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Actualités en matière d'enlèvements d'enfants

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Actualités en matière d'enlèvements d'enfants

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Actualités en matière d'enlèvements d'enfants. In: Intervention à l'Université de Paris 2 (Panthéon-Assas), Université de Paris 2, 12 novembre 2009, 2009, p. 1-18

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135239

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Actualités en matière

d’enlèvements internationaux d’enfants

Gian Paolo Romano, docteur en droit (Paris II-Padoue) Collaborateur scientifique à l’Institut suisse de droit comparé Intervention à l’Université de Paris Panthéon-Assas (Paris II)

Paris, 12 février 2009

1. – Mesdames et Messieurs, Je suis très honoré d’avoir été invité à intervenir dans cette prestigieuse université, qui est celle qui m’a décerné, voici bientôt quatre ans, le titre de docteur en droit. Il s’est agi d’un doctorat en co-tutelle, entre la France et l’Italie, mon pays d’origine, ce qui explique pourquoi je n’ai au fond pas eu l’occasion de beaucoup fréquenter cette université en tant que doctorant. Je suis donc d’autant plus reconnaissant à ceux qui me permettent de le faire à présent, en me conférant le statut de Maître de conférences invité de surcroît. Je comble là en quelque sorte un vide, une lacune, dans ma formation.

Si j’ai choisi, comme thème de mon intervention d’aujourd’hui, les enlèvements internationaux d’enfants, plutôt les instruments juridiques pour combattre un tel phénomène, c’est principalement pour deux raisons, liées d’ailleurs l’une à l’autre.

- La première, à caractère passablement conjoncturel, est que l’Institut suisse de droit comparé où je travaille a été mandaté par le Parlement eu- ropéen pour mener à bien une étude sur l’efficacité dans les Etats mem- bres, de ces instruments. Il faut dire qu’on est encore au stade très initial de la récolte des statistiques, qui intéressent beaucoup le Parlement européen.

- La deuxième raison tient au constat que les problèmes provoqués par les enlèvements internationaux d’enfants ne cessent d’interpeller. La question est toujours vivement ressentie dans l’opinion publique. La médiatisation de certaines affaires, en Suisse comme ailleurs, en témoigne avec éclat.

La mobilité croissante des individus à travers les frontières, la prolifération des couples mixtes, l’essor des ménages itinérants, non sédentarisés, l’égalisa- tion poussée des responsabilités parentales : telles sont, me semble-t-il, les cau- ses du nombre toujours significatif, et même croissant dans certains pays, des cas de déplacements illicites d’enfants à travers les frontières.

Les intérêts en jeu sont multiples. Ils sont d’ailleurs souvent en conflit les uns avec les autres, de telle sorte qu’on ne peut pas tous les réaliser convenablement.

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1) intérêts des individus qui y sont directement impliqués ; 2) intérêts aussi de la collectivité, en raison de l’alarme sociale que le phénomène peut générer ; 3) intérêts des Etats, qui ont la charge des intérêts individuels et collectifs.

2. – Le parent tenté par l’enlèvement de son enfant au-delà des frontières escompte des perspectives de succès en raison de la divergence des systèmes juridiques et sociaux des Etats.

Des motifs très variés peuvent inciter un parent qui se voit refuser la garde sur l’enfant, ou qui n’en dispose que conjointement avec l’autre parent, de partir avec l’enfant ; le déplacement a lieu vers un pays où le parent enleveur croit pouvoir se mettre à l’abri de toute décision prise par les autorités du pays de la résidence antérieure de l’enfant et obtenir, en cas de besoin, une décision favorable lui permettant de conserver l’enfant auprès de lui dans l’Etat de refuge. L’auteur de l’enlèvement peut notamment décider soit d’emmener l’enfant dans un pays étranger (en règle générale, le pays d’origine) soit de ne pas le rendre au terme d’une période de visite pendant laquelle l’enfant a séjourné à l’étranger.

Le phénomène des enlèvements a pris une dimension inquiétante, dès les années 1970. On a constaté à cette époque que les Conventions adoptées jusqu’à alors n’étaient pas de nature à offrir l’aide nécessaire.

- Les conventions bilatérales portent essentiellement sur l’exécution des jugements en matière patrimoniale et ne visent pas de façon spécifique les décisions sur la garde des enfants.

- La Convention de La Haye de 1961 sur la protection des mineurs avait contribué au respect de telles décisions parmi les Etats contractants, mais elle n’oblige pas ces Etats a mettre fin à un enlèvement. Pire encore, elle permet à l’Etat d’origine dans lequel l’enfant est enlevé de prendre une décision préservant le fait accompli par le ravisseur, décision qui doit être respectée dans les autres Etats partie. De surcroît, cette Convention est inefficace lorsqu’il s’agit d’assurer rapidement le respect du droit de garde fondé sur la loi et non confirmé par une décision prise par une autorité.

3. – C’est dans ce climat qu’a vu le jour la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils des enlèvements internationaux. C’est surtout d’un tel instrument qu’on parlera aujourd’hui. Il a été ratifié désormais par 81 Etats à travers le monde. La France et la Suisse, avec le Canada et la Grèce, ont signé la Convention les premiers, immédiatement après la séance de clôture des travaux, le 25 octobre 1980. La Convention est entrée en vigueur le 1er

décembre 1983.

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Il s’agit de l’instrument le plus souvent sollicité en pratique dans le domaine. En Suisse, par exemple, le 90 % des environ cent dossiers traités par l’Autorité centrale à Berne, l’est par application de cette Convention.

La Convention s’applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un Etat contractant avant le déplacement. Il s’agit d’un instrument assez efficace qui a d’ailleurs modifié, au fil des années, le cas de figure le plus courant d’enlèvement tel qu’il se rencontre dans la pratique des Etats parties.

En effet, à l’époque, l’enlèvement était dans la majorité des cas le fait d’un père cherchant par tous les moyens à s’approprier de la garde de l’enfant, tandis que la mère était seule titulaire du droit de garde, soit en vertu d’un jugement de divorce, soit du fait de la naissance hors mariage de l’enfant.

Eh bien, la fréquence de telles situations a pu être fortement réduite par la mise en vigueur de la Convention, si bien que de tels cas ne dominent plus les statistiques. Le scénario le plus récurrent auquel la Convention s’applique semble être aujourd’hui celui de l’enlèvement par la mère, qui assume prin- cipalement la charge de l’enfant, tout en partageant le droit de garde – tel que défini par la Convention même : j’y reviens dans un instant – avec le père.

Dans la plupart des cas d’enlèvement par la mère, celle-ci désire, après l’échec de l’union dont est issu l’enfant, s’établir dans un pays où elle a vécu antérieurement et où elle est accueillie par sa proche famille qui peut s’occuper de l’enfant et offrir à la mère le soutien nécessaire à un « nouveau départ ».

4. – Il existe d’autres conventions aspirant à régler quelques aspects du phéno- mène. Que l’on songe à la Convention d’exequatur dite de « Luxembourg » de 1980 sur le rétablissement de la garde. On ne s’y intéressera pas directement aujourd’hui. On évoquera en revanche, sporadiquement, le Règlement dit Bruxelles II-bis, en vigueur, depuis mars 2005, dans l’Union européenne. Le Règlement Bruxelles II-bis consacre à la matière quelques règles qui apportent au régime de La Haye un certain nombre de précisions complémentaires.

Les sources en la matière sont donc nombreuses et s’y enchevêtrent. Un spé- cialiste bien connu des droits de l’enfant a pu écrire à cet égard (je cite) « Toutes les fées du droit international semblent vouloir faire en la matière don de quelques textes ». D’autres auteurs ont évoqué, avec un certain désarroi, la (je cite) « frénésie qui s’empare de nos institutions internationales » : celles-ci ad- optent et abrogent en effet à un rythme qui rend difficile la nécessaire familia- risation des nombreux professionnels à quelques titres impliqués (universi- taires, autorités centrales, conseils et juges).

5. – D’abord, il me paraît utile de rappeler brièvement quelques traits généraux du système conventionnel. La Convention de La Haye impose, et organise, le retour immédiat de l’enfant déplacé illicitement dans l’Etat d’origine. Eh bien,

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je souhaite analyser avec vous les raisons d’être, le fondement, de ce mécanisme rigoureux (I).

Dans un deuxième temps, je propose qu’on s’intéresse aux exceptions qu’orga- nise la Convention de La Haye au retour de l’enfant dans l’Etat d’origine.

C’est là probablement la question la plus délicate. C’est aussi celle qui a donné lieu à la jurisprudence la plus abondante, suisse et étrangère (II).

[I. – Quelques traits généraux de la Convention de La Haye de 1980]

6. – La Convention vise à garantir le retour immédiat de l’enfant illicitement déplacé ou retenu. Ce rapatriement a lieu à partir de l’Etat dit « refuge », vers lequel le déplacement a eu lieu, vers l’Etat dit d’« origine », c’est-à-dire à partir duquel le déplacement a eu lieu. L’Etat d’origine est celui de la « résiden- ce habituelle » de l’enfant antérieure à l’enlèvement.

Pour être appréhendé par la Convention de La Haye, le déplacemente doit être illicite au sens de la Convention. Un déplacement est illicite lorsqu’il a lieu en violation d’un « droit de garde » tel que défini par la Convention (art. 3). On évoquera d’abord l’intérêt sous-jacent au dispositif conventionnel (A). On cernera ensuite les notions, clés de voûte de ce dispositif, du droit de garde, d’abord (B), et de résidence habituelle, ensuite (C).

[A. – Fondement du mécanisme du retour immédiat]

7. – D’après la Convention de La Haye, le simple constat du fait du déplacement illicite d’un enfant commande, sauf les exceptions dont il sera question dans un instant, un retour immédiat de l’enfant vers l’Etat contractant dont il a été enlevé.

La décision sur le fond, notamment sur l’attribution de la garde de l’enfant, est réservée aux juges de la résidence habituelle (licite), c’est-à-dire de la résidence habituelle de l’enfant antérieure au déplacement. Les juges du pays- refuge ne peuvent en principe pas se prononcer eux-mêmes sur la garde de l’enfant. Le Tribunal fédéral suisse n’a de cesse de rappeler que la Convention de La Haye est un outil d’entraide internationale et non pas, par exemple, une convention en matière de compétence. Cependant, la Convention de La Haye n’en vient pas moins, indirectement, à fixer la compétence : la résidence habituelle licite prend le pas sur la résidence habituelle illicite.

L’« action en remise de l’enfant » rappelle les défenses de type possessoire.

C’est au retour au statu quo ante qu’elle vise. Ainsi que l’observait Henri Batiffol, il s’agit d’une concrétisation de l’adage séculaire spoliatus ante omnia restituatur.

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8. – Le retour immédiat vise à décourager les déplacements illicites en en éli- minant les effets. Ce mécanisme repose sur la conviction que ces déplacements sont à combattre. Pourquoi ?

Pour plusieurs raisons. C’est tout d’abord l’hostilité qu’inspire tout recours aux

« voies de fait » en dehors des processus judiciaires organisés à cet effet. C’est ensuite le souci de protéger tout titulaire de la garde contre des actes unilatéraux qui le priveraient de son droit ou en entraveraient l’exercice. C’est enfin, et surtout, l’intérêt de l’enfant lui-même.

On tâchera d’être à cet égard plus précis qu’on ne l’est d’ordinare. On se souvient en effet du mot malicieux du doyen Carbonnier, qui notait, il y a cinquante ans déjà, à quel point l’« intérêt de l’enfant » avait été érigé en

« notion magique » : « Elle a beau être dans la loi – je cite – ce qui n’y est pas c’est l’abus qu’on en fait aujourd’hui (…). Pourtant, rien de plus fuyant, rien de plus propre à favoriser l’arbitraire judiciaire ».

9. – L’intérêt de l’enfant – l’intérêt collectif de la catégorie « enfants » – plaide en général contre le déplacement unilatéral, et, me semble-t-il, à un triple é- gard : a) il n’est pas bon, pour la santé physique et psychique des enfants qu’ils soient arrachés, le plus souvent abruptement et parfois secrètement, du milieu où ils ont leur centre de vie ; b) il n’est pas bon, eu égard à leur épanouissement harmonieux, qu’ils soient privés du droit d’entretenir des contacts avec les deux parents, droit qui leur est désormais expressément reconnu par la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfants de 1989 ; c) enfin, et peut-être surtout, il n’est pas bon que les enfants puissent être perpétuellement

« ballotées », « écartelés » d’un pays à l’autre.

10. – Cette troisième préoccupation n’est pas toujours évoquée. Elle n’en est pas moins primordiale. Si le premier déplacement n’est pas tenu pour illicite, il de- vient en effet difficile pour l’Etat-refuge de ne pas se prononcer sur la garde.

Le danger est alors que ce pays fixe un régime de la garde différent de celui qui a cours dans l’Etat de la résidence habituelle, et notamment qu’il l’ac- corde exclusivement au parent enleveur. C’est d’ailleurs l’espoir qui motive souvent le « kidnapping » parental.

Or, ce danger découle de l’interprétation différente que deux Etats sont susceptibles de donner à l’« intérêt » d’un seul et même enfant dans une espèce concrète pour ce qui est de l’attribution du droit de garde.

On voit à quel point l’intérêt de l’enfant peut être « subjectif » et « relatif » ; on comprend du même coup la réserve que pareille formule inspirait à Jean Carbonnier. A celui-ci on peut cependant objecter que la suite d’enlèvements qui serait ainsi légitimée, est indiscutablement contraire à toute conception de

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l’intérêt « objectif » – « objectivisé », on a envie de dire – de l’enfant.

L’intérêt à ne pas être perpétuellement tiraillé d’un pays à l’autre, à ne pas être

« dépeçé » et comme « partagé » entre un parent à l’autre – chacun ayant sur l’enfant des droits, accordés par le pays de sa résidence habituelle, incompatibles avec les droits que confère à l’autre parent le pays de sa résidence habituelle à lui – : et bien, cet intérêt constitue véritablement un

« intérêt supérieur de l’enfant », en ce sens qu’il se situe sur un plan plus élevé que celui dont relèvent les plusieurs « vues », fatalement subjectives, que deux pays peuvent entretenir au sujet de la meilleure façon d’organiser les droits de garde et de visite.

Que l’on repense au différend que le roi Salomon fut appelé à résoudre : chacune des femmes qui se disputaient le seul enfant survivant, était peut-être persuadée qu’elle aurait pris mieux soin de celui-ci que l’autre. Voilà donc deux vues opposées quant à l’intérêt de l’enfant litigieux. C’est là l’intérêt subjectivement interprété de celui-ci. Mais il est évidemment inhérent à l’intérêt objectif de l’enfant – parce que conforme à sa nature d’être humain – qu’il ne soit pas « tranché », coupé en deux, et que son corps soit « partagé » entre les deux postulantes.

En revenant à la Convention de La Haye, on décourage cet « écartèlement » en respectant la compétence de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant, en te- nant le premier déplacement pour illicite et en s’efforçant d’en éliminer les conséquences.

[B. - Notion du « droit de garde »]

11. – Le déplacement est illicite lorsqu’il est perpétré en violation d’un droit de garde. Quant à sa source, le droit de garde – lit-on à l’art. 3 al. 2 de la Convention – peut résulter soit a) d’une attribution de plein droit soit b) d’une décision judiciaire ou administrative soit c) d’un accord valablement conclu selon le droit en vigueur du pays de la résidence habituelle. Quant au contenu, il s’agit, dans le système de la Convention, du droit permettant de déterminer la résidence de l’enfant.

Une telle notion de « garde » peut s’écarter de celle ayant cours en droit interne.

Il se peut notamment que la garde au sens de celui-ci soit confiée à l’un des pa- rents, notamment à celui avec lequel l’enfant habite ; mais dans la mesure où l’autre parent conserve le droit de « co-déterminer » la résidence de l’enfant, il est, pour la Convention de La Haye, titulaire d’un « droit de garde » : il s’agira donc d’une garde conjointe.

C’est ce qu’a précisé la Cour de cassation française dans une affaire récente.

La mère, avec qui l’enfant résidait en vertu d’un accord conclu entre elle et le

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père, avait, au bout de six mois, déménagé en France sans le consentement de celui-ci. Elle tente de convaincre la Cour que le droit de garde appartient au parent chez qui l’enfant réside. Les hauts magistrats ne se sont pas laissés prendre au piège de cette argumentation qui cultivait la confusion.

12. – Certains ont pu remarquer que la garde au sens de la Convention se rapproche davantage de l’autorité parentale. Ce n’est pas toujours le cas. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à une affaire suisse récente : la mère, allemande, avait obtenu des juges néozélandais la garde exclusive des enfants en raison des troubles psychologiques dont souffrait le père. Celui-ci bénéficiait d’un droit de visite surveillée en raison de deux heures par mois. C’est l’effec- tivité de ce droit de visite que voulait manifestement protéger la restriction territoriale dont était assortie la décision : la mère ne pouvait transporter la résidence des enfants à l’étranger qu’avec le consentement du père ou l’approba- tion du tribunal néozélandais.

Le père n’était pas, à proprement parler, titulaire du droit de garde pas plus que de l’autorité parentale. Cependant, puisqu’il avait le pouvoir de consentir au dé- placement de l’enfant, il disposait d’un droit de véto. Cela a suffi au Tribunal fédéral pour retenir l’existence d’un droit de garde du père au sens de la Convention.

Il faut donc saluer la précision qu’apporte le Règlement Bruxelles II-bis : la garde est exercée conjointement lorsqu’un parent ne peut décider du lieu de résidence sans le consentement de l’autre.

13. – L’accord des parents, même lorsqu’il est consacré dans une décision judiciaire, peut ne pas être explicite. C’est ce que montre une affaire franco- canadienne tranchée le 10 juillet 2007. Pendant la procédure de divorce, le tribu- nal civil de Montréal avait homologué un accord des époux confiant pro- visoirement la fille à la mère et organisant ses droits de communication avec son père. La mère se déplace en France avec l’enfant pour une visite à sa famille d’origine ; elle ne regagne pas sa résidence canadienne. L’accord ne prévoyait pas de limitation territoriale expresse.

La Cour d’appel de Toulouse conclut à la violation du droit de garde du père en se référant aux dispositions du Code civil québecois, d’après lesquelles « père et mère exercent en commun l’autorité parentale ».

La femme se pourvoit en Cassation en faisant valoir qu’il y avait eu accord dérogatoire aux dispositions du Code civil québécois. La Cour rejette le pour- voi au motif que le consentement donné par le père à cet arrangement, dont elle souligne par ailleurs le caractère provisoire, ne saurait être interprété comme une renonciation à l’autorité parentale.

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14. – En l’absence de décision ou d’accord homologué, il n’est parfois pas aisé, pour les autorités de l’Etat refuge, d’identifier le ou les titulaires du droit de garde aux termes du droit de l’Etat d’origine. D’autant que les règles l’attribuant peuvent différer significativement d’un pays à l’autre.

On évoquera le cas, assez particulier, de l’Allemagne. Avant la grande réforme du droit la filiation du 16 décembre 1997, le père naturel n’était titulaire d’au- cun droit de garde ou d’autorité parentale. Même le Umgangsrecht, le droit d’entretenir des contacts, ne lui était pas accordé de façon générale. Il ne l’était que dans la mesure où la personne ayant l’autorité parentale, la mère le plus souvent, l’estimait nécessaire.

La mère, même étrangère, résidant en Allemagne, pouvait donc à son loisir déplacer la résidence de l’enfant sans se rendre coupable d’enlèvement. Inver- sément, une femme allemande vivant dans un pays, l’Italie par exemple, plus

« généreux » envers le parent naturel, n’aurait pas pu transporter la résidence de l’enfant en Allemagne du fait qu’elle violerait le droit de garde accordé au père par l’Etat de la résidence.

A la vérité, en ayant à l’esprit la conception allemande de la garde, les juges allemands ont été, dans un premier temps, réticents à prescrire le retour de l’en- fant. Cela a conduit à la mise sur pied d’une Commission bilatérale franco- allemande pour surveiller la mise en œuvre de la Convention par les tribunaux des deux pays. La position défavorable à laquelle le droit allemand condamnait le père, explique aussi le nombre d’enfants que les pères déplaçaient dans des pays – souvent ceux dont ils étaient ressortissants – où ils espéraient recevoir de plus amples droits envers leurs enfants.

[C. - Notion de « résidence habituelle »]

15. – L’identification de la résidence habituelle de l’enfant, aisée dans la majorité des situations, peut parfois poser problème. Il en est notamment ainsi pour les enfants en bas âge et non encore scolarisés.

Une affaire récente illustre cette difficulté. Un couple marié franco-anglais s’é- tait marié en France, où la l’épouse avait donne naissance à deux enfants. L’acti- vité professionnelle du mari l’avait ensuite conduit à regagner la Grande-Breta- gne ; sa femme l’avait accompagné avec les enfants, âgés de deux et trois ans.

Au bout de quelques mois, elle retourne en France avec les enfants. Au mari qui agit pour obtenir leur retour immédiat, madame oppose qu’aucun déplacement illicite ne peut lui être reproché : puisque il avait toujours été convenu que le séjour en Grande-Bretagne allait être passager, insuffisant à faire changer de résidence aux enfants. La Cour de cassation lui donna gains de cause.

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Cette décision est intéressante car elle tend à démentir l’idée, répandue, que la résidence, à la différence du domicile, ne suppose pas la recherche d’un élément psychologique ou subjectif. C’est précisément celui-ci qui a en l’occurrence tranché l’hésitation.

16. – Les juges ont été parfois confrontés à une « pluralité » de résidences. Le qualificatif « habituel » risque là d’être mis en échec, puisque de tels lieux de résidence résultent de séjours équivalents et alternatifs dans deux pays.

Dans une affaire franco-allemande, l’Amtsgericht puis le Oberlandesgericht ont refusé le retour en France au motif que la résidence était alternée. Il nous sem- ble en revanche qu’il est peu opportun, dans pareils cas, d’exclure l’enlèvement, car, malgré l’équivalence de la permanence de l’enfant dans deux pays, l’initia- tive unilatérale d’un parent porte préjudice au droit de l’autre.

C’est pourquoi on approuvera le TF de pas avoir retenu une pluralité de résidences dans l’affaire qu’il a tranché le 23 avril 2003. C’est la première fois que les juges de Mon Repos ont eu à statue sur la notion conventionnelle de résidence. Il faut, affirment-ils, donner à cette notion une interprétation auto- nome. La définition de l’art. 20 LDIP n’est notamment pas décisive. « A côté de la présence physique d’une certaine durée et régularité, il faut considérer le lieu où se concentrent les liens de type familial les plus forts », notamment avec les parents gardiens.

Il s’agissait en l’occurrence d’un enfant qui était né en Suisse d’un couple italo- suisse ; les parents, vivant à Rome, ne pouvant pas s’en occuper pour des raisons professionnelles, l’enfant avait passé plus de temps en Suisse chez ses grands- parents maternels qu’en Italie chez ses parents. Puisqu’aux termes de ces séjours en Suisse, il revenait au domicile romain de ceux-ci, le juge a exclu que l’enfant avait eu deux résidences habituelles équivalentes et alternées, en retenant la seule résidence italienne.

[II. - Exceptions à l’obligation de retour]

17. – Nous avons vu pourquoi l’intérêt général de la catégorie « enfants » plaide en faveur du retour immédiat de l’enfant. La Convention prévoit cependant un certain nombre de mécanismes permettant aux autorités de l’Etat refuge de s’opposer au retour. Ces mécanismes sont pour l’essentiel eux aussi dictés par l’intérêt « supérieur » de l’enfant. On est confronté ici au conflit entre l’intérêt général des enfants, d’une part, et l’intérêt individuel, spécifique à un enfant en particulier, d’autre part. La nature délicate de l’équilibre à atteindre est évidente.

18. – On distingue cinq situations :

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1) expiration du délai d’un an à partir du déplacement lorsqu’il est établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu (art. 12 al. 2) ;

2) non exercice effectif de la garde par le parent « délaissé » (left behind) à l’époque du déplacement et du non-retour ou consentement ou acquiescement par celui-ci au déplacement (art. 13, al. 1 a) ;

3) menace d’un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable (art. 13 al. 1 b) ;

4) constat que l’enfant s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion (art. 13 al.

2) ;

5) le retour de l’enfant peut enfin être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’Etat requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 20).

Je vais essayer de montrer comment la jurisprudence interprète et met en œuvre ces exceptions au retour.

[A. - Expiration du délai d’un an et intégration de l’enfant dans son nouveau milieu]

19. – On comprend les raisons d’un tel motif de refus. D’une part, il semble iné- quitable de permettre à un parent gardien dépossédé d’invoquer le retour immédiat de l’enfant après qu’il est resté inactif pendant une année. N’a-t-il pas montré par là qu’il ne tient pas à la protection juridique de son droit de garde ? D’autre part, et surtout, l’enfant a pu entretemps s’adapter au nouvel environ- ment, si bien que le retour dans sa résidence habituelle antérieure reviendrait à un deuxième « déracinement ».

Une affaire intéressante a posé le problème de l’identification du jour à partir duquel le délai d’un an commence à courir. C’est un cas que j’ai déjà évoqué.

En violant l’ordre du juge néozélandais, la mère déplace ses deux enfants mineurs en Allemagne. Le père obtient un ordre de retour immédiat des tribunaux allemands. La décision de l’OLG Düsseldorf devenue exécutoire, la mère prend refuge en Suisse. Le père recommence la procédure de retour devant les autorités helvétiques. La femme s’y oppose en faisant valoir que le délai d’une année entre la date de l’enlèvement en Nouvelle-Zélande et l’introduction de la demande en Suisse s’est bien écoulé.

Les juges argoviens ne retiennent pas cette lecture : le délai commence, pour eux, à courir de la date de l’entrée en Suisse. En estimant ne pas pouvoir

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échapper à la lettre de la Convention, le Tribunal fédéral donne sur ce point raison à la femme : c’est bien le jour de l’enlèvement qui est déterminant. Le TF ne se montre pas pour autant moins conscient du danger d’une telle interprétation : elle ouvrirait les portes à tous les abus en favorisant un second enlèvement.

Pour déclarer illicite celui-ci, les juges de Mon Repos se sont en l’occurrence appuyé sur le défaut d’intégration de l’enfant dans le pays de la nouvelle résidence. En raison des déplacements continus auxquels les avaient contrait une mère effectivement très « mobile », les enfants n’avaient pu « mettre racines » nulle part.

Cette décision nous paraît critiquable car elle conduit à un détournement de la Convention : elle encourage effectivement un deuxième enlèvement et fait dépendre le retour de la preuve, plus difficile, de la non-intégration dans le pays vers lequel a lieu le deuxième déplacement.

[B. Consentement ou acquiescement au déplacement]

20. – Le consentement a lieu avant le déplacement, l’acquiescement y est po- stérieur. La raison d’être de ce motif de non-retour est semblable à celle qui est sous-jacente à l’écoulement du délai d’une année.

Le risque qu’il pose est qu’une certaine « tolérance » manifestée par le parent

« left behind », notamment lors de la phase où il cherche un accord extra- judiciare, ne soit trop facilement interprétée comme un « acquiescement ».

Cela peut s’avérer injuste envers les parents dépossédés chez lesquels l’enlève- ment a pu provoquer des troubles émotionnels leur empêchant d’agir immédia- tement et avec la pondération nécessaire ; surtout, cela menace de décourager les négociations visant à obtenir un retour volontaire en dehors des processus diligentés par la Convention, ce qui n’est pas conforme à l’esprit de celle-ci.

21. – a. Angleterre. Le débat qui s’est implanté en Angleterre autour de l’ac- quiescement, notamment à la suite d’une célèbre décision de la House of Lords, est particulièrement intéressant.

Il y a été distingué entre acquiescement passif ou actif. L’acquiescement est actif lorsque, par ses déclarations ou par son comportement, ses actes concluants peut-on dire, le parent dépossédé affiche une volonté qui est incompatible avec l’intention de faire valoir son droit à la restitution de l’enfant. Il est passif, lorsque il résulte de son silence ou son inactivité dans des circonstances dans lesquelles il est censé agir. Il faut cependant que le parent délaissé soit au courant du caractère illicite du déplacement ; la conscience de l’existence de la Convention n’est en revanche pas nécessaire.

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Le temps pour pouvoir déduire de l’inactivité un acquiescement passif varie en fonction des circonstances. On s’accorde sur ce que la conduite doit être claire et non-équivoque. Ainsi, Lord Browne-Wilkinson a pu statuer que l’acquiesce- ment ne peut en général pas se déduire de « passing remarks or letters written by a parent who has recently suffered the trauma of the removal of his chil- dren ». Encore moins, poursuit-il, peut-il s’inférer « de la demande, formulée par la parent dépossédé au parent enlèveur, tendant à préserver contact avec l’enfants lors des négociations en vue du retour volontaire de l’enfant ».

Le fait que le parent dépossédé ait d’abord obéi aux consignes de ses croyances religieuses – un juif orthodoxe avait agi devant les autorités spirituelles rab- biniques – ne vaut pas renonciation à invoquer la protection de la Convention.

Le problème est celui de fixer des limites extérieures. Dans l’affaire H. v. H.

tranchée par la High Court of New Zealand, le parent dépossédé avait organisé un voyage un Angleterre afin de rendre visite à ses enfants et de persuader sa femme de retourner volontairement. Ce n’est qu’au bout de six mois qu’en proie au désespoire, il avait enfin saisi les juges d’une demande de retour. Le juge Greig refuse de retenir l’acquiescement au motif que (je cite) « it is never the case that a parent must act immediately. There must always be time for consideration ».

22. – b. France. Dans l’affaire Aubry c. Aubry, la Cour de Paris a retenu l’ac- quiescement. Lors d’une visite à ses enfants déplacés sans son consentement d’Angleterre en France, le père avait entrepris des démarches pour les inscrire dans une école bilingue en France et les aider à s’y installer. Certains ont critiqué cette décision : par ces activités le père, ont-ils conjecturé, n’avait en réalité eu d’autre intention que favoriser « un arrangement familial à l’amiable

».

Dans l’affaire Horlander c. Horlander, le plaideur avait accepté de suspendre l’action en remise de l’enfant pour « faciliter les négociations » ; il s’était notamment déclaré prêt à entériner le nouveau statu quo en échange d’un arran- gement patrimonial pour lui favorable. Pour la Cour de Paris, cela suppose un acquiescement ; pour la Cour de cassation, en revanche, un accord provisoire dans le cadre d’une procédure de négociation est insuffisant à fonder un ac- quiescement.

Le dénouement de l’affaire suscite quelques réserves : la disposition par le parent gardien à « marchander » son droit au retour de l’enfant contre un rè- glement des intérêts financiers du ménage, témoigne de ce qu’il n’est pas intéressé à exercer le droit de demander le rapatriement.

[C. Risque grave de danger psychique ou physique ou situation intolérable]

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23. – Il s’agit là de l’exception la plus fréquemment invoquée. C’est ici que l’équilibre délicat entre règle et exception apparaît avec le plus d’éclat.

D’une part, on met en garde contre le risque que, sous couvert de la vérification de l’absence de danger, le juge procède à un examen sur le fond du conflit, ce qui serait contraire à la Convention.

D’autre part, on dénonce le danger, effectivement menaçant, lié à une automa- ticité trop poussée du mécanisme du retour, laquelle peut conduire à mé- connaître l’intérêt réel de l’enfant.

In Friedrich v. Friedrich – l’affaire américaine peut-être la plus significative en la matière – la U.S. Court of Appeals, 6e Circuit, a déclaré que « the exception for grave harm to the child is not license for a Court in the abducted-to country to speculate on where the child would be happiest ».

En pratique, il s’est avéré parfois difficile pour les tribunaux de s’interdire une appréciation sur les qualités parentales et des perspectives ouvertes par le retour de l’enfant.

Dans de très nombreux arrêts, à l’aide d’une formule désormais coutumière, tirée de la doctrine allemande, le TF rappelle en tout cas que l’art. 13 mérite une interprétation restrictive « damit der Entführer keinen Vorteil aus seinem Rechtssbruch ziehen kann ». Il rappelle aussi – comme le fait l’arrêt américain évoqué – qu’aucune place n’existe pour apprécier la question de savoir quel est pays où l’enfant serait mieux élevé ou quel est le parent le plus adapté à cet effet. Pareille décision revient, on le sait, aux autorités de la résidence habituelle.

24. – D’après ce qu’on pourrait appeler la « doctrine » du TF, il semble que deux conditions doivent être réunies pour la mise en œuvre de l’exception en tout cas du « danger physique grave » : 1) une preuve suffisante est rapportée de ce que l’enfant, serait, après son retour, maltraité ou abusé (« misshandelt oder missbraucht ») par le demandeur ou un tiers ; 2) il n’est pas raisonnable d’at- tendre à ce que les autorités de l’Etat d’origine assurent à l’enfant une pro- tection suffisante contre un tel danger ».

Le Règlement Bruxelles II-bis rend plus périlleux le recours à l’article 13. En effet, selon l’art. 11 al. 4 du règlement, le retour de l’enfant ne peut pas être refusé, même en cas de danger pour lui, « s’il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l’enfant après son retour ».

Quant à l’étendue de l’instruction, il est essentiel que la procédure ne soit pas enlisée dans l’examen laborieux d’arguments et contrearguments mais aussi qu’elle ne soit pas traitée de façon trop expéditive. Il semble raisonnable

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d’exiger que le danger de dommage sérieux soit prima facie vraisemblable pour que le juge ne commande des mesures d’instruction.

Parfois il ne s’agit d’ailleurs que de simples affirmations du parent ravisseur, qui ont peu de chances de convaincre le juge ; parfois elles sont assorties de rapports par des pédopsychiatres et d’autres experts, souvent détaillés, dont la pratique révéle qu’ils ne sont en tout cas pas ignorés.

25. – Je considérerai d’abord la question désormais « classique » de savoir à quel point la séparation entre enfant et parent ravisseur peut elle-même constituer un danger grave, notamment psychique (1°) ; je me pencherai ensuite sur quelques affaires où le danger, notamment physique, découlant de la personne du plaideur a été discutée (2°) ; j’évoquerai enfin quelques affaires où la « situation intolérable » a été plaidée (3°).

26. – 1° Séparation d’avec le parent. C’est la situation où le danger psychique découlant du retour est le plus souvent invoqué, notamment par le parent qui a toujours été la « personne de référence » pour l’enfant enlevé (« Bezug- sperson » ; « primary caretaker »), la mère dans la grande majorité des cas.

Je commencerais par les cas, plus nombreux, où cette « défense » n’a pas eu de succès.

Les juges anglais se montrent particulièrement rigoureux. Le principe est qu’un parent ne peut se prévaloir de la situation illégitime qu’il a contribué à créer.

Cela est d’autant plus le cas si aucun obstacle sérieux ne s’oppose au retour, à côté des enfants, de la mère elle-même. Dans une affaire importante, le juge anglais a statué avec fermeté que « it is the parental duty of the mother of G (the child) to go with him to Canada and thus minimise so far as is possible the further instabilities which are likely to beset him ».

Dans une autre affaire, B. v. K (Child Abduction), le juge Johnson de la Court of Appeal a saisi l’occasion de faire part de sa propre expérience d’après laquelle, si le retour est ordonné, la mère choisit pratiquement toujours de retourner avec l’enfant.

Mais quid si ce faisant, elle s’exposerait à des sanctions pénales dans l’Etat d’origine ? Dans sa décision du 31 janv. 2003, le TF a refusé de donner poids à un tel facteur. Il a souligné que c’est précisément du fait de l’enlèvement que la mère s’est exposée à ces sanctions. Par la même occasion, le TF cite en appro- bation semble-t-il, l’argumentation des premiers juges pour lesquels « die Trennung von Entführer und Kind grundsätzlich keine Verweigerung der Rückgabe zu begründen vermöge ». Des exceptions à ce principe « seien höchstens im Zusammenhang mit Kleinkindern und Saüglingen angebracht ».

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Les enfants étaient en l’occurrence âgés, au moment de la décision, de 7 et 9 ans : une séparation de leur mère n’aurait pas entraîné pour eux de dommages psychiques graves et permanents.

Dans un cas récent, le TF n’a pas estimé suffisant une « réaction dérangée et apathique » de l’enfant après la visite du père pas plus que les « fréquents cauchemars » de l’enfant, puisqu’il « est connu que, lors d’une situation conflictuelle entre les parents et les enfants en bas âge peuvent développer des réactions psycosomatiques ».

27. – Le dommage psychique est d’autant plus grave qu’il entraîne des conséquences permanentes ou du moins durables. J’en viens là à quelques affaires où le danger psychique a été retenu.

Dans une affaire anglo-américaine, In Re G. (Abduction Pyschological Harm), le juge britannique a tenu pour décisif le rapport médical selon lequel la mère souffrait d’une dépression réactive et qu’elle serait devenue psychotique en cas de retour au Texas. Un rapatriment des trois enfants sans elle aurait entraîné pour ceux-ci un risque intolérable parce qu’ils étaient physiquement et emo- tionnellement dépendant de leur mère : deux d’entre eux étaient encore allaités.

Dans l’une des premières décisions qu’elle a rendu en la matière, en 1994, la Cour de cassation française a affirmé que « le danger ou la situation intolérable (…) résulte aussi bien du nouveau changement des conditions de vie actuelles de l’enfant déplacé que des conditions nouvelles ou retrouvées dans l’Etat de la résidence habituelle » et ce indépendamment de l’aptitude du parent investi du droit violé à élever irréprochablement l’enfant ; le retour fut en l’occurrence nié car la séparation entre l’enfant et sa mère serait vécue « comme un deuil par l’enfant ». Et la même formation de la Cour avait, encore en 1999, dans l’affaire retentissante Ancelin v. Tiemann, approuvé les juges de fond d’avoir refusé le retour des enfants de France en Allemagne au motif que le risque grave de danger « pouvait résulter d’un nouveau changement dans les conditions de vie des enfants ».

Dans deux affaires récentes de 2005, la Cour régulatrice en est venue à une interprétation plus stricte.

28. – 2° Risque lié à la personne de l’autre parent. La violence du caractère du plaideur et d’éventuels abus sexuels sont souvent plaidés. Ce grief n’est que rarement retenu soit parce que le danger a été déclaré non-existant par les autorités de l’Etat d’origine, soit parce que des mesures ont été prises dans cet Etat pour protéger l’enfant, notamment en n’accordant au parent plaideur que de simples droits de visite surveillés.

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[D. Opposition de l’enfant]

29. – Il s’agit là d’une cause autonome de refus de retour, d’une exception à part entière.

Les tribunaux semblent parfois ne pas en être pleinement conscients dans la mesure où ils ne prennent en considération une telle opposition que lors de la vérification de l’existence d’autres motifs de refus, notamment du danger psychique.

Ainsi, par exemple, on lit dans l’arrêt du TF du 15 octobre 2004, que « la volonté (de l’enfant) de ne plus retourner en Italie, doit être interprétée comme opposition envers un nouveau changement de domicile et non comme une appréciation sur les conditions de vie, prétendument intolérables, qui attendent l’enfant dans ce pays ». Le TF ne discerne à l’évidence pas dans la volonté de l’enfant un motif autonome de refuser le retour, mais un simple élément utile dans l’appréciation de l’existence d’une « situation intolérable », par ailleurs niée en l’occurrence.

30. – Il n’y a aucune obligation, loin s’en faut, pour le juge, de suivre l’oppo- sition de l’enfant. Deux critères sont censés le guider dans sa décision : l’âge et la maturité de l’enfant. Ce qui semble certain, c’est que l’opposition doit être claire et non équivoque.

Dans une décision intéressante, la Cour d’Appel de Grenoble a pu à cet égard préciser qu’il doit s’agir d’un refus de l’enfant de retourner dans le pays et non d’une simple préférence pour l’autre parent.

Le problème, connu, réside dans la difficulté de « décrypter » les déclarations de l’enfant. On sait que celui-ci est souvent l’objet de pressions ou manipula- tions, qu’il se trouve confronté à un « conflit de loyauté ».

Un âge minimal à partir duquel l’opposition peut être prise en considération n’a pas été fixé ; la maturité varie en effet d’un enfant à l’autre. Il semble que l’au- dition de l’enfant demeure un domaine où les expériences font cruellement défaut. On comprend que les attitudes puissent varier, chez les psychologues de l’enfance ou pédopsychiatres commes chez les tribunaux. On en donnera quelques exemples.

31. – Le Tribunal fédéral a récemment précisé que, dans le cadre de l’art. 144 CC en matière d’attribution de la garde, l’audition de l’enfant est possible à partir de six ans déjà.

L’attitude que le même Tribunal a adopté, dans une décision du 13 février 2007, pour le cas d’enlèvement, est fort différente. La « maturité » suffisante est, pour lui, atteinte « lorsque l’enfant est en position de saisir le sens et la problé-

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matique inhérente à l’action de remise. L’enfant doit notammment être en position de comprendre qu’il ne s’agit pas de la garde, mais, seulement, du rétablissement du statu quo ante ; que la question de savoir dans quel pays et avec quel parent il va vivre serait traitée ensuite, dans l’Etat d’origine ».

Il s’agit – il faut bien l’avouer – d’une distinction relativement abstraite. On comprend donc que, pour le TF, la maturité nécessaire pour la comprendre soit atteinte entre 10 et 14 ans. Des recherches de psychologie de l’enfance confirmeraient, aux dires du TF, que les « processus de pensée logico-formelle commencent à se réaliser chez les enfants d’onze et douze ans, et qu’une maturité émotionnelle et cognitive n’apparaît qu’à cet âge ».

C’est pourquoi le TF estime peu utile d’auditionner les enfants en bas âge s’agissant d’une procédure d’enlèvement. Le TF évoque au surplus le risque que l’enfant enlevé soit beaucoup plus sous l’influence du parent ravisseur, que simplement exposé à un conflit de loyautés.

32. – Il en va différemment en Allemagne. Voilà probablement le pays où l’on attribue à la parole de l’enfant le plus d’importance.

Le droit de l’enfant d’être entendu y revêt un fondement constitutionnel. Les magistrats allemands insistent souvent pour auditionner les enfants directement.

Ils n’hésitent pas à procéder à plusieurs auditions : seuls avec eux, d’abord, en présence des parents, ensuite. Il y a même, en tout cas dans les Oberlandsgerichte, des espaces aménagés où les enfants peuvent jouer pour favoriser l’audition.

La conviction est en effet répandue chez les juges allemands que « l’enfant connaît le mieux ses parents et qu’il a souvent des bonnes idées pour atténuer le conflit ». Cette conviction n’est pas sans susciter des perpléxités, par exemple chez leurs homologues français. On n’entrera pas dans le débat, par ailleurs fort intéressant.

On se bornera à relever que le Règlement Bruxelles II-bis invite le juge saisi à

« veiller à ce que l’enfant ait la possibilité d’être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n’apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité » (art. 11 al. 2). La parole de l’enfant y a donc plus de poids que dans le cadre de la Convention de La Haye.

[E. - Violation des droits fondamentaux]

33. – Il reste à examiner l’article 20 de la Convention. Cette disposition exclut l’obligation de retour lorsque le rapatriment de l’enfant serait contraire aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que reconnus et pratiqués dans l’Etat requis.

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Il est souvent avancé qu’une telle disposition serait largement superfétatoire.

On imagine mal en effet une situation où la restitution de l’enfant est contraire aux droits fondamentaux, qui ne tomberait pas du même coup sous l’empire d’autres exceptions, notamment celle concernant le danger psychique ou physique pour l’enfant. On s’explique dès lors pourquoi cette exception est rarement invoquée.

34. – Un nombre de plus en plus important d’auteurs voudrait pourtant lui donner un nouveau souffle. Voilà un ancrage normatif, avancent-ils, pour protéger non pas directement l’enfant, mais les femmes, les mères notamment, qui seraient victimes de violence domestique.

Force est de constater qu’à l’heure actuelle, le 70 % des enleveurs sont des mères, que beaucoup d’entre elles sont les « primary caretakers », et qu’un certain nombre d’entre elles tentent de s’échapper à une situation de violence domestique devenue intolérable, pour elles et pour l’enfant.

Il est vrai que la Convention ne les oblige pas à retourner avec l’enfant dans l’Etat d’origine. C’est ce que rappellent certains arrêts, avec peut-être un peu trop de zèle. Il reste que le choix auquel la Convention les astreint s’avère parfois intenable : « ta sécurité ou ton enfant » (« your safety or your child »).

En effet, la décision par la mère de ne pas retourner dans le pays avec l’enfant entraîne le risque qu’elle soit privée de la garde de façon permanente.

On comprend qu’on ait pu avancer qu’il est contraire à toute notion des droits de l’homme, que d’obliger une femme à choisir entre son enfant et son intégrité personnelle. Dans un arrêt de la Cour suprême de Puerto Rico de 1996, De los Rios Carmona v. Melendez (141 D.P.R. 282, 1996), l’art. 20 a été invoqué avec succès précisément dans une situation de ce type.

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