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Oncologie : Article pp.81-87 du Vol.3 n°2 (2009)

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DOI 10.1007/s11839-009-0133-1

ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Prise en charge psycho-oncologique

de la jeune femme enceinte confrontée au cancer

Psycho-oncological care for young women facing cancer and pregnancy

J. Alder · J. Bitzer · A. Brédart

© Springer-Verlag 2009

Résumé Une femme qui développe un cancer durant la grossesse doit faire face simultanément à deux événements de vie critiques : la grossesse et le cancer, deux situations qui se situent aux extrêmes opposés du continuum de la vie. Avec la grossesse, une nouvelle vie commence ; avec le cancer, ce sont la fin de vie et la mort qui sont entrevues. D’un point de vue médical, plusieurs facteurs compliquent cette situation : le diagnostic est souvent émis avec retard, parce que l’attention du médecin (et celle de la mère) est centrée sur la grossesse.

L’information fournie est limitée en raison d’un manque de données statistiques concernant le résultat et les effets des traitements dans ce contexte. Par ailleurs, plusieurs disciplines sont amenées àœuvrer étroitement ensemble, et la collabora- tion entre experts oncologues, obstétriciens, psychologues et médecins traitants, très importante, peut parfois être difficile.

La prise en charge d’une femme atteinte de cancer qui, de plus, est enceinte peut également constituer un fardeau psycholo- gique pour le personnel soignant ; une attention particulière doit être accordée aux ressources personnelles ainsi qu’aux limites propres à chacun. Les enjeux pour la femme enceinte atteinte de cancer peuvent être ainsi résumés : donner la vie tout en étant engagée dans un processus au pronostic vital parfois compromis ; être submergée par des émotions mais aussi dotée de ressources adaptatives souvent limitées ; ressentir une responsabilité à l’égard du fœtus, alors qu’elle doit également se préoccuper d’elle ; être confrontée à des options thérapeutiques suboptimales, sans alternative thér- apeutique idéale (par exemple entre la perte d’une interruption de grossesse et la menace de sa poursuite) ; ressentir une ambivalence envers la chimiothérapie (perçue comme un poison) ; faire face aux changements de l’image du corps, ceux

liés à la grossesse mais aussi ceux liés à la maladie ou à ses traitements. Après l’accouchement, d’autres enjeux surgis- sent : la joie de la rencontre avec l’enfant nouveau-né est contrariée, l’allaitement parfois impossible en raison de la chimiothérapie post-partum ; les autres enfants doivent être gardés durant l’administration de traitements lourds ; la mère et le nouveau-né (prématuré) sont souvent deux patients pris en charge par des services de soins ; le père ressentira également de l’ambivalence : de la joie pour le nouveau-né et de la tristesse pour la mère, avec une crainte constante et prédominante de perdre la mère. Dans ce contexte, la patiente et son conjoint doivent recevoir des consultations très régulières de l’obstétricien et de l’oncologue, ainsi que bénéficier du soutien d’une équipe psycho-oncologique expérimentée. Lorsque le choix de poursuivre la grossesse a été effectué, le couple doit être aidé à établir le lien avec l’enfant à naître ou qui vient de naître. Lorsque la grossesse a été interrompue, un soutien doit être fourni à la fois dans le processus du deuil et dans la poursuite des traitements. L’intégration du conjoint est particulièrement importante : le cancer menace toute la famille de séparations et de pertes. Ces menaces peuvent perturber sérieusement le cours de la vie familiale, en particulier s’il s’agit d’une première grossesse et d’un système familial se développant à peine. Idéalement, le conjoint doit pouvoir jouer un rôle dans les prises de décision, mais vit, de ce fait, une situation conflictuelle difficile à communiquer : sa femme porte un enfant en elle, et il peut ressentir un souhait fort de voir venir cet enfant ; par ailleurs, il souhaite la meilleure prise en charge pour son épouse et que celle-ci survive…Enfin, les changements de rôle dans le couple peuvent être source de difficultés supplémentaires. La femme qui était, jusqu’ici, enceinte et en bonne santé est maintenant enceinte et malade, alors que son conjoint n’est pas malade et ne porte pas l’enfant. Il peut ressentir la sensation d’une responsabilité pressante, vécue qu’il peut, là encore, difficilement s’autoriser à partager.

Mots clésCancer · Grossesse J. Alder (*) · J. Bitzer

Hôpital universitaire de la Femme, 46, Schanzenstrasse, CH-4031 Bâle, Suisse

e-mail : jalder@uhbs.ch A. Brédart (*)

Unité de psycho-oncologie, institut Curie, 26, rue dUlm, 75248 Paris cedex 05, France e-mail : anne.bredart@curie.fr

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Abstract Women who are diagnosed with cancer during pregnancy have to deal with two critical life events at the same time: pregnancy and cancer. More importantly, these two events lie at the opposite ends of the life continuum.

With pregnancy a new life begins, while the word cancer is still associated for most people with the end of life and dying. From a medical standpoint there are several complicating factors in this situation: diagnosis is often delayed, because the focus of the physician (and the mother) is on pregnancy. Information giving is limited by the fact that there is still a paucity of statistical data on outcome and impact of treatment options. Also, several disciplines are forced to work together very closely and the collabora- tion of oncology, obstetric and psychological experts with family physicians is both very important yet sometimes challenging. The task of supporting a pregnant cancer patient can also mean a psychological burden for the caregivers and special attention needs to be paid to personal resources and as well as to each person’s individual limits.

The important issues for a pregnant cancer patient are as follows: giving life and being in a life-threatening situation at the same time; experiencing overwhelming emotions while coping resources may be limited; feeling a respon- sibility to take care of the fetus/the child and at the same time needing to be cared for herself; choosing between treatment options that can only be second-best as there is no perfect solution (the loss incurred by terminating a pregnancy or the danger in risking its continuation);

ambivalence towards chemotherapy (a poison); changes in body image caused by both the pregnancy and the effects of cancer treatment. In the post-partum period other issues arise: the joy of childbirth is hampered and breast-feeding may not be possible because of on-going chemotherapy;

any other children will need minding during particularly heavy cancer treatment; both mother and child may need care, if the baby is premature; paternal ambivalence: joy about the child/sorrow about the mother, with the predominant issue being the constant fear of losing the mother. In this context, the patient and her partner need regular visits (obstetric and oncological) and psycho- oncological support from an experienced team. If the pregnancy is continued, the couple will need help in bonding with the child, both before and after the birth. If the pregnancy is terminated, the patient needs to be supported in her mourning process while at the same time helped in activating the resources needed to go through the treatment process. Integration of the partner is very important: cancer threatens the whole family with separation and loss. Such threats can seriously alter the course of family life, particularly in the case of cancer in a first pregnancy, when the family system is only just developing. Ideally, the partner will play an active part in the decision-making process, but this is a very difficult situation to be in: the

woman is bearing a child that he may badly want to see born, but he also wants the best possible outcome for his partner and above all does not want her to die. This conflict is not easy to communicate. A role-change within the couple can be an additional burden. The woman, who until now was pregnant and healthy, is now pregnant and ill, while her partner is neither pregnant nor ill. He may well be feeling the pressure of such responsibility, but again, in the present situation this might not be something he feels he can talk about.

Keywords Cancer · Pregnancy

Introduction

Dans nos sociétés, les femmes sont plus nombreuses à poursuivre des études longues et à souhaiter fonder une famille au-delà de 30 ans. Cependant, le risque de développer un cancer s’accroît avec l’âge. Ainsi, un nombre croissant de femmes est confronté au diagnostic de cancer du sein durant la période de la maternité.

Une femme atteinte de cancer, alors qu’elle est enceinte, doit faire face et s’adapter à deux événements de vie critiques simultanés, symbolisant à la fois le début et la fin de la vie. De multiples réactions psychologiques vont dès lors se manifester.

De nombreuses études ont observé un retard au diagnostic de cancer du sein chez la femme enceinte. Celle-ci peut, en effet, être totalement focalisée sur sa grossesse et percevoir les changements du tissu mammaire comme un processus physiologique normal. Par ailleurs, l’examen clinique se concentre souvent sur la région abdominale, et les examens d’imagerie durant la grossesse doivent être évités.

Une fois le diagnostic réalisé, un retard peut aussi être lié à la complexité de la décision thérapeutique. Celle-ci implique deux individus, la mère et le fœtus. La femme est confrontée au conflit entre les instincts de vie et de préservation de l’espèce. Le processus de décision médicale doit réserver une place particulière à l’autonomie de la femme et viser le traitement optimal pour la patiente au moindre mal pour le fœtus. Des capacités de communication facilitant la prise de décision médicale partagée sont particulièrement nécessaires [1].

Le retentissement psychologique de cette situation soulève immanquablement des besoins d’aide psychologique chez la femme, son conjoint ou sa famille, tout au long de la prise en charge médicale et dans la période de post-partum. Cet article fournit un aperçu de la signification psychologique du diagnostic de cancer pour ces femmes et des processus d’ajustement psychologiques impliqués face à cet événement.

Il tente de dégager des axes d’intervention pour les professionnels de la psycho-oncologie dans ce contexte.

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Ajustement psychologique au cancer et à la grossesse

Ajustement psychologique à la grossesse

La grossesse implique des changements psychologiques qui préparent la mère à ses nouvelles responsabilités et qui permettent la réponse émotionnelle à l’enfant et le lien d’attachement maternel-néonatal.

Un processus de développement en quatre stades au cours de la grossesse a été décrit par une spécialiste allemande des théories de l’attachement. Le désir d’enfant se développe progressivement au cours de celui-ci. Un premier stade d’incertitude au cours du premier trimestre est caractérisé par un inconfort physique, une ambivalence et une insécurité quant au bon développement de l’embryon.

À partir de la 12esemaine, l’anxiété diminue, et la grossesse s’investit positivement. Au troisième stade, les mouvements fœtaux amènent à une perception plus individualisée de l’enfant comme être séparé. Au dernier stade, la femme enceinte anticipe et se prépare à la naissance ; elle imagine l’apparence et le comportement futur de son enfant. Des facteurs intrapersonnels, interpersonnels, sociaux ou soma- tiques vont bien sûr nuancer chaque grossesse pour en faire un événement singulier.

Ajustement psychologique au cancer

L’ajustement psychologique au cancer est influencé par trois facteurs principaux [9] :

les facteurs liés à la maladie comme le site de l’affection, son stade, ses traitements, son évolution ;

les facteurs individuels comme les valeurs et les croyances, les caractéristiques de personnalité, le soutien social et la phase du cycle de vie ;

les facteurs socioculturels comprenant la stigmatisation sociale et les ressources du système de soins.

Un diagnostic de cancer suscite une série de réactions émotionnelles pouvant être accentuées en cas de grossesse.

Le modèle en quatre phases de Kübler-Ross offre un cadre très large, à ne pas considérer comme normatif, pouvant être utile à la compréhension de l’ajustement psychologique au cancer [4]. Il comprend :

une phase de déni d’une durée de quelques jours, caractérisée par un état de choc, d’incrédulité, de stupeur ;

une phase de détresse aiguë de plusieurs semaines avec des réactions anxieuses, de la colère, du marchandage, de la protestation ;

une phase de détresse chronique pouvant durer plusieurs semaines et marquée par de la tristesse et du désespoir ;

une phase d’acceptation et d’ajustement graduel qui prend généralement plusieurs mois.Le cancer implique de nombreuses menaces et pertes : perte d’énergie, d’inté- grité physique, modifications des rôles, des relations interpersonnelles, deuil de l’illusion d’une espérance de vie « illimitée », perte de contrôle et d’intégrité mentale.

Dans le contexte d’une grossesse, la patiente est confrontée en plus à l’éventualité de perdre l’enfant qui était attendu.

Le processus d’ajustement psychologique comprend un large éventail de stratégies psychiques se manifestant par des pensées, croyances, émotions ou comportements en réaction à la maladie. Celles-ci permettent de ne pas se laisser submerger par la détresse et témoignent de la flexibilité à s’adapter aux nouvelles circonstances de la vie tout en maintenant l’estime de soi et les relations aux autres. Des réactions adaptatives favorisent le bien-être ; celles qui sont inadaptées vont contribuer à un surcroît de détresse.

Du point de vue psychodynamique, alors que le déni est rare chez les patients confrontés au cancer, l’intellectualisa- tion focalisée sur le raisonnement et la connaissance factuelle accompagnée du déni des émotions est plus fréquente.

Ajustement psychologique au cancer durant la grossesse

La femme enceinte confrontée au cancer doit faire face à deux événements qui se situent aux pôles opposés du continuum de la vie. La grossesse signifie commencement d’une nouvelle vie, alors que le diagnostic de cancer est souvent associé à l’idée de fin de vie. Par ailleurs, les prises de décision sont rendues difficiles et chargées émotionnel- lement, car elles impliquent deux perspectives, celle de la mère et celle du fœtus.

Un diagnostic de cancer au cours d’une grossesse suscite de nombreux dilemmes. Tout d’abord, la décision de poursuivre ou non la grossesse met en jeu une délibération concernant la vie de la mère ou celle du fœtus. Aucune mère, a priori, n’imaginerait sacrifier la vie de son enfant pour sauver la sienne : mais, pour certaines, lorsque le diagnostic de cancer survient dès les premiers jours de la grossesse, cette question va tout de même être posée.

Ensuite, si le choix de poursuivre la grossesse a été fait, le traitement sélectionné est souvent un choix de second ordre (la seconde option dans l’ordre des options thérapeu- tiques des plus aux moins optimales). En fait, l’option thérapeutique optimale pour la mère peut nuire à l’enfant, alors que retarder le traitement de la mère pour le bien de l’enfant peut léser la mère. À cet égard, le point de vue de la mère peut parfois se trouver en conflit avec la perspective du médecin.

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Une femme enceinte confrontée au cancer fait l’expé- rience d’une détresse émotionnelle intense, car son identité de femme ou plus largement le concept de soi est menacé.

Dans son corps se développe à la fois un être aimé et souhaité et une maladie qui peut porter atteinte à sa vie. Dans le cas du cancer du sein s’ajoute le fait que l’allaitement va être compromis en raison de la mastectomie ou des traitements systémiques. L’estime de soi qui peut être valorisée par l’accomplissement de ce rôle maternel peut en être fortement affectée. Par ailleurs, la mère peut également craindre de ne pas pouvoir suffisamment s’occuper de son enfant en raison des traitements oncologiques.

La détresse chronique chez la femme enceinte atteinte de cancer peut induire un environnement intra-utérin subopti- mal par une dérégulation sur l’axe hypothalamique– pituitaire-adrénalien [8,10], lequel peut affecter négative- ment le développement fœtal [11].

Soutenir la femme enceinte atteinte de cancer

La femme enceinte confrontée au cancer ne peut rien anticiper de cette situation dont elle n’a aucune connais- sance, aucun point de repère. Elle ne sait pas comment interagir avec l’équipe médicale : ce qu’elle peut demander, à quoi elle peut s’attendre. Elle peut être conseillée par des spécialistes différents, l’obstétricien ou l’oncologue, et se trouver face à des avis différents. Elle ne peut se sentir en confiance que face à une équipe coordonnée qui échange ses points de vue et qui est capable d’une bonne maîtrise de la communication médecin-malade dans cette situation délicate et complexe. Une aide plus spécifique de psycho- oncologues peut être nécessaire pour la patiente et son partenaire dans les nombreuses situations difficiles qu’ils auront à affronter : prise de décision, deuil consécutif à l’interruption de la grossesse, soutien à l’établissement du lien d’attachement maternel-fœtal ou encore, simplement, pour faire face au diagnostic, aux traitements et à la surveillance.

Capacités de communication en oncologie

La prise en charge globale en oncologie repose sur de bonnes capacités de communication. La femme enceinte atteinte de cancer présente souvent des besoins accrus de soutien lors de la communication du diagnostic au cours des prises de décision thérapeutique et durant les traitements.

Annonce de la mauvaise nouvelle

Dans le contexte d’un cancer diagnostiqué au cours d’une grossesse, l’annonce de la mauvaise nouvelle doit inclure des éléments d’information sur la situation actuelle de la

grossesse. Fournir une information sur l’âge, la position, la taille approximative et le statut développemental du fœtus à côté d’une information sur les aspects spécifiques du cancer, aide à relativiser des perceptions parfois irréalistes.

La charge émotionnelle activée par la situation doit faire considérer les capacités réduites d’appréhension de l’infor- mation par la patiente. Plusieurs consultations médicales courtes peuvent être nécessaires. Le maintien de l’espoir est primordial. Par ailleurs, l’identification des préoccupations de la patiente par des questions directes aide le clinicien à percevoir la manière de structurer l’apport d’informations nécessaires.

Le retard de diagnostic peut rendre difficile l’établisse- ment d’une relation de confiance patiente-clinicien. Les questions ou reproches à ce sujet doivent être abordées de manière non défensive. Les réactions émotionnelles doivent toujours être comprises comme expression de la détresse ; par exemple, l’expression de colère peut faire partie du processus d’ajustement psychologique au diagnostic de cancer.

Apport d’information et décision médicale partagée

Le processus de prise de décision médicale partagée repose sur un échange d’information où la patiente fait part de ses valeurs, croyances ou priorités de vie, et où le clinicien apporte les connaissances médicales nécessaires sur la maladie et les traitements.

L’information doit être fournie de manière simple, spécifique et pertinente prenant en compte le contexte social et les connaissances générales de la patiente. La commu- nication de risques peut être particulièrement difficile.

Certaines études soulignent l’importance de faciliter cette compréhension par des informations à la fois verbales et écrites afin de minimiser la dépression ou l’anxiété [5].

O’Connor et al. [7] distinguent deux types de décision clinique. L’une comprend les situations où une connais- sance scientifique des bénéfices et des risques est disponible, et où les risques sont minimaux par rapport aux bénéfices. L’autre concerne les décisions qui reposent sur les préférences et où les évidences scientifiques sont moins établies, des risques importants possibles et les bénéfices incertains. Dans ces situations, la décision repose essentiellement sur les valeurs du patient. C’est le cas notamment de la gestion des symptômes de ménopause, du dépistage anténatal ou du cancer au cours d’une grossesse.

Le clinicien sous-estime souvent le souhait de la patiente de participer à la prise de décision thérapeutique ; ce souhait devrait être investigué, et la patiente devrait pouvoir recevoir l’information nécessaire pour pouvoir prendre une décision en accord avec ses valeurs, objectifs, souhaits ou peurs.

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Ainsi, la communication au sujet du traitement dans le cadre d’un cancer apparu lors d’une grossesse se trouve particulièrement complexe pour les raisons suivantes : une connaissance médicale insuffisante laissant une marge d’incertitude importante concernant le traitement optimal ; un calcul des risques et une communication sur les risques particulièrement difficile et susceptible de biais ; une situation très chargée émotionnellement et un recours incontournable aux valeurs de la patiente pour prendre des décisions.

Attention aux émotions

La communication dans le cadre de la consultation médicale bénéficie de la prise en compte par le médecin des émotions du patient [3]. Cependant, ces consultations chargées émotionnellement peuvent également susciter des méca- nismes de défense chez le clinicien, le protégeant des émotions douloureuses et entravant sa capacité à reconnaître la détresse du patient.

L’aide mnémotechnique NURS peut être utilisée pour se rappeler la manière de prendre en compte les émotions : nommer les émotions du patient (« Cela vous effraie. ») ;

comprendre (understanding) ou légitimer (« Je peux imaginer combien cela doit être difficile. ») ;

respect (« Vous avez vraiment bien fait face. ») ; soutien ou collaboration (« Nous allons trouver ensemble

des solutions. »).

Prise en charge psycho-oncologique durant la grossesse et le post-partum

Comme la prise en charge de la femme enceinte atteinte de cancer implique plusieurs spécialistes, il est important d’assurer une continuité de l’information et d’organiser des échanges réguliers entre ces spécialistes afin qu’ils puissent échanger leurs points de vue. La patiente peut ressentir un immense soutien d’être ainsi prise en charge par une équipe de professionnels qui prennent soin à la fois de la mère et de l’enfant.

Un soutien supplémentaire par un psycho-oncologue peut être proposé. Celui-ci peut reposer sur diverses approches : centrée sur la personne, psychodynamique, cognitivocomportementale et surtout, ici, systémique. Le type d’approche proposée dépend des caractéristiques personnelles de la patiente et de son partenaire.

Faire face au diagnostic

Dans un premier temps, le psycho-oncologue aide à faire sens de ce diagnostic dans le contexte de la grossesse.

Éprouver aussi bien des émotions de peur de la mort ou de

désespoir et de la joie d’être enceinte peut être perturbant à la fois pour la patiente, son partenaire et les soignants.

Répondre aux questions qui se posent à la patiente s’avère souvent difficile. La ventilation des émotions, l’arrêt des pensées obsédantes, l’établissement de projets concrets ou l’activation du soutien social peuvent constituer des interventions utiles.

Les consultations avec le psycho-oncologue peuvent permettre également de faire la part des valeurs, croyances ou idées face aux projets de vie dans ce contexte.

Si la patiente choisit d’interrompre sa grossesse, elle aura à se détacher affectivement de l’enfant et de l’idée d’être mère, tout en devant assumer des traitements lourds comme la radiothérapie ou la chimiothérapie avant ou après la chirurgie. Le processus de deuil peut être suspendu et se manifester plus tard. Des techniques comme la relaxation peuvent aider à surmonter les effets secondaires des traitements, laissant alors la place et l’énergie pour se confronter au vécu de deuil. Se confronter progressivement aux différents enjeux de la situation peut être la seule voie permettant l’ajustement psychologique.

Soutenir le lien maternel-fœtal-néonatal durant les traitements

Être malade et recevoir un traitement tout en étant enceinte comporte des enjeux psychologiques en termes de conséquences sur le lien d’attachement maternel-fœtal.

Faire face aux effets secondaires, aux changements corporels dus à la mastectomie, se rendre régulièrement aux consultations médicales prend du temps et limite l’espace psychique qui devrait être consacré à l’expérience de la grossesse et à la préparation de la maternité. Le rôle du psycho-oncologue est de permettre l’évocation de ces difficultés. Des sentiments de culpabilité peuvent surgir en raison de l’exposition éventuelle du fœtus au traitement.

Les entretiens psychologiques peuvent être tantôt axés sur la maladie et les traitements, tantôt sur la grossesse. Des échographies régulières et des palpations peuvent favoriser le lien maternel-fœtal. La patiente peut ainsi développer une image plus concrète de son bébé et de ses comportements.

L’imagerie guidée peut être un complément utile à cet égard.

La nécessité d’un accouchement par césarienne peut être difficile à accepter et requérir un soutien psycholo- gique particulier. Par ailleurs, durant le post-partum, la patiente peut avoir besoin d’une aide non seulement psychologique, mais aussi pratique lorsqu’elle doit poursuivre le traitement, alors que son enfant est à domicile. Elle peut se sentir coupable de ne pas pouvoir s’occuper de son bébé, alors qu’elle doit faire face aux effets secondaires des traitements. Néanmoins, dans

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certains cas, l’expérience de la maternité renforce une attitude combative.

Une qualité de temps entre le couple et le bébé doit pouvoir être assurée. Un soutien pratique par les proches est bénéfique mais néanmoins parfois décevant. Des cours de massage du bébé peuvent renforcer le lien d’attachement maternel-néonatal.

Soutenir l’ajustement psychologique

Des sentiments ambivalents ou négatifs sont fréquents dans ce contexte. Ne pas se sentir capable de penser positivement peut susciter des sentiments de culpabilité chez la future mère. Alors que les proches ont tendance à ne pas accepter ces sentiments négatifs, le rôle du psycho-oncologue peut être d’écouter ce vécu difficile.

L’approche cognitivocomportementale peut aider à identifier les stratégies d’ajustement psychologique inappro- priées, comme les pensées irrationnelles (« je ne vais pas pouvoir surmonter tout cela. ») et faciliter l’adoption d’attitudes plus bénéfiques (« J’ai eu des difficultés à surmonter telle chose, et j’ai eu besoin de soutien ; néanmoins, jusqu’ici, je m’en suis sortie. »). Favoriser le sentiment de contrôle peut être particulièrement important, notamment en permettant d’identifier les situations suscep- tibles de contrôle ou de supporter les situations non contrôlables actuellement (comme l’attente de résultats d’examens médicaux).

Des interventions de crise peuvent être envisagées : la patiente peut être informée des ressources d’aide d’ur- gence si elle se sent dépassée par la détresse, notamment dans les contextes de moindre capacité d’ajustement psychologique ou d’environnement social instable. D’une façon générale, dans la première année consécutive au diagnostic de cancer, 5-10 % des patients sont susceptibles de développer un trouble dépressif [6], et durant la grossesse et la période de post-partum, ces chiffres s’élèvent à 7-13 % [2]. Compte tenu ici du cumul de ces deux facteurs de risque, l’équipe médicale doit donc être particulièrement attentive aux symptômes psychopatholo- giques durant ces périodes afin d’orienter vers une aide appropriée en cas de besoin.

Intégrer le partenaire/la famille

Le cancer menace l’ensemble de la famille de séparation ou de perte. Dans le contexte d’une grossesse, le système familial qui se développe à peine peut être particulièrement perturbé. Si le nouveau-né s’ajoute à d’autres enfants, les places et positions de chacun des membres de la fratrie doivent être renégociées. Parfois, les frères ou sœurs peuvent réagir fortement à ces changements.

Le partenaire doit pouvoir jouer une part active dans le processus de décision thérapeutique et doit être invité explicitement aux consultations médicales.

La famille élargie joue un rôle particulier en termes de soutien, mais elle peut se sentir également très touchée émotionnellement, ses propres préoccupations ou peurs laissant peu de disponibilité pour un soutien effectif de la patiente.

Le futur père est confronté à l’éventualité d’être parent seul. Il peut se sentir ambivalent, désirer fortement un enfant tout en souhaitant que sa femme vive. Il peut être confronté à des changements de rôle et être amené à assumer des responsabilités supplémentaires. Il peut hésiter à exprimer ses peurs à sa partenaire dans le but de la protéger. Des entretiens psychologiques individuels avec le conjoint peuvent être utiles pour élaborer ces conflits.

Idéalement, le soutien est proposé au couple dans le but de favoriser l’ajustement dyadique à la situation.

Les professionnels en oncologie assument un rôle important en accompagnant le patient atteint de cancer d’une phase antérieure de vie sans maladie à une nouvelle vie avec des symptômes et des limites, des problèmes et des préoccupations. Des questions sur le pronostic, sur les changements corporels, la sexualité, la fertilité, les frustra- tions liées à l’entrave aux objectifs de vie, une vulnérabilité accrue, une ménopause induite, des changements de rôles sociaux ou du système familial constituent quelques exemples de difficultés auxquelles la patiente est confron- tée. Face à celle-ci, l’oncologue peut se sentir particulière- ment mobilisé. La possibilité d’échanges réguliers entre les professionnels impliqués dans ces situations peut permettre l’entraide face aux besoins considérables suscités par ce contexte.

Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

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Références

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