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Oncologie : Article pp.75-80 du Vol.3 n°2 (2009)

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DOI 10.1007/s11839-009-0132-2

ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Découverte d ’ un cancer pendant la grossesse : quand la grossesse s ’ interrompt ! Deuxième partie : le point de vue du psychanalyste

Discovery of cancer during pregnancy: when the pregnancy is terminated! Part two:

the psychoanalyst ’ s point of view

M.-J. Soubieux

© Springer-Verlag 2009

Résumé La découverte d’un cancer lors d’une grossesse est un véritable traumatisme, l’idée de la mort faisant irruption au moment du surgissement de la vie. L’indica- tion d’une interruption médicale de grossesse (IMG) amplifie ce traumatisme avec les mêmes enjeux de vie et de mort. Cet article décrit les différents mouvements psychiques qui traversent les parents et l’accompagnement que peuvent proposer les équipes pluridisciplinaires pour toute la famille.

Mots clésCancer · Grossesse · Annonce · Interruption médicale de grossesse · Travail pluridisciplinaire · Deuil périnatal

AbstractThe discovery of cancer during pregnancy is a real trauma: the idea of death occurs at the same time as the emergence of life. The therapeutic termination, when necessary, exacerbates the trauma as it too concerns these same issues of life and death. This article describes the various psychical movements that the parents will experience and the support that may be offered to the whole family by the multidisciplinary teams involved.

KeywordsCancer · Pregnancy · Breaking the news · Therapeutic termination · Multidisciplinary work · Perinatal mourning

La découverte d’un cancer au cours d’une grossesse est un véritable traumatisme qui suscite des émotions intenses et contrastées, l’idée de la mort venant faire irruption au moment même où la femme s’apprête à faire surgir la vie dans sa chair. Lorsque la gravité de la pathologie et le terme

auquel elle survient conduisent à discuter la possibilité d’une interruption médicale de grossesse (IMG), c’est un nouveau traumatisme qui fait écho au premier avec les mêmes enjeux de vie et de mort. Habituellement, l’IMG est pratiquée en raison d’une pathologie grave du fœtus. Même si les indications maternelles existent et sont prévues dans la loi, elles restent cependant plus rares. Là, il s’agit vraiment d’interrompre la vie d’un fœtus bien portant pour donner une chance à sa mère de survivre. Comment penser arrêter la vie à l’intérieur de soi alors que de redoutables cellules viennent y apporter la mort ? L’enfant tant attendu est gage d’immortalité. S’en séparer rend mortel. Le garder peut conduire à la mort. Comment faire un choix si dramatique ? Comment renoncer à ses rêves de petite fille et de femme ? Pour le futur père, la situation est tout aussi dramatique. Il craint pour la vie de sa femme et doit renoncer à son bébé sans toutefois avoir l’assurance d’une guérison du cancer. Il devra également soutenir sa compagne qui recevra de lourds traitements et aura à s’occuper des aînés lorsqu’il y a déjà des enfants. C’est bien toute une famille qui est touchée lorsque se produit un tel événement. Quelles traces resteront de ce cauchemar après le cataclysme passé ? Que vivent les enfants aînés et qu’en comprendront ceux qui naîtront après ? L’équipe tout entière, par sa fonction d’écoute et de contenance, a un rôle essentiel pour soutenir les parents et faire repartir la pensée. Comment conçoit-elle son rôle ? Comment l’aider à affronter ces situations de grande détresse ? Quelle place peuvent prendre les psychologues et les psychiatres dans la prise en charge pluridisciplinaire de ces patients et auprès des équipes ?

Mouvements psychiques pendant la grossesse Saisir au plus près l’impact psychologique du double traumatisme, celui de l’annonce du cancer et celui de l’IMG, implique de prendre en compte les particularités du fonctionnement psychique de la femme mais aussi de l’homme pendant la grossesse.

M.-J. Soubieux (*)

Institut de puériculture et de périnatalogie de Paris, 26, boulevard Brune, F-75014 Paris, France e-mail : marie-jose.soubieux@wanadoo.fr

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Tout comme l’adolescence, la grossesse est une période de remaniement identitaire. De fille la femme devient mère, de fils l’homme devient père. Sur ce statut fragile en cours de construction et dans cette période particulière de transparence psychique [8] où la reviviscence des toutes premières relations s’impose parfois brutalement, tout peut faire effraction. Ici, le cancer fait une double effraction corporelle et psychique. Il envahit insidieuse- ment la chair de la femme, colonise les organes de sa féminité, ses seins, le col de son utérus, ses ovaires…Ces modifications du vécu peuvent être à l’origine d’angoisses archaïques : angoisses de dévoration, d’attaques du ventre, d’intrusion par un parasite. Le sentiment d’inté- grité, déjà fragilisé par l’état de grossesse, est alors menacé et peut laisser place à un vécu de morcellement, voire d’inquiétante étrangeté1[11].

De même, l’ambivalence retrouvée habituellement dans toute grossesse– les couples sont ravis d’attendre un bébé, de rivaliser avec leurs parents, mais en même temps ils ont peur de perdre leur statut de fille et de fils–peut se transformer en véritable violence fondamentale [5] qui se traduit par « c’est l’enfant ou la mère ». En effet, dans ces situations où la vie et la mort sont étroitement mêlées, il n’y a pas de vie possible pour deux : la vie de la mère implique la mort du futur enfant, la vie de l’enfant avec la poursuite de la grossesse peut entraîner la mort de la mère. Des sentiments de colère contre le bébé peuvent apparaître même s’ils ne sont pas toujours exprimés. C’est en effet la présence du futur enfant qui a démasqué le cancer. Même si celui-ci existait avant, les mères ne peuvent pas s’empêcher de faire le lien. De surcroît, le sentiment d’immortalité que confèrent la grossesse et la venue d’un enfant est mis à mal par l’interruption de grossesse ; la continuité des généra- tions n’est plus assurée.

Tous ces mouvements psychiques et ces différents sentiments vont avoir une influence sur l’investissement du fœtus et la représentation qu’en ont ses parents. Nous savons bien que la grossesse est le théâtre d’un travail de redistribution libidinale : l’enfant in utero se situe au carrefour de l’être « je suis enceinte » qui traduit la valorisation narcissique, et de l’avoir « je vais avoir un enfant » qui relève de l’investissement d’objet. Ainsi, le futur enfant pourra être considéré comme un autre d’emblée ou seulement en fin de grossesse. Parfois, il ne le sera jamais. C’est toute la question de l’objectalisation du fœtus que soulève particulièrement la problématique de l’IMG avec pour corollaire les différentes évolutions du travail d’élaboration de la perte. En effet, considérer le

fœtus comme une personne, un rien ou un monstre n’est pas équivalent dans le travail psychique à accomplir par la suite.

Annonce du cancer

Un véritable séisme se produit dans le psychisme de la future mère à l’annonce de la découverte d’une pathologie cancéreuse. Pierre Rousseau, dans sa première partie, en décrit très bien les différents moments. Le temps change, il se fige, se bouscule, s’accélère, se ralentit. La pensée s’immobilise laissant parfois place à la confusion ou à une apparente indifférence. Les futurs parents ne sont pas préparés à vivre un tel drame. La femme consultait pour en savoir plus sur cette grossesse qu’elle sentait se développer en elle. Elle commençait à se laisser aller à la rêverie. Elle n’avait pas envisagé une telle éventualité.

Au moment où elle s’apprête à donner la vie, ce surgissement de la pathologie avec la connotation inquié- tante du mot cancer peut entraîner une sidération de la pensée. L’attitude de la personne qui annonce le diagnostic est alors essentielle. La façon d’être, l’attention portée au vécu de la mère et les termes choisis participent à cette toile de fond qui peut lui permettre de réagir avec ses propres ressources internes [20].

Décision d’IMG

Parfois, à l’annonce du cancer va succéder l’indication d’une IMG. C’est toujours une épreuve terrible, débordant le rôle habituel des parents. Décider de la mort de leur futur bébé est un choix cruel et culpabilisant qui les confronte à une toute puissance vertigineuse quasi divine et qui entraîne toujours une grande souffrance et une perte : garder le bébé pour devenir immortel et assurer la continuité dans la chaîne des humains, mais prendre un risque pour sa propre vie ou s’orienter vers une IMG pour ne pas mourir soi-même mais renoncer à son immortalité. Même si l’indication est posée par les médecins, les parents sont les seuls à prendre la décision définitive. Leur responsabilité est d’autant plus grande que les impératifs religieux et le poids du jugement des grands-parents interviennent moins que dans le passé.

Même s’ils veulent être reconnus comme parents et ne pas être dépossédés de leur rôle, beaucoup souhaiteraient que l’on décide pour eux. Certains vont s’appuyer sur les représentants de leur religion [3]. Dans ces moments d’attente et de prise de décision, le temps est un facteur essentiel, mais il doit s’agir d’un temps accompagné d’une présence étayante et éclairée au plus près des parents.

Ils auront toute une vie à construire ensuite avec les enfants déjà là et ceux à naître. Pour les équipes, même

1Linquiétante étrangeté, décrite par Freud en 1919, apparaît

« lorsquon doute quun être en apparence inanimé soit vivant, lorsquon fantasme quun objet sans vie est en quelque sorte animé ».

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très impliquées, cet événement reste ponctuel. La pluri- disciplinarité2des équipes est indispensable pour assurer ce soutien.

Temps de l’attente

La décision est maintenant prise. Commence alors le temps de l’interminable attente. Temps qui semble inutile et insupportable pour les futurs parents et qui pourtant va leur permettre de vivre les derniers moments avec leur bébé et de trouver, l’un et l’autre, les pensées et les attitudes les plus en accord possible avec eux-mêmes. Parfois, les femmes n’osent plus toucher leur ventre et ne sentent plus le bébé bouger, elles s’en sont séparées psychiquement tant la douleur est insoutenable. Les hommes se mettent également en retrait. L’un comme l’autre ont un sentiment de trahison à l’égard du fœtus.

Les femmes se sentent terriblement blessées. Elles ne se sentent plus femme en raison de l’atteinte fréquente des organes de leur féminité, et elles ne seront pas mères de cet enfant-là. Elles vont devoir prendre des traitements et peut- être perdre leurs cheveux. Que va t-il leur rester pour se sentir encore vivantes et avoir de nouveaux désirs ? Le rôle du conjoint est fondamental, c’est son soutien et le regard qu’il porte sur sa femme qui va l’aider à surmonter cette épreuve. Pour cela, lui aussi a besoin d’être soutenu par l’équipe tout entière.

Dans certains services les couples peuvent rencontrer une sage-femme avant l’IMG [16]. Celle-ci leur explique le déroulement de l’hospitalisation, de l’intervention et de ses suites3. Elle aborde la mort du fœtus avec la possibilité de voir le corps, d’avoir des photos, de laisser des objets, d’organiser des obsèques mais aussi les rites religieux, le devenir du corps, l’autopsie, la déclaration possible ou non à l’état civil avec inscription ou non sur le livret de famille, le droit ou non à un congé de maternité ou à des prestations.

Ces éléments de réalité, parfois difficiles à entendre pour les parents, constituent un support de pensée très utile pour continuer à cheminer psychiquement en dehors des entretiens psychothérapiques qui pourront être proposés.

Accouchement

Dans la plupart des cas, l’IMG est réalisée par un déclenchement du travail avec accouchement par voie basse. L’idée de donner naissance à un enfant mort terrorise les femmes. Elles ont peur de mourir en même temps que leur fœtus, comme si c’était le châtiment à payer pour avoir décidé de sa mort mais aussi peut-être pour rester avec lui éternellement. Beaucoup souhaiteraient être endormies, ne rien voir, ne rien sentir, ne pas être là, même si ultérieurement certaines revendiquent cet accouchement qui fait partie du processus de maternité. C’est tout à fait inconcevable pour elles de donner la mort par les mêmes chemins qui donnent la vie. Elles veulent protéger leur ventre et ce qui leur reste de leur féminité attaquée par le cancer. Il ne va pas sans dire que la continuité et la présence permanente d’une sage-femme ou d’une infirmière référente auprès du couple est indispensable.

Présentation du fœtus

Durant ces dernières années, on a souvent dit que les parents devaient voir leur bébé mort pour faciliter le processus de deuil. Différentes études [2,4,9,23] ont montré des résultats surprenants même si elles comportent des biais et des insuffisances. En particulier dans une recherche publiée dans le Lancet en 2002 [13], les scores de dépression, d’anxiété et de symptômes post-traumatiques lors du troisième trimestre de la grossesse suivante étaient plus élevés chez les femmes qui avaient vu et tenu leur bébé que chez celles qui ne l’avaient pas vu. De même, les troubles de l’attachement avec l’enfant puîné étaient plus importants. Il va de soi que des recherches plus approfon- dies doivent être poursuivies. Cependant, ces résultats mais aussi les observations cliniques faites par les équipes incitent à la plus grande prudence quant aux rituels proposés autour de la mort du fœtus. Le bon sens, l’intuition et l’expérience doivent rester de mise et ne pas être supplantés par des « conduites à tenir » toutes faites qui ne tiendraient pas compte de la singularité de chaque situation et de la temporalité psychique des parents. Parfois, c’est un bébé avec une place déjà située dans la famille, d’autres fois c’est une entité plus abstraite que le couple évite de nommer. Les réactions peuvent d’ailleurs évoluer. Encore une fois, le temps est un précieux allié, car il permet de trouver pour l’un et l’autre, père et mère, l’attitude qui leur permet d’être le plus en accord avec eux selon leur propre histoire.

Parfois, quelques années plus tard, des parents demandent les photos qui ont été prises au moment de l’accouchement.

C’est souvent pour eux l’occasion de pouvoir rencontrer des témoins de l’événement fréquemment tombé dans l’oubli au sein de l’entourage. En tout état de cause ces questions

2Généralement, les équipes pluridisciplinaires de diagnostic anténatal se composent dobstétriciens, de sages-femmes, de pédiatres, de puéricultrices, de psychanalystes, dassistantes sociales, de fœtopathologistes, de généticiens, de chirurgiens...

3Circulaire interministérielle DHOS/DGS/DACS/DGCL no 2001/576 du 30 novembre 2001 relative à lenregistrement à létat civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance. Voir également Journal officiel de la République française, 6 août 2002 (arrêté ministériel du 19 juillet 2002) et décrets daoût 2008.

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doivent amener une réflexion dans les équipes pour s’occuper de ces situations. Dégager des repères sémiologi- ques qui auraient fonction de clignotants pour l’équipe puis les analyser dans des groupes de travail pluridisciplinaire, pourrait soutenir un tel travail.

Vie après…

L’accouchement peut apporter un soulagement transitoire, la femme n’a plus à porter ce bébé qu’elle amenait vers la mort. Mais la mort est toujours là, là où le fœtus a laissé ses traces, là dans les cellules cancéreuses. Pas le temps de

« panser-repenser » l’événement, déjà il faut poursuivre les traitements. C’est le corps qui parle, la chair qui crie sa douleur. Une douleur du vide, d’un ventre vide qui prend la place de l’absent. Mais au vide s’oppose un trop plein, un trop plein de cellules cancéreuses, un trop plein de mort, un trop plein de détresse. Comment continuer à exister et à penser entre ces deux extrêmes ?

Vide de statut également : la femme n’est pas reconnue comme mère et pourtant elle a rêvé ce bébé, elle l’a porté et elle a même accouché. Lui aussi, son compagnon, il ne sait plus ce qu’il est, hier futur père et aujourd’hui ? Et ce n’est pas l’indifférence de l’entourage ou la banalisation de l’événement par la société qui va les aider à se construire un statut de parents ! Non, ils ne seront pas parents de cet enfant-là et pourtant ! Et pourtant ils l’ont vu à l’échographie [21,22] ; ils avaient parlé de lui à leurs familles et ils avaient bien senti qu’ils n’étaient plus les mêmes. Une relation fantasmatique intense s’était déjà engagée avec le futur bébé, même s’ils n’en avaient pas encore de représentation précise.

Comment renoncer à l’attente de cet enfant, à ces rêves et à ces projets ? Comment en parler ?

Et puis tous ces sentiments qui les submergent, le chagrin, la rage, la colère, la culpabilité, le sentiment d’échec et de honte, comment les apaiser ?

La femme, stoppée à la fois dans son accès à la maternité et dans son élan vital, sent s’évanouir ses rêves et une croyance en la vie. Elle se sent blessée et dévalorisée, car elle a perdu son idéal de femme et de future mère, enviée et admirée par l’extérieur.

La rage, la colère à l’égard du monde et plus particulièrement des femmes enceintes et des bébés peut être exacerbée par l’indifférence et l’incompréhension de l’entourage qui gomme trop vite l’événement et ne reconnaît pas suffisamment la douleur des parents.

Mais cette colère peut s’adresser au fœtus lui-même qui est à l’origine de tout ce drame, même si le plus souvent, c’est la culpabilité qui est exprimée. « Comment supporter d’avoir choisi sa vie à celle de l’enfant » pleure une mère.

À ce sentiment de culpabilité se mêle un sentiment d’échec et de honte « Pour moi, c’est un échec, je ne suis

pas une femme, j’ai honte et je n’ose plus sortir de chez moi ». Cette honte traduit l’incapacité des couples à pouvoir s’acquitter de leur dette de vie [8] à l’égard de leur lignée et de l’humanité.

Et puis, cette douleur pénétrante, dévitalisante, inde- scriptible qui déchire le corps en permanence, transperce le cœur et envahit toute la psyché. Cette douleur paradoxale- ment nécessaire, car elle est l’ultime lien au bébé. Cette douleur qui ne se partage pas, que chacun, homme et femme, vit séparément, l’un dans sa tête, l’autre dans sa chair. Douleur en creux imprimée dans la chair de la mère, devenue lieu de mémoire. Douleur de la solitude aussi, car personne ne comprend vraiment cette douleur.

Et cette grande peur de mourir, elle aussi, comme lui son bébé, de façon aussi injuste et prématurée. Et la frayeur de son compagnon de tout perdre, sa femme et son bébé. Et leur désespoir de peut-être n’avoir jamais plus d’enfant.

Impact sur la famille

Il ne va pas sans dire que la maladie de la mère et le non- avènement du bébé vont forcément entraîner un boulever- sement total de la famille.

Couple

L’homme, la femme en tant que parents, mais aussi en tant que couple, sont douloureusement traversés par ces événements. Le mouvement de vie est interrompu dans son élan et les projets qui soudaient le couple sont brusquement stoppés. Le deuil du bébé et la menace vitale pour la mère s’entremêlent, générant angoisse et incompré- hension. Chacun vit indépendamment l’un de l’autre ces traumatismes et réagit selon ses propres expériences de séparation et de perte. Les émotions ne sont pas toujours exprimées de la même façon ni au même moment, ce qui peut parfois conduire à des interprétations erronées. Le mari, inquiet pour sa femme et contraint d’assurer le quotidien et les soins de sa femme, évoquera peut-être moins le bébé, laissant parfois l’impression qu’il ne ressent rien et l’a déjà oublié. Il a parfois peur de s’approcher de ce ventre qui a porté la mort et du corps malade de sa femme.

Celle-ci est épuisée par les traitements et tout ce qu’elle vient de vivre. Elle supporte mal son être et ce qui a trait à sa féminité est teinté de mort. Elle a besoin de se retrouver seule pour penser à son bébé mais aussi d’être entourée, car ses angoisses de mort peuvent être insupportables. Ce n’est pas toujours facile de trouver la bonne distance pour son compagnon. Aussi les entretiens avec le couple sont-ils très utiles pour lever les malentendus et essayer d’être au plus près des attentes et des limites de l’un et de l’autre. Ils permettent également de se retrouver, d’apprendre à se

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connaître davantage et à se construire de façon plus solide.

Si on sait être là pour leur permettre d’écouter leur souffrance mutuelle et pour accueillir leur détresse et leur violence, on peut être surpris par la force des liens qui se créent dans le couple. La contenance de l’équipe est vraiment fondamentale dans ces situations.

Enfants aînés

Les enfants aînés, pris dans ce chaos, perdent leurs repères habituels et l’image rassurante qu’ils avaient de leurs parents. Ils sont inquiets pour leur mère qui s’absente souvent, perd ses cheveux et semble si fatiguée qu’elle ne peut plus s’occuper d’eux comme avant. Et ce bébé qu’elle attendait, qu’est-il devenu ? Dans une toute-puissance magique ne peuvent-ils pas attribuer sa disparition à leurs mauvaises pensées ? En effet nous connaissons bien l’ambivalence de l’enfant pendant la grossesse : avoir un petit compagnon mais en même temps garder sa place privilégiée auprès de ses parents. Ce futur bébé représentait une menace pour l’amour que lui donnent ses parents. Klein [15], une des premières psychanalystes d’enfants, a fait l’hypothèse d’une émergence très précoce de fantasmes archaïques chez le tout-petit : l’enfant vit sa mère comme remplie d’embryons qu’elle peut mettre au monde et qu’il souhaite détruire ou voler. Cette agressivité très profonde peut se concrétiser en souhait de mort et en désir que la grossesse soit interrompue.

Lorsque la mère rentre à la maison la mine défaite, le jeune enfant va la solliciter constamment pour la sortir de sa douleur et la faire réagir pour qu’elle redevienne comme avant. Il pourra être agité et ne voudra plus la quitter ni le jour ni la nuit, ce qui ne fera qu’accroître la fatigue et l’irritabilité de la mère souvent présentes dans de telles circonstances. Maintenir les habitudes de l’enfant en le conduisant à la crèche ou à l’école peut l’aider à reprendre ses repères et à être plus à distance du vécu douloureux de ses parents. Il peut être utile parfois que les grands-parents ou la famille gardent les enfants aînés.

L’enfant plus âgé cherchera davantage à protéger ses parents et à se conduire « comme un grand », s’oubliant lui- même et évitant de leur poser toute question qui pourrait les déranger.

Là aussi, les entretiens parents-enfants sont indispensa- bles pour informer l’enfant de la maladie de sa mère et de la mort du bébé. Bien sûr, ces explications doivent être progressives, mesurées et compatibles avec son âge, sa maturité et les représentations qu’il a de la maladie et de la mort selon sa culture et la tradition familiale. Il n’est pas nécessaire de tout dire aux enfants. Certains détails, certains éléments appartiennent aux parents. L’enfant ne doit pas forcément tout savoir, car il peut être encombré par des questions qu’il n’a pas à connaître et qu’il n’a pas à porter.

Ainsi, il ne nous semble pas souhaitable, pour les parents, d’informer l’enfant qu’ils ont décidé eux-mêmes de l’interruption de la grossesse [20].

Aider les parents à parler avec leur(s) enfant(s) de ce qui s’est passé fait partie du rôle de l’équipe.

Grands-parents

Les grands-parents se sentent souvent démunis face à la peine et au désespoir de leur enfant. Ils voudraient leur épargner le chagrin et porter la douleur à leur place, ce qui est insupportable pour les mères dont la souffrance reste le seul lien à leur bébé mort. Ils sont aussi très inquiets pour la vie de leur fille et souhaitent s’occuper d’elle, risquant parfois de prendre la place du compagnon. Ils souffrent également de ne pas être devenus grands-parents et de voir leur filiation interrompue. L’inversion de la situation dans l’ordre des générations perturbe toute la dynamique transgénérationnelle.

Les grands-parents ont un rôle important auprès de leurs enfants et petits-enfants, et il me semble important de pouvoir les écouter et les conseiller, en accord avec les parents naturellement.

Deuil particulier

Après le temps du traumatisme et de la survie, vient le temps du deuil. Peut-on vraiment parler de deuil au sens habituel qui lui est donné, lorsqu’il s’agit de la mort d’un enfant non encore né, qu’il meurt avant ses parents sans laisser de traces perceptibles et que l’entourage considère cette mort comme un non-événement [19] ? Comment, pour les parents en devenir, faire le deuil de cet enfant qu’ils n’ont pas connu mais qui portait tous leurs rêves et devait assurer leur immortalité en les situant dans la chaîne des générations ? C’est bien tout cela qui rend ce deuil si singulier, si difficile voire « infaisable» pour reprendre l’expression de Freud.

Il va d’abord falloir survivre à l’événement avec ses propres ressources internes et son histoire. Certains couples referont un enfant très vite pour se sentir encore vivants, d’autres vont dénier l’enfant, la mort. Chacun va devoir inventer quelque chose à partir de lui-même pour redonner une forme vivable à la vie. Plus tard, ce « bébé en soi » peut se transformer et renaître sous la forme d’un fantasme nostalgique [6,7] qui permet de penser l’absent tout en lui donnant sa place « Le nostalgique est porteur de son objet perdu qu’il anime, dont il s’anime, auquel il fait jouer un rôle. » [10] ? D’autres parents auront besoin de faire une histoire à leur bébé mort et de lui faire accomplir une vie selon ce qu’ils avaient souhaité pour lui. Pour élaborer sa perte, ils se serviront des souvenirs

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fabriqués avec lui et pour lui. On en retrouve un bel exemple dans une nouvelle de Kenzaburo [14]. Parfois l’offense narcissique sera si profonde qu’il deviendra un objet mélancoliforme. Tout comme le mélancolique qui ne sait pas ce qu’il a perdu lorsqu’il perd son objet d’amour [12], les femmes ne savent pas ce qu’elles ont perdu lorsque leur bébé meurt avant terme. Cet enfant détenait leur enfant imaginaire, leurs rêves, leurs désirs de rivalité avec leurs propres parents, leur fécondité et l’assurance de leur immortalité. Touchant à l’identité féminine, la souffrance est d’autant plus grande qu’à ce moment particulier, l’atteinte de son bébé est l’atteinte d’une partie vitale d’elle-même. En se dérobant, les parents perdent leur sentiment d’estime de soi et ressentent une grande blessure, un sentiment d’infériorité, d’échec et d’indignité, voire de honte.

Mais c’est aussi dans l’écriture, la peinture ou la sculpture que des femmes4 retrouveront leur fœtus sous une forme acceptable et même valorisée. On pense bien sûr à Frida Khalo, qui après ses fausses couches répétées, a peint des tableaux montrant des fœtus morts, des organes ensanglantés… La sublimation permet de s’opposer à la perte et de retrouver l’objet aimé sous une autre forme acceptable et même valorisée.

Il est aussi des voies plus pathologiques telles l’incor- poration [1] qui peuvent donner lieu à des délires dans les générations ultérieures. Elles sont plus rares.

Toutes ces évolutions ne sont pas forcément figées et peuvent constituer une étape dans le travail de deuil en attendant que la perte soit reconnue.

Le plus souvent, cependant, la vie se poursuit avec une partie de soi endeuillée et une autre tournée vers la vie avec la venue d’autres enfants ou la mise en place de nouveaux projets.

Conclusion

L’IMG dans le contexte de la survenue d’un cancer chez la femme est une situation particulièrement traumatisante qui nécessite un accompagnement pluridisciplinaire auprès de tous les membres de la famille. La contenance des équipes et le travail des psychologues et des psychiatres peuvent permettre au couple de puiser le vivant en lui et de se reconstruire.

Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

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4Frida Khalo, Marie Shelley et beaucoup dautres.

Références

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