Analyse, s´eance 5 : cours ANALYSE FONCTIONNELLE
Objectifs
Nous avons introduit la notion de formulation faible d’un probl`eme qui est un cas particulier d’une id´ee tr`es g´en´erale qui consiste `a n´egliger les valeurs ponctuelles d’une fonction pour ne consid´erer que ses valeurs moyennes ou des grandeurs globales (travail, masse, ´energie, entropie...) qu’elle d´efinit. Nous allons ´etudier la notion de distribution qui en est un autre cas particulier largement utilis´e en analyse math´ematique.
Formulations faibles et distributions
Notion de distributions
Soit Ω un ouvert de Rn. Dans les formulations faibles des ´equations diff´erentielles les fonc- tions n’interviennent que par les int´egrales R
Ω f(x)φ(x)dΩ o`u φ(x) est dans un ensemble de fonctions “tests”. Ces int´egrales ont souvent un sens physique, par exemple si f(x) est une densit´e de forces, et si φ(x) est un champ de d´eplacements, l’int´egrale repr´esente un travail, plus pr´ecis´ement on peut consid´erer qu’une densit´e de force f(x) d´efinit une forme lin´eaireR
Ω f(x)φ(x)dΩ sur l’espace des d´eplacements, forme lin´eaire qui est un travail. Ces int´egrales repr´esentent des grandeurs physiques globales (des ´energies par exemple), mieux d´efinies que les valeurs ponctuelles des fonctions. La th´eorie des distributions red´efinit les notions de densit´e de forces ou de charges par les formes lin´eaires qui leur sont associ´ees, ce qui permet de d´efinir, non seulement les densit´es associ´ees `a des fonctions, mais encore des densit´es associ´ees `a des charges ponctuelles ou lin´e¨ıques comme il est d’usage de le faire en physique.
On associe donc `a une fonction int´egrablef(x)∈ L1(Ω) la forme lin´eaire
< Tf, φ >=
Z
Ω
f(x)φ(x)dΩ
Il reste `a pr´eciser l’espace des fonctions tests qui peut varier selon les applications. Pour d´efinir les formulations faibles de probl`emes dff´erentiels du second ordre nous avons utilis´e les fonctions C1 ou C2 nulles sur le bord. Pour ´etudier des probl`emes diff´erentiels quelconques on consid`ere des fonctions C∞, pour traiter des d´eriv´ees d’ordre quelconque, et `a support compactpour que toutes les int´egrales soient d´efinies. Pour ´etudier des fonctions p´eriodiques on consid`ere des fonctions tests C∞ et p´eriodiques.
Distributions sur R
D´efinitions ´el´ementaires
On d´efinit de fa¸con analogue les distributions sur un ouvert deRn.
D´efinition 1 SoitΩun intervalle ouvert deR. Nous utiliserons lesespaces des fonctions tests suivants
D(Ω) ={φ∈C∞(Ω)/∃a, b∈Ω supp(φ)⊂[a, b]}
D(T) ={φ∈C∞(R)/ φ(x)est p´eriodique de p´eriode 2π}
On munit l’espaceD(Ω) de la notion de convergence suivante
limn φn=φ⇔ ∃a, b∈Ω/ supp(φn)⊂[a, b] et∀k φ(k)n →φ(k)
o`u la convergence est prise au sens de la convergence uniforme et φ(k)n est la d´eriv´ee d’ordre k deφn.
On d´efinit de mˆeme la convergence dansD(T)
φn→φ⇔ ∀k φ(k)n →φ(k)
D´efinition 2 L’espace des distributions D0(Ω) (resp. l’espace des distributions p´eriodiques D0(T)) est l’ensemble des formes lin´eaires continues sur D(Ω)(resp. D(T)) .
Dans ce qui suit, pour simplifier les notations, nous nous limitons aux distributions sur R, mais l’extension `a un intervalle quelconque est imm´ediate..
• Exemples
Une fonction continue f(x)∈C(R) d´efinit de mani`ere unique1 une distribution
< Tf, φ >=
Z +∞
−∞
f(x)φ(x)dx
Une fonction localement int´egrable (au sens de Lebesgue) d´efinit de mˆeme une distri- bution mais deux fonctions qui sont ´egales presque partout d´efinissent la mˆeme distri- bution.
On appelledistribution de Diracau point ala distribution
< δa, φ >=φ(a)
Si φ repr´esente un d´eplacement,< δa, φ >= φ(a) est le travail d’une force ponctuelle d’intensit´e 1 plac´ee au point a ; nous verrons ci-dessous qu’une distribution de Dirac donne une r´epr´esentation math´ematique coh´erente de la notion de force ponctuelle, charge ponctuelle....
Nous ne d´ecrirons pas les distributions g´en´erales, celles que nous consid´ererons par la suite seront ou bien des fonctions ou bien des distributions de Dirac. Les distributions sont des objets plus g´en´eraux que les fonctions auxquels nous allons ´etendre quelques notions usuelles pour les fonctions.
1Car∀φ∈ D(R), R+∞
−∞ f(x)φ(x)dx= 0⇒f= 0
• Valeur en un point
Soitψnune suite2de fonctionsC∞, positives, d’int´egrale 1, nulles en dehors de l’intervalle [a−n1, a+n1].
Pour les lecteurs que la perte des valeurs (des fonctions) angoissent, notons que si f(x)∈C(R) on a
f(a) = lim
n
Z +∞
−∞
f(x)ψn(x)dx
On peut donc d´efinir par extension la valeur en ad’une distribution par la formule T(a) = lim
n < T, ψn>
S’il existe une fonction associ´ee `a la distribution, on retrouve ses valeurs par cette formule. On peut v´erifier que cette expression donne la valeur 0 `a la distribution de Dirac en tous points diff´erents dea.
Le probl`eme est que :
1) cette limite n’existe pas toujours.
2) ces valeurs ne caract´erisent pas toujours la distribution comme on le voit pour la distribution de Dirac, car une fonction nulle sauf en un point d´efinit des int´egrales nulles.
• D´eriv´ee d’une distribution
On v´erifie par int´egration par partie que sif ∈C1(R)
< Tf0, φ >=−< Tf, φ0 >
On d´efinit donc par extension la d´eriv´ee d’une distributionT par la formule
< T0, φ >=−< T, φ0(x)>
Que sont les distributions d´eriv´ees de fonctions non d´erivables ? Il y a des cas com- pliqu´es, mais
− Sif(x) est continue etC1 par morceaux on aura (Tf)0 =Tf0 o`u nous notonsf0 une fonction ´egale `a la d´eriv´ee quand elle est d´efinie et quelconque ailleur, l’ind´etermination n’ayant pas d’effet sur la distribution associ´ee (le v´erifier par int´egration par parties).
− SiH est la fonction d’Heaviside (H(x) = 0 six <0 etH(x) = 1 six≥0) on v´erifie imm´ediatement
(TH)0 =δ0
− On v´erifie plus g´en´eralement que si f(x) est une fonctionC1 sauf aux points xi o`u la fonction admet une limite `a gauche et `a droite, on a
(Tf)0=Tf0+X
i
(f(x+i )−f(x−i ))δxi
(le v´erifier par int´egration par parties).
2Pour construire une telle suite, on d´efinit d’abord Ψ(x) par Ψ(x) = exp 1/(1−x2)2 sur [−1,1] et 0 ailleurs (on montre que Ψ(x) ∈ C+∞([R])), puis φ(x) = Ψ(x)/R
R Ψ(x)dx qui est d’int´egrale ´egale `a 1 et φn(x) =nφ(n(x−a)).
• Convergence des distributions
D´efinition 3 Soit Tn, T ∈ D0(R), on dit que
Tn→T ⇔ ∀φ∈ D(R) < Tn, φ >→< T, φ >
Une cons´equence imm´ediate de cette d´efinition est que la d´eriv´ee est une op´eration continue :
Proposition 1 La d´erivation des distributions est continue par rapport `a la conver- gence au sens des distributions
SiTn→T alors (Tn)0→T0
La distribution de Dirac est la limite (au sens des distributions) d’une densit´e de charge de r´esultante 1 qui se concentre au point a.
Proposition 2 Si ψn est une suite de fonctions positives, d’int´egrale 1, nulles en de- hors de l’intervalle [a− 1n, a+n1] on a
∀φ∈ D(R) lim
n
Z +∞
−∞
ψn(x)φ(x)dx=φ(a) c’est `a dire que Tψn →δa
La convergence, prise au sens des distributions, d’une suite de fonctions est une con- vergence “en moyenne” .
• Il est possible de d´efinir sur les distributions, par extension, diverses notions usuelles pour une fonction comme “ˆetre positive” ( ∀φ ≥0 ∈ D(R) < T, φ >≥0), ou bien la translat´ee θh(T) d’une distribution (∀φ≥ 0 ∈ D(R) < θh(T), φ >=< T, θ−h(φ) >)...
Le principe g´en´eral est de traduire une notion usuelle pour les fonctions en termes de propri´et´es de la forme lin´eaire R+∞
−∞ f(x)φ(x)dxpuis d’´etendre la d´efinition.
Noter que nous n’avons pas d´efini le produit de deux distributions : on montre qu’il n’y a pas de d´efinition coh´erente d’une multiplication continue qui prolongerait la notion de produit de deux fonctions.
Applications ´el´ementaires
• Equations diff´´ erentielles avec des charges concentr´ees
La position d’´equilibreu(x) d’une corde tendue de longueurLsous l’effet d’une densit´e de forcef(x) est solution du probl`eme aux limites
½ −u00(x) =f(x)
u(0) =u(L) = 0 (1)
Si on applique une force concentr´ee F au point d’abscisse a, la position d’´equilibre ua(x) a la forme d’une corde pinc´ee. Par passage `a la limite en consid´erant une densit´e f(x) de r´esultante F qui tend vers une charge concentr´eeF on voit queuadoit v´erifier u(a) =u(L) = 0 et
−(Tua)00 =F δa
On v´erifie facilement qu’une solution de l’´equation (en fait la seule) est la distribution Tua associ´ee `a la fonction
ua(x) = F
L(L−a)x x≤a ua(x) = F
La(L−x) x≥a
(2)
L’usage est de dire que ua est solution au sens des distributionsde l’´equation
−ua00=F δa
• Convergence des s´eries de Fourier
Rappelons que si u(x) est une fonction C1 de p´eriode 2π sa s´erie de Fourier converge uniform´ement vers u(x), en particulier si φ ∈ D(T) la s´erie de Fourier de φ converge uniform´ement versφ, et que cela est faux en g´en´eral pour une fonction moins r´eguli`ere.
Mais dans le cadre des distributions on a le r´esultat g´en´eral :
Proposition 3 Soit f(x) une fonction localement int´egrable 2π-p´eriodique. La s´erie de Fourier de f converge versf au sens des distributions
Preuve
On noteSn(f) la somme desnpremiers termes de la s´erie de Fourir def. V´erifier que Z 2π
0
Sn(f)(x)φ(x)dx= Z 2π
0
f(x)Sn(φ)(x)dx On en d´eduit, puisqueSn(φ)(x) converge uniform´ement vers φ, que
limn
Z 2π
0
Sn(f)(x)φ(x)dx= lim
n
Z 2π
0
f(x)Sn(φ)(x)dx= Z 2π
0
f(x)φ(x)dx c’est `a dire TSn(f)→Tf au sens des distributions. ♦
• S´erie de Fourier d’une distribution p´eriodique Remarquer que
an(f) = 1 π
Z 2π
0
f(x) cosnx dx= 1
π < Tf,cos(nx)>
Ce qui permet d’´etendre la d´efinition des coefficients de Fourier aux distributions de D0(T)
an(T) = 1
π < T,cos(nx)>
On montre, comme nous l’avons fait ci-dessus pour les fonctions,
Proposition 4 La s´erie de Fourier d’une distribution p´eriodique T ∈ D0(T) converge vers T au sens des distributions.
V´erifier directement la formule δ0= 1
π(1 2 +
∞
X
k=1
cos(kx))
o`u la convergence est prise au sens des distributions (noter que la s´erie ci-dessus ne converge en aucun point au sens ordinaire).
S.L