) n’étaient pas explorés dans cette étude.
L’objectif de l’étude était d’évaluer :
•
l’impact d’un programme de formation à la communica- tion médicale sur l’efficacité personnelle perçue par le médecin de ses compétences en communication ;P. Rouby (*) · M. Philippart · A. Cano · S. Dauchy
Département interdisciplinaire de soins de support aux patients en oncohématologie, institut Gustave-Roussy, Villejuif, France e-mail : pascal.rouby@gustaveroussy.fr
A. Hollebecque · J.-C. Soria
Département d’innovation thérapeutiques et d’essais précoces, institut Gustave-Roussy, Villejuif, France
DOI 10.1007/s11839-014-0489-8
•
l’impact d’un tel programme sur la satisfaction des méde- cins quant à leur entretien avec les patients ;•
le lien éventuel entre l’expérience des praticiens et le for- mat de l’entretien sur la satisfaction et les compétences en communication des médecins.Population et méthodes
Ce projet s’est déroulé au sein du service d’innovations thé- rapeutiques et essais précoces (SITEP), service dédié aux traitements des patients dans des essais de phase I de Gustave-Roussy.
Population de l’étude
La population étudiée était celle des médecins du SITEP, trois médecins seniors et trois médecins juniors. Les internes n’étaient pas concernés par la formation.
Méthode d’évaluation
Deux situations cliniques étaient distinguées : patient seul en consultation (situation duelle) et patient accompagné d’un proche (situation triangulaire).
Une échelle visuelle analogique de satisfaction avec pour item « Je suis globalement satisfait de la communication que j’ai établie au cours de l’entretien » allant de 0 à 100 était remplie par chaque médecin après chaque consultation.
Une échelle globale d’efficacité personnelle, utilisée une fois avant et après formation, était remplie par chaque médecin.
Formation à la communication
Une formation à la communication a été dispensée aux six médecins du service, après une première phase d’évaluation.
Cette formation de trois séances de quatre heures reprenait les recommandations de la Conférence européenne de consensus de 2009 sur le déroulement d’un programme de formation à la communication en oncologie [8]. Chaque séance abordait donc :
•
des notions théoriques sur la communication médicale en cancérologie ;•
des discussions de cas, à partir de séquences vidéo réali- sées avec les participants à la formation lors de consulta- tions préalables à la formation ;•
des mises en situation sous forme de techniques de jeux de rôle entre médecins ;•
un temps de débriefing et d’échange entre pairs.Concernant les objectifs de la formation, il s’agissait de répondre aux attentes des médecins en termes de confort dans la relation et la communication dans ce contexte très
particulier de l’inclusion dans les essais ; mais nullement d’accroître une quelconque « rentabilité » d’inclusion. Les consultations concernées n’étaient d’ailleurs pas forcément des situations d’inclusion, mais tout aussi bien des consulta- tions de suivi, ou de sortie d’essai. Parmi les difficultés abor- dées figuraient entre autres les situations de non-inclusion, de sortie de protocole, de gestion des effets secondaires… Déroulement de l’étude
La satisfaction était évaluée au moyen de cinq consultations par médecin, avant et après formation, soit un nombre total de 30 entretiens enregistrés avant et 30 après formation. Sur les 60 consultations, 30 étaient en situation duelle et 30 en situation triangulaire.
L’autoefficacité était évaluée de manière globale pour ces six médecins avant et après la formation. Un délai de deux mois s’est écoulé entre la période de formation et la 2e période d’évaluation.
Résultats
Efficacité personnelle Situation duelle
Les scores montrent une augmentation de 12 points de l’au- toefficacité entre le T1 et le T2 (68 vs 80). L’augmentation des scores concerne le groupe des médecins seniors comme celui des médecins juniors (Fig. 1).
•Communiquer avec le patient
Le sentiment d’une meilleure capacité à communiquer avec le patient en situation duelle augmente en moyenne générale (T1 :70 ; T2 :80) et concerne le groupe des médecins seniors comme celui des médecins juniors (Fig. 2).
•Gérer le stress
Le sentiment d’efficacité personnelle dans la capacité à gérer le stress augmente en moyenne générale (T1 :68 ; T2 :82), avec une augmentation plus grande pour les médecins juniors (+20 points) versus médecins seniors (+10 points) (Fig. 3).
Situation triangulaire
Les scores montrent une augmentation de 14 points de l’au- toefficacité (T1 :62 ; T2 :76). Cette progression concerne le groupe des médecins seniors comme celui des médecins juniors (Fig. 4).
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•Communiquer avec le patient
Le sentiment d’une meilleure capacité à communiquer avec le patient en triangulaire augmente en moyenne générale (T1 :58 ; T2 :76), concerne les médecins seniors comme les médecins juniors (Fig. 5).
•Gérer le stress
Le sentiment d’efficacité personnelle dans la capacité à gérer le stress en situation triangulaire augmente en moyenne
générale (T1 : 68 vs T2 :78) avec un score inchangé pour les médecins seniors et une augmentation de près de 20 points pour les médecins seniors (Fig. 6).
Seniors versus juniors
Avant formation, les scores des médecins seniors sont supé- rieurs en moyenne de 8 points (68,7 vs 60,7) à ceux des médecins juniors. Cette différence est moindre après forma- tion (79,7 vs 76). L’effet de la formation est plus marqué chez les médecins juniors (+15,3 vs +11 points). Cette Fig. 1 Efficacité personnelle—duel—senior vs junior
Fig. 2 Communiquer avec le patient—duel—senior vs junior
amélioration pour les médecins juniors concerne plus spéci- fiquement la situation triangulaire (+18 vs +11,3 points) (Fig. 4) alors que la situation duelle (Fig. 1) est peu diffé- rente (+12,7 vs +10,7).
Satisfaction Situation duelle
En situation duelle après formation, la moyenne des résultats montre une diminution de la satisfaction globale de près de 5 points entre T1 et T2 (p= 0,11). Cette diminution touche essentiellement les médecins juniors (Fig. 7).
Situation triangulaire
La satisfaction moyenne en situation triangulaire augmente, passant de 70,8 à 84,8 entre T1 et T2 (p= 0,027). Cette pro- gression des scores concerne les médecins seniors comme les médecins juniors (Fig. 8).
Senior versus junior
Avant formation, en situation duelle (Fig. 7), il n’existe pas de différence entre senior et junior (83 vs 84,3) ; mais en situation triangulaire (Fig. 8), le score des médecins seniors est supérieur à celui des médecins juniors (76,9 vs 67,2) [p= 0,035].
Fig. 3 Gérer le stress—duel—senior vs junior
Fig. 4 Efficacité personnelle—triangulaire—senior vs junior
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La diminution de la satisfaction en situation duelle concerne essentiellement les médecins juniors (–8 points de satisfaction) vs seniors (–2 points de satisfaction). L’aug- mentation de la satisfaction en situation triangulaire touche plus les juniors (+17 points de satisfaction) que les seniors (+8,6 points de satisfaction). Le score des médecins juniors rejoint alors celui des médecins seniors (84 vs 85,5).
Discussion
Cette étude a mis en évidence qu’une formation à la com- munication médicale améliore le sentiment de compétence des médecins. Les limites de cette étude concernent le faible
effectif de la population étudiée, sa non-randomisation et son caractère naturaliste qui empêchent toute évaluation d’un transfert objectif de compétences communicationnelles.
Le sentiment des oncologues d’une meilleure efficacité personnelle n’empêche pas la satisfaction moyenne en situa- tion duelle de baisser après la formation (Fig. 7). Notre étude montre que ce phénomène touche spécifiquement les jeunes médecins en situation de consultation duelle (–7,62 vs–2).
Ce résultat est cependant retrouvé dans la littérature [9] et est expliqué par l’existence conjointe d’une surestimation ini- tiale des jeunes médecins de leur satisfaction concernant la communication médecin–patient puis de la perception et de la critique de cette même communication suite à la formation.
Fig. 5 Communiquer avec le patient—triangulaire
Fig. 6 Gérer le stress—triangulaire—senior vs junior
À l’inverse, nous observons une augmentation statistique- ment significative du niveau de satisfaction (p= 0,027) en situation « triangulaire », augmentation partagée par l’ensemble des médecins (Fig. 8).
En effet, en situation « triangulaire », la présence d’un proche est ressentie généralement par les médecins comme une difficulté supplémentaire dans la gestion de la commu- nication, ce que confirme le score initial global et individuel significativement plus faible en situation triangulaire qu’en situation duelle (p= 0,001). Les difficultés éprouvées sont essentiellement en rapport avec un défaut de technique de
communication, dont la conséquence principale est de favo- riser un sentiment d’embarras, voire d’hostilité perçue concernant le proche. De ce point de vue, la formation a permis d’apporter des connaissances et des compétences là où il y avait la perception d’une difficulté initiale.
Il est intéressant de constater que les différences d’évolu- tion de la satisfaction en situation duelle entre junior et senior (diminution plus marquée pour les juniors) ne s’ac- compagnent pas d’une différence de niveau de satisfaction en préformation entre le groupe senior et junior (83 vs 84,3).
Cela renvoie au caractère subjectif de cette mesure, mais Fig. 7 Satisfaction—duel—junior vs senior
Fig. 8 Satisfaction—triangulaire—senior vs senior
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aussi à la mise enœuvre d’un mécanisme d’ajustement psy- chologique protecteur permettant à chaque individu de faire face à des situations de stress répétées en maintenant son estime de soi et sa satisfaction. De ce point de vue, les résul- tats, et en particulier ceux des jeunes médecins, sont révéla- teurs d’un ajustement opérant. Cependant, cette satisfaction initiale plutôt bonne, si elle est protectrice, pourrait cepen- dant constituer un frein à l’engagement dans les dispositifs de formation par sous-évaluation des besoins.
À l’inverse, en situation triangulaire, les scores des méde- cins seniors sont statistiquement supérieurs à ceux des méde- cins juniors (p= 0,035). Ce résultat montre que les jeunes médecins sont plus particulièrement insatisfaits et en diffi- culté dans leur communication en situation « triangulaire ».
Cette difficulté éprouvée et ressentie par les médecins juniors explique sans doute le niveau initial de satisfaction plus bas en situation triangulaire qu’en situation duelle.
L’implication et la participation des médecins seniors ont permis de valider auprès des médecins juniors l’importance d’une communication de qualité avec les patients [10].
De plus, des aspects qualitatifs concernant des thémati- ques et des aspects particuliers de la communication sont apparus. Ainsi, nous avons pu observer que les jeunes méde- cins abordaient plus spécifiquement des difficultés liées aux techniques de communication en fonction du contexte : annonce de sortie de protocole, gestion du proche… Les médecins seniors évoquaient plus particulièrement des ques- tionnements et des réflexions éthiques concernant les essais thérapeutiques : critères d’inclusion ou de non-inclusion, prise en charge des patients en sortie de protocole…Il serait donc sans doute intéressant d’intégrer ces données lors de l’organisation des programmes de formation en fonction du public concerné.
Conclusion
Cette étude montre qu’une formation à la communication peut améliorer le sentiment d’efficacité personnelle des médecins. Cette amélioration porte essentiellement sur des
situations de consultation avec un proche et concerne plus particulièrement les médecins juniors. De nouvelles évalua- tions permettant de mieux comprendre le rôle des facteurs organisationnels (formations mixtes juniors–seniors), mais ciblant aussi des difficultés propres aux jeunes médecins, telles que l’affirmation de soi, seraient souhaitables.
Liens d’intérêts :les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
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