Faite au Théâtre de Dieppe, le Vendredi 19 Avi en présence de plus d’un millier d’Electeurs
Albert JUBAULT
Chevalier delaLégion d'Honncur Officier demarineenretraite
PRIX
:50 CENTIMES
DIEPPE
IMPRIMERIE DIEPP01SE
Direclcur: Eri. Deyvcn 194,
Gu
aNde-Ru e, 19 41
893
«
/
LES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
LEUR HISTOIRE
Leurs Rapports
financiersavec
l’Etat etl’Epargne
Faite au Théâtre de Dieppe, le Vendredi 19 Avril 1895 en présence de plus d’un millier d’Electeurs
PAU
Albert JUBAULT
Chevalierde laLégion d’Honncur Officierdemarine enretraite
DIEPPE
IMPRIMERIE DIE PPÜISE
Directeur: Ed. Dequen 194,
Gkande-Rue,
1941893
LES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
LEUR HISTOIRE
Leurs Rapports financiers avec l'Etat el l’Epargne
MESSIEURS,
Jene
vous
ferai pas l’injurede m’excuser de traiter devantvous
la question délicate,complexe,aride,mais
aussi passion- nante, desChemins
de ferdans
leursrapports financiers avec l’Etatet la fortuneprivée.Dans un
payscomme
le nôtre, chargé d’une dette publiqueque
l’on peut estimer à trente-deux•Milliards environ—
non
compris les dettescommunales
et départementales qui s’élèvent à trois milliards et demi— on comprend
facile-ment
quelle perturbation elfroyablepour
l’épargne résulterait d’une crise sur lesChemins
defer représentantun
capital de 18 Milliards 500 Millions qui sont prélevés sur elle. Cette crise, Messieurs, auraitune
répercussion formidable et désas- treusesur la fortune publique. Il ne faut passe le dissimuler, lagrosse queslion financière de l’heure présente est celle desChemins
de Fer. Elle peutsedénouer
heureusement,—
sinon
facilement,
—
à conditionque
toutlemonde —
Etatet'Compa-
gnies—
apporteune prudence
extrême,une
sagesse réfléchie,un grand
esprit d’équité,une
grandebonne
volontédans
larecherche de la solution à intervenir, si l'état dé choseactuel a besoin d’être modifié.
Dans
ce discours, les chiffresvont jouerun
rôle prépondé- rant;eux
seuls seront éloquents; je vais m’efforcer de lesgrouper detelle façon
que vous
puissiez sortird’ici avecune
conviction raisonnée sur laquestion.Je dois d’abord justifier àvos
yeux
le titremême donné
à cette conférence; ce faisant, j’introduirai dès le début de la clartédans
le sujetque
jeme
propose de développer.729366
—
6Les Rapports financiers des
Chemins
deFeu
avec l’Etat résultentde leursengagements
réciproques; leur étendue semesure
par les chiffres suivants inscritsdans
lede 1895 :
Budget
Garanties d'intérêtspour teschemins defer français.
Los5 grandesCompagnies /
La Corn pagine duRhône au Mont-Ccnis. I
Sud delaFrance / 97.100.000fr.
Economiques I
Départementaux \
Tunisiens 2.300.000 f-.
Algériens | 23.000.000
formant un totalde 117.400.000 fr.
pour
les garanties d’intérêts seulement. Maispour
évaluer la totalitédes charges publiques afférentesaux chemins
defer, il y a lieu de se reporter à divers chapitresdu Budget du
Ministère des
Travaux
publics et des Finances.On y
trouveun ensemble
de dépenses qui, sous diverses dénominations—
dépensesobligatoires assimilables à des dettes d’Etat, dettes remboursables à terme
ou
par annuités—
portentau
total de245 millions lechiffre
que
l’Etatdevra payeraux Compagnies
en 1895.Vous
voyez maintenant quels sont les rapports financiers de l’Etat aveclesChemins
de Fer!Vous
encomprenez
bien, n’est-ce pas, l’étendue, la gravité?Vous
saisissez déjà le lien étroit de solidaritéqui lie le sort desuns
et de l’autre, c’est-à- dire desChemins
deFer
et del’Etat?Messieurs, les rapports financiers des
Chemins
de Feravec lafortune privée se traduisent également pardes chiffres.Des
chiffres! encore
une
fois?Vous
n’allezentendre parlerque
de celàdans
ce discours. Si je suis clair, sije les fais intervenir judicieusement, si, enfin,vous me
prêtezune
oreille attentive,nous
arriverons ànous
entendre facilement et cette étude passionnantevous paraîtramoins
aride qu’elle ne le semble deprime
abord.Au
31décembre
1892, la situationdu
capital dessix grandescompagnies
était la suivante :3.059.000 actions représentant un capital-actions à amortir de 1.477.000.000fr.
33.875.790 obligations représentant un capital-obligations de 17.126.508.000fr.
Maintenant
que
j’ai justifiéà vosyeux
le titredonné
à ce discours,il nie faut encoreavant d’entrerdans
lecœur même
de
mon
sujetvous
expliquerpourquoi
ce discours. Il apour
objet devous
faire connaître cette question deschemins
defer, question si
mal connue
de l’immense majorité de ceuxmêmes
dont lesvotes disposentdela fortune publique.Quand
vous la connaîtrez,
quand vous
saurez sur quelle garantie repose leplacement
de vos économies, petitesou
grandes, confiées à l’industrie desChemins
de Fer,vous
serezmoins prompts
àvous émouvoir
des assautsmalhonnêtes
d’une spéculation éhontée.La
spéculation,du moins une
certaine spéculation,—
cellemalheureusement
la plus pratiquée—
voilà l’ennemi ! Voilà l’ennemi contre lequelje voudrais mettre en garde l’Epargne péniblement, laborieusement,honnêtement
accumulée. C’est la petiteEpargne que
jeveux
défendre, parce qu’elle est l’objectifde laspéculation qui sait fort bienque
ses déten- teurs sont les plusprompts
à s’alarmer, à cause de leur ignorancemême
desévènements
qui agitent labourse,deleur impossibilité de les contrôler et de les analyser.La
spéculationmalhonnête
est celle quisème
l’alarme sans raison, qui opèreun
travail de taupepour
ruiner les entre- prises les plus légitimes et les plus sérieuses, qui dépose calomniesetinsinuations perfidesdanslesjournaux
financiers oudans
lapressevénale!La
spéculationmalhonnête
pratique l’achat des consciencesparlementaires;nous
enavons
des exemples récents dansles affairesdu Panama
et desChemins
de Ferdu Sud — pour
ne parlerque
decelles-là !— On
l’avue
s’acharner sans vergogne,pendant
dix mois, après nos valeurs deChemins
de Fer, valeurs qui jouissaient d’unerenommée
aussibonne que
celle de la rente.Pendant
qu’elle accomplissait cette antipatriotique besogne, elle poursuivait à l’aide d’un syndicat bienconnu
à Paris, la hausse de la rente italienne et la faisaitmonter
àun
tauxque
nejustifient ni la situationéconomique,
ni la situation financière dece pays. Notremarché
s’encombrait de titres de renteitaliens; notre or franchissaitla frontièrepour
se transformer en acier avec lequelon
sç propose de trouerau
plus tôt des poitrines françaises. Bête odieuse, malfaisante et jamais repue, la spéculation est àl’affût detout ce qui est sain et bien.vivant, de tout ce qui présente les apparences de la richesse et de la prospérité.Voulez-vous la voir à l’œuvre? Reportons-nous à quelques
—
8mois, en arrière, à l’époque
où
survint le désaccord entre l’Etat etdeux Compagnies,
leMidi et l’Orléans, relativement à la durée de la garantie d’intérêt.Que
voyons-nous? Je prendsdans
laBoursedu
17Mai
1894, le cours des actions et des obligations des six grandescompagnies
;dans
celledu
21 Juin de là
même
année, les cours correspondant àcette date.Eh
bien! parun
.calcul très simple, je constate,pour
cet intervalle,
une
diminution de 350,465,000 francs sur le capital-actions.Pendant
lemême
temps,lecapital-obligations, si difficile à émouvoir, subissaitune
diminution d’unpeu
plus de 100 millions.Voici le tableau de cettebaisse:
NOMS
des compagnies
VALEUR
des Actions
le17Mai
VALEUR
des Actions le21 Juin
NOMBRE
desActions de chaque compagnie
DIMINUTION du
CAPITAL-ACTION
Midi 1350 fr. 1095 fr. 250.000 63.750.000fr.
Orléans 1606 1438 600.000 ICO.800.000
Ouest 1118 1085 300.000 9.900.000
Paris-Lyon 1510 1350 800/00 128.000.000
Nord 18' 0 1805 525.000 28.875.000
Est 954 9?t 580.000 19.140.000
Eh
bien! Messieurs,pendant
plusieurs mois, jusqu’au jouroù
le Conseil d’Etat rendit sonjugement dans
le différendsurvenu
entre leMidi et l’Orléans avec l’Etat,jugement
favo- rableaux deux
compagnies, jusqu’à ce jour-là,nosactions deChemins
de ferfurentlejouet de la spéculation. Si le public avait étémieux
édifié sur la valeur des titres qu’il avait en main, il n’aurait pas pris peur, la baisse formidable dont jevous
parlais ne se serait pas produiteau moins
sur les litres desCompagnies
hors de cause. Mais le publicne savait pas !Chaque
jour, il lisaitdans une
certaine presse des articles fulminants contre ces horriblesCompagnies
;on
lui laissait entrevoir lapossibilité d’annulerles conventions de 1883.Le
public arriva à douter dela valeurdu
papier qu’il avait enmain
; il vendit, il vendit longtemps, à la grande joie des malins cachésdans
la coulisse qui, eux, achetaient, espérant bien réaliserd’immenses
bénéfices aprèsune
hausse quiétait' inévitable
—
et qui s’est produite.—
9—
C’est
une
histoire singulièrement suggestiveque
celle de la spéculation dans cette dernière moitiédu XIX
e siècle.Le
penseur y trouve matière à de douloureuses réflexions.Le cœur
saigne àcontemplertoutes les ruinesqu’elleaentassées^àla penséedes désespoirs qu’elle afait naître et des misères dont elle est responsable.
Son
histoire, semblable à celle de lady Macbeth, est pleine de sang.Comme
cette reine,torturée parleremords, ellepourraits’écrier:« Quoi! cesmains
neseront«jamaispropres! Ilg a là, toujours là, une odeur de sang (pie
« touslesparfumsdel'Arabiene parviendraientpas àdésinfecter.
Est-ce
que
j’exagère, Messieurs? Réfléchissezdonc
à tous les suicidesdont la spéculationest l’unique cause.Remontant
vers le passé, laissez-moivous
conduire jusquedans
ceMexique où
blanchissent les os de milliers de Français, etpourquoi? Vous
le savez, cette expédition a été faitepour mener
à bien les spéculations financièresdu
banquierJœcker
et deson associédeMorny. Jœcker
futexécuté à Paris par lescommunards,
c’est ce qu’ils ontfait demoins
demal
!N’allez-vous pas
vous
attendrirsur lamort
de cethomme
?Quand,
par lapensée, j’entends lesifflement des balles qui lefrappèrent,je
me
dis: « Laissezî laissezs’accomplir lajustice deDieu
! »Pardon
de cette digression, revenonsà notre aride sujet.Avant
de faire, à grands traits,au
pas de course, l’histoire desChemins
deferfrançais, je tiens à répondre à l’objection suivante qui pourrait m’être faite.En
défendant avec chaleurle capital engagé
dans
lesChemins
de fer, nevous
faites-vous pasle défenseur d’unmonopole
; nevous
constituez-vous pas gratuitementlechampion
d’uneinfimeminorité derichescapi- talistes? Celanous
conduit naturellementàexaminer
laprove-nance
descapitauxengagésdans
l’industriedesChemins
defer,à rechercher de
combien
demains
ilssortent. Messieurs,je trouve la réponse àvous
fairedans
le discoursdeM.
Deseha- nel, discoursprononcé
à laChambre dans
la séancedu
20
novembre
1894, à propos de lafameuse
interpellation de M. JulesGuesde
surle collectivisme. Cette réponse, la voici :«
A
(pii appartiennent les sixgrandes compagnies ?Au
total,«pour les six grandes Compagnies réunies, noustrouvons ufic
«
mogenne
de 12 à 19 actions parcertificat nominatif, soit un« capitalde 13.500 à 27.003 francs; et une
moyenne
de 32obli-« gâtionsparcertificatnominatif,soituncapitalde 15.000 francs
« environ. Les titres au porteur sont disséminés dans un plus
«
grand nombre
de mains.— lo-
ft Les
Compagnies
deChemins
defersont donc le patrimoineft de plusieurs centaines demille defamilles françaises. » Messieurs,
dans une
démocratie,. il faut se méfier des légendes. Il en estune,malheureusement
troprépandue
dansles classeslaborieuses, soigneusement entretenue parcertains politiciens, c’est celle qui tend à
montrer
lesCompagnies
comme
appartenant àune
infime ploutocratie. C’est faux! je viens d’en faire la preuveque
je tiensà confirmer encore, la chose en vaut lapeine, envous
présentant la réponse d’un député-rapporteur à l’honorable M. Lockroy, combattant les conventions.« Je sais très bien qu'il g a,
non
seulement dans les régions« parlementaires, mais dans lepublic, un préjugé sur la façon
« dont lesactions de
Chemins
defersontréparties.ft Cepréjugé nexisteprobablement pas dans l'esprit de tous,
«puis qu'on m'interrompt pour dénier ce que j'avance; mais
«j'affirme qu'il g a, sinon ici,
du
moins dansnombre
de lieux« où l'on s'occupe de questions économiques et financières, celte
« opinion que, s'il estvraique lesobligations de chemins de fer
« sontréparties entre un
grand nombre
demains, iln'en est pas« de
même
des actions, que toutes les actions, que tous ces« capitaux considérables, dont le total atteint des centaines de
ft millions, sont concentrés entre les
mains
de quelquescentainesft de personnes seulement.
« C’est une erreur; les actionsde
Chemins
de fer sont épur-aipillées, émiettées en un
grand nombre
de mains, presqu'é-« quivalent, toutesproportions gardées, au
nombre
des porteurs« d’obligations.
a Je vous citerai
deux
Compagnies. Voici quelle est laft répartition desactions de la
Compagnie
d'Orléans:ft Celle
Compagnie
a 600.000 actions : 302.916 nominatives et« 297.6Si auporteur.
« Ses302.916 actions nominatives sont ainsi réparties: 6.512
« actionnaires enpossédant de1 à 10.
« 5.120 enpossédantde 11 à 100.
a i25 enpossédantplus de100.
« Voilà donc 12.057 porteurs d'actions nominatives qui, en
« général, sont plusparticulièrement concentrées dans les
mêmes
ft mains.
« Les actions anporteur, ci cause de leurmobilitéplusgrande,
ft sont réparties en un
nombre
demains
plus considérableft encore: on estime, en ejfet, que les 297.08iactions au porteur
ft sont
aux mains
de 29.700 actionnaires.Pour
cette seuleIl
-
« Compagnie, la féodalité financièresecompose de4-5,000 action-
« nairespossédant une
moyenne
de 14 actions.« Je saisqu'on reconnaîtgénéralementqu’en effet, les actions
(( de cinqdesgrandes Compagnies sont assez disséminées dans
« les
mains du
public; mais, dit-on, il y a uneCompagnie
qui a« échappéci la loi
commune
: c'est le Nord.Eh
bien, Messieurs,« voici le tableau de la répartition des actions
du Nord
:« Total
du nombre
des actions: 525.000. Elles sont réparties« entre 25.000 actionnaires.
« Ainsi, l'armée féodale
du Nord
se compose de 25.000«personnes, celle de l’Orléans de 45.000.
On
peut donc évaluer« ces
deux
armées à 70.000.«
La
démonstration queje veuxfaire apour butde dissiper le«préjugé généralementrépandu que lesactions de
Chemins
de« fersontdans les
mains
de quelques banquiers; elles sont le«patrimoine d’environ 300.000 familles françaises. Je ne
« comprends ici que les actionnaires ; les obligataires sont hors
<(
du
débat. »Messieurs, la démocratie a
mieux
à faireque
d’user ses forces à poursuivre la ruine, sous prétexte de détruireun monopole,
d’une industrieque
je qualifierai de nationale, tellement defamilles françaisessontintéresséesàsa propriété.La
lancer surune
pareille piste, c’estcommettre une mau-
vaise action. C’est toujours la politique de « l’os à ronger »
que
l’onjetteaux
foulespour
détourner leur attention des justesrevendications; c’est la politique de ceux qui, ayant toutpromis, sont impuissants àdonner quelque
chose.Il ressort
donc
bien decette première partie demon
dis-cours
que
les rapports financiers de l’Etat et de l’Epargne avec lesChemins
de fer sont intimes, profonds. Ces trois entités, l’Etat, l’Epargne, lesCompagnies
formentune
sorte de trinité dont les intérêts sont connexes; l’un desmembres
decette trinité ne peutêtre en souffrance sansque
lesdeux
autres ne s’enressentent. J’ai établi égalementque
l’industrie desChemins
defer intéresse,non
pasune
ploutocratie,comme
certains l’affirment en
mentant
effrontément,mais
biendes millions deFrançais.Messieurs, la science, l’industrie, le
commerce
ontune
poésie particulière d’uneétrangegrandeur
et qui découle des progrès accomplis, descomparaisons
avec le passé, des12
-
efforts
du
géniehumain,
des difficultés qu’il a surmontées, enfindes résultats obtenus.Nous sommes
loindu
27Septembre
1828!Ce
jour-là, Georges Steplienson fitmarcher
la première locomotive de Stockton àDarlington, en Angleterre.Depuis
lors, jusqu’au1er.Octobre 1889
—
(je prendsces renseignementsdans
YEu-
ropepolitiqueetsociale, de Maurice Bloch) 571.775 kilomè-tres de voies ferrées ont été posées sur la terre, savoir :
214.258k. en Europe, 28.415 en Asie, 8.309 en Afrique, 16.790 en Australie, 304.005en
Amérique,
dont 251.291aux
Etats- Unis.Pour
se rendrecompte
de la grandeur de l’œuvre accomplie,on
peut lacomparer
à l’unitémonétaire, le franc.Le
résultat obtenu se chiffre par68 milliards enEurope
et 52 milliardsaux
Etats-Unis.Messieurs, par
un
effort de la pensée, essayons denous
rendrecompte
de ce qui se passe à la surfacedu
globe à l’heuremême où
j’ai l’honneur de parler devant vous.A
travers les ténèbres épaisses de la nuit,
ou
sous l’éclatante lumièredu
soleil ; ici, malgréle vent, la pluie, la neige; là,sous
une
chaleurétouffante, torride; s’engouffrant sous lesimmenses
assises des Alpes ; gravissant péniblement lesrampes
escarpées des Andes, depuisLima
jusqu’à l’Oroya ;franchissant le Forth sur le plus
grand
pontdu monde
;courantà travers le steppe désolé
du
Turkestanou
les soli- tudessauvages et redoutéesdu
Cayor,que
se passe-t-il ?que voyons-nous? Nous voyons
des multitudes de petitesvoituresaux
formes particulières portant deshommes,
desmarchan-
dises, s’avancer sur le rail d’acier, là, lentement, ici rapide- ment, ailleurs follement
— on
atteint des vitesses de 120 à 130 kilomètresaux
Etats-Unis—
entraînées par lavapeur
asservie parle génie del’homme. Une armée
de travailleurs est là, debout, attentive, l’œil fixé sur l’horloge—
car tout doit se faire à laminute
sous peine de terribles catastrophes—
surveillant, réglant tout; il s’agit, en effet, de mettre enmouvement une immense
machinerie. Grâceàelle, par année, 2 milliards de voyageurs sont transportés, 10 milliards de quintaux demarchandises
sont déplacés. Mais tout cela, Messieurs, c’estpurement
etsimplement
merveilleux! L’esprit resteconfondu
devant l’œuvre accomplie, devant les transfor- mations formidables dont elleest lacausedans
l’ordre moral,économique
et social.Les
chemins
de fer, Messieurs, ont produit la plus grande révolutionéconomique que
lemonde
ait jamais vue. C’est13
-
d'eux
que
l’on peut dire : « Ils ont renouvelé la face de la terre. »La
rapidité des transports, leurbon marché
inouï,cesdeux
chosesjointesà l’exode des capitaux européens quivont chercherdans
des paysnouveaux une
rémunération fruc- tueusequ’ils ne trouvent plusdans
nosvieilles sociétés,voilà l’originedu
malaise dontsouffre l’Europe.On
peut direque
notre vieuxmonde,
n’ayant pas su prévoir les conséquences de la force nouvelle—
lavapeur —
expie par des criseséconomiques
la faute de son imprévoyance.Nous aurons beau
élever des barrières artificiellespour
fermer nosmar-
chés à tous les produits exotiques si vite et siéconomique- ment
transportés de tous les coinsdu monde,
nos efforts seront vains! Semblablesaux
sablesque
le ventaccumule au
pied des obstacles qu’on leur oppose et qui montent,montent
toujourset finissentparles déborder,ainsi il ensera des produitsétrangers. Je suis bien loin deblâmer
l’obstacle douanier qu’on leuroppose,mais
sincèrement, je ne vois là qu’unexpédient. C’estdans une
autre voieque nous devons
chercher à lutter contre la concurrence étrangère, par exemple,dans une
diminutiondes fraisgénéraux de production résultantd’une réforme del’impôt,detransports àbon
marché, d’une stabilité plus grande à l’intérieur et d’une sécurité parfaite à l’extérieur, enfin d’une politiqueéconomique
à laquellenous
tournonsledos avecnotre budget de3milliards 428 millions.Comment
s’est construit ce gigantesque réseau ferré qui s’étendsurla terrecomme un immense
filet dont les mailles, avec le temps, se resserrent de plus en plus? C’est ceque nous
allons examiner.Dès
l’originede la construction desChemins
de fer,deux
systèmes simplesetdiamétralement opposés ontprisnaissance.Tantôt la construction et l’exploitationont étél’œuvre
unique
del’initiative privée; l’Angleterre et les Etats-Unisnous
en offrent l’exemple; tantôt la constructionet l’exploitation desChemins
de fer ont été ^réservées exclusivement à l’État,comme
en Belgique etdans
plusieurs étatsde l’Allemagne.Le
système adopté enFrance
s’est ressenti de notrepeu
de foi,au
début,dans
l’avenir desChemins
de fer, de nos crises politiques et commerciales, de noschangements dans
laforme du
gouvernement. C’estun
systèmeun peu
compliqué,dans
lequel l’initiativeparticulièreet l’actionde l’Etat, lescapitaux privés et lesfinances publiques ontété associées intimement.Je
me
hâte d’ajouter que,pour une
fois, les défauts de notre-
14-
politique ne
nous
ont pas été préjudiciables ; car, malgré les incertitudes, les tâtonnements de plus d’un demi-siècle,nous
possédons la meilleure organisation desChemins
de fer dansle
monde.
Nous
allons jeterun coup
d’œil rapide etméthodique
sur l’histoire desChemins
deFer
français;nous
la diviserons en plusieurs chapitres, en sériesmarquées
par des dates importantes.La lTisérie partira de 1823, date de la première concession de chemindeferen France
—
celuide Saint-Etienne à Andrézieux—
elle irajusqu’en 1833,année qui marque le point de départ de la législation deschemins de fer.La2* s’étendra de 1833 à 1842, année pendant laquelle le gouver- nement élabore pour la premièrefois un programme completdes voies de communication.
La 3" ira de 1842 à 1839; nous assisterons dans cct intervalle à la
formation des six grandes compagniesetàleurmariage de raison avec l’Etat; ce dernier acte s’appelle les conventions de 1859. Cette date, Messieurs, est une date mémorable dans l’histoiredes chemins defer.
La
4eaura pourpoint de départ 1839 et pourpointterminus 1876 qui ouvre une période nouvelle, celledela formation d’un réseau d’Etat.La dernière série nous conduira jusqu’en 1883, date célèbre entre toutes, celle des conventions qui règlent définitivement les rapports financiers del’EtataveclesCompagnies.
Rassurez-vous, Messieurs,
nous
irons vite,,très vite;nous
ne feronsque
feuilleter cette histoire, qu’en indiquerles faits saillants;nous
feronsde l’histoire à vol d’oiseaupour
avoirune vue
d’ensemble. J’ai hâte, autantque
vous, d’arriverà l’étude des conventions de 1883 et d’examiner sincèrement, sans parti-pris,les conséquence dece dernier contratpour
lesFinances publiqueset l’Epargne privée.
Le
sujetque
je traite est très aride, aussi m’excuserez-vous del’égayerun peu aux
dépens de grands politiqueset d’illus- tres savants: celanous
consolera de n’êtreque
des modesteset des
humbles
! «Une
fois les railsposés, de graves théoriciens déclarèrent qu’il fallait préférer l’emploi deschevaux pour
la traction à celuidelà
locomotive.M. Thiers,
pendant
longtemps, n’attacliaaucune
impor- tance à ce qu’il considéraitcomme un
jeu d’enfant.En
1838, lecomte
Jaubert s’exprimait ainsi à laChambre
:« J’ai toujours diclaro que ce qu’il y avait de plus urgent, c’était
« l’achèvement de nos canaux,tandisquelescheminsdeferne pouvaient
«.êtreconsidérésque
comme
un luxe,comme
le beau luxe d’une civili-«. salion avancée. »
De soncolé, Aragorapporteur de la Commission des Chemins de fer, arrivaità trouver que, « du faitdes voies ferrées, les frais de transit
« des marchandises étrangères à travers la France diminueraient de
« 2.803.000 francs à 1.031.000 francs. Ce serait, disait il, près de
« 2 millionsde capitauxétrangers qui setrouveraient enlevés annuel-
« lement aux commissionnaires, aux rouliers, aux aubergistes, aux
« marchandsdechevaux,auxcharrons. »
Voici
un
passagedu
discours d’Aragoprononcé
le 14juin 1836, à l’occasiondu
vote dela loi sur lechemin
de fer de Paris àVersailles :« On a parlé tout-à-l’heure de toutes les merveilles duchemin dela
« rive droite; permettez-moi de vous présenter l’ombre du tableau.
« Quelqu’un contcste-t-iî que,dans l’intérieurde la terre, à la profon-
« deur du souterrain, latempérature ne doiveêtre à peu près constante
« etde10degrésJ/2centigrades? Veut-on nierqu’à l’ombre etau Nord,
« la température sera quelquefois de 3C°; que dans la tranchée qui
« précédera le tunnel, elles’élèvera de10 à 13°de plus: Ceci unefois
« admis, j’en appelle à tous les médecins pour décider si un abaisse-
« ment subit de température n’amènera pas des conséquences fatales, a J’affirme sans hésiter que, dans ce passage subit, les personnes
« sujettes à la transpiration seront incommodées, qu’elles gagneront
« des fluxions depoitrine, des pleurésies, des catarrhes. »
Je m’arrête sur cette citation
empruntée au
plus illustre de nos astronomes, persuadéque nous venons
defaireune
assezample
provision dedouce
gaietépour
continuer notre dis-coursplus allègrement.
Dans
la périodequi s’étendde 1823à1833,l’initiative privée fait sortir de terre les premières voies ferrées; ce sera son éternel honneur.On
doit,retenir en ce qui concernelaFrance, sous peine d’ingratitude, lesnoms
de Beaunier, des frères Seguin, Perdonnet, Talabot, des frères Pereire.La
ville de Saint-Etienne fut le point central d’où partirent les premierschemins
de fer : Saint-Etienne à la Loire, Saint-Etienne à Lyon, Saint-Etienne à Andrézieux,etc., etc.Toutes les conces- sions accordées à cetteépoque émanèrent du
seul pouvoir exécutif;comme on
n’avait guère foiau nouveau mode
de transport, les concessions furent d’abord perpétuelles.Quant
aux
cahiers des charges, ils étaient trèssommaires
; ils prévo- yaient destarifs de marchandises,mais
ne s’occupaient pas des voyageurs.A
signalerdans
cettepremièrepériode,lasubs- titutionde latraction par locomotive à celle parchevaux
surlaligne de St-Etienne à Lyon,
dans
lecourant de Juillet1832.En
1833, ledéveloppement
desChemins
de fer encore plus àl’étrangerqu’en France, force l’attentiondu Gouvernement.
Les lois
du
26 Avril etdu
17 Juillet de lamême
année,mar-
quentleterme de l’indifférence officielle. Ces loisdonnent
à l’Etatle droitde contrôle et de surveillance, lafixation d’untarif
maximum.
Les concessions ne peuvent plus êtreque
de 99 ans; à l’expiration de ce temps, l’Etat devient possesseur deslignes. Messieurs, voilàune
décision d’une importance extrême, qu’il ne faudra plus jamais perdre de vue; elledétermine
pour
toujours la situation réciproque de l’Etat et desCompagnies
: celui-ci a la nue-propriété des voies ferrées dont lesCompagnies
n’ontque
l’usufruit.La
seconde périodeque nous
avons àexaminer
s’étend de 1833 à 1842.Pour
en faire saisir le caractère, j’emprunte à M. Leroy-Beaulieu les lignes suivantes: Toute cette industrie,
celle des
Chemins
defer, s'arrêta chez nous; la réglementation en' fut la cause et l'éternelle pétaudière desChambres
qui ne surentjamaisse décider. »Dès
1837, d’interminables discussions s’engagentdevantlesChambres pour
savoir si les constructions seront faites par l’Etatou
par desCompagnies
:on
s’arrête finalementà ce dernier système. Alorscommence une
politique d’envie, de défiance et d’indécision envers les concessionnaires ; elle arrêtetout essor, rend prodigieusement lentes les premières constructions.En
1838, des concessions sont faites à diversesCompagnies pour
l’exécution des grandes lignes de Stras-bourg
àOrléans,de Parisà lamer
[Rouen, leHavre
etDieppe], de Bàle à Strasbourg, de Lille àDunkerque.
La
spéculationsur lesvaleurs émises et les charges exces- sives inscritesdans
les contratsdéterminentune
crise violente en 1839. Il se produitalorsune
véritabledébâcledans
laquellesombrent
touteslesCompagnies
concessionnaires, à l’exception de celle d’Orléans.En
1840, fonctionnepour
la première fois « la Garantie d’intérêt» en faveur de laCompagnie
d’Orléanspour
la ligne deParis à Orléans.La
loidu
15juillet qui la concède oblige l’Etat de pourvoir à l’insuffisancedu
produit brut qui doit faire faceàdeux
choses : les dépenses de l’exploitation et 4’intérêtdu
capital d’établissement. Il est toutefois entenduque
la garantie d’intérêt n’estqu’une avance à laCompagnie
qui s’engage àrembourser
lessommes
versées et productives d’un intérêt de40/0.—
17-
Messieurs, avant de tournerle feuilletet d’ouvrir
un
autre chapitre de l’histoire desChemins
de fer, il estbon
poui jugerl’entreprisecolossale qui s’ouvre de recourir à lastatis- tique. Je mets en parallèle, exprimées par des chiffres, les forceséconomiques
delaFrance
en 1840 et en 1892:Année 1840 Importation
Exportation Budget
Valeurs mobilièresins- crites
Circulation fiduciaire delaBanquede France.
747. 000.
(
695.000.000j 1.160.000
1.442 millions
20milliards
282 mi Hons
Année 1892 4.412.000.
000)
x7.975millions 3.563.000.
000) 3.439.000.
000
85milliards
3.512millions
Ces chiffres
montrent éloquemment
lesimmenses
progrès accomplis enun
demi-siècle, progrèsdus
en grande partie à la révolution produite par lesChemins
de ferdans
lemode
des transports.
J’ouvre ce
nouveau
chapitreparun
tableau statistique,c’est indispensablepour nous
repérer. Quelle était l’étendue des voiesferréesdans
lemonde
en Janvier 1842?Angleterre 3.617 kil.,dont2.521 kil.en exploitation Prusse, Etats d’Allemagne.. 2.811 kil., » 637 »
Autriche 877kil., » 747 »
Etats-Unis 15.000kil., » 5.800 »
Fiance . . 877kil., » 560 »
La
loidu
11juin 1842, préparée depuis longtemps par desCommissions
parlementaires, intervintpour
remédier à la situation déplorable de notre pays et le relever de son infériorité tropmarquée. Le
projetqui en découle décide la construction de 2.500 kil. de lignes.Pour
les construire,on
semet
d’accordpour combiner
l’action de l’Etat, des Dépar- tements, desCommunes
et de l’Industrie privée.Une
loi postérieure, Juillet 1845, déchargera lesCommunes
et lesDépartements
deleur part contributive. L’État se charge de l’achat des terrainset del’infrastructure,lesCompagnies
de la superstructure et de l’exploitation.Le
réseau à construirerayonnera
deParis versles frontières et la mer, en passant parles grands centres; il entoure le plateau central d’une ceinture métallique: c’est l’ossature de notrevieuxréseau,du
réseau producteur qui est posée sur le sol, lequel réseau a porté et porte encore toutle poids desfrais d’établissementet d’exploitation des voies ferrées.
La
courseque
j’ai à fournir2
est trèslongue, il
me
fautdonc
passer vite sur celte périodesi intéressante;je
me
contente d’en rappelerles traitssaillants.Elle fut brillanteet prospère jusqu’à la grande crise écono-
mique
de 1847 qui eutun
retentissement funeste sur lesChemins
de fer. Lesévènements
de 1848 netirent qu’aggraverla débâcle.
Une panique
effroyable s’empara des capitalistes et produisitune
baisse considérable des valeurs mobilières.La
rente 50/0 passa de 117 fr. 50 à 50 fr., le 3 0/0 de 80 fr. à 32fr. 50, l’Orléans de 1180 fr. à 950 fr., le Paris-Rouen de 858fr. à 550 fr., etc, etc.La
questiondu
rachat desChemins
de fer par l’Etatest,pour
lapremièrelois, posée devant l’Assemblée Nationale par M. Garnier-Pagès. Après des fortunes diverses, de longues discussions, laquestionestdéfinitivementrepousséeparceque
le rachat augmenterait
formidablement
ladette de l’Etat et à quelmoment
!Le Gouvernement
de laRépublique
fait alors les plus vigoureux effortspour
consolider la situation desChemins
de fer. Quelle était-elleau
1er Janvier 1848?Quel
était le résultatde la loi
du
15Juin 1842?Le
tableau suivantnous
le ditexactement.L’ensemble
du
réseau exploité est, àcelledate,de1.860 kilo- mètres, c’est-à-dire enaugmentation
de 1.300 kilomètres sur 1842.NOMS
do
QuelquesCompagnies
Longueur kilométrique
PRIX
kilométrique de construction
RECETTE kilométrique
FRAIS d’exploi-
tation
PRODUIT kilométrique
COURS des Actions
PRODUITS NETS
par rapport aux
dépenses
de
1er
établissement.
Paris-Orléans. 131 413.533fr. 7J.353fr. 380/0 40.201 fr. 1200fr. 120/0 Paria-Rouen. . 137 437.956 72.176 420/0 41.86G 900 9,5
j
Strasbourg. . . 140 321.478 17.122 O_©"o 5.137 160 1,6
j
Nord
...
338 355.05) 45.858 400/0 27.503 5i0 7,75A
lamême
date, l’Allemagne aun
réseau exploité de 5.592 kilomètres,l’Angleterre de 5.900kilomètres,la Russie de 67 kilomètres et la Suisse de 19 kilomètres.La
grandeœuvre
de l’Empire fut de réaliserla fusionen 6grandescompagnies
de toutes les petitescompagnies —
ellesétaient
au nombre
de 28au
1erJanvier 1852—
qui, saufquelques-unes,
mouraient
d’anémie. Cette conception fut heureusepour
la prospéritédu
pays.On
put exécuter, sanscompromettre
l’avenir, deschemins
—
19—
secondaires
que
l’initiative privée n’aurait pas entreprisecomme
ne couvrant pasleurs frais. L’unitédans
leservice, la diminution des transbordementspour
les voyageurs et lesmarchandises, les frais généraux considérablement réduits,
^uniformité des chargeset le
même maximum
detarifs impo- sésaux Compagnies
firent sentir leur influence heureusesui- tecommerce
et l’industrie de la France.Afin de consoliderla situation dessixgrandes
Compagnies,
l’Empire porta leurs concessions à 99 ans à partir de. leur formation; ces concessions expirent de 1950 à1960.Les effetsde la fusion ne se firentpas attendre: le réseau se développa prodigieusement; le tarifkilométrique
moyen
des voyageurs descenditde 7 c. à 6 c. 3 ; celui desmarchandises
de 12c. par tonne et par kil. à 8 c.2;lesvoituresdevoyageurs furent améliorées;l’accélération de la vitesse futtrèssensible.De
1852 à 1857, les grandesCompagnies
dépensèrentdeux
milliards en travaux.A
celte date, le réseau exploité estde 7.455 k. enaugmentation
de 5.595 k. sur celui de 1848.La
part de dépenses de l’Etat
dans
la constructiondu
réseau est,à cette époque, d’un demi-milliard environ.
Ce
n’est pas, croyez-lebien, de l’argentplacé à fondsperdu
; leseulimpôt
surla grande vitesselui rapporteune
rémunération de plus de2, 50/Ô.Je néglige
pour
lemontent
toutes les autres sources de revenuprovenant des douanes, de l’impôt sous ses formes diverses, des avantagesque
l’Etat s’étaitménagés pour
letransport de son personnel et
du
matériel à son usage.Cet exposé, Messieurs,
nous
conduit jusqu’à l’année 1857,année
de crisecommerciale
qui vient aggraver les difficultés financières desCompagnies
embarrassées de lignes secon- daires sans trafic rémunérateur, privées de garanties d’inté- rêtsou
desubventions. Elles se retournent alors versl’Etat;ellesimplorent son appui,
demandent
larévision decontrats onéreux. L’Etat ne reste passourd à ces crisde détresse; il ne pouvait pas, il ne devait pas les laisser succomber. Ainsi, la détresse desCompagnies
ployant sous le poids des charges de contrats léonins, telle futla cause déterminante des fameuses conventions de 1859.Avec
les Conventions de 1859,nous ouvrons un nouveau
chapitre de l’histoire de notre réseau deChemins
de fer.L’usufruitier, les
Compagnies —
et le nu-propriétaire, l’Etat,vont resserrer par
une
sorte de mariagederaison,lesliens(pii lesunissaient déjà.—
20L’étude attentive de ces conventions
vous
permettra decomprendre
les rapports financiers de l’État et de l’Épargne avec lesChemins
de fer.Le
principe quidomine dans
les conventions de 1859, c’estde ne plus aider les
Compagnies
par des subventions qui im- posaient de lourdes charges à l’Etat et de leur substituerune
garantie d’intérêt portantsurle capital affecté à la construc- tion de lignes nouvelles. Désormais, l’Etat refusait de se faireemprunteur pour
lecompte
desCompagnies,
etilavaitraison, car desémissions répétéesde rentes devaient fatalement les faire baisser etdiminuer
son crédit.Voiciles grandes lignes de ces célèbres conventions :
Les concessions de
chaque Compagnie
sont divisées,au
pointdevue
de la garantie d’intérêts, endeux
sections dis- tinctesdésignées sous lenom
« d'ancien réseau » et de « nou- veau réseau. »Il fallut donc, toutd’abord, classer entre les
deux
réseauxles 16.352 kil. concédés
au moment
delasignature desconven- tions, et déterminerpour chacun
d’eux le chiffremaximum du
capital de premierétablissement.On
attribua à l’ancien réseau 7.774 kil. représentantun
ca- pital deAA63
millions depremier établissement,au nouveau
8.578 kil. nécessitantun
capitalde4 milliardsenvironpour
le construire.Par
la suite, le capital d’établissement desdeux
ré-seauxfut modifiépar l’additiondestravaux complémentaires.
Cette
combinaison non
prévuedans
les conventions de 1859 etde 1863 aété ajoutée en 1868.Voici
deux
tableaux qui vontvous donner
en détail lenombre
de kilomètres et le capital d’établissement attribués àchaque compagnie pour
l’un et l’autreréseaux.ltr Tableau
Classement des 46.352 kilomètres concédés au momentdes conventions dont 9.061 sonten exploitation et7.291 en construction.
Ancienréseau Nouveauréseau Total
Est 985 kil. 1365kil. 2350kil.
Lyon 1834 2496 4330
Midi - 798 825 1623
Nord 967 618 1585
Orléans 1764 2162 3926
Ouest 1192 1112 2304
Diverses 234 » 234
7774 kil. 8572kil. 16352kil.
—
21—
2e Tableau
Capitalde lfTétablissement établien vuedesconventions de~l859.
Ancienréseau Nouveauréseau Total
Est 325.000.900fr. 1.009.290.000 fr. 1.334.290.000 fr
Midi 319.000.000 5J1.800.000 830.800.000
Nord 606.000.000 223.500.000 829.500.000
Orléans... 514.000.000 832.000.000 1.346.000.000 Ouest 425.000.000 794.000.000 1.219.000.000 Paris-Lyon 2.274.000.000 612.000.C00 2.886.000.000 4.463.000.900 fr. 3.982.590.000fr. 8.445.590.000
Messieurs,
nous
avons ditprécédemment que
la garantie d’intérêt, consentie par l’Etat, étaitaffectéeau
capitaldu
nou-veau
réseau. Ilnous
faut voir dans quelles conditions elle étaitappelée à jouer, et quelles stipulations furent prises à l’égarddu
capital de l’ancien réseau. Disons de suite,pour
la
compréhension
de ce qui va suivre,que
lesCompagnies
empruntaientau
tauxmoyen
de 5,75 0/0 etque
l’Etat ne ga- rantissait le capitalemprunté
qu’au taux de 4,65 0/0, intérêt etamortissementcomprisdans
lesdeux
cas.La
différence de 1,10 0/0entre lesdeux
tauxétait à la charge desCompagnies.
Voici ce qui fut
convenu
: sur le revenu net de l’ancien ré- seau,on
prélevait : 1° 5,75 0/0du
capital-obligation dont ilest grevé; 2° 1,10 0/0
du
capital engagédans
lenouveau
ré-seau ; 3° le dividende réservé
aux
actions. Ces prélèvementsfaits, le surplusétait déversé sur le
nouveau
réseaupour
s’a- jouter àson revenu net. Si lessommes
ainsi formées étaient insuffisantespour
assurerau
capital de premier établisse-ment du nouveau
réseau sa rémunération de5,75 0/0dont4,65 garantis par l’Etat, celui-ci intervenaitetversait la différence.Cette différence n’étaitqu’une avance
remboursable
portantun
intérêtsimple de40/0 l’an. Cettecombinaison due
àun
ingénieur éminent, M. de Franqueville, a reçulenom
de déversoir.Dans
la suite, le capital de premierétablissementfutmodi-
fiépar l’addition
du compte
des travaux complémentaires.D’abord les
comptes
de cestravauxs’établirentcinq ans après l’ouverture de la ligne ; les conventions de1875augmentèrent
le délaide clôture et le portèrent à 10ans.
Le
dividende réservé— mais non
garanti,j’insistesurcepoint
— aux
actions del’ancien réseau fut fixéaux
chiffres suivants : Est, 38fr.—
;Lyon, 47 fr.