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Chapitre 3 Discours adressés à l’enfant et à l’apprenant

3.2 La liaison dans le DAE

Il n’existe malheureusement pas, à ce jour, d’étude sur la liaison dans le DANN. Ce chapitre se focalise donc uniquement sur la liaison dans le DAE.

3.2.1 La liaison dans le discours des parents

Les trois études qui vont être abordées maintenant concluent toutes qu’il y a bien une corrélation entre la production de liaisons des parents et celle de leurs enfants. Dans cette section, nous allons voir si les caractéristiques du DAE s’appliquent au phénomène de la liaison.

Chabanal (2012) étudie le corpus de Prune, une fillette de 40 mois, en interaction avec ses parents. Dans ce corpus, il constate tout d’abord que les taux de liaisons réalisées par l’enfant sont très proches des taux des parents. En effet, les parents réalisent 99.4% de liaisons catégoriques (ci-après LC) et l’enfant en réalisent 98.2%. Pour les liaisons variables (ci-après LV), le constat est le même, les parents en réalisent 17.8% et l’enfant 21.8%. De plus, en s’intéressant plus spécifiquement aux liaisons adjectif+nom, Chabanal (2012) remarque

« que les contextes les plus réalisés justes par Prune sont également ceux les plus réalisés justes par ses parents ». Il note aussi que, plus elle entend des groupes Mot 1-Mot 2 fréquents, plus elle réalise de liaisons correctes dans ces contextes.

Dans leur étude, Chabanal et Liégeois (2014 : 270) s’intéressent aux liaisons de trois fillettes et de leurs parents. Ils constatent tout d’abord que « l’input parental semble offrir à l’enfant un nombre restreint de liaisons variables réalisées ». De plus, en ce qui concerne les liaisons variables, ils notent une grande variabilité entre les parents : « alors que les parents de Salomé et de Prune réalisent la liaison variable dans 11,6% et 13,8% des cas, les parents de Lola ne la réalisent que très rarement (2,7% de liaisons variables réalisées) ». Dans leur corpus, ils relèvent que, dans l’input parental, seulement dix Mots 1 représentent 80% des LC. Ils remarquent aussi que, parmi les Mots 1 les plus utilisés, cinq se retrouvent chez tous les parents de cette étude. Selon eux, les « locuteurs adultes proposeraient un nombre de mots 1 limité à leurs enfants, ce qui pourrait faciliter l’apprentissage du fonctionnement de la liaison et la capacité à générer des schémas récurrents ». Cette tendance se retrouve aussi dans le cas des LV. En observant des constructions Mots 1-Mots 2 (dont les Mots 1 comptent parmi les plus fréquents), Chabanal et Liégeois (2014) notent que, si certains Mots 1 ont un taux de figement assez élevé, c’est-à-dire qu’il y a une forte proportion de construction

51 Mot 1-Mot 2 identique, d’autres ont un taux de figement plus bas où les mots 2 sont plus variés. Les enfants reçoivent donc « à la fois des séquences Mot 1-Mot 2 fréquentes et récurrentes et des séquences beaucoup plus rares », ce qui leur permettrait tout d’abord de percevoir les types de constructions qui sélectionnent toujours la même consonne de liaison et, ensuite, « la diversité des combinatoires proposées faciliteraient la construction de schémas abstraits ».

Liégeois (2014) a réuni un corpus d’interaction parents-enfants pour tester deux hypothèses sur la liaison dans le DAE : quand le stade de l’enfant est précoce, la variation lexicale de l’input parental est limitée en contexte de liaison et, quand l’enfant grandit, cette variation lexicale est plus importante. Pour ce faire, il a enregistré les interactions parents-enfants lors de deux phases (T1 et T2). Il constate qu’il y a bien une plus grande diversité de mots 2 au T2. Ce qui signifie que les parents enrichissent leur discours en contexte de liaison à mesure que l’enfant grandit. Liégeois (2014 :331) relève aussi que cette diversification se retrouve dans le discours de l’enfant. Il lui semble donc que « les parents [ont] modulé leur discours en fonction des compétences linguistiques de leur fillette ». Dans cette étude, il observe aussi que les parents produisent plus de LV en DAE qu’en DAA : les parents de la première fillette réalisent 19,6% de LV en DAA contre 28,2% en DAE et ceux de la seconde fillette 17,3% en DAA contre 29% en DAE. De plus, il remarque qu’après certains Mots 1 (comme es), la LV n’est réalisée qu’en DAE. Comme pour le schwa, il en conclut donc que les enfants sont plus exposés à la variation, pour la liaison, que les adultes.

Ces trois études montrent donc qu’au sein du DAE, les parents adaptent leur production de liaison en fonction des compétences de leurs enfants, toujours dans le but de leur permettre d’acquérir le langage, et, plus précisément ici, le phénomène complexe de la liaison.

Toutefois, dans les discours qui sont adressés aux enfants, l’input est-il toujours adapté à leurs compétences linguistiques ?

52 3.2.2 La liaison dans les livres audios

Ce chapitre a, jusqu’ici, abordé les différents aspects du discours spontané adressé à l’enfant et au non natif. Dans cette section, nous allons nous intéresser plus spécifiquement à un aspect jusqu’ici peu étudié de la liaison en français : l’input donné aux enfants à travers les livres audios.

Pustka (2015) a étudié les liaisons dans un corpus de 32 livres audio destinés à des enfants entre 4 et 5 ans. Parmi les livres audios de son corpus, plusieurs genres littéraires sont représentés : des contes de fée traditionnels (comme Le Petit Chaperon Rouge), des contes musicaux (comme Pierre et le Loup), des versions modernes de Fables de La Fontaine (comme Le Corbeau et le Renard), des contes du monde et deux œuvres littéraires plus longues (Le Petit Nicolas et Le Petit Prince). Ce corpus compte 17 locuteurs différents, dont la plupart sont des comédiens connus.

Avant d’analyser les liaisons, Pustka (2015 : 194) a effectué une analyse linguistique de ces textes « afin de les situer sur le continuum entre oral et écrit conceptionnels ». Pour cela, elle a analysé plusieurs phénomènes morphosyntaxiques : les formes verbales (l’utilisation ou non du passé simple), la négation (l’omission du ne ou du pas), les pronoms (utilisation de on ou nous, de ça ou de cela) et l’interrogation (inversion ou intonation). Elle en conclut que

« les contes musicaux, les contes de fée, les contes du monde et Le Petit Prince sont essentiellement écrits dans un français de distance, tandis que Le Petit Nicolas et les fables modernisées contiennent un bon nombre de particularités du français parlé, donc de l’oral simulé ».

Dans son étude, Pustka (2015) a choisi de laisser de côté les LC pour ne s’intéresser qu’aux LV.

Elle présente ses résultats selon les classes de mots :

• Les substantifs : la liaison est considérée comme variable après les substantifs pluriel (ex : des éléphants z énormes). Elle rappelle que, dans les corpus, ce type de liaison est « peu fréquentes voire rare » (seulement 3% dans l’étude de Malécot 1975).

Cependant, elle relève 13% de ces liaisons dans son corpus.

• Le verbe être : toutes formes du verbe confondues, elle relève un taux de 73% de liaisons réalisées et 87% après la forme c’est. En comparaison, elle rappelle que

« c’est n’atteint que 30% dans PFC (cf. Durand et Lyche 2008 : 46) ». Elle note toutefois une grande variabilité selon les types de textes : « le taux le plus bas se

53 trouve dans Le Petit Nicolas, un taux moyen dans les fables modernisées et des taux plus élevés dans les autres lectures ».

• Les adverbes : le taux moyen des adverbes monosyllabiques s’élève à 70% dans son corpus de livre audio. Ce taux varie selon les adverbes mais se trouve toujours au-dessus du taux de réalisation dans le corpus PFC. Par exemple, pour l’adverbe trop elle relève un taux de réalisation de 100% dans son corpus, contre seulement 15%

dans le corpus PFC.

• Les conjonctions : Pustka (2015) se concentre particulièrement sur les conjonctions monosyllabiques quand, puis et mais. Elle remarque que ces trois conjonctions déclenchent plus de liaisons dans son corpus que dans le corpus PFC et qu’il y a, à nouveau, une grande variabilité selon le type de texte et selon la conjonction. En effet, elle note « que la liaison est extrêmement fréquente après quand […] mais qu’elle n’atteint qu’un taux moyen après mais et puis ». En ce qui concerne le type de texte, elle constate, comme pour le verbe être, qu’il y a moins de liaisons après les conjonctions dans Le Petit Nicolas que dans les autres types de textes.

Cette étude permet de voir que la liaison varie bien en fonction du style. En effet, comme le montre Pustka (2015), le taux de réalisation des liaisons varie selon que le texte est écrit dans « un français de distance », avec plus de LV réalisées, ou dans un français qui met plus l’accent sur un « oral simulé », avec moins de LV réalisées.

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