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Une sentence d'un intérêt particulier

BADDELEY, Margareta

BADDELEY, Margareta. Une sentence d'un intérêt particulier. Bulletin ASA , 1997, vol. 15, no.

1, p. 143-153

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30124

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3. DIVERS

Une sentence d'un intérêt particulier

par Margareta Baddeley

l. La Chambre ad hoc du Tribuual Arbitral du Sport (T.A.S.), siégeant à Atlanta lors des derniers Jeux Olympiques en juillet 1996, a rendu une sentence dans une cause dont les faits étaient les suivants1 : lors d'un combat de la catégorie 91 kg, un boxeur français fut disqualifié par l'arbitre du match pour "coup basil sur son adversaire, un boxeur russe. Cette disqualification fut contestée par le boxeur sanctionné au motif que le coup avait été porté au foie et était donc réglementaire. Toutes les instances de recours internes de l'Association internationale de boxe amateur (AlBA) ont maintenu la disqualification.

La cause fut finalement portée devant la Chambre ad hoc. Celle-ci se prononça sur la base du droit suisse et du règlement ad hoc émis par le Tribunal Arbitral du Sport et avec l'intention manifeste de rendre une sentence au sens de la Loi fédérale sur le Droit International Privé (LDIP)2 et non une décision valable uniquement au sein de la communauté sportive. La Chambre ad hoc admit sa compétence et accepta de statuer sur le fond. Dans sa décision, elle débouta le demandeur qui, de ce fait, resta disqualifié pour violation des règlements.

• Dr. en droit, Lic.sc.pol. HEl

1 Pour un compte-rendu plus détaillé de la sentence, cf. Gabrielle Kaufmann-Kohler, Atlanta et 1' arbitrage ou les premières eXpériences de la division olympique du Tribunal Arbitral du Sport, in: Bulletin ASA 1996/3, p.433ss, 443-445.

2 Bien que les Jeux aient eu lieu aux Etats-Unis, le siège de la Chambre ad hoc avait été fixé à Lausanne, de telle sorte que les arbitrages portés devant cette Chambre étaient régis par le chapitre 12 de la LDIP.

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Le litige soumis à l'arbitrage avait comme objet l'application, par une organisation sportive, d'une "règle de jeu". Il ressort des considérants de la sentence que la règle de jeu constitue, pour la Chambre ad hoc, une règle soumise au droit et, partant, à 1 'examen du juge. Cette prise de position revêt un intérêt particulier par rapport à celle adoptée par la jurisprudence étatique et la doctrine suisses à ce sujet, dont il convient de donner un rapide aperçu ci-après.

2. Traditionnellement, les normes emises par les associations et fédérations sportives sont groupées en deux catégories. Selon la pratique judiciaire, approuvée par la doctrine quasi-unanime jusque vers la fin des années 80, il y a lieu de classer dans la première les seules "règles de jeu" et dans la seconde toutes les autres normes. Les règles de jeu englobent, en principe, toutes les règles qui ont trait à la participation à une compétition3.

Les sanctions prévues dans les règlements en cas de violation de ces règles sont également qualifiées de règles de jeu.

La différence entre les deux catégories de normes adoptées par les organisations sportives réside dans le fait que les règles de jeu ne sont pas justiciables. Cela se justifie, selon les juges et auteurs préconisant cette qualification, principalement par le fait que des intérêts juridiquement protégés ne sont pas touchés par l'application de ces normes4 . Les autres normes, qualifiées de "règles de droit" par opposition aux "règles de jeu", sont sujettes à l'examen du juge ordinaire, au même titre que les normes autonomes de toute autre association.

3 ATF 118 II 12, Kindle, avec les références à la jurisprudence et à la doctrine; cf. en particulier l'ouvrage, consacré spécifiquement à cette problématique, de Max Kummer, Spielregel - Rechtsregel, Berne 1973.

4 ATF 118 II 12, Kindle, et ses références aux jurisprudences fédérales et cantonales antérieures.

Hans Bodmer, Vereinsstrafe und Verbandsgerichtsbarkeit, Berne/Stuttgart 1989, p. 160; Anton Heini, Das Schweizerische Vereinsrecht, Bâle 1988, p. 45s.; Max Kummer, Spielregel - Rechtsregel, op.cit.; Urs Scherrer, Rechtsfragen des organisierten Sportlebens in der Schweiz, Zurich 1982, p.l39ss.

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La non-justiciabilité des règles de jeu constitue un régime particulier qu'on ne trouve appliqué que dans le cadre d'actions fondées sur le droit de l'association et les droits de la personnalité (28ss, 75 CC). Les recours à la justice étatique contre des décisions de tribunaux arbitraux suivent les mêmes principes : seules des sentences au sens juridique, soit des déCisions dont l'objet relève du domaine de la règle de droit, sont revues par le juge5

Selon le Tribunal fédéral, la délimitation entre règles de droit et règles de jeu doit obéir "à un critère objectif tiré de la nature de la norme en question"6. Elle doit être effectuée d'emblée dans chaque procédure judiciaire relative aux normes des organisations sportives et sans examen (préalable) des intérêts concrets en cause. Les juges procèdent de cette façon même dans les cas où le demandeur invoque expressément une violation de ses droits de la personnalité ou de ses droits patrimoniaux7. Cependant, les différentes affaires portées devant les tribunaux ont révélé qu'une délimitation à la fois objective et cohérente n'est pas possible dans tous les cas 8. Jurisprudence et doctrine l'admettent : la délimitation entre règles de jeu et autres normes des associations sportives n'est pas aisée. L'affirmation du Tribunal fédéral dans l'arrêt Rossetti (ATF 103 la 412) selon laquelle la limite entre règle de jeu et règle de droit est "floue", est citée dans tous les jugements et par tous les auteurs depuis sa parution en 1977.

A cette difficulté de délimitation s'est rapidement ajouté, dès les années 70, un autre problème, plus grave, que la justice se devait de résoudre.

En effet, les juges se sont rendus compte que des intérêts juridiques pouvaient être touchés même lorsqu'une pure règle de jeu est appliquée, notamment si le litige porte sur une sanction ou en matière de transferts de joueurs. Nier cela ne pouvait qu'aboutir à des résultats insoutenables. C'est la raison qui a amené les tribunaux à rétrécir considérablement, au fil des

5 Cour d'appel du Canton de Berne, décision du 27.6.1986, M1i.ndlî, in: Revue de la Société des Juristes Bernois 124, 1988, p. 311.

6 ATF 118 II 12, Kindle, cons.2b.

7 ATF 118 II 12, cons. 2; à titre d'exemple de la jurisprudence cantonale : Tribunal de Cassation, Zurich, décision du 18.6.1956, in: Revue Suisse de Jurisprudence 53, 1957, p. !52- 154, 153s;

décision non publiée du Tribunal de district de Zurich, 27.11.1987, ZSC c. SEHV, p. 9.

8 Démontré par Oswald Denis, Le règlement des litiges et la répression des comportements illicites dans le domaine sportif, in : Mélanges en l'honneur de Jacques-Michel Grossen, Bâle/Francfort- sur-le-Main, 1992, p. 67-81, 73ss.

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affaires soumises à leur appréciation, notamment depuis les années 1970, le champ d'application de la règle de jeu, et ce au moyen d'une interprétation de plus en plus restrictive de la règle de jeu9

Ainsi, sont devenues justiciables, les décisions fondées sur une règle de jeu, mais dont l'effet dépasse la durée d'un jeu ou d'une compétition. Il s'agit principalement de décisions sanctionnelles (amendes, suspensions) prononcées fréquemment par les organisations sportives en cas de dopage, et des décisions en application des règlements de transferts. Dans 1 'arrêt Kindle (ATF 118 II 16), le Tribunal fédéral déclara en outre justiciables les règles de jeu de nature purement administrative (en l'occurrence celles relatives à l'inscription à une compétition), même lorsqu'elles déploient leurs effets uniquement pendant le jeu ou la compétition. La Haute Cour admet également depuis son arrêt H., non publié, de 199310 que les décisions des instances sportives prises en violation des droits de la personnalité du sportif sont justiciables dans tous les cas et qu'à leur égard, la distinction entre règle de droit et règle de jeu est sans pertinence.

On peut donc résumer le régime appliqué traditionnellement aux normes des associations sportives ainsi : les règles de jeu sont en principe considérées comme non justiciables de par leur nature; en raison des effets manifestement insoutenables de cette théorie dans certaines hypothèses, une part de plus en plus importante des règles de jeu a été requalifiée au cours des vingt dernières années, pour permettre au juge de revoir son application par les instances sportives.

En réponse aux problèmes que pose le régime traditionnel de la règle de jeu, une approche nouvelle s'est dessinée dans la doctrine récente, qui préconise l'abolition pure et simple de la distinction au sein des normes des organisations sportives, afin que toutes les décisions et normes des associations sportives puissent être soumises à l'examen du juge11.

9 Cf. la démonstration plus détaillée, dans Margareta Baddeley, Le sportif, sujet ou objet ?, in : Revue de Droit Suisse, NF 115, 1996, Il, p.135- 252, 239ss.

10 Décision SC.82/1993/Ban du 12.8.1993, p.S.

11 Cf. Margareta Baddeley, L'autonomie de l'association sportive en droit suisse, in : Chapitres choisis du Droit du sport, éd. Louis Dallèves et Margareta Baddeley, Etudes et Recherches du GISS, No. 2, Genève, 1993, p. 33- 50; Margareta Baddeley, L'association sportive face au droit,

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Les motivations apportées par les auteurs concernés sont multiples et peuvent être résumées comme suit :

Nonobstant la présence indéniable d'un élément ludique dans l'exercice de l'activité sportive, des intérêts protégés par la loi - en particulier par les articles 28 et 75 CC -peuvent être en cause dans les litiges du monde sportif. Ils le sont sans aucun doute au niveau du sport d'élite. Il s'agit, sur le plan non patrimonial, notamment de l'honneur, de l'épanouissement par 1 'activité sportive, de la liberté professionnelle et des droits sociaux de membres d'associations. Des intérêts patrimoniaux, non négligeables dans nombre de cas, peuvent être en jeu également12. De ce fait, la non-justiciabilité d'une partie des normes régissant l'activité sportive est contraire à la lettre et à l'esprit des articles 28 et 75 CC et constitue une immunité juridique en faveur des organisations sportives indéfendable dans un Etat de droit.

Le régime traditionnel de la règle de jeu mène à des incohérences juridiques insoutenables, dans des cas où plusieurs décisions sont prises par une organisation sportive sur la base d'un seul fait ou comportement. Dans les cas de dopage, p.ex. le seul fait que le sportif ait été testé positif entraîne plusieurs formes de sanctions : disqualification, retrait des prix et médailles, suspension, amende. Or, la qualification juridique différente de ces sanctions peut aboutir à ce que le juge annule une partie des sanctions, parce qu'elles ne sont pas justifiées, tout en laissant subsister d'autres sanctions qui, étant basées sur le même fait, ne sont pas daVantage fondées.

Bâle/Francfort-sur-le-Main, 1994, not. p.107- 121, 317 - 343, 352 - 383; Margareta Baddeley, Le sportif, sujet ou objet ?, op.cit., not. p. 239ss; Philippe Bois, Sport et Droit, in ; Théma No. 6, 1989, p. 11- 15; Pierre Jolidon, Ordre sportif et ordre juridique, in : Revue de la Société des Juristes Bernois 127, 1991, 4, p. 213 - 235, not. p. 224ss; Cédric Michel, Réflexions quant à la résolution des conflits en matière sportive; aspects de droit civil, in Revue Suisse de Jurisprudence 90, 1994, p. 261- 271; Denis Oswald, Le règlement des litiges et la répression des comportements illicites dans le domaine sportif, op.cit.; Jean-François Perrin, Droit de l'association, Fribourg 1992, p. 140- 142; de manière nuancée : Urs Scherrer, Sportrecht- Eine notwendige Sonderdisziplin, in: Revue Suisse de Jurisprudence 84, 1988, p. 1 -6, not. p. 6.

12 Pour une analyse des intérêts juridiques des sportifs les plus fréquemment touchés par les décisions des organisations sportives, cf. Margareta Baddeley, L'association sportive face au droit, op.cit., p. 361-366, 369-370; et Le sportif, sujet ou objet?, op.cit., p. 171-201.

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Comme indiqué ci-dessus, le régime particulier de la règle de jeu est appliqué seulement lorsque l'action est intentée sur la base des articles 28ss CC (sous réserve d'une future application de l'arrêt H.) ou 75ss CC. Il ne conespond donc pas au régime applicable en droit pénal, en droit de la responsabilité civile et en droit du contrat de travail, trois domaines fortement concernés par les affaires du monde du sport. On n'y trouve d'exemption préalable pour "faits sportifs" pour aucun des protagonistes du monde du sport13. La règle de jeu n'est pertinente dans de tels cas que comme indice d'une éventuelle faute de l'auteur de l'infraction ou de l'acte illicite14.

Enfin, il est également soulevé, dans la doctrine récente, que notre régime de la règle de jeu n'a d'équivalent dans aucun autre ordre juridique.

3. Au regard de la situation décrite sur le plan du droit étatique - exclusion de principe du domaine du justiciable de la règle de jeu et réticences grandissantes tant dans la jurisprudence que parmi les auteurs à 1 'égard de cette situation -il est donc intéressant d'examiner les raisons qui ont incité la Chambre ad hoc à statuer comme elle l'a fait dans l'affaire en question.

Sans qualifier spécifiquement la règle appliquée par les organes de 1 'AlBA, la Chambre ad hoc se déclare compétente, en tant que tribunal arbitral, parce qu'elle considère comme justiciables toutes les normes et décisions des organisations sportives. Elle motive cette prise de position par le fait qu'actuellement, dans le sport de haute compétition, l'application de toutes les normes des organisations sportives peut toucher à des droits juridiquement protégés, notamment à des droits patrimoniaux et aux droits de la personnalité. Dans le contexte actuel du sport, l'immunité dont bénéficiaient traditionnellement les organisations sportives pour une partie de leurs décisions ne se justifie plus. Pour étayer sa prise de position, la Chambre ad hoc se réfère à la doctrine récente en Suisse dont la loi régissait

~ 13 A titre d'exemples: ATF 121 IJI350, Grossen; 109 IV 105, Schaller; 10211 221, Perroud.

14 Robert Roth, Le droit pénal et le sport, in: Chapitres choisis du droit du sport, op. cit., p. 101 - 114, Louis Dallèves, Responsabilité civile en matière d'accidents de sport (spécialement en cas d'accidents de haute montagne), in: Chapitres choisis du droit du sport, op. cit., p. 91-100.

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la procédure arbitrale en raison du siège de la Chambre ad hoc, ainsi qu'à la pratique judiciaire en France, pays des parties, et aux Etats-Unis, lieu de la compétition. Le système juridique dans ces deux pays ne prévoit, en effet, pas de régime semblable au nôtre, à l'égard des associations spm1ives15

La Chambre ad hoc a donc battu une brèche supplémentaire dans le mur, déjà passablement ébranlé, entourant la règle de jeu : le droit a fait son apparition au coeur même de la scène sportive, dans un ring, pendant un match de boxe à l'occasion des Jeux Olympiques.

Cette prise de position de la Chambre ad hoc n'est pas intéressante seulement quant au principe. La sentence montre également une manière d'aborder concrètement certains problèmes spécifiques posés par les litiges du monde du sport, notamment en ce qui concerne les délais des procédures judiciaires et la détennination de 1 'étendue du pouvoir du jtige.

4. Quant aux délais tenus par le tribunal arbitral à cette occasion, il convient de relever que la sentence fut rendue le jour même du match, à 20.00 heures, soit 3 heures et 40 minutes après le dépôt de la demande ! La continuation des compétitions ne fut ainsi ni compromise ni perturbée.

Certes, ce délai extraordinairement court est dû avant tout au fait que la Chambre ad hoc était particulièrement adaptée à l'exigence de la rapidité.

Mais les juridictions étatiques et arbitrales peuvent également, par le prononcé de mesures provisionnelles ou superprovisionnelles, s'avérer rapides et efficaces. Citons comme exemple relativement récent, la demande de l'Olympique de Marseille portée devant le Richteramt III de Berne le 9 septembre 1993. Les juges ont décidé le même jour, précisément afin de régler la situation avant la continuation du championnat.

Il est indéniable cependant que des délais aussi courts sont difficiles à tenir, dans la plupart des cas, tant par les tribunaux arbitraux que par les tribunaux ordinaires, voire même par les propres instances de recours des organisations sportives. Aucune de ces instances n'est à même de clarifier

15 Il ne semble y avoir aucun ordre juridique étranger qui, d'emblée et par principe, soustrait à l'examen du juge certaines normes des organisations sportives.

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complètement la situation avant la coritinuation des compétitions, (dans tous les litiges).

Cela ne signifie cependant pas que des corrections partielles ou totales ne peuvent avoir lieu ultérieurement. Dans l'environnement sportif même, on connaît l'institution des protêts, la confirmation ou l'annulation ultérieure - notamment à l'issue des tests de dopage- de résultats et de classements, la reprise de matches, la relégation punitive, etc. Les juges et les arbitres disposent d'un arsenal semblable. Ils peuvent annuler une décision sociale, qu'elle ait déjà déployé ses effets ou non. Pour les cas où un dommage subsiste, il reste la possibilité d'une réparation et d'indemnités pour tort moral que le juge allouera à la partie lésée. La situation en matière de litiges du monde sportif ne se distingue pas, à cet égard, fondamentalement de celle dans d'autres domaines de l'activité humaine. Il n'est pas toujours possible pour le juge de replacer le demandeur et les autres parties intéressées dans la situation qui aurait été la leur sans la survenance de l'acte incriminé. Cet argument ne doit cependant pas amener le juge à refuser de statuer.

5. L'étendue du pouvoir d'examen du juge étatique est une question particulièrement délicate par rapport aux décisions des arbitres sportifs. Elle s'est posée de manière concrète dans le cas soumis à la Chambre ad hoc. Le Demandeur niait avoir donné un "coup bas" contraire aux réglementations et, partant, contestait l'appréciation de ce coup par l'arbitre du jeu et par les instances de recours de 1' AlBA.

Comme c'est souvent le cas des litiges portés devant les tribunaux par les sportifs, l'arbitre sportif n'était pas accusé d'un comportement partial ou gravement négligent. Le boxeur français reprochait en fait à l'arbitre du match une inadvertance ou une faute, qui devrait probablement être qualifiée de non intentionnelle et de légère sur le plan juridique, dans l'appréciation de 1' endroit précis du coup à 1' origine de la disqualification. Surgit alors le dilemme tant redouté par les défenseurs de la non-justiciabilité de la règle de jeu : le juge annulera-t-il systématiquement, même pour les plus petites fautes et inadvertances, la décision de l'arbitre, pratique qui détruirait inexorablement l'activité sportive?

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L'argument principal des organisations sportives pour se défendre contre une éventuelle révision de la décision de l'arbitre du jeu tient au fait que l'appréciation de celui-ci se fait dans des conditions particulières : mouvements rapides entourant l'arbitre, champ d'action qui dépasse souvent le champ de vision d'une personne, temps d'appréciation et de décision extrêmement courts, pression psychologique tant par les joueurs et leur entourage que par le public, fatigue physique, complexité des règles applicables, etc. L'erreur est humaine, en particulier dans de telles circonstances. A cela, les parties s'estimant lésées par la décision sociale répondent que 1 'erreur importe néanmoins pour le déroulement des compétitions et, en définitive, les résultats. A leur tour, ceux-ci ne manqueront pas d'avoir une influence sur les droits des personnes impliquées.

Au fond, la question juridique qui se pose est celle de savoir si l'arbitre sportif, et avec lui, les instances de recours des organisations sportives, disposent d'un pouvoir discrétionnaire dans l'application des normes autonomes. Dans 1 'affirmative, il convient de déterminer les limites de ce pouvoir.

A ces questions également, la Chambre ad hoc a pu donner des réponses convaincantes. Elle admet que dans le domaine de la norme technique, dont relève la règle de jeu, 1' arbitre du jeu est le mieux placé pour décider. Dès lors, elle estime qu'une certaine retenue s'impose aux instances judiciaires appelées à se prononcer .sur la décision sportive. Le pouvoir de décision de l'arbitre connaît cependant des limites, soit l'abus, la malveillance et l'illicite. En l'absence d'un comportement malveillant ou contraire soit au droit, soit aux règlements sociaux, le tribunal arbitral se doit de maintenir la décision de l'arbitre et des instances de recours des organisations sportives. Dans la cause soumise à l'examen de la Chambre ad hoc, un tel comportement de la part des organes de l'AlBA n'était pas démontré. La Chambre ad hoc n'a, par conséquent, pas annulé la décision disqualifiant le Demandeur.

La pratique actuelle des tribunaux étatiques revient à accorder une liberté totale aux arbitres et aux instances internes des organisations sportives dans l'application d'une partie des normes autonomes. Dans l'hypothèse d'un

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changement de la jurisprudence dans le sens de la sentence discutée ici et de la doctrine récente, le juge procédera essentiellement comme la Chambre ad hoc.

Il tiendra compte des particularités de 1 'activité et de 1 'organisation sportives en accordant un certain pouvoir discrétionnaire aux organes des associations sportives. Ceci est d'ailleurs généralement admis en droit de l'association, en vertu de l'article 63 I CC : le juge maintient, en principe, les décisions sociales sauf en cas d'arbitraire ou d'abus16Un tel régime sera semblable à celui qui s'applique en droit pénal et en droit de la responsabilité civile, où la violation d'une règle de jeu par intention ou négligence grave est considérée comme un indice de la faute, donc d'un comportement que le droit ne saurait tolérer. Pour déterminer l'existence d'une faute des organes sociaux, ainsi que la nature et la gravité de la faute, le juge, n'étant pas expert en matière sportive, s'appuiera au besoin sur l'avis d'experts, sur des

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temOignages, etc. .

Dans une cause semblable à celle soumise à la Chambre ad hoc, seule une décision de l'arbitre ou des instances sportives internes empreinte d'une négligence grave ou d'arbitraire - de malveillance dans les termes de la Chambre ad hoc - pourra mener à 1' annulation de la décision sociale par le juge. Ajoutons, que dans de telles hypothèses, la violation des droits du sportif ne saura être justifiée par l'acceptation des règlements de la part du sportif. Ni le droit de l'association (63 II CC), ni la protection de la personnalité (27, 28 CC) ne le permettent.

16 Hans Michael Riemer, Die Vereine, Commentaire bernois, Berne 1990, p. 848.

17 Sur ce point, l'action du sportif ne se distingue pas de celle du client d'une banque, du patient ou du consommateur, dont les litiges peuvent pourtant démontrer une compléxité bien plus importante que ne le font les cas sportifs. Il ne paraît pas soutenable d'affirmer, comme l'ont pu faire certains, que le juge n'est pas capable de saisir correctement la réalité sportive. Au contraire, étant souvent sportif lui-même ou s'intéressant à l'actualité sportive, le juge peut être plus proche du sport et mieux informé à ce sujet que de certains autres domaines d'activité dans lesquelles il doit également trancher des litiges.

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Conclusion :

La Chambre ad hoc du T.A.S. a statué sur un litige portant sur un fait au centre même de l'activité sportive, soit sur l'application d'une règle de jeu au sens le plus strict de ce terme. Ce faisant, la Chambre ad hoc a montré le chemin que l'on souhaite voir prendre tout tribunal dans les litiges du monde du sport. Ce panel de juristes, proche du droit mais également des milieux sportifs, a pris le parti de la doctrine récente et a admis que des intérêts juridiquement protégés sont en cause dans les litiges du monde du sport.

Cette prise de position doit être approuvée. L'activité sportive, notamment au niveau du sport de compétition, ne se distingue pas d'autres activités de l'homme par un hypothétique manque d'enjeux, bien au contraire. Elle mérite donc la même protection juridique.

La sentence de la Chambre ad hoc a, en outre, le mérite de démontrer que l'intervention du droit dans le sport ne mène pas inexorablement soit à une situation impraticable pour les tribunaux, soit à la "mort du sport"

comme certains ont pu l'affirmer. A l'instar de toute autre association, l'association sportive, sous toutes ses formes, dispose d'un pouvoir discrétionnaire et, partant, d'une marge d'appréciation. Cette sphère réservée sera respectée par le juge dans le cadre de son examen. Tant dans la procédure que dans la décision au fond, il sera ainsi tenu compte des spécificités de l'activité sportive et des intérêts de toutes les parties en cause.

Il s'agit là d'une exigence du droit. Le juge arbitral ou ordinaire ne saurait en revanche tolérer l'arbitraire et l'illicite.

La solution adoptée par la Chambre ad hoc étant à la fois praticable et conforme au droit, elle présente un intérêt indéniable pour les développements futurs de la pratique arbitrale et de la jurisprudence étatique.

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