• Aucun résultat trouvé

Géographie Économie Société : Article pp.125-148 du Vol.8 n°1 (2006)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Géographie Économie Société : Article pp.125-148 du Vol.8 n°1 (2006)"

Copied!
24
0
0

Texte intégral

(1)

Géographie, économie, Société 8 (2006) 125-148

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

Les investissements directs étrangers agro- alimentaires japonais en Chine et la recomposition

des territoires : du global au local

Japanese Agro-Food Foreign Direct Investments in China and Territorial Restructuring :

From Global to Local

Louis Augustin-Jean*

University of Tsukuba

Résumé

Cet article traite du processus de décision qui conduit les entreprises agroalimentaires japo- naises à s’implanter en Chine. Il postule que ce processus est influencé par des contraintes et des ressources issues de multiples échelles territoriales allant du global au local. Aux niveaux global et régional, les entreprises japonaises doivent prendre en compte la restructuration de l’industrie agroalimentaire (jeux d’alliances et de concurrence) et la nouvelle division international du tra- vail ; au niveau national, elles doivent faire face à la saturation du marché au Japon et à la sécurité alimentaire au Japon et en Chine. Enfin, au niveau local, les filiales japonaises doivent s’intégrer à un environnement économique et institutionnel spécifique. Cet ensemble de contraintes et de ressources conduit à différents types de décisions, qui dépendent de la nature du marché visé et du

* Adresse email : augustinl@hotmail.com

Je remercie la Japan Society for the Promotion of Science pour son soutien financier, ainsi que le Centre of Asian Studies de l’Université de Hong Kong qui m’a invité plusieurs fois durant le cours de cette recherche.

Une version préliminaire de ce texte a été présentée au colloque de l’Association internationale d’économie alimentaire et agro-industrielle, « Développement durable et globalisation dans l’agroalimentaire », Université Laval, Québec, 23-24 août 2004.

(2)

type de produit fabriqué par les compagnies. L’analyse est illustrée par 12 études de cas d’entrepri- ses agroalimentaires japonaises implantées en Chine, et qui ont été interviewées au Japon, à Hong Kong et en Chine.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Abstract

This article focuses on the decision making process by which Japanese food companies are implanting in China. It postulates that the decision making process is influenced by constraints and resources that are issued from multiple territorial scales, from global to local: at the global and regional levels, Japanese enterprises have to come to term with the restructuring of the food indus- try and the new international division of labor; at the national level, the question is mainly linked to the market situation in Japan and to the food security in both Japan and China, while at the local level, Japanese subsidiaries have to deal with the local economic organization as well as with ins- titutional matters. These sets of constraints and resources lead to different decisions, depending on the nature of the targeted market for the companies, as well as on the nature of the products made by the enterprise. These decisions will be introduced in the last section of the paper, through 2 cases studies and in-depth interviews recorded in Japan, Hong Kong and China.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Investissements directs étrangers; Japon; Chine; Industries agroalimentaires;

Développement territorial.

Keywords : Foreign Direct Investments; Japan ; China; Agro-food industries; Territorial Development.

Introduction

La tension entre les tenants de la dérégulation et les partisans d’une certaine protection agricole, patente durant la dernière réunion interministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Cancun, n’a pu être atténuée de façon significative lors de discus- sions postérieures. Une raison est sans doute qu’au-delà des arguments économiques, le débat oppose deux modèles de société où les territoires occupent une place centrale. S’il est limitatif et trop schématique d’opposer les défenseurs des produits de terroirs (Charolais et bœuf de Kobé) à ceux de produits standardisés (bœuf américain), l’image a le mérite d’être parlante – et d’ailleurs, les protections dont le riz japonais continue à jouir sont en partie justifiées par sa spécificité réelle ou supposée. L’importance des territoires est encore ren- forcée par les habitudes culturelles des populations, que ne peuvent effacer les progrès, bien visibles mais statistiquement timides, de produits « globalisés » dans les alimentations.

Dans ce contexte où la spécificité des territoires rencontre la dynamique de la mondia- lisation, la position des firmes multinationales (FMN) est intéressante : tour à tour courti- sées et vilipendées par les localités et les populations, elles illustrent cette tension entre le local et le global. Plus particulièrement dans le cas des industries agroalimentaires (IAA), alors qu’elles ont commencé leur expansion internationale dès la fin du XIXe siècle, elles doivent souvent, de par la nature de leur production, non seulement entretenir des liens profonds avec le tissu économique local, mais aussi produire des biens plus spécifiques et culturellement marqués.

(3)

Or dès le moment où les entreprises réfléchissent à une implantation à l’étranger, elles doivent penser aux modalités d’inscription dans un territoire. Plus exactement, elles sont alors confrontées simultanément à des pressions provenant d’une multitude d’espaces dont les contraintes – différentes selon l’échelle considérée – s’imposent aux décideurs.

Cet aspect a fait l’objet de peu d’analyses alors que, par exemple, les études empiriques sur la concurrence entre territoires pour attirer les FMN sont légions.

Ces constatations doivent être replacées dans le contexte des années 1980 et 1990 d’une réorganisation territoriale générée par les vagues d’implantation à l’étranger et de fusion/acquisition – et ce, pour les firmes occidentales comme japonaises. En Asie, cette réorganisation prend un tour particulier, la région étant devenue un terrain d’action majeur où se jouent alliances et concurrence pour les firmes occidentales. Autrement dit, le modèle des « oies sauvages » doit être dépassé, et l’importance de l’Asie Orientale et du Sud-est dans les échanges mondiaux implique de reconsidérer les phénomènes de recompositions territoriales en Asie, conformément à ce que prônent Yeung et Lin (2003).

Dans ces circonstances, on peut noter que la Chine est devenue le premier récipiendaire d’investissements directs étrangers (IDE) au monde, et le Japon le premier importateur net de nourriture (Toda, 2000 : 1).

Le présent article présente ces phénomènes à travers l’analyse de la prise de décision dans les IAA japonaises en Chine. Cette prise de décision est mise en contexte, par rap- port aux contraintes qui s’exercent sur les décideurs au sein d’une pluralité d’échelles spatiales. La première partie est consacrée à démontrer l’intérêt d’intégrer une problé- matique territoriale pour l’étude des IDE. La deuxième partie s’attache à montrer quelles sont les forces qui s’exercent sur la prise de décision, au sein d’espaces locaux, nationaux ou mondiaux/régionaux. Enfin, en partant de ces contraintes, la troisième partie présente, à l’aide de cas concrets, comment s’est effectuée la prise de décision dans les IAA, en relation avec les milieux dans lesquels elles évoluent.

1. Les IDE dans la problématique territoriale : échelles territoriales, proximité et réseaux

1.1. Les IAA dans les relations économiques sino-japonaises

Le début des années 1980 s’est accompagné d’une croissance impressionnante des IDE dans le monde. Le Japon, après les accords de Plaza et la réévaluation du yen (1985), s’est imposé comme l’un des principaux pourvoyeurs d’IDE – aux Etats-Unis et en Europe, puis, de façon grandissante, en Asie. Dans le même temps, la République populaire de Chine (PRC) a poursuivi sa modernisation, en partie basée sur la promotion des exportations et l’attractivité des IDE. Ces deux faits sous-tendent une complémentarité entre les deux éco- nomies : le Japon est aujourd’hui le deuxième investisseur en Chine derrière Hong Kong.

L’importance des relations entre les deux géants économiques de la région a donné lieu à une profusion d’analyses, que ce soit sur le plan des relations commerciales ou des IDE – à un niveau global comme sectoriel. L’électronique et l’automobile en particulier, ont fait l’objet d’une attention soutenue, en raison de leur importance stratégique et statistique. Par contre, le secteur agroalimentaire a été délaissé, en dépit de son rôle économique et symbolique.

(4)

Pourtant, les arguments pour réaliser une telle étude ne manquent pas : la Chine est un pays agricole majeur (abondance de matières premières) et la croissance économique génère une augmentation des niveaux de vie dans les zones côtières et/ou urbanisées (existence d’un marché potentiel). Par ailleurs, alors que le Japon est le plus large impor- tateur net de nourriture au monde, une part substantielle de ses importations provient de Chine : en 1997, la RPC était le deuxième plus important exportateur de nourriture au Japon (9 %) derrière les Etats-Unis (38 %). Ce pourcentage passait à 13,5 % en l’an 2000 (Etats-Unis : 26,7 %), pour redescendre provisoirement à 9,5 % en 2002, du fait d’une guerre commerciale entre la Chine et le Japon et de problèmes de sécurité alimentaire (cf.

infra). En valeur absolue, le Japon a importé pour environ 6 milliards de dollars par an d’aliments chinois entre 2000-20022. A ces critères objectifs s’ajoutent les facteurs psy- chologiques, plus importants, dans un contexte où l’autosuffisance alimentaire du Japon a chuté de 79 % en 1960 à 41 % en 1997 (Kamiya, 2000 : i).

Dans ces conditions, on peut se demander la raison de ce faible intérêt pour l’analyse des IDE et des relations commerciales agroalimentaires entre les deux pays. Une réponse définitive est difficile à donner, et les progrès – sensibles mais discrets – des IDE agroa- limentaires japonais dans la RPC, restent peu compris. Avant de traiter de leur mode d’implantation dans ce pays, il est donc nécessaire de faire un état des lieux.

Un premier constat s’impose : il est difficile de connaître avec exactitude le nombre des IDE agroalimentaires japonais en Chine. Cela tient pour une part à l’imprécision des statistiques, comme le résume parfaitement Nakagane.

The Japanese figures are based on notifications by domestic investors to the MOF [Ministry of Finance], while the Chinese data of “realized foreign investments” originate from those compiled by the investment authorities of the regions where the projects are located. Therefore, a range of statistical leakages or errors is likely to take place (…).

Moreover, (…) the Japanese FDI statistics cover only large-scale investments of more than 30 million yens before 1993 and of more than 100 million yens after 1994 (…) (Nakagane, 2002 : 55).

Maruya, le responsable du bureau de la JETRO à Shanghai, résume parfaitement la situation : « nous ne connaissons pas le nombre précis de filiales japonaises en Chine » (Maruya, 2003 : 50). Il l’estime cependant à environ 14 000, un chiffre largement supé- rieur à celui donné par le MOF (4 839 nouveaux cas enregistrés de 1989 à 20032) et à ceux des annuaires spécialisés : environ 2 500 pour le Toyo keizai shimposha, qui liste les filiales japonaises à l’étranger, et 4 500 pour le Mistsubishi Research Institute, qui comptabilise les filiales en Chine. A ces facteurs généraux, il faut ajouter les critères liés au secteur agroalimentaire.

Le MOF a recensé 244 investissements d’IAA en Chine entre 1989 et 2003, soit 6,2 % du nombre d’IDE industriels et 5 % du nombre total d’IDE en RPC durant la période,

2 Les données chiffrées proviennent de JETRO, 2000, p. 8, et 2003a, p. 15.

2 Le MOF donne le nombre de nouveaux cas par an (cf. site internet du MOF, http://www.mof.go.jp/

english/fdi, consulté le 20 septembre 2004). Pour obtenir un chiffre plus précis, il faudrait pouvoir déduire de ce dernier les filiales qui ont arrêté leur production et lui ajouter d’une part les entreprises installées en Chine avant 1989 et, d’autre part, les investissements qui ne sont pas déclarés au MOF faute d’atteindre le montant minimal requis. Le montant moyen des IDE en Chine étant en général modeste (cf. note 4), les données du MOF sont donc largement sous-estimées.

(5)

des pourcentages proches de ceux donnés par Maruya : à partir de son estimation (14 000 filiales), une enquête a été effectuée auprès d’un échantillon de 1 330. 1 020 apparte- naient au secteur industriel, dont 6,6 % au « secteur alimentaire et à la transformation des produits agricoles et de la pêche » (Maruya, 2003). Ces 244 cas apparaissent plus significatifs lorsqu’ils sont rapportés au nombre total d’IDE agroalimentaires japonais en Asie (571 cas recensés par le MOF de 1989 à 2003, soit 42,7 %) et dans le monde (1 108 cas, soit 22,0 %)3.

Grâce aux deux annuaires susmentionnés, il est également possible d’avoir une idée de leur localisation. Ils sont essentiellement situés dans la région de Shanghai (Shanghai ; provinces du Zhejiang et du Jiangsu) et, de façon légèrement moins importante, dans le sud de la Chine (Guangdong et Fujian), le Shandong et le Liaoning. Leurs produc- tions sont variées avec, schématiquement, deux lignes de partage qui se recoupent : une première séparation existe entre d’une part des produits spécifiques et/ou culturellement marqués (algues séchées par exemple) et de l’autre, des produits génériques (monogluta- mate de sodium) ; une seconde séparation peut être effectuée entre les produits destinés au marché chinois et ceux pour l’exportation (en majorité pour le marché japonais).

En résumé, malgré le rôle de l’implantation des IAA japonaises en Chine pour les deux pays, cette industrie a fait l’objet de peu de recherches. La Chine est pourtant de première importance dans les échanges agroalimentaires du Japon, que ce soit au niveau des rela- tions commerciales ou à celui des IDE – échanges qui vont être amenés à se développer.

Cependant, une étude systématique et le recours à un travail de modélisation, du fait de l’incomplétude des sources, semblent difficiles. En revanche, le caractère stratégique des IAA justifie un travail sur l’analyse des prises de décision qui les ont conduites à s’installer en RPC. Cette analyse doit inclure les raisons avancées par les responsables des firmes pour justifier le choix d’une location et d’un mode d’implantation (filiale à 100 % ou joint venture), et appréhender les problèmes auxquels ils doivent faire face. La prise de décision est alors perçue comme un phénomène progressif qui inclut davantage que des calculs de maximisation économique, même dans un contexte de rationalité limitée. Elle doit être aussi située et contextualisée, dépendante qu’elle est du milieu dans lequel elle évolue.

Comme nous allons le voir, la prise en compte du processus de décision impose de remet- tre au centre de l’analyse les notions de territoires et de proximité (Rallet et Torre, 2004).

1.2. Territoires et IDE.

Le territoire est compris comme un espace dont l’homogénéité se mesure par l’exis- tence simultanée de ressources et de contraintes pour les décideurs. Elles délimitent des (ensembles de) réseaux dans lesquels se fond l’entreprise. A leur tour, ces réseaux sont constitués d’acteurs et d’objets (Latour) considérés comme stratégiques par leur action

3 Ces chiffres sont cependant trompeurs, dans la mesure où, jusqu’à récemment, la taille de ces investis- sements était plus petite en Chine que dans le reste du monde. Par exemple, en 1989, le MOF a recensé 143 cas d’IDE agroalimentaires dans le monde, dont 6 en Chine. Leur valeur totale était respectivement de 177,8 milliards de yens et de 1,8 milliards de yens. Ces mêmes ordres de grandeurs se retrouvent pour la plupart des années. Par contre, il semble que la tendance ait sensiblement évolué ces dernières années : en 2003 par exem- ple, sur 32 cas d’une valeur totale de 48,4 milliards de yens, 15 ont été effectués en Chine pour un montant total de 13,8 milliards de yens. Cf. http://www.mof.go.jp, site consulté le 20 septembre 2004.

(6)

sur le système. La proximité est alors définie – comme le font Rallet et Torre dans leur description de la « proximité organisée » – par l’appartenance à ces réseaux, qui relient objets et acteurs.

Or tout comme ces derniers peuvent agir simultanément sur plusieurs espaces géogra- phiques (« ubiquité » – pour reprendre Rallet et Torre – accentuée par les innovations dans les technologies de l’information), la pluralité des échelles territoriales conditionne de même la prise de décision et multiplie le nombre de réseaux, d’objets et d’acteurs agissant sur le processus de décision. Sur un plan opérationnel, nous considérons que l’« ubiquité » des acteurs se manifeste dans leur capacité à intégrer des réseaux inscrits dans un espace qui peut être soit local, soit national, ou soit régional/mondial4 – ce qui impose d’une part une rationalité limitée (les acteurs ne peuvent prendre en compte l’en- semble des réseaux potentiellement stratégiques5 et doivent donc faire face à une asymé- trie d’information) et, d’autre part, une augmentation proportionnelle des risques, puisque les décideurs doivent agir dans des univers qui leurs sont de moins en moins familiers et de plus en plus complexes.

L’analyse en réseaux accentue de plus le flou entourant les limites des entreprises, tout en procurant une alternative au marché comme au renforcement de la hiérarchie (Williamson). La rupture traditionnelle entre le marché et les organisations (considérée par l’économie néoclassique et l’économie néo-institutionnelle) s’efface : il y a une conti- nuité entre le marché et l’entreprise, matérialisée autour de réseaux organisés dans et hors de cette dernière. Le marché interne dans les entreprises rejoint alors l’organisation du marché (Favereau, 1989). La croissance ou même la survie des firmes ne se situe donc plus dans une alternative marché/hiérarchie, mais dans la capacité des entrepreneurs à mobiliser des ressources hors marché et des réseaux multiples situés dans des échelles spatiales également multiples.

Dans la problématique des IDE, il s’agit alors de comprendre pourquoi et comment les filiales à l’étranger s’intègrent à un nouvel environnement et le transforment. Les para- mètres macroéconomiques ne constituent plus que des indicateurs donnant une vision stylisée d’un territoire qu’il s’agit d’appréhender de façon plus globale, pour le décideur comme pour le chercheur. Certes, ces paramètres constituent des points focaux sur les- quels l’entrepreneur peut s’appuyer pour prendre sa décision, dans un contexte d’aug- mentation des risques ; mais, pour importants qu’ils soient, ils ne constituent plus que des indicateurs parmi d’autres : l’appartenance à des réseaux permet également de stabiliser l’environnement en mobilisant les ressources de ces derniers.

En résumé, dans cet environnement risqué et/ou incertain, la prise de décision constitue un premier lieu de coordination (Hugon, 1995). L’entreprise ou, plus exactement, chaque décideur qui lui est intégré, devient le nœud d’une foultitude de réseaux, dont l’inte- raction provoque la décision finale, considérée comme rationnelle : elle est basée non seulement sur la maximisation du profit, mais aussi sur d’autres systèmes de justification

4 Il va de soi que la pluralité des échelles territoriales est bien plus importante que ce que nous mentionnons ici. Cette séparation arbitraire des niveaux mondial/régional, national et local est seulement effectuée pour les besoins de l’analyse.

5 Selon les mots d’un décideur interviewé durant l’enquête : « il manque toujours des données importantes au moment de la décision finale ».

(7)

(Thévenot et Boltanski, 1991). Son analyse repose sur l’appréhension du discours du décideur, replacée dans les différentes échelles territoriales susmentionnées : mondiale/

régionale, nationale (dans le pays d’origine et dans celui qui reçoit les investissements) et locale (districts industriels, économie transfrontalière…).

Les analyses qui suivent sont basées sur des entretiens effectués auprès de douze entre- prises agroalimentaires japonaises installées en Chine. Elles sont de taille variable, bien que l’accent ait été porté aux PME. Ce choix se justifiait dans l’optique de l’analyse des décisions, davantage diluées dans les grandes multinationales (le nombre potentiel de décideurs y étant plus important) que dans les PME. La difficulté d’intégrer les FMN dans l’analyse a été partiellement tournée par le choix de réaliser des entretiens au Japon, en Chine et à Hong Kong. Ces derniers (une vingtaine au total) ont été de type ouvert avec guide d’entretien et réalisés en anglais, ou en japonais avec traduction consécutive.

Le choix de considérer les contraintes spatiales ayant influencé la rédaction des guides d’entretiens, la deuxième partie de cet article est basée sur la présentation de facteurs considérés stratégiques pour chacun des espaces mondial/régional, national et local.

2. Les dynamiques territoriales dans la problématique des IAA japonaises en Chine : le positionnement du débat

Nous avons donc défini un cadre où l’inscription des IDE se fait dans une pluralité d’espaces. La somme d’information que les décideurs sont potentiellement amenés à prendre en compte dépasse leur capacité d’analyse ; ils se basent alors sur un nombre limité de points de repères qui leur permettent, malgré une rationalité limitée, de pren- dre des décisions dans un environnement risqué. Cette section s’attache aux contraintes générées par les différents espaces et susceptibles de peser sur la décision des agents.

Les facteurs spécifiques aux IAA sont privilégiés par rapport à des critères plus géné- raux. L’organisation de cette section suit les divisions dégagées dans la première partie : mondial/régional, national et local, même si la limite entre ces trois niveaux est parfois difficile à tracer.

2.1. Les forces de la mondialisation

Les IAA japonaises ont commencé à s’internationaliser très tôt, à la fin du XIXe siè- cle et au début du XXe, pratiquement en même temps que leurs consœurs occidentales (MacDonald, 2000). Plus récemment, à partir du milieu des années 1980, la montée du yen a provoqué une forte croissance des IDE agroalimentaires japonais.

The Japanese food processing industry, for example, expanded its foreign investments 14-fold during 1985-1989 (McMichael, 2000: 416).

Or l’expansion des IAA japonaises en Asie à la fin des années 1980 et durant les années 1990 rencontrait celle des groupes occidentaux, après leur restructuration et la période de fusion/acquisition. Pour ces derniers, l’Asie constituait – et constitue davan- tage aujourd’hui avec l’entrée de la Chine dans l’OMC – un nouveau terrain d’action de leurs rivalités et des alliances ponctuelles qu’ils ont pu contracter. Résultat : alors que les groupes japonais – eux aussi en restructuration – tentent, souvent avec succès, de conserver le contrôle de l’approvisionnement alimentaire des populations de l’Archipel

(8)

(cf. infra), les multinationales occidentales incluent leurs consœurs nippones dans leur jeu de collaboration/concurrence, que ce soit dans le domaine de la production ou dans celui de la distribution6.

Cependant, l’originalité consiste ici dans l’émergence de groupes mondialisés (ou régionalisés) originaires des NPI (Dairy Farm, de Hong Kong ; Uni-President, de Taiwan) ou de pays émergents (Charoen Pokphand, de Thaïlande). Ils participent eux aussi à ce jeu d’alliance et de concurrence avec les poids lourds de l’agroalimentaire et de la dis- tribution : l’attribution de la franchise des 7-Eleven à Shanghai a ainsi été l’objet d’une concurrence féroce entre le Japonais Ito-Yokado, Dairy Farm et Charoen Pokphand7, qui ont tous les trois des intérêts en RPC. Dans le sens inverse, il existe, par exemple, des accords entre Nestlé et Dairy Farm.

Dans leur volonté d’expansion mondiale, les multinationales jouent aussi un rôle impor- tant dans la modification des goûts des populations et, par conséquent, de la demande. Ils ne peuvent cependant substituer aux cultures locales des pratiques uniformisées et asepti- sées : les populations restent attachées à leur culture, et, en particulier, à leur alimentation.

Pour notre propos, cela implique que les multinationales, dans leur désir de conquérir le marché local, doivent faire face à deux choix : soit proposer un produit de masse standar- disé – quitte à tout mettre en œuvre pour banaliser l’usage de ce produit localement –, soit proposer des aliments plus adaptés aux spécificités culturelles. Ce faisant, elles entrent en concurrence avec de petits acteurs locaux, plus flexibles et mieux adaptés aux habitus des populations. Le problème n’est plus d’analyser la taille des entreprises en termes de coûts de transaction et de coûts d’organisation, mais de la mettre en relation avec celle du marché visé. C’est pourquoi une stratégie mixte (procurer des aliments de masse afin de profiter des économies d’échelle et des avantages spécifiques, tout en les adaptant au mar- ché local) peut être aussi envisagée. La concurrence entre firmes multinationales et PME locales peut également profiter à ces dernières et les pousser à devenir plus compétitives.

En relation avec la diffusion des goûts dans le sillage de la mondialisation, cela amène les plus performantes d’entre elles à s’internationaliser.

Ce mouvement trouve une autre justification dans la nouvelle division internationale du travail. La circulation des marchandises s’accélère entre les pays surproducteurs de denrées alimentaires et les autres. Avec des populations de plus en plus urbanisées et une augmentation des pouvoirs d’achat, le débat sur la sécurité alimentaire des pays en vient alors à changer de nature (cf. infra) et certaines PME traditionnelles trouvent parfois plus intéressant de produire dans les pays agricoles ayant une main-d’œuvre bon marché (Chine, Thaïlande…). Cette implantation à l’étranger destinée à produire moins cher des produits réexportés au Japon implique un changement d’échelle analytique, du mondial/régional au national.

2.2. Les niveaux nationaux

L’approche est ici à multiples facettes : elle inclut à la fois les facteurs du pays d’origine et ceux du pays d’accueil. Nous insisterons sur deux aspects : l’importation

6 Comme le montre la prise de participation de Wal-Mart dans le capital de Seiyu en 2002.

7 7-Eleven est un groupe américain de supérettes franchisées ouvert 24h/24 (convenience stores).

(9)

de matières premières et de produits finis et semi-finis au Japon dans le cadre d’une politique de sécurité alimentaire ; et le désir de conquête de nouveaux marchés pour les entreprises japonaises.

Le débat s’est essentiellement focalisé sur la sécurité alimentaire8. S’il s’est davantage mondialisé avec l’inclusion de l’agriculture dans les négociations à l’OMC, il fait malgré tout figure de combat d’arrière garde : bien que les aides directes et les taxations (qui atteignent 490 % pour les importations de riz) lui permettent de protéger en partie son secteur agricole, le Japon devra importer des quantités sans cesse croissantes de nourri- ture9. La Chine devra aussi acheter davantage sur les marchés mondiaux.

Par ailleurs, les risques liés à la diminution du taux d’autosuffisance sont en partie contenus par le fait que les importations demeurent majoritairement sous le contrôle du capital nippon (McDonald, 2000), et par la stratégie de diversification des approvision- nements, qui profite essentiellement à la RPC. Dans ce contexte, la nouvelle dépendance envers la Chine semble devoir être questionnée, non seulement parce que ce pays semble en passe de devenir un importateur substantiel d’aliments mais aussi par le fait que, si la complémentarité économique entraîne une collaboration accrue entre les deux puis- sances, cette dernière n’est pas exempte d’ambiguïté. Ces dernières années, les frictions commerciales se sont multipliées.

Le commerce agroalimentaire entre les deux pays a aussi été affecté par des crises sanitaires et de santé publique. Dans ce domaine, la grippe du poulet a eu un effet déci- sif sur le comportement des consommateurs et des importateurs japonais. En 2002, les importations au Japon de poulets chinois ont été de 119 058 tonnes, alors qu’elles se montaient à près de 240 000 tonnes en 2000 (JETRO, 2003b : 5).

Le débat sur la sécurité alimentaire et la santé dépasse cependant le champ de la prise de décision des dirigeants d’entreprises pour entrer dans celui des politiques gouvernementa- les, davantage subies que générées par les firmes. Dans le même ordre d’idée, la situation économique au Japon peut déterminer les entreprises à se délocaliser, en particulier celles qui ne possèdent pas d’avantages spécifiques et les PME0. Les changements dans la situa- tion macroéconomique d’un pays (par exemple, la réévaluation du yen ou la saturation des marchés, très réelle sur certains segments de l’IAA japonaise), peuvent constituer des conditions où l’implantation à l’étranger ne constitue plus une stratégie d’expansion, mais de lutte pour la survie – soit par la recherche de coûts de production plus faibles pour des produits destinés au Japon, soit par un désir de conquête de nouveaux marchés en Chine.

Avec cette remarque, nous retrouvons des éléments déjà détaillés dans la section sur les facteurs de la mondialisation. La stratégie des firmes peut alors osciller entre la vente

8 Comme le démontrent parfaitement les premières lignes de l’article de Kiyota et Urata sur liens entre les IDE et le commerce agroalimentaire japonais : « The debate over food security in Japan has involved a wide range of people including consumers, farmers, policymakers and researchers. The adequacy of the food domes- tic supply has been such an important issue because the dependence on imported foods is higher than in other countries » (Kiyoka et Urata, 2003: 48).

9 Le fait que le Japon ait recours à des importations croissantes de nourriture – et donc que le dogme de l’autosuffisance soit remis en question – ne sous-entend pas forcément que le Japon doive cesser de protéger son agriculture, débat d’une toute autre nature.

0 Sur les avantages spécifiques et les IDE, le lecteur peut se référer utilement à Dunning, 1993. Un bon résumé des théories de cet auteur peut être trouvé chez Mucchielli, 1998.

(10)

de produits génériques et celle de produits dédiés. Une originalité consiste en une appro- che particulière du marché chinois, basée sur l’utilisation de la vitrine constituée par Hong Kong, qui a une population avec un niveau de vie élevé, et est davantage familiari- sée avec des cuisines d’outre-mer que celle du continent. En outre, les habitants les plus fortunés et/ou les mieux éduqués de RPC ont tendance à adopter et à diffuser les modes venues de l’ancienne colonie britannique. C’est ainsi qu’en cas de succès sur le marché hongkongais, l’entreprise s’aventurera ensuite en Chine. Certaines chaînes de restaurants telles que Yoshinoya ou Watami ont utilisé Hong Kong de cette manière avant de s’aven- turer en RPC (Nikkei Ryutsu Shimbun, 16 octobre 2003).

Plus généralement, du fait de l’importance qu’a joué et que continue de jouer Hong Kong dans les investissements asiatiques en Chine, il est pertinent d’analyser son rôle pour les décideurs japonais. Comme pour les autres IDE, grâce à son système financier performant (banques, assurances, arbitrage, etc., cf. Gipouloux, 2002), Hong Kong sert de plaque tournante aux investissements en Chine. Par ailleurs, les entreprises japonaises trouvent intérêt à s’allier aux groupes de Chinois d’Outre-mer (y compris taiwanais et hongkongais), afin de profiter de leurs réseaux et de leur proximité culturelle avec les habitants de la RPC (notamment en matière de pratiques alimentaires).

Le secteur agroalimentaire doit donc être distingué des autres secteurs industriels, ses produits ayant souvent un contenu plus « culturel » (en comparaison avec l’électroni- que par exemple). Cela implique un rapport au territoire différent, souvent plus profond, même si certaines stratégies sont mondialisées. Ainsi, la possibilité de reposer sur les spécialisations plurinationales et de profiter des avantages comparatifs de chaque pays d’accueil (faibles coûts de la main-d’œuvre par exemple) se trouve davantage limitée pour les IAA. La forme pyramidale, basée sur des liens forts entre un donneur d’ordre et un réseau de sous-traitants que l’on trouve dans l’industrie automobile japonaise est généralement absente dans les IAA. Il y a peu d’exemples, dans les IAA, où un donneur d’ordre s’implantant à l’étranger est suivi par un groupe de sous-traitants qui vient l’isoler partiellement du milieu local. Par conséquent, l’intégration de la filiale au milieu local et sa dépendance aux politiques du pays d’accueil semblent plus probables. Avec cette constatation, la limite entre le niveau national et le niveau local est atteinte.

2.3. Le niveau local

Nous avons vu certains éléments agissant aux niveaux nationaux et mondiaux et sus- ceptibles de peser sur les décideurs dans le processus d’implantation en Chine. Au niveau local, il y a une interaction encore plus forte, et l’implantation d’une IAA est susceptible de modifier en profondeur l’organisation locale.

D’un côté, l’absence relative de sous-traitance limite l’intérêt pour les IAA d’intégrer une dynamique du type district industriel ou technopôle. D’un autre côté les IAA consti- tuent un cadre idéal d’analyse des recompositions territoriales au niveau local. En effet, les demandes des IDE agroalimentaires en matières premières impliquent souvent une réorganisation en profondeur de toute l’organisation économique, voire sociale (du fait du changement dans les pratiques culturales). En Chine, où les autorités locales impul- sent – voire imposent – les choix industriels, l’implantation d’une usine agroalimentaire peut avoir des conséquences sur l’occupation des sols. La synergie entre les entreprises

(11)

est partiellement remplacée par une dynamique partant des paysans et aboutissant à l’en- treprise, en passant par les autorités locales, au centre du système. Les réseaux entre les firmes, qui permettent d’économiser sur les coûts de transaction, sont ici complétés par des réseaux transversaux entre les entreprises et les autorités locales qui, dans un environ- nement économique risqué, permettent aux échanges de s’effectuer.

Il faut ici rappeler que les marchés ne fonctionnent que de façon imparfaite en Chine. Ils sont localement cloisonnés, tandis que les ressources rares sont largement contrôlées par les autorités locales : si le gouvernement central a introduit des mesures de libéralisation à partir de 1978, celles-ci ont essentiellement profité aux autorités locales (au niveau des dis- tricts notamment), devenues à la fois juges et parties (Oi, 1995). L’analyse des évolutions du marché du sucre en Chine (Augustin-Jean, 2004 ; Pan, 2003) montre ainsi comment les mesures récentes visant à libéraliser ce dernier ont été détournées : loin de se rappro- cher d’une économie de marché, elles ont permis aux organisations bureaucratiques de renforcer leur contrôle sur la branche. Cette analyse pourrait être étendue à d’autres pans de l’économie chinoise2. Afin de palier aux insuffisances des marchés, les entrepreneurs intègrent alors des réseaux bureaucratiques pour accéder aux ressources rares.

D’autre part, à ces liens en amont, se doublent aussi des liens en aval : la recomposition des territoires est dépendante de la recherche des consommateurs. Dans le cas de produits où la fraîcheur est un élément essentiel, l’entreprise peut choisir entre une usine ancrée dans le monde rural (coûts de production plus faibles et fraîcheur des inputs) ou située à proximité des consommateurs urbains. La nature du produit est essentielle dans cette décision, mais les priorités des décideurs sont également primordiales – notamment le type de marché visé. La conquête de parts de marché au niveau local, le désir d’exporter les produits au Japon ou ailleurs, ou une stratégie mondialisée dans laquelle la Chine et le milieu local n’occupent qu’une place relative dans un procédé de fabrication global, ont une influence sur le choix final d’une location. Dans tous les cas, les risques liés à la conservation des produits et au transport doivent être limités.

Cette analyse constitue une nouvelle approche des problèmes de la recomposition des territoires. Elle se focalise sur la prise de décision des entrepreneurs, influencée par l’organisation interne de l’entreprise et le milieu (économique) local (il y a une interaction entre les deux). Elle permet d’intégrer l’ensemble des forces qui pèsent à tous les niveaux sur ces liens et influent sur le processus décisionnel : le district, ou le milieu local, ne sont pas des entités isolées, mais fonctionnent de façon dynamique et synergique en relation avec d’autres territoires.

La prise de décision des entrepreneurs s’inscrit donc dans des espaces à géomé- trie variable où se manifestent des réseaux de différente nature. Le ou les décideur(s), partie(s) prenante(s) de ces réseaux, doivent prendre en compte certaines des forces pré- sentées ci-dessus (la liste n’est pas exhaustive) dans leurs choix d’investir. Ces choix, qui reposent sur une pluralité de systèmes de justification (Boltanski et Thévenot), font l’objet de la dernière section.

Pour éviter tout risque de confusion, précisons que le district dont nous parlons ici est une division admi- nistrative chinoise (xian) ; elle se distingue complètement du district industriel ou marshallien.

2 Dans le cadre de cet article, il n’est pas possible de s’étendre sur ce sujet ; nous renvoyons le lecteur inté- ressé à nos propres travaux (Augustin-Jean, 2002 ; 2004) et à ceux de Jean C. Oi.

(12)

3. Prises de décision en milieu situé : l’implantation des IAA japonaises en Chine Suivant leur taille, leur histoire, etc., les IAA japonaises en Chine ont un position- nement différent face aux contraintes générées par les échelles spatiales. Les entretiens montrent que si les responsables des entreprises sont très sensibles à ces contraintes, ils y font face en fonction la situation particulière de leur firme.

Plus précisément, le choix de la localisation dépend du cheminement de l’entreprise et de ses décideurs tout autant que d’un calcul de faisabilité. Il a été montré que l’implan- tation des filiales était souvent l’aboutissement de ce cheminement – de l’exportation à l’implantation, en passant par la filiale commerciale. Il est également fait de rencontres, de partenariat ou de concurrence, etc. Cette histoire façonne réseaux et relations, fon- damentaux dans le processus de décision : l’ensemble des interviewés a spontanément mentionné les réseaux et les amitiés comme le facteur le plus déterminant dans leur choix de s’implanter en RPC.

Dans ce cadre, la troisième section est divisée en deux sous-parties. Dans la première, l’accent est mis sur les facteurs temporels. La seconde est consacrée à tenter d’établir une typologie des entreprises, eu égard au rapport qu’elles entretiennent avec les territoires.

Auparavant, il est nécessaire de mentionner une limitation de la recherche : les filiales étudiées sont toutes relativement performantes, malgré des problèmes divers : les entre- prises en difficulté ou qui se sont retirées du marché chinois ont probablement un rapport au temps et à l’espace différent, mais il n’a pas été possible de les rencontrer dans le cadre de ce travail.

3.1. Le processus décisionnel dans une perspective historique et la question culturelle Pour nombre d’IAA japonaises, la question essentielle n’est pas tellement de décider s’il est nécessaire de s’implanter en Chine, mais plutôt quand le faire. La totalité des entretiens a fait ressortir que la Chine était dans l’orbite des décideurs depuis longtemps, parfois des dizaines d’années.

Bien qu’ils aient des connaissances variées sur la RPC, les décideurs japonais sont en général très bien informés sur les évolutions politiques et économiques de leur voisin.

Pourtant – mais peut-être aussi de ce fait –, les entreprises ont longtemps hésité à établir des filiales en Chine. Ils ont même été souvent plus lents à se décider que leurs compéti- teurs occidentaux, qui ne bénéficiaient pourtant pas du même recul.

L’attitude prudente et lente – mais déterminée – des Japonais dans leur décision de s’im- planter en RPC est une caractéristique qui ressort souvent des travaux des chercheurs.

The relatively low amount of capital invested [of Japanese FDI in the PRC] is in clear contrast to European investments in China. (…) Only a few Japanese large-sized corpo- rations have ever been involved in big projects in China. (…) Japanese MNCs have been criticized for their lack of a global strategy, at least regarding their China investments.

(…) [Nonetheless,] the implementation ratio of Japanese FDI in China (…) is signifi- cantly higher than in the case of other countries (Nakagane, 2002 : 55-56).

Plus qu’un manque de stratégie, l’adjectif « prudent » caractérise mieux l’attitude des firmes japonaises : une première étape a consisté en une observation prolongée permet- tant de nouer des relations ; une deuxième phase a conduit à des investissements limités,

(13)

tandis que les IDE plus massifs commencent maintenant à s’engager. Cette stratégie explique aussi pourquoi le ratio des contrats réalisés est plus élevé pour les firmes japo- naises que pour les autres firmes.

Notre étude confirme ces résultats. Les responsables des douze firmes enquêtées ont long- temps surveillé l’évolution de l’économie et du marché chinois. L’implantation a engagé des investissements souvent modestes, y compris pour les FMN3. Pour certaines de ces firmes, la Chine n’était pas un pays inconnu, puisqu’elles s’y étaient implantées dans les années 1920 et 1930. Durant la période maoïste, la RPC apparaissait déjà pleine de promesses. Les entreprises commencèrent alors à visiter la foire de Canton, petite fenêtre ouverte sur l’ex- térieur par la Chine maoïste. Un interviewé nous a ainsi indiqué qu’il avait visité cette foire en 1973 (la normalisation des relations entre la Chine et le Japon ne date que de 1972). Dans un autre cas, le chef d’entreprise a commencé à traiter avec la RPC dès les années 1960.

Travaillant d’abord pour un Chinois d’outre-mer, il est ensuite passé à son compte. D’autres entreprises ont encore utilisé des compagnies de commerce pour s’approvisionner en Chine, qui autorisait à cette époque le « commerce de l’amitié » (youyi shangye).

Dans la majorité des cas, l’expérience a tourné court, et les mots suivants, avancés par un directeur d’entreprise, résument bien les arguments de nos interlocuteurs.

For a long time, only meetings during the Guangzhou fair were allowed (…). But the business was not fair at that time: when the businessmen received the products, there were problems of quality. But from the Chinese point of view, things were simple: if you don’t like, you don’t buy, and as long as it is eatable, it is OK (interview, 13 février 2004).

Cette connaissance ancienne du milieu est un élément important favorisant l’implan- tation des filiales japonaises en Chine – tandis qu’en contrepartie, leur venue tardive les met en concurrence directe avec leurs homologues occidentales. Cette patiente collecte d’information est sans doute plus tangible pour expliquer les succès des entreprises japo- naises en Chine que des arguments de type culturaliste, tels que l’existence de « valeurs asiatiques », ou d’une « culture confucianiste » dans les deux pays. Ces arguments ne résistent pas à l’épreuve des faits.

D’une part, le passif de la guerre n’est pas réglé, et continue de peser sur les relations entre les deux pays. D’autre part, il y a un consensus chez les décideurs japonais pour indiquer les différences culturelles et la difficulté de communication comme facteurs principaux d’entrave aux affaires. Ils sont notamment agacés devant ce qu’ils qualifient de culture de l’« à-peu-près », alors que la production d’aliments doit être rigoureuse, ne serait-ce que pour des raisons de santé ; ils mettent aussi en avant les difficultés à communi- quer. Pour gérer ces difficultés, les Japonais utilisent plusieurs techniques. Premièrement, la formation et un système de gestion du personnel strict, avec une relativement bonne rémunération, des primes et un système codifié de promotion, mais aussi des retenues sur salaires ; deuxièmement, l’établissement de joint ventures avec des firmes de chinois d’outre-mer (cf. infra), permettant de minimiser les différences culturelles ; troisième- ment, le recours intensif à des interprètes. Ces trois stratégies (la liste n’est pas limitative) sont employées conjointement ou séparément.

3 Lorsque la firme s’allie à un partenaire, le schéma peut être différent. Ainsi, Tingyi a été l’élément moteur dans l’installation de la vingtaine de filiales implantées par le tandem Tingyi/Sanyo Food (South China Mornig Post, 2004).

Une bonne expérience antérieure peut aussi pousser à des investissements massifs, même pour des PME.

(14)

International

Japon

Chine

Local La conscience de ces difficultés a aussi joué un rôle dans le désir des responsables de bien

connaître l’environnement chinois avant de s’engager directement ; les associations officielles de type JETRO ou chambres de commerce, et les sogo shosha (les compagnies de commerce japonaises) ont alors été importantes dans la collecte et la diffusion d’information.

3.2. Contexte territorial et nature des productions : un essai de typologie

L’attitude méticuleuse des entreprises japonaises leur a donc permis d’accumuler un capital de connaissance et de réseaux. L’hypothèse développée dans cette dernière section est que ce capital a été mobilisé différemment par les entreprises, en fonction de deux critères principaux : le type de marché visé et la nature des produits fabriqués dans les filiales. Ce marché peut être local, national (chinois ou japonais) ou international.

La décision s’analyse alors comme le résultat d’une succession d’actions et de réac- tions face aux contraintes générées par le milieu et définies partiellement dans la section 2 – résultat influencé par la nature du produit : production de masse d’un côté, produit attaché à un territoire ou produit spécifique (production flexible, produits de terroirs, etc.) de l’autre. Il est cependant nécessaire d’introduire un niveau intermédiaire avec les pro- duits de masse à caractère culturels. Comme exemple de ces derniers, on peut citer les nouilles instantanées, consommées en Chine comme au Japon, mais qui utilisent des sou- pes spécifiques non seulement dans les deux pays mais aussi dans différentes régions de Chine. Ces deux paramètres (nature du produit/nature du marché) définissent deux axes sur lesquels il est possible de positionner les douze exemples analysés (cf. schéma 1).

Bien que les résultats de cette analyse doivent être relativisés en raison du faible nom- bre de cas étudiés, l’avantage est de permettre la prise en compte, comme facteurs endo- gène actifs, de la dynamique spatiale et de la nature du produit. La vision traditionnelle de l’implantation à l’étranger (resource seeking ou market seeking) est ainsi replacée dans une perspective plus large.

Le poids de la Chine et du milieu local dans une dynamique mondialisée (Groupe I) Pour les entreprises du groupe I, la décision de s’implanter en Chine est liée à une stratégie mondiale : de façon non spécifique aux IAA, l’avantage comparatif de la Chine réside dans les faibles coûts des facteurs, en particulier des matières premières et du tra- vail. La RPC ne constitue plus qu’un maillon dans une chaîne qui peut parfois relier les Etats-Unis, l’Europe, le Japon et la Chine.

Les entretiens ont permis d’identifier deux firmes du groupe 1. Dans la première (n° 11 sur le schéma), la Chine est utilisée pour la fourniture de matières premières (poisson).

Selon les mots d’un de nos interlocuteurs, les trois filiales sont « situées de façon commode dans le Shandong, à proximité des sources d’approvisionnement4». Les produits finis sont distribués dans le monde entier ; certaines matières premières sont également importées et transformées localement, ce qui est facilité par l’expansion de la firme, implantée au Surinam, en Thaïlande et en Indonésie. Dans cette dynamique mondialisée, l’importance de la Chine est relative, et la firme peut changer de zone géographique si nécessaire – malgré la proximité géographique du Shandong et du Japon.

4 A noter que la province du Shandong est une presqu’île.

(15)

1. FMN (filiale à 100%). Produits à haute valeur ajoutée destinés au marché local ou national (fabri- quant industriels de goûts – cas de figure spécifique non traité dans cet article).

2 et 3. FMN (JV avec une firme hongkongaise). Produits de masse destinés à un marché local afin de garantir la qualité et la fraîcheur des produits (glaces et crackers).

4. PME (JV avec une firme hongkongaise). Produits de masse destinés à un marché local afin de garantir la qualité des produits (biscuits).

5. FMN (JV avec un partenaire taiwanais). Production de masse pour un produit essentiellement asiatique et adapté au goût chinois (nouilles instantanées ; soupe adaptée aux variations locales).

6. PME (JV avec une firme chinoise). Production de masse pour un produit essentiellement asia- tique et adapté au goût chinois (nouilles instantanées ; soupe adaptée aux variations locales).

7. PME (JV avec une firme hongkongaise et une sogo shosha japonaise). Production de masse pour des produits spécifiques adaptés au marché local (algues séchées : produit japonais, mais adapté aux marchés chinois et hongkongais).

8 et 9. PME (100% dans un cas, et JV avec 2 PME japonaises dans le second). Production de Schéma 1 : typologie des entreprises en fonction de la nature du produit

et du marché recherché

Composante territoriale : Nature du marché recherché

International

Japon

Chine

Local

Nature du produit

Produit attaché à un territoire/ produit spécifique Produit de masse à caractère culturel

GRoupE I : FMN

• stratégie mondialisée

• filiale greenfield

Liens avec l’environnement local minimaux

• Peu de connaissance du milieu local

pour les dirigeants

2 0

• Forte intégration au milieu local en amont

8

• Dans certain cas, forte réactivité aux conditions du marché japonais (push effect)

GRoupE II : pME

Produit de masse

• Forte intégration au milieu local en amont et en aval

• forte proportion de JV, avec des firmes locales ou de Chinois d’outre-mer

GRoupE III : FMN et quelques pME

9

5 7 6

4 2

3

(16)

masse destinée au marché japonais, mais avec une certaine connotation culturelle (farine de riz spécifique utilisée pour la fabrication de gâteaux japonais ; légumes, dont champignons séchés).

10. PME (100%). Produits à haute valeur ajoutée culturellement spécifique à destination du marché japonais (dim sum chinois, mais adaptés pour le marché japonais).

11 et 12. FMN (100% dans un cas, JV avec un partenaire chinois dans l’autre). Produits géné- riques à destination du marché japonais et mondial. Les opérations en Chine ne constituent qu’un élément dans un réseau plus large, dans une organisation de type « usines de montage » (poissons, snacks).

La prudence manifestée par la stratégie de diversification s’accompagne d’une obser- vation antérieure minutieuse du milieu local (cf. supra), accentuée par une stratégie d’al- liance : le Shandong est non seulement une source d’approvisionnement en matières pre- mières, mais aussi une province où l’entreprise « s’est faite des amis » (entretien, mars 2004). Elle a ainsi créé un joint venture avec une entreprise d’Etat, ce qui limite ses risques au niveau local. Le recours au partenariat renforce par ailleurs sa connaissance du milieu et développe ses contacts. En revanche, ses deux autres filiales, établies postérieurement, sont possédées à 100 % par le groupe, les libérant de la contrainte bureaucratique générée par l’entreprise d’Etat chinoise – tout en leur permettant de bénéficier des réseaux développés antérieurement par le joint venture. Par cette stratégie, la firme surveille l’évolution du marché chinois, dans la perspective de le pénétrer le moment venu, en utilisant les réseaux de l’entreprise d’Etat. D’un côté, l’entreprise est donc partiellement détachée du milieu local. D’un autre côté cependant, elle prépare une intégration plus poussée, en cultivant les réseaux et les alliances, en conformité avec les stratégies des firmes du groupe III.

Pour la seconde entreprise (n° 12), elle aussi implantée dans le Shandong, la Chine est utilisée comme une simple plateforme de production (une sorte d’atelier de montage), avec des denrées venant des quatre coins de la planète pour être transformés et réexportés – et ce, malgré les difficultés potentielles pour importer des matières premières agricoles15. Une partie des intrants est produite par une filiale en Californie, et transformée en RPC.

L’avantage comparatif de la Chine réside dans les faibles coûts de main-d’œuvre ; la proximité d’accès à des matières premières est un plus, mais n’est pas nécessaire ; la localisation facilite les exportations.

Ses liens avec l’environnement local sont donc faibles, ce qui limite les risques engen- drés par l’organisation économique chinoise, qui ne sont d’ailleurs pas perçus comme tels par le centre de décision à Tokyo : selon ce dernier, les autorités locales dans le Shandong se sont montrées enthousiastes et se sont beaucoup impliquées dans l’établissement de la filiale, motivées qu’elles étaient par le désir d’acquérir des devises et de créer des emplois. L’indépendance de la filiale par rapport au milieu local est encore accentuée par son statut de filiale greenfield.

En résumé, les entreprises du groupe I ont un rapport minimal à l’environnement local.

Elles s’inscrivent dans une perspective mondialisée, pour des produits de masse destinés au marché japonais et au-delà. Le choix du Shandong s’explique par la proximité géogra- phique avec le Japon et le faible coût des intrants : matières premières (produits de la mer,

15 L’autorisation d’importer des denrées alimentaires en Chine est non seulement réglementée, mais elle est soumise à des variations régionales importantes.

(17)

fruits et légumes) et main-d’œuvre. En outre, le Shandong, et en particulier Qingdao, ont mis en place des mesures spécifiques pour attirer les IDE, et notamment les filiales green- field6. La filiale peut cependant changer de localisation si le besoin s’en fait sentir.

Pour les entreprises, l’implantation en RPC permet aussi de surveiller l’évolution du marché et, le moment venu, de tenter de le pénétrer. Par ailleurs, la présence de matières premières permet d’envisager une augmentation de la production dans un délai assez bref, ou de profiter des effets d’échelle pour vendre sur le marché chinois des produits de grande distribution. C’est pourquoi ces firmes ont pris le soin de créer des réseaux avec des partenaires locaux. En clair, la prise de décision dans les entreprises du groupe I est assez conforme avec ce qu’énoncent les analyses classiques sur les IDE. Les divergences apparaîtront ainsi plus nettement avec la présentation des deux derniers groupes.

Production locale et commercialisation à l’étranger : entre localisation et régionalisation (Groupe II)

A la différence du groupe précédent, la décision de s’implanter en Chine est davantage motivée par les conditions du marché japonais. La concurrence exacerbée dans un marché arrivé à maturité pousse les entreprises à rechercher des coûts de production plus faibles.

Ce push effect ne sous-entend pas une passivité d’entreprises forcées à la délocalisation.

Il peut au contraire impliquer des entreprises dynamiques, capables de proposer des pro- duits à haute valeur ajoutée pour un marché haut de gamme, ou des firmes spécialisées de longue date dans les relations avec la Chine. Caractéristique intéressante, les trois cas que nous avons enquêtés concernent tous des PME, souvent absentes des analyses sur les IDE ; les productions oscillent entre une spécificité forte ou des caractéristiques culturel- les relativement prononcées, malgré des techniques de production de masse.

Par contraste avec celles du groupe I, la Chine occupe une place beaucoup plus impor- tante pour ces firmes. Elles ne peuvent se replier facilement sur une autre zone géographi- que : les contraintes générées par l’économie japonaise et leur taille plus réduite rendent délicate la relocalisation dans un pays tiers. L’importance stratégique de la Chine pour ces entreprises a justifié une préparation minutieuse, bien que l’implantation ait pu être le fait de rencontres ou de hasard. Par rapport au groupe I, les liens en amont sont également plus denses : le besoin vital en matières premières a impliqué l’établissement de relations étroites avec les producteurs, voire avec les paysans. De même, les responsables ont une connaissance plus aiguë des conditions de l’économie locale.

Pour ces firmes, si les faibles coûts des facteurs et la proximité géographique avec le Japon sont importants, la relation à l’environnement chinois et le choix de l’implantation géographique sont dépendants de la création de réseaux. Ainsi, dans une PME produisant des champignons séchés (n° 8), les dirigeants entretiennent une relation avec la Chine depuis une quarantaine d’années ; ils ont établi trois entreprises, localisées dans trois provinces, en fonction de la présence de matières premières. Cependant, la stabilité des approvisionnements est basée sur l’entretien d’un réseau dense de relations : les techni- ques employées par les entrepreneurs pour garantir l’accès aux matières premières sont considérées comme une ressource spécifique qu’il est important de ne pas divulguer.

6 La province étant cependant vaste, cela ne signifie pas qu’il y ait des effets d’agglomération, malgré le nombre d’IAA japonaises qui s’y sont installées.

(18)

Dans un autre cas (n° 9), si l’entreprise a bénéficié d’un hasard, sa décision de venir s’implanter à Shanghai a été motivée par l’existence de relations créées dans cette ville par la sogo shosha (de petite taille) qui l’a démarchée et qui est partie prenante du joint venture. Sans ces relations, l’entreprise ne se serait pas risquée hors de l’Archipel : son activité, la production de farine (qui rentre dans la fabrication des gâteaux japonais) nécessite une qualité de riz difficile à obtenir et que l’entrepreneur ne pensait pas trouver en Chine. L’installation à Shanghai ne s’explique ni par l’existence d’un marché potentiel (la production est exportée en totalité au Japon), ni par des effets d’agglomération, mais par les liens développés par la sogo shosha. Le parapluie de cette dernière isole partielle- ment l’entreprise des interférences engendrées par les autorités locales.

Ces entreprises sont davantage ancrées que les précédentes dans un milieu qu’elles contribuent à transformer. En effet, par la nécessité qu’elles ont de rendre les approvision- nements plus sûrs, elles modifient les relations contractuelles avec les paysans, les coopé- ratives et les entreprises locales. Des spécialistes sont parfois dépêchés du Japon auprès des coopératives ou des paysans, afin de s’assurer que les bonnes méthodes de culture sont employées et que les productions satisfont aux exigences des firmes. Certaines régions de Chine rentrent ainsi dans le stade d’une agriculture industrielle : plus la spécificité du produit final et des intrants est grande, et plus le contrôle à tous les stades de la production agricole est poussé. On aboutit donc au résultat paradoxal que la spécificité du produit, souvent la marque des PME, conduit à une plus grande exigence industrielle que la pro- duction de masse.

L’ancrage dans le milieu local passe aussi par de bonnes relations avec les cadres locaux, indispensables et qui permettent d’éviter de nombreux problèmes. Les entrepreneurs se plaignent souvent de règles qui changent fréquemment, sans qu’ils en soient prévenus suf- fisamment à l’avance. Grâce à des rapports amicaux avec les cadres, ils peuvent se mettre aux normes en temps et en heure. Dans le cas contraire, la filiale doit s’acquitter d’une amende. Certaines firmes ont choisi d’établir un joint venture avec une entreprise d’Etat ou une entreprise collective chinoise pour éviter ainsi ce genre de contraintes, mais cette stratégie peut conduire à des problèmes de gestion interne. Dans un cas comme dans l’autre, les filiales ne peuvent refuser certaines demandes émanant des autorités locales, comme, par exemple, l’utilisation de compagnies présélectionnées pour les travaux d’aménagement.

Plus largement, l’économie locale se caractérise par une opacité et une asymétrie d’infor- mation. Le gouvernement chinois a promis de lutter contre ces deux problèmes, et un travail de fond est actuellement en cours visant à la publication des lois et règlements auxquels les entreprises doivent se conformer ; il ne peut cependant garantir la transparence au niveau local, dans un pays où chaque district a mis en place son propre système.

Enfin, les firmes du Groupe II sont potentiellement les plus concernées par la sécu- rité et la salubrité alimentaires, leur marché principal étant le Japon. Les entretiens ont montré que les décideurs sont sensibles à ces questions qu’ils intègrent comme risque.

Cependant, ils pensent que ce dernier est cyclique et n’est porteur de problèmes que sur de courtes périodes. Malgré les crises périodiques, il est dans l’intérêt des deux parties de continuer à faire du business et, selon eux, la Chine est davantage intéressée par le désir de se procurer des devises que d’interdire les exportations de nourriture. Pour un premier groupe de dirigeants, ce risque est moins importants que d’autres types de problèmes, comme, par exemple, la compétition venant d’autres pays d’Asie comme le Vietnam. Le

(19)

second groupe y fait face par une stratégie de diversification : la pénétration du marché chinois est alors un objectif à moyen terme.

3.3. L’implantation en Chine et la modification des milieux locaux

Le groupe III comprend à la fois des PME et des groupes régionaux ou mondiaux.

L’intégration est plus profonde, car l’entreprise doit aussi assurer sur place la vente des produits. L’accès au marché est souvent progressif, la décision de produire localement ne venant qu’après que la marque ait acquis une certaine notoriété au niveau local. Les produits sont de masse (biscuits, glaces…), mais parfois avec une composante culturel- le (crackers aux crevettes, nouilles instantanées…).

La production obéit à des règles similaires à celles du groupe II, mais les filiales ont la contrainte de vendre sur place, sur des marchés fragmentés et des réseaux de distri- bution opaques, parfois dominés régionalement par un secteur étatique fort. Le secteur privé et étranger s’est implanté récemment, mais la fragmentation des marchés demeure, constituant une barrière d’entrée importante. Dans ce contexte, les firmes recherchent des partenaires capables d’ouvrir ces barrières : la forme privilégiée d’implantation en Chine est donc le joint venture, soit avec des firmes locales chinoises, soit avec les grou- pes régionalisés des NPI d’Asie – en particulier des firmes de Chinois d’outre-mer ayant développé des réseaux importants en Chine.

C’est le cas, par exemple, de Sanyo Food, alliée au groupe taiwanais Tingyi (un fabriquant de nouilles instantanées). Le groupe contrôle 23 % du très lucratif marché chinois, grâce à une vingtaine d’usines installées dans autant de provinces. Les Japonais fournissent capitaux et expertise, tandis que Tingyi dispose des relations nécessaires sur place. De même, le géant japonais de la nouille instantanée, Nissin, qui n’a que 2,7 % de parts de marché en RPC, cherche à rattraper Sanyo, en développant lui aussi une stratégie d’alliance – mais avec un groupe de Chine populaire (South China Morning Post, 14 avril 2004).

Un stratégie courante consiste aussi à s’associer avec un partenaire hongkongais. Cela facilite l’utilisation de Hong Kong comme plateforme pour tester les produits. Ainsi, en 1997, Calbee, associé au groupe de Hong Kong Four Seas, avait dans le Territoire 50 % de part de marché pour les chips (Wetzel, 1999). Four Seas est devenu le partenaire privi- légié pour les firmes agro-alimentaires japonaises cherchant à s’implanter à Hong Kong et en Chine du Sud, et il constitue l’archétype du réseau de Latour. Dès sa création, il a entretenu des relations particulières avec les firmes agroalimentaires japonaises dont il a distribué les produits à Hong Kong. Le rapport annuel 1994 du groupe est à cet égard très clair.

The Group has established a solid niche business as an exclusive supplier of popu- lar Japanese food in Hong Kong and the PRC. (Four Seas Mercantile Holdings Annual Report, 1994).

Une autre citation, issue du rapport annuel 2002, indique une deuxième force du groupe.

Food distribution remains the core business among the business segments of the Group.

Over the past thirty years of the management’s strong commitment in actively developing its distribution business, the Group has (…) a strong and extensive distribution network which [is] invaluable asset (ibid., 2002: 6).

(20)

Ce réseau de distribution est essentiellement centré sur Hong Kong et la Chine du Sud. Four Seas agit donc comme catalyseur, rassemblant les produits japonais pour les redistribuer en Chine.

La stratégie est complétée par l’établissement de joint ventures avec des firmes nip- pones : les IAA japonaises trouvent un intérêt évident à collaborer avec un partenaire qui, en amont, gère les risques engendrés par les autorités locales et, en aval, assure la distribution des produits. Elles peuvent alors se concentrer sur la fabrication, tout en évi- tant les transferts technologiques. La présence de cinq IAA japonaises à Shantou, au nord du Guangdong, ne s’explique ni par des effets d’agglomération, ni par l’existence d’un marché dans cette localité. Elle s’explique surtout par le fait que le patron de Four Seas, originaire de cette ville et dans laquelle il a noué de nombreuses relations, y a acquis un terrain. Les entreprises japonaises y ont toutes les facilités pour s’installer et sont partiel- lement isolées du milieu économique local : les problèmes de réglementations, les com- portements prédateurs des autorités locales, ou les difficultés d’obtenir des autorisations, pour ne citer que quelques exemples, sont tous gérés par l’intermédiaire de Four Seas et de sa zone de développement.

Enfin, il est important de noter l’ancrage territorial de ces firmes, qui fabriquent essen- tiellement des produits de masse – avec une composante culturelle ou non. Pourtant, le marché visé est local, et aucune des filiales ne cherche à vendre sur l’ensemble du marché chinois. Si Sanyo a 23 % de parts de marché en Chine, ce succès repose sur la vingtaine de filiales réparties sur l’ensemble du territoire. De plus, si les nouilles instantanées sont un produit standardisé, les soupes qui les accompagnent sont adaptées aux goûts locaux.

Plus largement, les firmes cherchent à imposer leur marque localement, et à distribuer leurs produits localement. D’une part, cela permet de faire face à la segmentation des marchés, et, de l’autre, les firmes japonaises étant souvent venues après les autres, elles tentent parfois d’éviter les régions où l’implantation de compétiteurs étrangers est trop forte (fortes barrières d’entrées).

Conclusion

La prise de décision est dépendante de la participation à des réseaux, déterminés par rapport aux échelles territoriales, dans lesquelles les entreprises évoluent. Cependant, leur activation est différente suivant le marché recherché et le type de produit fabriqué.

Lorsque les groupes ont une stratégie mondialisée, ils ont un horizon qui dépasse lar- gement le cadre asiatique. Les contraintes issues des dimensions territoriales ne jouent pas un rôle majeur. Les productions de ces entreprises ont peu de contenu culturel et sont généralement des produits génériques pouvant satisfaire des populations diverses. Cela ne signifie pas que les territoires n’ont pas leur place, mais plutôt que les ensembles de contraintes, telles que nous les avons définis, ont peu de prises sur le processus de déci- sion : les firmes sont à la fois partiellement détachées des problèmes de recompositions territoriales intra asiatiques et insensibles aux pressions exercées par les niveaux natio- naux et locaux (elles peuvent se déplacer aisément d’une zone géographique à l’autre).

à mesure que les firmes s’implantent plus durablement dans le tissu économique local, les contraintes générées par les territoires prennent plus de poids, et compris pour les FMN. Ainsi, la recherche de faibles coûts des facteurs peut être le signe d’une situation

Références

Documents relatifs

Nous étudions les conflits qui mettent en scène les pouvoirs publics (qu’ils soient contestés, contestataires ou arbitres lors d’un conflit) car ils nous semblent les plus

Les nouvelles orientations des soutiens aux services (milieu des années 90) Les actions précédentes relèvent d’une politique globale d’animation (mieux connaî- tre les

Pour terminer on pourrait réfléchir sur ses travaux réalisés des médias, ces moyens de transmission de la connaissance fondamentale, qui, dans les dernières années, ont tous été

Enfin, plusieurs villes sont en phase de repositionnement. Celles-ci tentent générale- ment de lancer de nouveaux créneaux d’excellence pour lesquels elles ne possèdent pas encore

En effet, le développement précoce d’une mono-activité d’une part, et par voie de conséquence l’identification étroite de la région thiernoise à la région

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ges.revuesonline.com..

Pour aller à l’essentiel, alors qu’un mode de pilotage de l’action publique qualifié de stato-centré montre des signes évidents d’es- soufflement, l’empowerment vise

Ainsi, pour le gouvernement travailliste, les citoyens ne sont plus des consomma- teurs s’inscrivant dans le cadre d’une relation État-citoyen axée sur le marché, mais des