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La liaison dans la lecture adressée à l'enfant ou à l'apprenant

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Master

Reference

La liaison dans la lecture adressée à l'enfant ou à l'apprenant

DECAP, Julie

Abstract

Ce travail de maîtrise s'intéresse à la production de liaisons variables dans la lecture adressée à l'enfant et à l'apprenant de français langue étrangère, aspect de la liaison encore assez peu exploré. Cette étude tente de déterminer quelle situation de lecture déclenche le plus de liaisons : est-ce la lecture adressée à l'enfant, à l'adulte natif ou à l'adulte non natif ? Afin de répondre à cette question, ce travail propose deux études de production, la première en situation de lecture à l'enfant et la seconde étude en situation de lecture à l'adulte, natif et non natif.

DECAP, Julie. La liaison dans la lecture adressée à l'enfant ou à l'apprenant. Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:111018

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La liaison dans la lecture adressée à l’enfant ou à

l’apprenant

Travail de Maitrise en Français langue étrangère

Directrice de mémoire : Prof. Isabelle Racine Août 2018

Université de Genève Faculté des lettres

Ecole de Langue et Civilisation Françaises

27, rue Chesney 74700 Sallanches

julie.decap@etu.unige.ch +33 678 09 96 04

Julie Decap

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Remerciements

Ce travail de mémoire est le résultat d’un travail de longue haleine. Si je présente ce travail en août 2018, mon premier rendez-vous avec ma directrice de mémoire date de 2015. Ce fut donc un travail sur la durée mais auquel j’ai pris énormément de plaisir, tant dans l’analyse des données collectées que dans la rédaction proprement dite. Je tiens donc à remercier toutes celles et ceux qui m’ont accompagnée dans ce long et enrichissant voyage.

Je souhaite tout d’abord adresser ma reconnaissance à ma directrice de mémoire, la professeure Isabelle Racine, qui m’a guidée tout au long de ce parcours. C’est grâce à ses cours que l’idée de ce mémoire m’est venue et que cette étude a pu se concrétiser. Un grand merci pour sa grande bienveillance, ses nombreux conseils, ses relectures et tous ses commentaires qui m’ont permis d’affiner mon travail et d’aller plus loin dans ma réflexion. Je tiens aussi à la remercier pour l’aide qu’elle m’a fournie lors des enregistrements, puisque c’est elle qui a trouvé puis enregistré les huit enseignantes de français langue étrangère qui ont participé à cette étude. Merci de m’avoir soutenue et encouragée tout au long de ce travail.

Je tiens à remercier tout particulièrement Patrick, mon beau-père, qui m’a suivie durant toute ma période de rédaction, qui a relu et corrigé tout mon travail et ce avec énormément de bienveillance et d’encouragements. Merci aussi à mon amie Amélie qui m’a beaucoup aidée à mettre en place mes graphiques ainsi que la mise en page de ce travail.

Un grand merci aux huit mamans qui ont participé à cette étude de production en lisant notamment une histoire très longue à leur enfant, ainsi qu’aux huit enseignantes de français langue étrangère qui ont bien voulu se prêter à l’exercice.

Je souhaite aussi remercier toutes mes proches, parents et amis, qui m’ont écoutée, parfois longuement, parler de mon travail de mémoire. L’attention qu’ils ont pu m’accorder m’a toujours encouragée et donné de l’énergie.

Pour finir, je voudrais adresser toute ma gratitude à mon mari, Nicolas, sans lequel je n’aurais pas repris mes études. Merci de m’avoir écoutée, soutenue, supportée, et surtout merci d’avoir cru en moi.

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Table des matières

Introduction………..…..4

Partie Théorique

Chapitre 1 La liaison ... 9

1.1 Définir la liaison ... 9

1.1.1 Liaison VS enchaînement... 9

1.1.2 D'où viennent les liaisons ... 10

1.1.2 Les différentes consonnes de liaison ... 11

1.1.3 Aspects phonologique, morphosyntaxique et lexical ... 12

1.2 Les différentes classifications de la liaison ... 16

1.2.1 Classification des liaisons selon Delattre ... 16

1.2.2 Travaux d’Ågren et De Jong ... 18

1.2.3 Classification des liaisons basée sur le corpus PFC ... 20

1.3 Liaison et variation ... 22

1.3.1 Les différents types de variation ... 23

1.3.2 La liaison variable comme observatoire de la variation en français ... 24

1.3.2.1 La liaison et la variation diachronique ... 24

1.3.2.2 La liaison et la variation diatopique ... 25

1.3.2.3 La liaison et la variation diaphasique... 26

1.4 Conclusion du chapitre 1 ... 28

Chapitre 2 Acquisition de la liaison ... 29

2.1 Acquisition en L1 ... 29

2.1.1 Les différentes étapes de l’acquisition de la liaison chez l’enfant francophone .. 29

2.1.1.1 Acquisition des LC chez l’enfant francophone ... 30

2.1.1.2 Acquisition des LV chez l’enfant francophone ... 31

2.1.2 Deux théories s’affrontent à propos de l’acquisition de la liaison en L1 ... 32

2.1.2.1 Une conception phonologique ... 32

2.1.2.2 Une conception lexicale ... 33

2.1.2.3 Confrontation des deux conceptions ... 35

2.2 Acquisition en L2 ... 37

2.2.1 Les difficultés que pose l’acquisition de la liaison pour les apprenants du français ... 37

2.2.2 Les premiers travaux ... 38

2.2.3 Travaux dans le cadre du projet IPFC ... 39

2.3 Conclusion du chapitre 2 ... 43

Chapitre 3 Discours adressés à l’enfant et à l’apprenant ... 44

3.1 Caractéristiques ... 44

3.1.1 Caractéristiques du Discours adressé à l’Enfant (DAE) ... 44

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4

3.1.2 Caractéristiques du Discours Adressé au Non Natif (DANN) ... 47

3.1.3 Différences et similitudes entre le DAE et le DANN ... 47

3.1.4 DAE et discours adressé à l’apprenant en classe de langue ... 48

3.2 La liaison dans le DAE ... 50

3.2.1 La liaison dans le discours des parents ... 50

3.2.2 La liaison dans les livres audios ... 52

3.3 Conclusion de la partie théorique ... 54

Chapitre 4 La lecture adressée aux enfants ... 58

4.1 Objectifs de l’étude ... 58

4.2 Méthode ... 58

4.2.1 Participantes ... 58

4.2.2 Matériel ... 59

4.2.3 Procédure ... 60

4.2.4 Analyse des données ... 60

4.3 Résultats ... 61

4.4 Discussion générale de la première étude ... 67

Chapitre 5 La lecture adressée aux adultes ... 69

5.1 Objectifs de l’étude ... 69

5.2 Méthode ... 69

5.2.1 Participantes ... 69

5.2.2 Matériel ... 70

5.2.3 Procédure ... 71

5.2.4 Analyse des données ... 71

5.3 Résultats ... 72

5.3.1 Comparaison de la production de liaisons des mamans en situation de lecture à un enfant et à un adulte ... 72

5.3.2 Production de liaisons des enseignantes de FLE comparée à celle des mamans en situation de LAE ... 76

5.3.3 Comparaison de la production de liaison entre les mamans et les enseignantes de FLE dans la seconde étude ... 80

5.4 Discussion générale de la seconde étude ... 83

Conclusion ……….…91

Références ... 91

Annexes ………...103

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Table des illustrations

Figure 1 : Comparaison des taux de réalisation global des liaisons chez les mamans, Marlène

Jobert et dans le corpus PFC en situation de lecture... 61

Figure 2 : Taux de réalisation individuel des LV chez les huit mamans ... 62

Figure 3 : Comparaison des taux de réalisation des liaisons selon les contextes ... 63

Figure 4 : Comparaison des taux de réalisation des LV des mamans dans les études 1 et 2 ... 72

Figure 5 : Comparaison des taux de réalisation des LV présentes dans les deux textes ... 73

Figure 6 : Comparaison des taux de réalisation des liaisons des mamans dans les études 1 et 2 selon les contextes ... 74

Figure 7 : Taux de réalisation des LV chez les enseignantes de FLE ... 76

Figure 8 : Comparaison des taux de réalisation des LV des enseignantes de FLE avec celle des mamans et de Marlène Jobert lors de la première étude. ... 77

Figure 9 : Comparaison des taux de réalisation des liaisons selon les contextes ... 78

Figure 10 : Comparaison des taux de réalisation des liaisons des enseignantes de FLE et des mamans lors de la seconde étude. ... 80

Figure 11 : Comparaison des taux de réalisation des liaisons selon les contextes entre les mamans et les enseignantes de FLE lors de la seconde étude. ... 81

Tableau 1 : Taux de réalisation de liaisons après certaines formes du verbe être ... 64

Tableau 2 : Taux de réalisation de liaisons après certains adverbes monosyllabiques ... 65

Tableau 3 : Taux de réalisation de liaisons après certaines conjonctions monosyllabiques ... 66

Tableau 4 : Taux de réalisation de liaisons après certaines conjonctions monosyllabiques ... 75

Tableau 5 : Taux de réalisation de liaisons après certaines formes du verbe être ... 79

Tableau 6 : Taux de réalisation de liaisons après certains adverbes monosyllabiques ... 82

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Introduction

C’est lors de nos études à l’Université de Genève, et plus précisément en suivant le cours Regards phonologique sur la variation en français oral (Prof. I. Racine), que la question de la liaison nous a particulièrement interpellée. La liaison en français consiste à prononcer la consonne finale d’un Mot 1, habituellement muette, en la liant avec la voyelle d’attaque d’un Mot 2, comme dans l’exemple un gros éléphant. Au premier abord, ce phénomène peut paraître simple : lorsqu’un mot finissant par une consonne muette est suivi d’un mot commençant par une voyelle on produit une liaison. Mais, en réalité, le phénomène de la liaison est bien plus complexe et sa réalisation dépend de nombreux éléments différents.

Parmi ces éléments, les aspects linguistiques, comme la morphologie ou la phonologie, ont une influence sur la liaison, mais d’autres éléments comme la situation d’énonciation entre aussi en compte. En effet, un même locuteur, dans deux situations différentes, la lecture et la conversation par exemple, peut très bien réaliser une liaison dans la première situation et ne pas réaliser la même liaison dans la deuxième situation. Dès lors, il semble évident que la liaison sera un phénomène très compliqué à acquérir, notamment pour les apprenants du français langue étrangère.

Ce phénomène typique et complexe du français est traité dans tous les manuels de français langue étrangère, les apprenants doivent l’apprendre et le maîtriser, mais les enfants francophones natifs doivent eux aussi l’acquérir et savoir l’utiliser. La question que nous nous sommes alors posée concerne l’input. En observant notre propre comportement en situation de lecture adressée à l’enfant, nous avons eu l’impression de réaliser un plus grand nombre de liaison que si nous avions été dans une situation de conversation. Les études de corpus menées jusqu’à aujourd’hui sur ce phénomène montrent que l’on produit plus de liaison en situation de lecture qu’en conversation. Néanmoins, nous avions aussi l’impression de produire plus de liaison en lisant à un enfant que si nous avions lu à un adulte. Nous nous sommes alors interrogée sur l’input que l’on donne dans la lecture en ce qui concerne la liaison. Un locuteur lisant à un enfant francophone natif fait-il plus de liaison que lorsqu’il lit à un adulte natif ?

La recherche concernant le discours adressé à l’enfant est un champ assez vaste et riche depuis plusieurs années, mais la plupart des études sont axées sur les anglophones. Il existe quelques études sur ce domaine en France mais très peu concerne la liaison et aucune ne

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7 s’intéresse à l’input dans la lecture des parents à leurs enfants. Quant au discours adressé à l’adulte non natif, c’est un domaine assez peu étudié, à nouveau la plupart des recherches concernent les anglophones, et aucune étude, à ce jour, ne s’est intéressée à l’input des enseignantes de français langue étrangère en termes de liaison.

C’est dans cet espace que s’inscrit l’étude présentée dans ce travail. Cette étude s’intéresse, en effet, à l’input, en termes de liaison, en situation de lecture. Nous avons pour cela enregistré plusieurs mamans lisant à leur enfant puis à un adulte ainsi que plusieurs enseignantes de français langue étrangère lisant à l’attention d’apprenants du français. Nous avons aussi comparé nos données à d’autres corpus et notamment à un corpus de livres audio (Pustka 2015). En effectuant cette recherche, nous souhaitions répondre à plusieurs questions : en ce qui concerne les liaisons, les mamans ont-elles un comportement différent qu’en lecture à l’adulte lorsqu’elles lisent à leur enfant ? les mamans et les enseignantes de français langue étrangère ont-elles un comportement similaire lorsqu’elles lisent à une personne en situation d’acquisition du langage ? les mamans et les enseignantes de français langue étrangère font-elles plus ou moins de liaisons que ce que l’on trouve dans les livres audio ?

Afin d’appréhender au mieux les résultats et les spécificités de cette étude, une première partie théorique, divisée en trois chapitres, est nécessaire. Le premier chapitre présente une définition de la liaison et explique son comportement, avec une réalisation pouvant aller de catégorique à erratique, en passant par une réalisation variable, avant d’exposer les facteurs susceptibles d’influencer la réalisation de la liaison variable. Dans le deuxième chapitre, nous nous intéresserons à l’acquisition de la liaison, d’abord chez les enfants francophones natifs, puis chez les apprenants du français. Le troisième chapitre sera consacré à l’input, nous ferons d’abord un état des lieux de la recherche concernant les discours adressés à l’enfant et à l’apprenant avant de regarder plus en détail la liaison dans le discours adressé à l’enfant et dans les livres audio.

Après ce tour d’horizon théorique, les deux parties de notre étude seront présentés. La première partie concerne exclusivement les mamans en situation de lecture à leur enfant et leurs résultats sont comparés aux corpus de livres audio notamment. Dans la seconde partie, les résultats de la première partie seront comparés aux mamans lisant à un adulte ainsi

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8 qu’aux enseignantes de français langue étrangère lisant à l’attention d’apprenants, avant de comparer les enseignantes aux mamans lisant à un adulte. Pour chacun de ces deux volets, nous présenterons les objectifs de l’étude, puis les aspects méthodologiques, c’est-à-dire les participantes, le matériel, la procédure et l’analyse des données avant d’exposer les résultats obtenus. Une discussion générale, visant à présenter une interprétation des résultats

obtenus, viendra clôturer chaque partie de l’étude. Après la présentation de ces deux parties pratiques, une conclusion permettra de reprendre les éléments essentiels de ce travail et d’ouvrir vers d’autres perspectives de recherches.

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Partie théorique

Chapitre 1 La liaison

La liaison est un phénomène de la langue française complexe et difficile à appréhender. Harnois-Delpiano (2016) en parle comme d’un kaléidoscope où l’on pourrait regarder la liaison à travers différents prismes. Ce premier chapitre a pour objectif de présenter ce phénomène ainsi que les facteurs qui le rendent complexe. Dans un premier temps, nous définirons la liaison, tant son origine que les aspects, phonologiques, morphosyntaxiques et lexicaux qui l’influencent. Dans un second temps, nous aborderons les différentes classifications de la liaison qui ont été réalisées. Pour finir, nous présenterons les différents facteurs qui font de la liaison un phénomène variable.

1.1 Définir la liaison

1.1.1 Liaison VS enchaînement

Il est important de distinguer la liaison de l'enchaînement. Comme l'explique Delattre (1947 : 148), « le mot "liaison" ne s'applique qu'à des consonnes qui sont muettes dans le mot isolé [...], le mot "enchaînement" s'applique à des consonnes toujours prononcées, aussi bien dans le mot isolé que dans la chaîne parlée ». En effet, et comme le rappelle Harnois- Delpiano (2016), on nomme enchaînement le fait de lier la consonne finale d’un Mot-1, qui est toujours prononcée même quand le mot est isolé, à l’initiale vocalique d’un Mot-2. En revanche, comme le précisent Durand et Lyche (2016), la liaison est un phénomène de sandhi externe qui implique l’absence ou la présence d’une consonne entre deux mots : Mot-1 et Mot-2. La consonne peut apparaître quand le Mot-2 commence par une voyelle, mais cette consonne est absente quand le Mot-1 ou le Mot-2 sont prononcés de manière isolée. Pour illustrer cette différence entre liaison et enchaînement ils proposent l’exemple « Paul est allé à Pise [pɔ.lɛ.ta.le.a.piz] » pour montrer que la deuxième syllabe comporte un enchaînement, puisque le [l] de Paul est toujours prononcé, alors que la troisième syllabe est constituée d’une liaison, puisqu'on ne prononce pas le [t] de est dans le mot isolé.

Il est aussi important de noter que, lorsque la liaison est réalisée, il y a, comme l'explique

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10 Encrevé (1988 : 23) une « resyllabation qui fait entendre CL [consonne de liaison] à l'attaque de la première syllabe du second mot ». En d’autres termes, et comme l’indique Delattre (1947 : 148), « la consonne fait partie de la voyelle qui suit », la consonne de liaison se rattache donc au début du Mot-2, si on prend l'exemple les enfants, on ne prononce pas [lez.ã.fã] mais bien [le.zã.fã].

1.1.2 D'où viennent les liaisons

Quand on cherche à connaître l'origine des liaisons, la littérature nous présente ce phénomène comme la réminiscence de l'ancienne prononciation du français, à l'époque où toutes les consonnes finales étaient prononcées. En effet, Martinon (1913 : 355) mentionne par exemple :

« Au début du XVIe siècle, toutes les consonnes finales se prononçaient partout [...] Au contraire, à partir du XVIIe siècle, les consonnes ont généralement cessé peu à peu de se prononcer dans l'usage ordinaire, sauf devant une voyelle (ou un h muet), quand les mots étaient intimement liés par le sens. […] ce qui reste de cette prononciation, c'est ce qu'on appelle communément liaison ».

Comme le décrivent Durand et Lyche (2016), les mots six et dix montrent bien l'évolution de ce phénomène d'abandon des consonnes finales. Ils expliquent que les premières consonnes finales qui ont cessé d'être prononcées sont celles qui étaient suivies par un mot commençant par une consonne comme dans six verres [si.vɛʁ]. Mais, au début de cette transformation de la langue, les consonnes finales terminant un énoncé ainsi que celles suivies par un mot commençant par une voyelle étaient toujours prononcées. Les mots six et dix gardent encore aujourd’hui la trace de cette évolution : en voilà six [ɑ̃.vwa.la.sis] et six ans [si.zɑ̃].

Dans son article, Laks (2005a : 113) développe plus précisément les modifications de la langue française qui vont conduire aux liaisons. Il explique que les consonnes finales ont commencé à ne plus être prononcées à l'oral à partir du 12e siècle, puis, autour du 16e siècle, l'orthographe s’impose doucement, ce qui va faire réapparaître les consonnes qui avaient disparu. Au début, au niveau de la liaison, on constate une grande variation, ce qui, selon lui, « indique que la norme elle-même reste encore fluctuante ». Furet & Ozouf (1977 :

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11 71) soulignent toutefois que, même si la norme n'est pas encore installée, le 16e siècle marque bien un tournant car, si « au Moyen Âge, même la culture savante est toute pénétrée d’oral, à partir du 16e siècle, même la culture populaire est dominée par l'écrit ».

Laks (2005a : 118) remarque en effet que « tous les historiens s'accordent à considérer que la période charnière s'ouvre vers 1850 avec la stabilisation quasi définitive de la grammaire normative et de l'orthographe pour s'achever à la fin du siècle avec la mise en place de l'école publique ». Par conséquent, il paraît clair que la liaison est un phénomène fortement lié à la graphie des mots. D’ailleurs, selon lui, « les phonologues du début du siècle sont unanimes, l'apprentissage des normes phoniques à partir de l'orthographe modifie radicalement le bon usage de la liaison ». L'école publique y est aussi pour beaucoup puisque, comme le relève Martinon (1913 : 391), c'est à travers les enseignants que la norme s'est diffusée. Il précise d'ailleurs que « la diffusion de l'enseignement a rétabli dans l'usage courant de la conversation beaucoup de liaisons que le XVIIe siècle et le XVIIIe siècle n'y faisaient déjà plus ».

1.1.2 Les différentes consonnes de liaison

Toutes les consonnes ne sont pas des consonnes de liaison. Durand & Lyche (2016) en dénombrent six au total : [z], [n], [t], [ʁ], [p], [ɡ].

La liaison est l'un des objets d'étude phare dans le projet international « Phonologie du Français Contemporain » (ci-après PFC) (Durand, Laks & Lyche, 2009). Dans ce cadre, Eychenne et al. (2014) ont montré que les liaisons en [z] représentent 46,26% des liaisons réalisées, c'est-à-dire près de la moitié des occurrences, suivies par les liaisons avec [n], 36,06%, et les liaisons avec [t], 17,25%. Durand & Lyche (2016) ont montré, toujours dans le cadre du corpus PFC, que les consonnes [ʁ] et [p] produisent de très rares liaisons. Pour ce qui est du [ɡ], Mallet (2008 : 41) souligne qu'il n'est observé que dans l'expression « sang impur » que l'on trouve dans la Marseillaise, ainsi que dans le mot long.

Les consonnes de liaison [z] et [t] ont plusieurs graphies possibles. La liaison en [z] se fait sur la base de la lettre <s>, comme dans les enfants [le.zã.fã], ou <z>, comme dans chez elle [ʃe.zɛl], ou encore <x>, comme dans de beaux éléphants [də.bo.ze.le.fã]. Pour la liaison en [t], il y a également deux graphies possibles : <t>, comme dans il est arrivé [i.le.ta.ʁi.ve] ou <d>, comme dans mon grand oncle [mɔ̃.gʁã.tɔ̃kl].

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12 Outre les changements qu’elle peut produire sur la consonne de liaison elle-même, la liaison, comme l'explique Mallet (2008 : 42), peut aussi impliquer la « dénasalisation de la voyelle (par ex. bon [bɔ̃] réalisé [bɔn] dans bon ami) ». Elle peut aussi ouvrir la voyelle qui précède la consonne de liaison (par exemple premier [pʁəmje] réalisé [pʁəmjɛ] dans son premier anniversaire). La liaison peut donc avoir un effet sur la voyelle qui précède la consonne de liaison indépendamment de cette consonne mais ce n’est pas toujours le cas, par exemple la voyelle [ɛ̃] reste nasale dans l’occurrence aucun ami.

1.1.3 Aspects phonologique, morphosyntaxique et lexical

Comme l'explique Mallet (2008 : 47), « traditionnellement, la capacité qu’a le français de lier les termes les uns à la suite des autres, en enchaînant, en liaisonnant, serait due à une intolérance des séquences d’enchaînement vocalique (appelé hiatus) ». On appelle hiatus un enchainement où deux voyelles se suivent, soit à l'intérieur d'un même mot (par exemple réalisation), soit entre deux mots qui se succèdent dans la chaîne parlée (par exemple elle appela Albert). Ainsi, comme le rappelle Mallet (2008 : 47), « la liaison n’a en effet lieu que dans une séquence de deux mots (M1 et M2) où M1 se termine par une voyelle et M2 commence par une voyelle » ce qui constitue donc une manière d'éviter le hiatus.

L'évitement du hiatus est aussi une des raisons avancées par Martinon (1913 : 359) pour expliquer l'utilisation des liaisons :

« Les liaisons étant conservées, en principe, dans une intention d'harmonie, et notamment pour éviter le hiatus »

S'il est vrai que la liaison permet d'éviter le hiatus, ce n'est pas là sa seule motivation puisque c’est un phénomène variable. En effet, il existe de nombreux contextes de liaisons potentielles où la liaison n'est pas réalisée. En voici quelques exemples :

1 Un enfant adorable [ɛ̃.nã.fã.ta.dɔ.ʁabl]

2 Un crayon et une feuille [ɛ̃.kʁe.jɔ̃.e.tyn.fœj]

Dans les exemples (1) et (2) la liaison serait erratique si elle était produite. Comme le montrent ces deux exemples et comme le rappelle Mallet (2008 : 54), « le hiatus en français est possible » puisque dans un contexte où il y a une liaison potentielle, elle n'est pas toujours réalisée. Par conséquent, « si une analyse phonologique de la liaison permet d’en décrire les mécanismes, elle n’explique cependant pas ce qui la caractérise le plus : sa

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13 variation » (Mallet 2008 : 55).

Le facteur phonologique ne peut donc à lui seul expliquer le phénomène de la liaison puisque, comme l’explique Laks (2005b), la même consonne de liaison, par exemple /s/, dans un même contexte, peut entraîner une liaison catégorique (3), variable (4) ou erratique (5) :

3 Des_éléphants

4 Des éléphants_énormes 5 Un colis_égaré

Les facteurs qui expliquent le phénomène de la liaison sont multiples et complexes à appréhender. Harnois-Delpiano (2016 : 18) exprime parfaitement cette complexité :

« Ainsi, à la manière d’un kaléidoscope au sein duquel un nombre fini de petits miroirs autorise un nombre indéfini de combinaisons d’images lumineuses, le phénomène de la liaison en français est composé d’un nombre fini d'éléments linguistiques qui autorise un nombre indéfini de combinaisons menant à la réalisation ou non d’une consonne de liaison ».

Si l’on suit Harnois-Delpiano (2016), la liaison peut donc être regardée à travers différents prismes.

Si l’on observe les liaisons à travers le prisme morphosyntaxique, cela permet d’expliquer en partie leur fonctionnement. Comme le relève Delattre (1947 : 149), « la liaison se fait dans la mesure où l'usage a consacré l'extrême étroitesse d'union de deux mots ou classes de mots ». Laks (b) explique que lorsqu’un élément secondaire précède un élément majeur (par exemple un déterminant devant un nom comme en (3)), cela forme « une seule unité accentuelle, rythmique et prosodique ». Toujours selon Laks (2005b), la liaison est donc la conséquence « de la force particulière du lien syntaxique préposé ».

Dans l’exemple (5), la liaison est erratique car le /s/ ne marque pas le pluriel. Sur ce point, Laks (2005b : 15) indique que « la dynamique morphosyntaxique protège de la troncation les consonnes fonctionnelles marquant le temps, le nombre ou la personne ». Delattre (1947 : 149) écrivait d’ailleurs au sujet du marquage du pluriel :

(15)

14

« La liaison se fait davantage au pluriel qu'au singulier. Elle peut servir à les distinguer l'un de l'autre : il y a tendance (pas obligation) à marquer le pluriel par une liaison en [z] et le singulier par l'absence de liaison ».

Dans leur étude du français de Louisiane, Dajko, Klinger et Lyche (2016 : 56) constatent que, dans cette variété, la liaison en /z/ s’utilise même principalement pour marquer le pluriel et que son « rôle morphologique […] apparaît clairement après les chiffres : cinq [z] écoles ».

Bybee (2005 : 28) reprend les exemples de Tranel (1981 : 216) qui montraient l’adjonction d’un /z/ non étymologique aux nombres cardinaux pour marquer le pluriel : huit épreuves [ɥit.ze.pʁœv], neuf œufs [nœf.zø]. Bybee (2005 : 28) écrit à ce propos que « cette construction va au-delà de la fonction de créer une structure syllabique optimale et témoigne d’un usage véritablement morphologique où le [z] signale la pluralité ».

Outre les aspects phonologique et morphosyntaxique, l’aspect lexical a, lui aussi, une influence sur la réalisation ou non de la liaison. Comme le rappelle Mallet (2008 : 97), « on peut avoir à l’intérieur d’une même catégorie syntaxique des comportements différents selon les éléments qui constituent la catégorie ». De nombreux travaux se sont attachés à comprendre ce qui pouvait influencer la liaison et certains se sont penchés sur la longueur des mots. Delattre (1947 : 150) abordait déjà cet aspect : « la liaison se fait d’autant plus que le premier des deux mots est plus court ». D’ailleurs, comme nous le verrons plus loin, il classait les invariables monosyllabiques dans les liaisons obligatoires et les invariables polysyllabiques dans les liaisons facultatives. Dans son étude, Mallet (2008) observe notamment l’influence de la longueur des mots sur le taux de réalisation de la liaison dans le corpus PFC. Elle constate que, pour les formes monosyllabiques, la liaison est réalisée dans 66,3% des cas, alors que, pour les formes polysyllabiques, elle n’est réalisée que dans 7,4%

des cas. Cependant, si la longueur du mot permet d’expliquer certaines liaisons, cela reste insuffisant puisque, comme on peut le voir dans l’étude de Mallet (2008 : 265), entre deux formes monosyllabiques, le taux de réalisation de la liaison peut être très différent : dans (94,97%) et mais (0,51%).

Il faut donc regarder la liaison à travers un autre prisme, celui de la fréquence d’usage.

Bybee (2005 : 30) émet l’hypothèse selon laquelle les unités où les liaisons apparaissent seraient des « unités de stockage qui vont au-delà du mot traditionnel ». Selon elle, la variable qui permet le mieux de prédire si une liaison sera réalisée, c’est « la fréquence avec laquelle […] deux éléments apparaissent ensemble ». L’étude de Fougeron, Goldman et

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15 Frauenfelder (2001) confirme cette hypothèse puisqu’ils constatent que les liaisons sont plus souvent réalisées avec des mots qui se retrouvent fréquemment en co-occurrence. Durand et al. (2011 : 119) remarquent aussi que, dans le corpus PFC, seules « 21 (sous-) constructions sur 234 recensées sont responsables de 80% des cas de liaisons attestées ».

Cela montre donc que, plus un contexte est fréquent, « plus les locuteurs seraient enclins à réaliser une liaison dans le même contexte » (Harnois-Delpiano 2016 : 50).

Malgré tous les facteurs que nous venons de voir, il reste difficile de définir précisément quelles sont les liaisons qu'il faut réaliser et celles qui sont variables. De nombreux linguistes se sont attelés à cette tâche de catégorisation des liaisons et nous allons donc aborder la question de la classification dans la section suivante.

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1.2 Les différentes classifications de la liaison

1.2.1 Classification des liaisons selon Delattre

Delattre (1947 : 152) propose une classification des liaisons qui ne s'appuie pas sur l’étude d’un corpus oral mais sur des descriptions, l'objectif de cet article étant en particulier de donner des indications précises pour enseigner la liaison aux apprenants, ce qui s’observe notamment dans la terminologie des trois catégories qu’il présente : les liaisons obligatoires, facultatives et interdites. Il précise que ces distinctions ne sont pas absolues, « elles varient selon le style ». Il distingue ainsi quatre styles différents : la conversation familière, la conversation soignée, la conférence et la récitation de vers. Selon lui, plus on est proche de la conversation familière, moins on fait de liaison et plus on est proche de la récitation de vers, plus on en fait. Cette variation de la réalisation des liaisons ne s'applique, bien évidemment, qu'aux liaisons qu'il classe comme « facultatives ». A la fin de son article, Delattre présente un tableau récapitulatif, dans lequel sont classées les liaisons selon qu'elles sont obligatoires, facultatives ou interdites.

Dans la catégorie obligatoire, il classe :

• les déterminatifs (articles, adjectifs possessifs, adjectifs qualificatifs...) suivis d'un nom, d'un pronom ou d'un adjectif.

• les pronoms personnels suivis d'un verbe

• les verbes suivis d'un pronom personnel

• est ou c'est

• les invariables monosyllabiques (prépositions et adverbes)

• certaines formes figées comme tout à coup ou de temps en temps Dans la catégorie facultative, il classe :

• les noms au pluriel suivis d'un adjectif, d'un verbe ou d'un mot invariable

• les pronoms

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17

• les verbes

• les invariables polysyllabiques (prépositions et adverbes)

• les conjonctions monosyllabiques Dans la catégorie interdite, il classe :

• les noms au singulier

• les noms propres

• le pluriel des noms composés comme des arcs-en-ciel

• et

• le /h/ aspiré

• certaines formes figées comme nez à nez

C'est une classification très détaillée, avec une visée prescriptive ayant pour objectif d’enseigner le bon français, dans laquelle Delattre met de nombreux contextes dans la catégorie obligatoire. Mais, comme nous le verrons plus loin, en se basant sur un corpus oral, Durand et Lyche (2008) n'aboutissent pas à la même analyse, avec par exemple beaucoup moins de contextes où la liaison est réalisée de manière catégorique que dans la classification ci-dessus. Si l'on examine les invariables monosyllabiques cités par Delattre, comme les prépositions par exemple, Durand et Lyche (2008 : 17) en se basant sur un corpus oral montrent que « there is no liaison after dans in 5% of the occurrences (245) »1. Outre le fait que 60 ans séparent les deux classifications, on peut souligner que cette classification des liaisons par Delattre se base sur des intuitions, sur la description de ses propres observations, alors que les travaux que nous allons aborder maintenant se basent, quant à eux, sur des corpus oraux qui viennent remettre en question cette classification.

1 Dans 5% des cas (sur 245 occurrences), la liaison n’est pas réalisée après dans. [Notre traduction]

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18 1.2.2 Travaux d’Ågren et De Jong

L'étude d'Ågren (1973 : 3) se base sur un corpus de 134 émissions radiophoniques enregistrées entre 1960 et 1961. Il s'est attaché « à ne relever que les liaisons et non-liaisons du français parlé spontanément ». Pour ce faire, il a évité tous les passages où le locuteur est susceptible de lire un texte. Ågren s'intéresse dans cette étude seulement aux liaisons facultatives et son objectif premier n’était pas de remettre en question les catégories de liaisons obligatoires, facultatives et interdites de Delattre (1947). Il constate pourtant que certains éléments classés dans la catégorie obligatoire par Delattre (1947) devraient plutôt se trouver dans la catégorie facultative. Ainsi, pour les adverbes monosyllabiques qui sont classés par Delattre (1947) dans la catégorie obligatoire, Ågren (1973 : 97) prend l’exemple de l’adverbe pas et constate qu’au sein de son corpus, la moyenne de réalisation de liaison avec pas ne s’élève qu’à 23%, et, même s’il y a des variations selon ce qui suit l’adverbe, on atteint au maximum 43% de réalisation de liaisons. Selon Ågren, cela montre que « la tendance de pas à la NL [non liaison] est très accusée ».

Grâce aux résultats de son étude, Ågren (1973 : 28) observe aussi que l'un des facteurs qui pourrait influencer la liaison serait la fréquence d'emploi. Comme il l'explique, « le facteur fréquence d'emploi [s'il est] appliqué aux liaisons, signifie ceci : comme les liaisons sont la survivance d'une prononciation ancienne, ce sont les syntagmes les plus employés qui conservent le plus facilement la liaison ». Dans cette étude, le cas du verbe être illustre parfaitement cette hypothèse. En effet, Ågren (1973 : 33) montre, à l'aide d'un tableau, que

« la fréquence d'emploi va de pair avec le pourcentage des L [liaisons] ». Dans ce tableau, on peut voir que est, qui apparait très fréquemment dans le corpus, produit 97% de liaisons, alors que suis, qui apparait rarement dans le corpus, ne produit que 47% de liaisons.

Ågren (1973 : 23) constate aussi qu'il existe un lien entre le pourcentage de réalisations de liaisons et le registre de langue. En effet, il montre que, grâce à « un classement, effectué au moyen des LF [liaisons facultatives,] les programmes qui rassemblent le plus de L [liaisons]

sont ceux qui ont déjà été qualifiés de "soignés" et que les programmes qui ont une majorité de NL [non liaisons] sont ceux qui ont été caractérisés comme appartenant au niveau

"courant" ».

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19 Dans son étude, De Jong (1994 : 96) s'intéresse principalement à la variation de la liaison.

Cette étude se base sur le Corpus d'Orléans dont « les 16'000 contextes de liaison proviennent de 45 entrevues relativement informelles enregistrées entre 1969-1970 » (voir Blanc et Biggs, 1971 pour une description générale du corpus). Ce corpus est composé d'un nombre équivalent d'hommes et de femmes, de locuteurs appartenant à trois tranches d'âge différentes (18-25 ans, 30-49 ans et plus de 50 ans) et à cinq catégories socio-économiques différentes. Selon les statistiques de l'étude, ces trois variables sont significatives : les femmes produisent plus de liaisons que les hommes ; plus la catégorie socio-économique est élevée et plus le taux de réalisation de liaison l'est aussi ; les locuteurs jeunes produisent moins de liaisons que leurs ainés. Mais ce que De Jong met particulièrement en évidence dans cette étude, c'est que le taux de réalisation de la liaison est fortement influencé par la longueur et la fréquence du mot liaisonnant. En comparant notamment les verbes, il remarque que les locuteurs réalisent plus de liaisons après des verbes monosyllabiques comme sommes, est, sont, ont, fait, etc., qu'après des verbes du type étaient, serait, avons, devait, etc.

Pour commenter son tableau sur la fréquence des liaisons après le verbe être, De Jong (1994 : 109) écrit :

« Le facteur qui a un effet significatif est celui de la longueur du mot en terme du nombre de syllabes. En effet, après les monosyllabes (61,5% de liaison) la liaison est quatre fois plus fréquente qu'après les polysyllabes (15,0% de liaison) ».

Il remarque cependant que la longueur du mot ne peut expliquer toutes les différences de réalisation de la liaison. En effet, dans son tableau on peut voir que est engendre beaucoup plus de liaisons que sont alors que ce sont deux verbes monosyllabiques. Comme il l’explique,

« les écarts deviennent encore plus marqués quand on compare être et avoir. Par exemple, la liaison après sont est cinq fois plus fréquente que celle après ont, forme qui phonologiquement est pourtant très similaire » (De Jong 1994 : 110). De Jong, à l’instar d’Ågren (1973), déduit donc de son étude que le taux de réalisation des liaisons est fortement lié à la fréquence d'occurrence du mot : plus un mot est fréquent dans la chaîne parlée, plus il va donner lieu à des liaisons.

Les deux travaux que nous venons de voir amènent un éclairage nouveau sur la liaison en se basant sur des corpus et montrent l’importance de la fréquence du mot liaisonnant.

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20 Pourtant, comme nous l'expliquent Eychenne, Lyche, Durand et Coquillon (2014), les corpus sur lesquels ces deux travaux se basent, « souffrent [...] d'une certaine limitation dans la collection des données ». En effet, Ågren étudie des entretiens radiophoniques ce qui, comme le souligne Eychenne et al. (2014), « nous prive de renseignements précieux sur l'origine et le portrait socio-économique du locuteur ». Par ailleurs, ces deux corpus n'observent qu'un seul « type d'interaction communicative » et ont été réalisés dans les années 60. Afin d'avoir une idée plus précise de la liaison aujourd'hui, nous allons maintenant aborder les travaux effectués autour du corpus PFC.

1.2.3 Classification des liaisons basée sur le corpus PFC

Comme l’expliquent Durand, Laks et Lyche (2009), le corpus PFC compte 48 points d'enquêtes dans l'espace francophone, ce qui permet de faire des recherches sur des points géographiques précis. Pour chaque point d'enquête, une dizaine de témoins sont recrutés en gardant un équilibre hommes-femmes, une répartition sur trois tranches d'âge et trois ou quatre niveaux socio-éducatifs. Chaque locuteur réalise quatre tâches : une lecture de 94 mots, une lecture d'un texte, un entretien dirigé de 20 à 30 minutes avec un enquêteur qu'en principe ils connaissent et une conversation libre avec un proche. Chaque enregistrement est transcrit orthographiquement puis codé à l’aide d’un codage spécifiquement développé pour l’étude d’un phénomène ciblé, comme par exemple le schwa ou la liaison.

Ce corpus, très large et varié dans les situations de communication observées, permet d'affiner les classifications de la liaison. Comme l'expliquent Eychenne et al. (2014), « les contextes de liaison catégorique [sont] plus restreints que ce que la littérature nous propose habituellement ». Durand et Lyche (2008) ne relèvent que quatre contextes où la liaison est catégorique 2 : déterminant+nom, proclitique+verbe, verbe+enclitique et certaines

2 Le travail autour du corpus PFC est basé sur un comptage des liaisons, et a une visée objective,

contrairement au travail de Delattre dont la catégorisation des liaisons avait une visée prescriptive. Durand et Lyche (2008) adoptent donc des termes différents de ceux utilisé jusqu’alors pour nommer les catégories de liaison (obligatoire, facultative et interdite). Ils nomment catégoriques les liaisons toujours réalisées, variables celles qui sont optionnelles et erratiques celles qui ne sont jamais réalisées. Notre travail ayant une visée objective, nous adopterons, à partir d’ici, cette terminologie.

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21 expressions figées. Pour les liaisons dans le contexte prépositions monosyllabiques+X, qui étaient décrites comme catégoriques par Delattre (1947), Eychenne et al. (2014) montrent, en se basant sur le corpus PFC, que cela varie selon la préposition. En effet, si « la liaison est quasi catégorique après en [...] elle l'est beaucoup moins après dans [...] et encore plus variable après chez ». Comme l'ont montré Durand et Lyche (2008), chacune de ces prépositions a un comportement syntaxique différent : dans est généralement suivi d'un syntagme nominal, alors que chez peut être suivi d'un syntagme nominal ou d'un pronom.

Ce qu'il est intéressant de noter, comme l'explique Durand et Lyche (2008), c'est que s'il est suivi d'un pronom, chez va produire une liaison catégorique, alors que s'il est suivi d'un syntagme nominal, la liaison sera variable.

Toujours sur la base du corpus PFC, Durand, Laks, Calderone et Tchobanov (2011 : 121) montrent que « 21 constructions différentes seulement constituent les sites de 79,4% des réalisations » de liaisons. Dans leur article, Durand et al. (2011 : 123) mettent aussi en évidence l'importance d'étudier certaines catégories « en sous-classes lexicales ou grammaticales précises ». Dans le cas des verbes suivis d'une préposition par exemple, ils expliquent que ceux qui produisent la quasi-totalité des liaisons dans le corpus PFC sont les

« verbes "légers" comme avoir, être ou faire qui fonctionnent fréquemment comme auxiliaires ou verbes support ». Selon Eychenne et al. (2014), cela montre que la liaison est influencée par « le poids prosodique du mot liaisonnant, intimement lié à sa fréquence ».

Les études basées sur le corpus PFC confirment aussi que les personnes qui produisent le plus de liaisons sont les plus âgées. En revanche, le sexe et le niveau d'études ne semblent pas pertinents quant à la fréquence de réalisation de la liaison.

Le corpus PFC fournit une base très large pour étudier la liaison et, comme l’expliquent Eychenne et al. (2014), les données collectées au sein de ce corpus « viennent confirmer et affiner les résultats de travaux antérieurs ».

Parmi les classifications de la liaison que nous venons d’aborder, si celle de Delattre est la plus ancienne, elle reste néanmoins une référence. En effet, les études qui ont suivi la prennent pour référence pour ensuite l’affiner ou la modifier. Comme nous l’avons vu, si les trois catégories de la classification de Delattre (obligatoire, facultative et interdite) restent inchangées, les travaux plus récents, et notamment ceux autour du corpus PFC, ont largement restreint les contextes de liaisons catégoriques. Les différents travaux cités dans

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22 ce chapitre s’accordent tous à dire que la liaison est influencée par de nombreux facteurs, néanmoins ils conviennent tous de l’importance de la fréquence d’usage des mots liaisonnants et voient cela comme un facteur essentiel. Ils se rejoignent aussi sur le caractère variable de la liaison. Si ces différentes études notent que la fréquence d’usage ou la longueur du mot peuvent influer sur la réalisation ou non de la liaison, elles constatent qu’il existe aussi des facteurs externes qui influencent la liaison.

1.3 Liaison et variation

Comme nous l’avons vu dans la section précédente, il est difficile de délimiter des frontières claires entre les trois types de liaisons : catégoriques, variables et erratiques. En effet, un même mot peut entraîner, selon le locuteur ou la situation, une liaison catégorique ou variable. Néanmoins, les liaisons peuvent être de deux types : les liaisons catégoriques et erratiques sont invariables, tandis que la liaison variable est, comme son nom l’indique, variable. Comme l’explique Mallet (2008 : 87), « si l’on produit une liaison erratique ou si l’on ne produit pas une liaison catégorique, nous sommes conduits à considérer ces productions comme agrammaticales ». En revanche, la liaison catégorique et la liaison variable doivent être distinguées l’une de l’autre. En effet, comme le montrent Laks et Peuvergne (2016 : 12), la liaison catégorique est un phénomène stable alors que la liaison variable est un phénomène instable et soumis à la variation puisque la production ou non d’une liaison variable « peut être considérée comme grammaticale » (Mallet 2008 : 87).

Selon Gadet (1989 : 73) les liaisons variables offrent aux locuteurs un « choix » et ce sont les seules liaisons à pouvoir « constituer une variable sociolinguistique, en fonction du nombre d’occurrences et de la nature des mots liés ». Dans cette section, nous allons nous intéresser aux facteurs qui influencent la variation des liaisons variables.

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23 1.3.1 Les différents types de variation

Comme le rappellent Detey, Durand, Laks et Lyche (2010 : 29) en citant le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, il n’y a pas de « communauté linguistique entièrement homogène ». Il existe de la variation selon l’époque où la langue est parlée, selon la région où la langue est parlée, selon le milieu socio-économique du locuteur et selon la situation. En effet, Gadet (2003), distingue quatre types de variations différentes.

Elle définit tout d’abord la variation diachronique, c’est-à-dire la variation dans le temps, en expliquant que « toutes les langues […] sont soumises au changement, plus ou moins rapide selon les époques ». En d’autres termes, la langue évolue avec le temps. Pour attester cela, Gadet (2003 : 8) indique que l’on se base principalement sur des écrits car « on ne dispose des témoignages directs que de quelques générations ».

Gadet (2003 : 8) aborde ensuite la variation diatopique ou géographique. Selon elle, « quand une langue est parlée sur une certaine étendue géographique […] elle tend à se morceler en usages d’une région ou d’une zone ». Toujours selon Gadet, pour le français, on trouve aussi bien de la variation entre les régions de France (« j’y aime pas (Dauphiné) »), entre les pays francophones d’Europe (« j’ai personne vu (Suisse romande) ») ainsi qu’entre les pays francophones hors de l’Europe (« ils se demandont à cause qu’il mouille tout le temps (Acadie, Canada) »).

Gadet (2003 : 9) continue sa présentation des différents types de variation avec la variation diastratique ou variation sociale. C’est une variation où « à une même époque et dans une même région, des locuteurs différant par des caractéristiques démographiques et sociales s’expriment différemment ». Toujours selon Gadet, les locuteurs provenant d’un milieu socio-économique défavorisé emploient, par exemple, certaines formes qui n’existent pas chez les locuteurs plus aisés. L’inverse existe aussi, c’est-à-dire que certaines formes utilisées par les locuteurs de milieu favorisé n’existent pas chez les locuteurs les plus défavorisés.

Les trois types de variation présentés ci-dessus sont des variations interlocuteur, en d’autres termes, ces variations dépendent du locuteur. En revanche, le dernier type de variation présenté par Gadet (2003 : 10), la variation diaphasique, dépend de la situation d’énonciation. Comme l’explique Gadet, tous les locuteurs ont « un répertoire diversifié » qui s’adapte à la situation. Un locuteur ne va pas s’adresser de la même façon à son

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24 employeur (1) et à ses amis (2) :

1 Serait-il possible de prendre un rendez-vous ? 2 Tu es libre quand pour qu’on se voit ?

Gadet évoque aussi la variation diamésique, ou variation en fonction du médium, souvent considérée comme faisant partie de la variation diaphasique. Comme elle le montre, « on ne parle pas comme on écrit, et on n’écrit pas comme on parle ». En effet, certaines formes se retrouvent beaucoup plus à l’écrit, comme l’utilisation du passé simple, alors que d’autres se retrouvent plutôt à l’oral, comme la chute du ne de négation ou la structure binaire (les vacances / y en a pas assez).

1.3.2 La liaison variable comme observatoire de la variation en français De nombreux travaux ont tenté d’établir lesquels des quatre types de variation définis plus haut avaient une influence sur la réalisation ou non des liaisons variables. La liaison, comme le rappelle Gadet (1997 : 51), est un « indicateur sociolinguistique très fort ». On pourrait donc s’attendre à ce que la liaison soit davantage influencée par la catégorie sociale des locuteurs, c’est-à-dire soumise à la variation diastratique. Néanmoins, les études se basant sur le corpus PFC (Mallet 2008 ou Durand et al. 2011) ne notent pas de variation significative liée au nombre d’années d’études. En revanche, les trois autres types de variables semblent avoir un impact sur la réalisation de la liaison variable comme nous allons le voir maintenant.

Les travaux abordés dans les parties qui suivent présentent généralement des taux de réalisation globale de la liaison, néanmoins ce sont les liaisons variables qui fluctuent beaucoup.

1.3.2.1 La liaison et la variation diachronique

Dans leur article, Durand et al. (2011 : 127) démontrent, en se basant sur les données du corpus PFC, que les locuteurs plus âgés produisent plus de liaisons variables. Ils ont étudié quatre tranches d’âge : moins de vingt ans, entre vingt et quarante ans, entre quarante et soixante ans et plus de soixante ans. En ce qui concerne le taux de réalisation de liaisons variables, leurs résultats montrent que les locuteurs plus âgés en produisent plus, ils notent aussi un écart de presque 10% entre les locuteurs de moins de vingt ans et ceux de plus de soixante ans. Durand et al. (2011 : 127) proposent deux interprétations possibles à ces données : soit elles montrent « une attrition progressive de la liaison, soit elles révèlent ce

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25 que l’on appelle la gradation de l’âge ». Dans la première interprétation, les jeunes réaliseraient moins de liaisons variables car l’évolution de la langue tend vers un taux de réalisation des liaisons moins important. Dans la seconde interprétation, les locuteurs feraient plus de liaisons variables en avançant dans l’âge.

Laks et Peuvergne (2016 : 61) ont observé la parole publique des personnages politiques français entre 1999 et 2015. Ils notent tout d’abord que, si « l’on ne retient que la parole publique proprement dite, le taux global de liaison se maintient au-dessus de 56% » au cours du 20ème siècle. Dans leur étude, si le taux de liaison global reste stable (toujours autour de 56%), Laks et Peuvergne remarquent que ce taux varie selon l’âge des locuteurs.

Leur corpus comporte trois groupes d’âge : le groupe A1 avec des locuteurs nés entre 1927 et 1945, le groupe A2 avec des locuteurs nés entre 1946 et 1958 et le groupe A3 avec des locuteurs nés entre 1961 et 1976. Laks et Peuvergne (2016 : 65) constatent notamment qu’entre les groupes d’âge A1 et A3, « le taux global de liaison chute de 9% », ils remarquent aussi que, si l’on regarde seulement les liaisons variables, ce changement est encore plus frappant. En effet, « si les hommes du groupe A1 continuent de réaliser 41% des liaisons variables, les femmes du groupe A3 n’en réalisent plus que 25% ». Ils notent aussi que ce changement n’affecte pas seulement les locuteurs du groupe A3 mais tous les locuteurs de leur corpus. Afin d’illustrer cette constatation, ils prennent l’exemple de Simone Veil qui fait partie du groupe A1. Ses liaisons ont été analysées précédemment par Laks (2009) dans le corpus HPOL1 de 1974, ce qui permet de les comparer avec le corpus actuel de Laks et Peuvergne. En 1974, Simone Veil « présente un taux de liaison de presque 100% avec pratiquement 100% de liaisons facultatives réalisées […], 34 ans plus tard, en discours, elle ne réalise plus que 76,4% de toutes les liaisons possibles avec 54,2% de facultatives ». Ces résultats vont dans le sens de la première hypothèse de Durand et al. (2011) que nous avons vu dans le précédent paragraphe : l’évolution de la langue irait vers moins de liaisons variables réalisées.

1.3.2.2 La liaison et la variation diatopique

Si l’on regarde les travaux réalisés autour du corpus PFC, Eychenne et al. (2014) constatent qu’il n’y a pas de « pratiques distinctes en matière de liaison entre le nord et le sud de la France ». En revanche, on peut noter des différences entre les différentes régions francophones. Sur la base du corpus PFC, Eychenne, Durand, Laks et Lyche (2010 : 257) remarquent qu’au Canada, la liaison est généralement moins réalisée qu’en France, et que

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26 des liaisons telles que « jeux//olympiques » catégoriques en France, sont variables au Canada. A ce propos, Côté (2016 : 52) précise les différences que l’on peut trouver entre la France et le Canada en matière de liaison. Elle explique que la consonne de liaison /t/ est généralisée « à toutes les personnes du verbe être au présent (je suis [t] arrivée) », et qu’il est aussi possible de placer une consonne de liaison /l/ après ça (« ça [l] explose »).

Dans le même ouvrage, Dajko, Klingler et Lyche (2016 : 57) traitent du français en Louisiane.

Ils constatent que la liaison sert principalement à marquer le pluriel, ainsi on voit apparaître une consonne de liaison /z/ après les chiffres comme dans : « quatre [z] écoles ». La liaison est très rare entre un adjectif et un nom singulier, ainsi l’exemple un gros éléphant qui produit une liaison quasi catégorique en France [gʁo.ze.le.fɑ̃] produit une liaison variable, très rarement réalisée, en Louisiane. A part /z/, le français de Louisiane utilise la consonne de liaison /n/ après un, on et en, et la consonne de liaison /t/ « après la forme conjuguée de l’auxiliaire est, qui semble constituer le seul contexte de liaison variable en FL [français de Louisiane] : est // arrivé ou est [t] arrivé ».

Pour terminer cette présentation des différences de réalisation de la liaison dans les régions francophones, Boutin et Cissé (2016 : 67) parlent de l’Afrique subsaharienne. Dans cette région, selon eux, les contextes de liaisons catégoriques sont les mêmes qu’en France. En revanche, il existe peu de contextes de liaisons variables et ils ont « un faible pourcentage de réalisation ». Ils notent aussi que les francophones du Sénégal et de Côte d’Ivoire produisent « un coup de glotte au début d’un mot à initiale vocalique, ce qui empêche la réalisation de la liaison ».

1.3.2.3 La liaison et la variation diaphasique

Comme le rappellent Detey et al. (2010 : 48), « chaque individu possède un répertoire langagier, qu’il utilise, consciemment ou non, de manière variable selon les circonstances, en production et en réception ». Comme ils l’expliquent, la variation diaphasique est liée au contexte situationnel et peut s’observer sur plusieurs plans : lexical, grammatical, phonético-phonologique, discursif. Les travaux portant sur le corpus PFC montrent que la liaison variable est influencée par cette variation.

Eychenne et al. (2014) étudient les formes est et c’est à travers trois registres différents : la conversation libre, la conversation guidée et le texte lu. Ce qui est intéressant dans cette étude, c’est « que le taux de réalisation de la liaison augmente dans tous les cas en fonction

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27 du registre » (Eychenne et al. 2014). Comme ils l’expliquent, c’est « la conversation libre qui provoque le moins de liaison (27,40%) » et le texte qui en provoque le plus (76,92%).

L’étude de Durand et Lyche (2016) confirme l’hypothèse selon laquelle les locuteurs réalisent plus de liaisons variables quand ils lisent un texte que quand ils s’expriment à l’oral.

Leurs résultats montrent une nette différence du taux de réalisation de liaisons entre la lecture et les deux conversations (libre et dirigée) :

« The reading aloud of the passage yields 59.4% liaison whereas within conversations, liaison is attested in 43.4% of the cases, a highly statistically significant difference » (Durand et Lyche 2016).3

Ces deux études montrent que les locuteurs réalisent un taux différent de liaisons variables selon la situation. Le fait que la différence entre conversation et lecture soit si significative laisse à penser que l’écrit aurait une influence particulière sur les liaisons. Gadet (2003 : 47) déclare que « les locuteurs n’entendent l’oral qu’à travers le filtre de l’écrit ». Elle prend notamment l’exemple du verlan où il existe « des formes qu’on ne peut comprendre qu’en référence à la graphie (lettre muette) » comme dans à donf pour à fond. Laks (2005a : 19) parle dans son article du rôle clé de « l’identité visuelle du mot graphique » sur la liaison et prend pour exemple le cas des liaisons non enchaînées.

Ces liaisons particulières qui consistent à prononcer la consonne finale du Mot-1 sans l’enchaîner au Mot-2 (nous voulons attendre [nu.vu.lõz.a.tɑ̃.dʁ]) ont été étudiées en particulier par Encrevé (1988) dans le discours public des hommes politiques français. A partir de ce corpus spécifique, Encrevé explique qu’avant 1978, le taux de réalisation de liaisons non enchaînées est faible et marginal. En revanche, entre 1978 et 1981, ce taux atteint une moyenne de 14% et monte même jusqu’à 35% lors du débat présidentiel de 1981. Encrevé (1988 : 271) émet l’hypothèse que « ce sont principalement l’allongement de la scolarité obligatoire, et donc de la familiarisation à la norme scolaire de la langue » qui justifie cette augmentation. Il explique aussi que la liaison non enchaînée permet au locuteur de « conserver à la fois la prononciation de la CL [consonne de liaison] et la segmentation que les mots présentent à l’écrit ».

3 La lecture à haute voix déclenche 59,4% de liaisons alors qu’au sein des conversations, la liaison est attestée dans 43,4% des cas, une différence statistique très significative. [Notre traduction]

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28 On peut aussi observer l’influence de l’écrit sur les liaisons dans les productions d’apprenants. En effet, Harnois-Delpiano, Cavalla et Chevrot (2012 : 1578) remarquent que certaines « erreurs commises par les apprenants semblent découler d’une prononciation orthographique (telle que […] /gʁɑ̃.dɑ̃.fɑ̃/ pour " grand enfant ") ». Dans leur étude, ce type d’erreur « représente en moyenne plus d’un quart (26,3%) des LF [liaisons facultatives] non réalisées justes ». De son côté, Thomas (2002 : 04) remarque dans son étude que les apprenants réalisent 8,5% de liaisons non enchaînées. Selon lui, cela « reflète généralement […] une hésitation devant un mot difficile ». Harnois-Delpiano, Cavalla et Chevrot (2012 : 1578) développent cette idée en expliquant que les apprenants « prendraient appui sur le mot graphique et sa segmentation pour résoudre [la] difficulté phonologique particulière de la langue française que représente la liaison ».

Grâce aux différents travaux présentés dans cette section, nous avons pu voir que, si le taux de réalisations de liaisons catégoriques reste stable, celui des liaisons variables est soumis à de fortes fluctuations. Ces variations sont influencées par l’âge du locuteur ou par l’évolution de la langue, par le lieu de vie du locuteur, il y a notamment des différences entre les pays francophones, et, par la situation d’énonciation du locuteur. Il y a donc des différences entre les locuteurs mais aussi au sein d’un même locuteur.

1.4 Conclusion du chapitre 1

Tout au long de ce chapitre, nous avons pu constater que la liaison est un objet extrêmement complexe et difficile à définir. Outre ses aspects multiples, phonologique, morpho-syntaxique et lexical, il est aussi compliqué de le catégoriser. En effet, certains contextes peuvent nous sembler catégoriques, comme les adverbes monosyllabiques, mais lorsque l’on observe dans le détail, ce sont des liaisons variables (comme par exemple l’adverbe pas). Par ailleurs, les liaisons variables sont soumises à de fortes variations dues à de multiples facteurs, comme celui de l’âge, de la zone géographique ou du contexte dans lequel se trouve le locuteur.

Maîtriser la liaison requiert donc un mélange de plusieurs compétences, ce qui en fait un objet difficile à acquérir, tant pour les natifs que pour les apprenants. Dans le chapitre suivant, nous aborderons donc la question de la liaison d’un point de vue acquisitionnel.

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Chapitre 2 Acquisition de la liaison

Comme souligné dans le chapitre précédent, la liaison est un phénomène complexe qui implique de nombreux facteurs. Par conséquent, l’acquisition de la liaison va vraisemblablement poser des difficultés, tant à l’enfant natif qu’à l’apprenant. Néanmoins, comme l’explique Wauquier (2009 : 125), ces difficultés ne seront pas de même nature :

« Les apprenants de L1 acquièrent la liaison en détachant les mots les uns des autres, alors qu’elle pourrait plutôt poser problème aux apprenants de L2 quand ils vont attacher les mots ensemble ».

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux études réalisées sur l’acquisition de la liaison, chez les enfants natifs dans un premier temps, puis, dans un second temps, chez les apprenants de français langue étrangère.

2.1 Acquisition en L1

2.1.1 Les différentes étapes de l’acquisition de la liaison chez l’enfant francophone

Wauquier-Gravelines et Braud (2005 : 55) rappellent que l’acquisition de la liaison chez l’enfant consiste à apprendre les « contraintes régissant la frontière entre mot1 et mot2 ».

Ce qui, selon elles, signifie que « l’enfant manipule librement des unités déjà segmentées » et que ses erreurs montrent qu’il hésite entre les différentes consonnes de liaisons possibles entre les deux mots. Chevrot, Chabanal et Dugua (2007 : 5) observent que le phénomène de la liaison entraîne deux difficultés pour l’enfant. Premièrement, du fait de la resyllabation de la consonne de liaison à l’initiale du mot2, l’enfant va déplacer la frontière lexicale du mot et récupérer « la forme lexicale /zarbr/ à partir de l’audition d’une séquence comme les arbres ». Deuxièmement, toujours selon Chevrot et al. (2007 : 5), « la nature phonétique de la consonne [est] déterminée par le mot1 », par conséquent quand l’enfant rencontre le mot un, il est toujours suivi de la consonne de liaison /n/.

« [Ainsi,] deux contraintes précoces et contradictoires tirent donc l’attachement lexical de la consonne de liaison dans des directions opposées : les contingences distributionnelles entre le mot précédent et la nature phonétique de la liaison l’attirent vers la gauche tandis que la syllabification de la chaîne parlée la pousse

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30 vers la droite. L’issue et la forme du développement dépendront de la résolution

de ce conflit » (Chevrot et al. 2005 : 6).

Tous les travaux réalisés sur l’acquisition de la liaison chez l’enfant francophone s’accordent à dire que cette acquisition ne se fait pas de la même manière s’il s’agit de liaisons catégoriques (ci-après LC) ou de liaisons variables (ci-après LV). Nous allons nous intéresser plus en détail à cette question dans les sections suivantes.

2.1.1.1 Acquisition des LC chez l’enfant francophone

Dans leurs études, Dugua (2006) et Chevrot et al. (2007) montrent bien les différentes étapes de l’acquisition de la LC chez l’enfant. Selon eux, ces liaisons sont bien maîtrisées autour de 3-4 ans, avec des taux de réalisations correctes autour de 84%, et, elles sont totalement acquises vers 5-6 ans, avec un taux avoisinant les 100% de réalisations correctes.

Dans sa thèse, Dugua (2006) a observé les erreurs de liaisons produites par les enfants. Elle dénombre trois types d’erreurs : les erreurs par omission, par adjonction et par remplacement. Comme l’explique Dugua (2006 : 119), « les omissions correspondent à la non prononciation d’une consonne de liaison entre Mot1 et Mot2 dans un contexte où, chez l’adulte, elle est systématique ». Dans son étude, elle relève le taux d’omission le plus haut autour de trois ans, puis, ce taux diminue pour disparaître presque complètement après six ans.

L’adjonction, toujours selon Dugua (2006 : 116), consiste à insérer une consonne de liaison

« dans un contexte qui ne le "permet" pas ». Il n’y a pas de différence significative du taux d’adjonction entre les petits (3-4 ans) et les plus grands (7-11 ans). Néanmoins, elle remarque que les consonnes de liaisons ajoutées sont différentes selon l’âge : chez les petits elle observe les consonnes /n/, /z/ et /l/ alors que chez les grands ce sont les consonnes /z/

et /t/. Pour analyser cette différence, elle rappelle « la force de la consonne /n/ dans les erreurs des petits », et, elle explique que les adjonctions des grands se rapprochent des erreurs faites par les adultes qui « semblent renvoyer à des motivations morphologiques telles le pluriel (qui-z-ont, qui-z-envoient) ou à des influences lexicales (déjà-t-entendu, gentil-t-homme) ».

Dugua (2006 : 115) rappelle que « les erreurs par remplacement sont celles où la consonne qui apparait entre le Mot1 et le Mot2 n’est pas celle attendue au regard de la cible adulte ».

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