CONCEPTION DE PROTOCOLES EXPÉRIMENTAUX POUR
COMPRENDRE L’ACTUALITÉ SUR LE SIDA
Gwenda-Ella CHAPEL(1), Patricia MARZIN(1) (2), Réjane MONOD-ANSALDI(3), Daniel DEVALLOIS(4).
(1)LIG, équipe MeTAH, Université Joseph Fourier Grenoble I, (2) IUFM de Grenoble,
(3)Lycée C. Bernard, Villefranche-sur-Saône (69),
(4)Lycée Présentation de Marie, Saint-Julien-en-Genevois (74).
MOTS-CLÉS : TRAVAUX PRATIQUES – PROTOCOLE EXPÉRIMENTAL – LIAISON ANTIGÈNE-ANTICORPS – DIDACTIQUE DE LA BIOLOGIE
RÉSUMÉ : Le Sidaction organisé en mars, montre que le SIDA est toujours au cœur de l’actualité. Mais, les conceptions des élèves sur ce sujet ne sont pas toujours scientifiques, ce qui les empêche de décoder l’information transmise par les médias. Lors d’un T.P. en terminales S, les élèves devront concevoir un protocole expérimental pour montrer que la liaison des anticorps avec les antigènes dépend de la complémentarité spatiale des deux molécules et ainsi mieux décoder l’actualité.
ABSTRACT : The « Sidaction » organised in March, show AIDS is always an actual subject. Students’ conceptions on this subject are not often scientific and stop them to decode media’s information. During a lab work, experimented in classes of « terminale scientifique », students will design a protocol to show that the antibodies’ combination with antigens is due to two molecules’ spatial complementarity and to decode actuality.
1. INTRODUCTION
Lors de cette étude, nous avons cherché à savoir si, grâce à la conception d’un protocole expérimental, les élèves réussissent à mieux intégrer l’objectif du T.P. d’immunologie sur lequel ils travaillent, à faire évoluer leurs conceptions sur ce thème vers le savoir expert et ainsi être capables de mieux comprendre l’actualité scientifique sur le SIDA.
Pour le découvrir, deux questions se posent :
- Comment les élèves réalisent-ils la conception de protocoles expérimentaux ? - Que contiennent ces protocoles ?
Le travail détaillé ici est celui réalisé en biologie auprès d’une classe de terminale scientifique. Il porte plus exactement sur un T.P. d’immunologie de type E.C.E. (Évaluation des Capacités Expérimentales), épreuve pratique de la biologie au baccalauréat depuis 2001.
2. PRÉSENTATION DU T.P. 2.1. Références théoriques
Cette étude s’est appuyée sur plusieurs références théoriques. Les travaux de Séré et Beney (1997) montrent que les élèves, lors de séances de travaux pratiques, sont plus intéressés par les manipulations que par les notions construites. De telles séances de T.P. sont qualifiées de « cookbook labwork » car les élèves manipulent comme s’ils réalisaient une recette de cuisine. Tiberghien (2001) a également fait remarquer, lors de son étude européenne de séances de T.P., que les élèves, en axant trop les T.P. sur les manipulations, perdent de vue le lien à faire entre domaine pratique et domaine théorique, rôle des travaux pratiques.
Les T.P. ont également un rôle dans l’évolution des conceptions des élèves en faisant le lien avec le concret. « Une conception est une instance de la connaissance de l’apprenant qui se distingue par la représentation et les traitements qu’elle mobilise, mais dont la portée est locale, attestée sur un domaine de validité et d’efficacité particulier (éventuellement scolaire) » (Balacheff, 2005).
Notre étude rassemble ces différentes observations sous une seule tâche : concevoir des protocoles expérimentaux en séance de travaux pratiques de biologie pour aider les élèves à faire le lien entre : expérience, modèle et actualité scientifique. (Marzin, 2007)
2.2. Choix du T.P.
Le thème du SIDA, premier chapitre d’immunologie, est choisi, puisque les élèves entendent régulièrement parler de cette maladie et des recherches associées.
Une fois le thème choisi, le sujet du T.P. de la liaison antigène-anticorps a été déterminé.
Figure 1 : Liaison anticorps – antigènes du virus du SIDA (Source : Livre de terminale S,
Sciences de la vie et de la Terre, Hatier)
Dans le cas du SIDA, le virus porte à sa surface des antigènes (les protéines gp 120) qui se fixent sur les récepteurs de la cellule-cible (les marqueurs CD4) lors de la phase d’infection. Pour éviter cette fixation, des anticorps spécifiques des protéines gp 120 se fixent sur les antigènes et empêchent ainsi la liaison protéine gp120-marqueur CD4.
L’utilisation, en classe, de produits d’origine humaine et infectieuse étant interdite en France, les élèves manipulent du sérum bovin : BSA et Anticorps Anti-BSA. Afin de visualiser la liaison antigène-anticorps correspondant, le test d’Ouchterlony est utilisé. Ce test, de lecture facile, permet aux élèves de se concentrer sur l’interprétation des résultats.
3. EXPÉRIMENTATION ET RÉSULTATS 3.1. Expérimentation
L’expérimentation s’est déroulée en deux étapes auprès de 29 élèves de terminale scientifique, toutes spécialités confondues, au lycée C. Bernard de Villefranche-sur-Saône (69). Elle est composée d’un pré-test, qui a eu lieu après le cours sur le SIDA mais avant celui sur la liaison antigène-anticorps et avant le T.P. qui s’est déroulé après le cours sur antigène-anticorps.
Lors de cette expérimentation, les productions écrites individuelles du pré-test et les productions écrites individuelles et collectives constituent le corpus.
Le pré-test et le T.P. sont deux parties indépendantes de l’expérimentation avec chacune, des objectifs et analyses particuliers.
3.2. Pré-test
La bibliographie sur les conceptions des élèves en immunologie étant peu développée, la composition du pré-test a permis de connaître les idées des élèves sur :
• Les termes d’immunologie utilisés dans le T.P. pour appréhender leurs difficultés. (Partie I : Définitions des notions d’immunologie)
• Le protocole expérimental et ses critères d’évaluation, objet de l’étude. (Partie II : Définition d’un protocole expérimental, son contenu et ses critères d’évaluation et partie III : Classement de six protocoles avec justification des choix)
Les parties II et III traitent du même sujet, mais elles sont indispensables car les élèves mobilisent, le plus souvent, mieux leurs connaissances lors d’un exercice (classement) que lors de questions ouvertes (définitions), ce qui va permettre de constater ou non, une évolution de leurs réponses. Ce pré-test fournit également une base comparative à un post-test qui aura lieu après le T.P..
Les réponses des élèves aux questions sont comparées aux réponses attendues puis l’ensemble est classé en idées principales, pour chaque question.
Résultats sur les questions d’immunologie : Les élèves donnent tous des réponses pertinentes pour la définition de « réaction immunitaire ». Mais, pour les termes « anticorps » et « antigène », on observe autant de réponses pertinentes que de réponses non pertinentes par rapport à leur savoir de référence : leur cours. En revanche, pour la définition de complexe immun, très peu d’élèves répondent à la question correctement et surtout, beaucoup d’élèves ne répondent pas du tout.
Il est possible de relier ces différences de réponses au cours que les élèves ont déjà suivi en 3e et qui
fait essentiellement intervenir la notion de réaction immunitaire, mais seulement au niveau cellulaire et non pas moléculaire, nature de l’antigène et de l’anticorps. En ce qui concerne la notion de complexe immun, elle est nouvelle et n’apparaît qu’en terminale scientifique, c’est pourquoi peu d’élèves réussissent à répondre à la question.
Si l’on considère les idées présentes derrières ces définitions, on en remarque des principales : • Anticorps = cellule du système immunitaire, amalgame dû au programme de 3e.
• Antigène = anticorps, confusion entre les deux termes ; antigène = contre les gènes, confusion liée à la barrière lexicale, à l’analyse du mot ; antigène = virus, bactérie, association liée au programme de 3e.
• Complexe immun = système immunitaire, dû à l’analyse lexicale des mots et à la non-connaissance de cette notion.
À partir de ces conceptions, plusieurs difficultés des élèves peuvent être dégagées et notamment : • Un problème d’échelle : différence difficile entre cellulaire et moléculaire due au programme
de 3e, mais aussi aux représentations qu’ils rencontrent (notamment dans les médias) et dont l’échelle n’est pas précisée ou pas respectée.
• Beaucoup de liens avec le SIDA et pas d’élargissement à l’immunologie en général. La question est de savoir si cela est dû au cours sur le SIDA vu précédemment ou à l’actualité et les médias qui reviennent régulièrement sur le sujet.
Résultats sur les questions sur le protocole : L’analyse de cette partie permet de constater que les élèves donnent des réponses pertinentes à la définition et au contenu du protocole expérimental. Les critères qu’ils citent dans le questionnaire sont ceux utilisés dans le classement et représentent les critères non liés au contenu. Pour savoir si les critères utilisés lors de l’évaluation se retrouvent pendant la conception du protocole, il est utile d’analyser les productions réalisées pendant le T.P.. 3.3. T.P.
La séance de T.P. est mise en place pour répondre à plusieurs objectifs : • Faire concevoir et rédiger un protocole expérimental.
• Créer des situations de communication entre les élèves pour confronter leurs idées. • Faire intervenir le modèle en justifiant les choix effectués.
Pour parvenir à ces objectifs et fournir des guidages aux élèves, la fiche T.P. est structurée en zones de texte avec des lignes numérotées pour écrire un protocole en étapes, en zones de dessin pour représenter et visualiser les boîtes à réaliser et en zones de texte pour la justification des choix. La classe est séparée en groupes de trois élèves dont chacun est responsable d’une activité : l’organisation, la fiche-réponse, le matériel. Cette répartition permet d’impliquer chaque élève dans la conception du protocole et de créer des situations de communication tout au long de la séance. Dès que chaque groupe de trois a réalisé un premier protocole, deux groupes se rassemblent et en conçoivent un deuxième. Cette deuxième conception entraîne, pour les élèves, une justification et une défense de leurs choix et de leur protocole initial lors de situations d’argumentation orale. Afin de guider encore plus la conception des élèves, il est indiqué sur la fiche T.P. un destinataire : une autre classe de terminale scientifique d’un autre établissement, ce qui permet d’adapter le niveau d’explicitation de leur production.
La grille d’analyse des productions est constituée de plusieurs parties pour étudier : • Le respect du temps et des consignes.
• Les protocoles en fonction des actions de l’arbre des tâches. • La présence des critères d’évaluation dans les productions.
L’analyse des productions, grâce à cette grille, nous permet d’obtenir divers résultats.
Résultats : Il est possible de constater que, grâce à la confrontation des idées et aux situations de communication mises en place, les protocoles sont rédigés et de plus en plus structurés au sein d’une fiche-réponse comprise et entièrement remplie. En revanche, ces protocoles ne répondent pas à tous les critères d’évaluation, notamment ceux liés au contenu :
• L’acquisition des données (absence de témoin et de marquage de la boîte) : problème pour se projeter dans la lecture des résultats, problème d’anticipation car c’est un T.P. prédictif.
• La complétude (absence des quantités pour réaliser l’expérience), tâches habituellement à la charge de l’enseignant. Cette observation est complétée par une justification des choix incomplète, qui aurait permis, si elle avait été complète, de diminuer ces erreurs.
Cela démontre que, pour les élèves, il est encore difficile de lier modèle et expérience.
4. CONCLUSION
Lors de cette expérimentation, les élèves ont réussi à concevoir et rédiger un protocole expérimental (même s’ils n’aiment pas la phase d’écriture), ce qui leur a permis de manipuler les concepts en jeu. Mais, ils ont du mal à faire fonctionner les critères d’évaluation liés au contenu. Cette étude étant en cours, un post-test sera bientôt réalisé et l’ensemble de l’expérimentation (pré-test, T.P. et post-test) sera également observé auprès d’une deuxième classe de terminale scientifique, dans un autre lycée. Il sera ainsi possible de constater s’il y a eu ou non évolution des idées des élèves sur les notions d’immunologie et si l’influence des liens avec le SIDA persiste après le T.P. et le cours et est donc liée à l’actualité immunologique.
BIBLIOGRAPHIE
BALACHEFF N., MARGOLINAS C. cK⊄ modèle de connaissances pour le calcul de situations didactiques. Balise pour la didactique des mathématiques, La Pensée Sauvage édition (2005), 1-32.
MARZIN P., GIRAULT I., WAJEMAN C., D’HAM C., SANCHEZ E., CROSS D. (accepté). L’utilisation d’un arbre des tâches pour concevoir et analyser des situations d’apprentissage. ARDIST, 2007.
SÉRÉ M-G., BENEY M. Le fonctionnement intellectuel d’étudiants réalisant des expériences : observation de séances de travaux pratiques en premier cycle universitaire scientifique. Didaskalia n° 11, 1997 75-102.
TIBERGHIEN A., VEILLARD L., LE MARÉCHAL J-F., BUTY C. An analysis of labwork tasks used in science technopole at upper secondary school and university levels in several European countries. Science Éducation n° 85, 2001, 483-508.
