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Article pp.361-374 du Vol.1 n°3 (2003)

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Texte intégral

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de travail

Développer des compétences à partir d’un simulateur de conduite, premiers retours d’expérience

Conjard Patrick

Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de travail Département Compétences, Travail, Emploi

4, quai des Etroits F-69321 Lyon cedex 05 p.conjard@anact.fr

RÉSUMÉ. L’article présente deux expériences de formation conduites sur un site de production chimique pour des opérateurs de fabrication. L’utilisation d’un simulateur comme outil pédagogique dans un dispositif de formation hors situation de travail permet d’aller au-delà des limites techniques, temporelles et pédagogiques observées jusque-là. Quelques conditions de réussite techniques et pédagogiques ont été identifiées. L’utilisation du simulateur dans un dispositif de formation en situation de travail répond à d’autres finalités, elle questionne davantage la relation travail-formation et pointe les limites de l’outil. Au-delà du souci de pérenniser ces nouvelles modalités de formation, l’entreprise doit aussi s’interroger sur la plus-value de ces nouveaux outils qui peuvent contribuer à rendre l’organisation du travail plus « apprenant e ».

ABSTRACT. This article presents two experiments of a training action that took place at a chemical production site for manufacturing operators. The use of a simulator as a pedagogical tool during the training out of a working situation allows going beyond the technical, temporal and pedagogical limits that have been observed until now. Some successful conditions technical and pedagogical have been identified. The use of the simulator in a system of training in working condition will respond to other finalities, the relationship work/training is further questioned, the limits of the tool are clearly delineated.

Beyond the concern of the perpetuation of these new training methods the companies should evaluate the benefit of these new tools, which could contribute to a learning organisation.

MOTS CLÉS : simulateur, formation en situation de travail, développement des compétences, collectif de pratiques réflexives, médiation humaine.

KEYWORDS: Simulator, training in working situation, development of competence, practical collective reflection, human mediation.

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Introduction

Pour l’employeur, les dispositifs de formation doivent intégrer à la fois les contraintes de disponibilité des salariés et répondre aux exigences d’optimisation du rapport coût/efficacité. Alors que les dépenses en formation des entreprises diminuent, les nouvelles organisations du travail mobilisent de plus en plus les compétences des salariés. Il s’agit d’envisager de nouvelles façons de se former.

L’ingénierie des dispositifs et les compétences visées doivent être en phase avec les réalités organisationnelles (flexibilité, équipes autonomes, polyvalence) et avec les exigences demandées aux salariés (réactivité, initiative, gestion des aléas, responsabilité). En optant le plus souvent pour des formations techniques plus ou moins contextualisées, on vise la seule adaptation des salariés au poste de travail au risque de ne pas répondre aux enjeux du développement continu des compétences des collectifs de travail. Des dispositifs de formation innovants, en rupture avec une approche classique encore très largement utilisée, peuvent prendre plusieurs formes.

Ils peuvent s’appuyer sur des dispositifs qui combinent différents médias, la distance et la présence, le travail individuel et collectif, voire être construits par et dans le travail.

Nous nous proposons ici d’examiner plus particulièrement des pratiques mobilisant des simulateurs reproduisant des situations de travail. Les questions liées à l’apprentissage à partir des situations de travail seront mises en débat à partir de l’observation de deux pratiques différentes visant à développer des compétences relatives à la conduite d’installation chimique. Si les deux expériences ont en commun de s’appuyer sur un outil de simulation identique (la simulation dynamique d’un procédé de distillation et de situations-problèmes à traiter sur ce procédé), elles répondent à des objectifs et à des approches pédagogiques différents d’où la possibilité d’un bilan comparatif : quels sont les apports et les limites de ces dispositifs ? quels types de compétences sont développées ? comment optimiser ce type de pratiques ?

Au regard du bilan critique de ces tendances nous souhaitons apporter des éléments de réflexion aux entreprises et en particulier aux responsables de formation qui s’engageraient dans des dispositifs similaires. Dans une première partie, nous exposerons la genèse et les démarches d’ingénierie liées à ces expérimentations.

Nous nous intéresserons ensuite aux deux dispositifs en présentant leurs caractéristiques et en dégageant les points-clés des bilans pédagogiques réalisés.

Enfin dans une dernière partie, à partir de l’analyse de ces expériences, et de quelques références théoriques, nous questionnerons la place des situations de travail dans les apprentissages s’appuyant sur des outils de simulation.

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Le Projet européen Adapt Tide : genèse et mise en œuvre

L’opportunité d’un programme européen Adapt Tide1 a permis au groupe industriel Rhodia (spécialité chimie) d’expérimenter sur quatre de ses sites de production des dispositifs de formation innovants s’appuyant sur des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce projet conduit en partenariat avec la société Air France de 1998 à 2000 a pour ambition le développement des compétences et de l’emploi en entreprise. Il examine notamment les dispositifs d’autoformation, la flexibilité et la formation intégrées à la production et aborde les problèmes de l’ingénierie, du tutorat et de l’investissement. Nous aborderons ici uniquement les dispositifs s’appuyant sur des outils de simulation dynamique qui ont été expérimentés sur le site chimique de Rhodia à Roussillon (38).

Revenir sur l’origine du projet et les logiques qui ont guidé les orientations prises lors de la conception de ce dispositif de formation n’est pas inutile, le choix d’un outil multimédia pouvant être guidé par des motifs socio-économiques, pédagogiques ou bien n’être que le fruit du hasard, l’envie de se faire plaisir dans le cadre de l’opportunité d’un financement externe. Les choix réalisés sur ce site de production chimique ont été dictés par des contraintes économiques, organisationnelles et la recherche d’une plus grande efficacité pédagogique. En effet, dans un contexte de réduction des coûts, les effectifs de travail ont diminué tandis que le besoin en compétence des opérateurs est allé en augmentant. Le temps de travail représente un coût salarial important et l’organisation actuelle des équipes postées offre de moins en moins de marge de manœuvre dans la gestion des programmes. Des équipes réduites, un périmètre de travail élargi, tout cela rend de plus en plus problématique l’absence d’un opérateur. Dans un tel contexte, la formation hors poste de travail est de plus en plus difficile à maintenir. On ne compte plus les annulations de stages de dernière minute où le motif de manque de disponibilité est systématiquement évoqué. Il n’en demeure pas moins un réel besoin de formation pour les opérateurs, et ce d’autant plus que l’entreprise a considérablement renouvelé ses effectifs ces cinq dernières années et qu’elle fait de plus en plus appel à du personnel intérimaire. Au-delà des contraintes liées à la disponibilité des salariés, il est indispensable d’optimiser la « réponse formation » en répondant à des objectifs pédagogiques plus ciblés et d’aller vers des pratiques d’individualisation de la formation tenant compte de l’hétérogénéité (âge, ancienneté, qualification) des salariés concernés.

La gestion des aléas, des perturbations, le traitement des situations dites événementielles2 fait partie des compétences indispensables dans ces métiers où la moindre défaillance au niveau du procédé représente non seulement un coût économique, mais un réel danger pour l’environnement et la santé. D’un point de

1. Voir Mathy Vanbuel, Vers l’entreprise apprenante : l’utilisation des nouvelles technologies dans la formation, Presses universitaires de Louvain, 2000.

2. Voir Philippe Zarifian, Objectif compétence, éditions Liaisons, 1999.

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vue pédagogique, faire face à des situations-problèmes constitue une bonne opportunité de construction de compétences professionnelles. La dynamique de professionnalisation sera renforcée si l’opérateur est, d’une part, confronté à ces événements et s’il a, d’autre part, la possibilité de prendre du recul et de mener une réflexion sur ces événements. Ces situations de conduite d’installations particulières – perturbations, phases de démarrage ou d’arrêt – ne sont pas si fréquentes dans l’industrie chimique. Il est par conséquent intéressant de pouvoir confronter les opérateurs à ces situations via un outil de simulation.

Fort de ces premiers constats, la formation traditionnelle, non contextualisée et hors temps de travail affiche ses limites. Pour autant, la mise en place d’un dispositif de formation sur le lieu de production présente également des contraintes, comme nous le verrons, et la simulation n’est pas une réponse « miracle ». Dans le cadre de cette expérimentation il a donc été choisi de ne pas substituer une logique de formation à une autre mais de développer deux types de pratiques à partir d’un même outil de simulation. Compte tenu de la spécificité du secteur d’activité, c’est une compétence directement liée aux métiers de la chimie qui a été retenue dans le cadre de ce projet. Les deux dispositifs de formation présentés sont liés à la conduite d’une phase de distillation, opération de base du métier de conducteur de l’industrie chimique qui consiste à séparer différents composants chimiques par un apport de chaleur.

Première expérience : un outil de simulation comme support pédagogique

Le centre de formation du site possède dans une de ses salles de travaux pratiques (TP), une colonne de distillation binaire (eau + méthanol) utilisée dans le cadre des formations pratiques de distillation (formation d’initiation ou de perfectionnement). Cet outil est utilisé par les formateurs intervenant auprès des salariés de l’entreprise mais également par les enseignants du lycée professionnel qui forment des jeunes au métier de conducteur de l’industrie chimique (BEP Industrie chimique et traitement des eaux). L’utilisation de cette colonne de distillation (colonne à plateaux en verre) représente un outil pédagogique intéressant ; elle est néanmoins soumise à certaines contraintes. Des contraintes de temps : le démarrage de la colonne et la conduite d’opérations nécessitent au moins une demi-journée de formation. Ces travaux pratiques en alternance avec des cours théoriques ne sont pas reproduits à l’infini (généralement un à deux TP par formation). Des contraintes de sécurité : La pérennité de l’outil pédagogique et la sécurité des personnes passent par une conduite normale de l’installation. Les interventions sur la colonne exposent le stagiaire à un risque de contact avec le produit chimique (méthanol). Des contraintes matérielles : la colonne de distillation ne permet pas à chaque stagiaire d’assurer complètement une conduite d’opération (seulement deux postes de conduite). C’est plus généralement le formateur qui

« pilote » l’installation, les temps de manipulations individuelles des stagiaires sont donc réduits.

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Conception et mise en œuvre de l’outil

À partir d’un logiciel de simulation de base (Winsim), un travail de modélisation du procédé et d’intégration de scénarii de perturbation a été réalisé avec l’appui des formateurs et des enseignants. Un groupe de travail a été constitué autour de l’ingénieur chargé du développement du simulateur, les différents formateurs concernés ont ainsi pu collaborer à la phase amont du projet et exprimer leurs souhaits au niveau de la conception de l’outil. En parallèle, le contenu des stages de distillation destinés aux salariés de l’entreprise, personnel débutant (niveau 1) ou confirmé (niveau 2), a été revu avec l’intégration de séances dirigées d’une demi- journée à une journée sur simulateur permettant à chaque stagiaire de se trouver dans une situation de conduite simulée. Ces séances réalisées en centre de ressources ont été préparées dans une logique d’articulation avec les cours théoriques et pratiques prévus au programme. Le travail technique et pédagogique s’est étalé sur huit mois. Les contraintes de disponibilité des formateurs et des enseignants, l’absence en interne de compétences techniques liées à la modélisation informatique (intégration des paramètres) expliquent, en partie, cet étalement dans le temps.

Une fois passée l’étape de maîtrise technique du simulateur, les premiers stages conçus autour de ce nouvel outil pédagogique ont débuté. Les stagiaires ont eu la possibilité de travailler à partir du simulateur, accompagnés par le formateur. Ils ont d’abord appréhendé l’outil dans des situations de « conduite normale » avant d’être confrontés à des situations de « dérives » (scénario de perturbation).

Bilan pédagogique

« L’immersion » en situation de formation du responsable de formation et de l’ingénieur chargé de développer l’outil, la conduite d’entretiens auprès des formateurs et la remise d’un questionnaire aux stagiaires nous ont permis de dégager quelques éléments-clés3.

Ces premiers éléments mettent en avant la satisfaction des formateurs et des stagiaires. Pour les formateurs ayant utilisé le simulateur, les remarques suivantes ont pu être notées :

– l’outil constitue un excellent moyen d’illustrer pour des débutants les apports des cours ;

– c’est un bon outil pédagogique qui permet de visualiser et de faciliter l’intégration des phénomènes de base du génie chimique à la pratique de terrain ;

– il est ciblé pour l’étude et la gestion des dérives, qualité les plus usuelles en distillation continue ;

– il convient autant à un public de débutant, qu’à des techniciens.

3. 32 stagiaires et 3 formateurs ont expérimenté l’outil dans le cadre des stages de distillation.

Nous avons pu participer à deux stages dans le cadre de ce bilan.

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Le travail d’ingénierie lié à l’intégration de cet outil dans le dispositif global de la formation technique a contribué à une prise de recul des formateurs avec une réflexion partagée sur leurs pratiques pédagogiques. Il est d’autre part important de souligner la coopération des enseignants du lycée avec les formateurs du centre. Si le secteur de la formation initiale et celui de la formation continue entretenaient jusque-là de bonnes relations en raison de la proximité de leurs métiers et de la proximité géographique entre les deux structures, cette expérience a contribué à des avancées pédagogiques et organisationnelles bénéfiques à tous.

Pour les stagiaires, le bilan est globalement positif. L’utilisation de nouvelles technologies n’a pas suscité de réticence : pour 72 % des stagiaires l’utilisation de l’outil a été jugée facile, voire très facile, l’aspect ludique et innovant représente un atout. Les entretiens ont permis de souligner les points suivants :

– intérêt de visualiser de manière schématique les paramètres ;

– intérêt de pouvoir aborder des perturbations, d’être en conduite réelle ;

– limites du simulateur pour un public confirmé : par exemple, pas de possibilité de démarrage de la colonne…

– volonté de développer cet outil au niveau de leur atelier.

Au-delà de l’attractivité de ce type d’outil en formation, l’intérêt de la visualisation des mécanismes de la distillation est évoqué par les stagiaires et par les formateurs. Le simulateur permet aux stagiaires de se faire une représentation de l’opération de génie chimique (par ailleurs observée de visu au niveau de la colonne en verre), elle renforce l’appropriation des connaissances théoriques et permet d’aller au-delà du principe de fonctionnement d’une colonne à distiller. L’activation des perturbations place le stagiaire dans une démarche de résolution de problèmes avec la recherche des causes du dysfonctionnement, elle offre au formateur des indicateurs d’évaluation des acquis de la formation. En ce qui concerne les stages de perfectionnement destinés à un public confirmé, le travail a d’ailleurs surtout été axé sur le traitement des dysfonctionnements, avec l’activation des scénarii les plus complexes.

Si cette première expérience met en évidence l’intérêt pédagogique qu’il y a à utiliser ce type d’outil, elle reste inscrite dans une logique de formation très classique conçue sur le modèle du stage. Le simulateur n’est ici qu’un outil pédagogique supplémentaire pour le formateur. La modélisation sur des situations de travail réelles nous fait basculer dans une tout autre logique.

Deuxième expérience : un outil de simulation pour des apprentissages au poste de travail

Sur le second volet de ce projet, à partir de la base du simulateur de distillation, une seconde version a été réalisée pour un atelier « test » de l’entreprise Rhodia Chimie. Au sein de cet atelier, cinq équipes de six personnes se relayent 24 heures

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sur 24 pour assurer la production d’un produit qui rentrera dans la fabrication du phénol. Parmi les différentes phases de production, la phase de « distillation » est l’une des plus délicates à appréhender. En effet, au niveau de cet atelier, bon nombre de perturbations surviennent sur cette phase, d’où l’intérêt de reproduire cette étape et les différents aléas possibles au niveau de la conduite du procédé.

L’objectif des responsables de l’atelier est très explicite, il s’agit de disposer d’un outil d’autoformation intégré à la production permettant aux opérateurs et en particulier les nouveaux arrivants :

– d’appréhender la réponse de la colonne à distiller aux aléas de la conduite ; – de savoir faire une analyse rigoureuse des perturbations préprogrammées, ceci étant d’autant plus important qu’aucun des opérateurs, y compris les plus anciens, n’a été confronté à la totalité des scénarii d’aléas qui ont été retenus.

Cette démarche s’inscrit dans un contexte de réorganisation de l’atelier avec à court terme le regroupement de deux unités de fabrication au sein d’une même salle de contrôle, et la recherche d’une plus grande polyvalence pour les opérateurs.

L’intégration de nouveaux opérateurs est affichée comme une priorité.

Conception et mise en œuvre de l’outil

Là encore, le travail de modélisation du procédé et d’intégration de scénarii de perturbation a été réalisé avec l’appui du personnel de la fabrication (travail avec les équipes d’opérateurs postés). Après consultation du personnel et étude du process, quatorze perturbations ont été intégrées dans l’outil par l’ingénieur qui a réalisé la première version destinée aux formateurs. Ce travail technique a duré environ six mois. Il a nécessité de nombreux allers et retours et à ce stade certains salariés, en raison de leur compétence et de leur ancienneté au poste, se sont fortement mobilisés (notamment les techniciens). Cette démarche participative a été jugée indispensable pour disposer d’un outil qui soit le plus fidèle à la réalité du procédé. Les perturbations ont été testées par les opérateurs puis classées par niveaux croissants de complexité : débutant, moyen, confirmé.

La validation technique et pédagogique réalisée, un dispositif de formation articulé autour de quatre modules offrant une progression pédagogique au salarié a été conçu et mis en œuvre par le responsable formation assisté d’une équipe technique. Des documents imprimés ont été réalisés puis laissés à proximité du poste informatique dédié à l’utilisation du logiciel Winsim. L’encadrement de proximité, identifié comme « animateur » de ce dispositif, a été sensibilisé au projet et formé à la mise en œuvre de ce dispositif de formation (remise d’un guide pédagogique).

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Bilan pédagogique

Au vu des observations que nous avons pu faire sur le terrain et des entretiens conduits avec les opérateurs, quelques éléments-clés peuvent êtres dégagés4.

En ce qui concerne les conditions de mobilisation et les moments propices à l’utilisation de l’outil, peu de recommandations ont été faites, l’objectif étant d’aller vers une appropriation du dispositif par les utilisateurs. Sur ce point, le bilan effectué a montré des conditions d’utilisation très variables en fonction des salariés et surtout de l’attitude de leur encadrement. Si une utilisation systématique et respectueuse de la progression pédagogique est observée pour la formation au poste des nouveaux arrivants, la flexibilité de l’outil et du dispositif a favorisé un accès libre à la formation, en fonction des disponibilités, du niveau de compétence et des souhaits des utilisateurs. Certains ont préféré une utilisation individuelle et autonome de l’outil, d’autres l’ont utilisé avec un collègue. Plusieurs caractéristiques de la formation ouverte et à distance (FOAD) ont donc été mises en œuvre, de façon parfois non délibérée mais en relation étroite avec les propriétés techniques et pédagogiques du simulateur. Enfin, lorsque la formation a été animée par le responsable d’équipe, c’est le collectif de travail dans son intégralité qui s’est trouvé mobilisé.

En interrogeant les opérateurs, quelques points marquants sont mis en évidence : – l’attrait des nouvelles technologies et l’aspect ludique du simulateur ;

– une utilisation en groupe plus qu’à titre individuel ;

– des contraintes de disponibilité, lesquelles n’ont pas permis une utilisation régulière ;

– une utilisation surtout réservée aux nouveaux (intégrée dans le module de formation au poste de travail) ;

– la nécessaire implication de l’encadrement comme animateur du dispositif ; – un outil proche de la situation de conduite en réel même si le paramétrage n’est pas exhaustif.

Le bilan réalisé six mois après la mise en place de l’outil est mitigé. Il est regrettable de constater que le dispositif, bien qu’il soit apprécié par tous, si l’on s’en réfère aux résultats de notre enquête, ait été peu utilisé depuis sa mise en œuvre.

La faible mobilisation des chefs de poste (on évoque le manque de temps, l’intérêt limité de l’outil, des priorités de productions...) identifiés préalablement comme les animateurs de ce dispositif, explique, en partie, ces résultats. Au final, cet outil est perçu plus comme une aide à l’opérateur nouvellement arrivé, qui doit se former à la conduite de l’installation. À ce titre, ce dispositif est intégré dans le processus d’accueil et de validation au poste d’un nouvel arrivant. Pour les plus anciens,

4. Quinze personnes ont bien voulu répondre au questionnaire remis aux différentes équipes de l’atelier quatre mois après la mise en place de l’outil. Des entretiens ont également été réalisés avec le personnel d’encadrement de l’atelier.

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l’utilisation a surtout eu lieu en phase de démarrage du projet et en présence du stagiaire ingénieur chargé de développer l’outil. Ce personnel a le sentiment d’avoir fait le tour du sujet, il met notamment en évidence les limites techniques de l’outil.

L’ensemble des scénarii de perturbation ayant été testé lors de la phase de lancement de l’opération, on ne juge pas utile de revenir dessus. A contrario, nous constatons que ce travail sur les scénarii de perturbations a permis, dès l’étape de conception de l’outil, de faire un état des lieux des dysfonctionnements liés à cette étape du procédé. Cet inventaire, qui n’est sans doute pas exhaustif, n’était ni formalisé, ni connu de tous jusque-là. Les échanges, la récolte d’information réalisée au sein de l’atelier et la modélisation de ces perturbations ont ainsi contribué à la création d’une mémoire collective. Au-delà d’un usage pédagogique, l’outil a contribué à une dynamique d’équipe au service de l’amélioration de la production, il peut ainsi être perçu comme un outil d’aide à la conduite.

Situations de travail et apprentissages : quels enseignements ? Logique de conception5

Aujourd’hui l’activité professionnelle se décline volontiers en termes de « savoir agir » dans des situations peu prévisibles. L’autonomie, l’initiative et la prise de responsabilité font partie des qualités indispensables à la fonction d’opérateur dans une industrie de process continu. Compte tenu de ces évolutions, la distinction formation/travail n’est plus aussi claire qu’auparavant, et l’on constate de plus en plus un déplacement de la formation vers les lieux même de production avec des apprentissages de plus en plus contextualisés. En repartant de la typologie développée dans l’ouvrage coordonné par J.-M. Barbier, on peut classer ces formations qui se rapprochent des situations de travail en trois catégories :

– la formation conçue à partir de la situation de travail, – la formation dans les situations de travail,

– et la formation par la mise en situation de travail.

Les expériences présentées ici s’inscrivent davantage dans une logique de conception d’une formation à partir des situations de travail, avec néanmoins des conditions de mise en œuvre bien spécifiques.

Dans le cadre de l’utilisation du simulateur comme outil pédagogique, la situation de travail simulée n’est pas réelle (colonne à distiller en TP), et son utilisation se déroule hors poste de travail, en présence d’un formateur. C’est l’alternance des situations pédagogiques qui est ici visée avec des cours théoriques, des séances de travaux pratiques et des séances en centres de ressources sur le simulateur. La qualité de cette alternance et les perspectives nouvelles offertes par

5. Chevallet R. et al., 2003, p. 58-63.

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l’outil informatique ont, comme nous l’avons vu, contribué à l’amélioration du dispositif de formation et nous avons pu vérifier cette efficacité pédagogique6.

Dans le cadre de l’utilisation du simulateur comme moyen d’apprentissage au poste de travail, la situation de travail, bien que partiellement reproduite, est réelle, elle se déroule au sein d’un collectif dans l’atelier. Si cette seconde expérience répond elle aussi à une finalité d’acquisition (nouvel arrivant) ou de maintenance des compétences, ses particularités nous permettent d’aller plus loin dans notre réflexion sur la relation entre situations de travail simulées et développement des compétences. Elle permet aussi de discerner certains recours à la FOAD comme cadre d’utilisation d’un simulateur.

Simulation des situations de travail

Le simulateur utilisé depuis longtemps dans l’aviation ou l’industrie nucléaire offre la possibilité d’explorer des perspectives nouvelles, d’aller au bout de ses erreurs sans risque pour la sécurité des installations. On connaît aujourd’hui l’importance qu’il convient d’accorder à l’erreur dans les apprentissages. La pédagogie du dysfonctionnement, la formation à partir des situations de travail ont fait leurs preuves dans le champ de la formation des adultes7. Compte tenu de la complexité des situations de travail et des risques liés à une éventuelle mauvaise manipulation, le simulateur permet cette exploitation de l’erreur, cette prise de distance par rapport à l’outil de production. Néanmoins, au regard de nos deux expérimentations, mais aussi des travaux conduits par Renan Samurçay et Janine Rogalski du CNRS8, nous avons pu repérer les limites et les conditions favorables pour une bonne utilisation du simulateur.

L’analyse des situations de simulation et de leurs limites conduit à poser le problème des capacités techniques de l’outil. Il est sans doute illusoire de créer un modèle identique à la situation de travail compte tenu des limites techniques et de la difficulté à simuler l’ensemble des contraintes qui s’exercent sur l’activité réelle. La complexité du procédé de fabrication, l’importance du collectif et des communications dans la réalisation de l’activité, la diversité des ressources mobilisées par l’individu, ou bien encore la charge mentale liée à la nature même du travail et à son environnement ne peuvent être recréés « artificiellement ». Aussi, le simulateur développé au poste de travail ne rend pas compte de la totalité du fonctionnement, il ne simule, et de manière incomplète, qu’une partie du process de fabrication. De nombreux opérateurs ont d’ailleurs mis en évidence cette limite, en soulignant ces manquements ici ou là. Dans le cadre du dispositif de formation en

6. De l’avis des formateurs, le niveau d’acquisition des stagiaires mesuré en fin de stage est meilleur depuis l’utilisation de Winsim.

7. Voir Bouclet M., 2001.

8. Voir Samurçay R. et al., 1992, p. 227-242.

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centre de ressources, l’usage pédagogique et les caractéristiques techniques de l’opération à modéliser limitent ces imperfections. Si la bonne qualité de la modélisation est une des conditions de crédibilité du dispositif dans la mesure où elle offre un modèle « plausible » susceptible de rencontrer une acceptation des apprenants, ce décalage inévitable est aussi une opportunité pédagogique. Dans les deux cas de figure, notre bilan met surtout en avant l’intérêt de l’usage des scénarii de perturbations. La possibilité de simuler des dysfonctionnements, d’être confronté à des « situations-problèmes » créés à partir de l’analyse de perturbations susceptibles de se produire sur l’installation, favorisent des apprentissages de type

« démarche de résolution de problème », apprentissages essentiels dans ces métiers.

Ces constats nous invitent à repenser le rapport entre simulation et situation de travail, « il s’agit non pas de simuler le réel mais le problème »9.

Dispositifs pédagogiques et compétences développées

Acquérir, développer et maintenir ses compétences renvoient à certains principes aujourd’hui mieux connus grâce à l’apport, entre autres, des sciences de l’éducation.

Il ne s’agit pas ici de lister ces principes d’une manière exhaustive mais de tirer des enseignements des expériences citées10.

En premier lieu, il est important de rappeler la place centrale de l’individu dans tout processus d’apprentissage.

Quelle que soit la qualité de la formation, apprendre procède d’une intention, d’un engagement, d’un investissement individuel. La motivation de l’individu sera plus ou moins grande en fonction du sens donné aux apprentissages, de la contextualisation ou non de ceux-ci et des bénéfices espérés. Ce premier postulat explique en partie les différents niveaux d’engagement observés dans nos deux expériences. L’intérêt des jeunes embauchés pour le simulateur et son utilisation systématique dans le cadre du processus d’accueil des nouveaux à l’atelier, n’a rien de surprenant au regard de ce principe d’intention délibérée.

L’importance des situations de travail dans les apprentissages est sans doute le principe le plus manifeste dans le cadre de l’utilisation du simulateur. La confrontation à des problèmes concrets, la prise d’initiatives et de responsabilités correspondent à des situations et à des postures propices aux apprentissages. La possibilité de recréer ces situations en toute sécurité dans le cadre d’un dispositif de formation apporte un intérêt pédagogique non négligeable, même si cela ne suffit pas à garantir le développement des compétences des salariés qui s’opèrent d’abord et avant tout en situations réelles de travail. En effet, la formation sur simulateur ne produit pas nécessairement des connaissances transférables aux événements et aléas rencontrés en atelier, compte tenu des limites évoquées précédemment. Pourtant, au

9. Voir Samurçay R. et al., 1992, p. 237.

10. Voir Parlier M., 2000, p. 72-78.

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regard de l’expérience réalisée au poste de travail, il semble bien que le simulateur via l’activation de scénarii de perturbation, soit en mesure de contribuer à l’acquisition et au développement de compétences :

– des compétences techniques avec l’actualisation de connaissances de base ou la découverte du principe de fonctionnement pour les nouveaux opérateurs ;

– des compétences organisationnelles avec la hiérarchisation des priorités en fonction des critères, le repérage des sources d’information ;

– des compétences plus transversales comme la démarche de résolution de problèmes.

Mais le simulateur contribue au développement de ces compétences à condition qu’il soit au service d’un dispositif (visée de l’expérience 1) ou qu’il soit intégré et en cohérence avec l’organisation (visée de l’expérience 2). Nous avons pu observer dans le cadre de l’expérience de formation au poste de travail que l’utilisation du simulateur était plus collective qu’individuelle. L’utilisation de l’outil a favorisé les échanges11, et le débat au sein du collectif de travail. Ces séances ont permis à certains salariés plus expérimentés de faire référence à des situations réelles déjà rencontrées, ce qui a engendré des commentaires sur les actions menées et sur les décisions prises. Cette démarche réflexive provoquée par la mobilisation du simulateur est déterminante pour le développement des compétences des opérateurs, mais aussi de celles de leur encadrement, lequel est souvent conduit à interroger ses propres pratiques dans de telles situations. Ces conditions d’utilisation, sous réserve d’une mobilisation de l’encadrement, donnent une autre dimension au dispositif qui contribue dans ce cas à la mise en place de situations de travail propices aux apprentissages.

Enfin, l’approche comparative des deux dispositifs a mis en évidence l’importance de la médiation humaine et des interactions, deux principes qui contribuent fortement à l’acte d’apprentissage. La présence d’une médiation humaine, assurée par le formateur dans un cas, par l’encadrement de proximité dans l’autre, est essentielle. C’est, selon nous, le non-respect de ce principe qui explique l’échec relatif de la formation au poste de travail. À quelques exceptions près, l’encadrement de proximité n’a pas pu tenir ce rôle, faute de temps, de compétences, et sans doute de ressources ; les enjeux du dispositif n’ont pas été perçus ni l’importance de l’accompagnement. Pourtant, nous avons pu vérifier de nombreuses fois combien cette fonction pédagogique attribuée à l’encadrement de proximité était essentielle au développement des compétences des opérateurs. Si l’intégration se fait dans un dispositif de FOAD, celui-ci doit être rigoureusement pensé en termes d’accompagnement. Le simulateur, mais plus largement les nouvelles technologies de la formation, ne doivent pas renvoyer à des pratiques d’autoformation qui excluraient l’interface humaine et des pratiques réflexives collectives. Au contraire,

11. L’absence d’une alarme de sécurité en un point précis du procédé a suscité bon nombre d’échanges et de discussions. Cette non-information permet un questionnement sur le bien- fondé de cette alarme, les causes de son déclenchement.

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ces deux derniers points sont pour nous des conditions nécessaires et incontournables au développement des compétences des salariés. Mais au-delà des conditions de mise en œuvre de ces dispositifs, la question de l’intégration et de la cohérence de ces pratiques avec le management et l’organisation du travail est essentielle.

Conditions organisationnelles

Terminer notre propos sur la question de l’organisation du travail et du lien avec la formation est pour nous l’occasion de rappeler l’importance d’une approche globale dans ce type de projet. Les dispositifs de formations ouvertes et à distance (FOAD12) font trop souvent l’impasse sur cette approche simultanée des questions de formation et d’organisation du travail. Si l’utilisation d’un simulateur en situation de travail tend à répondre à une approche simultanée des questions de développement des compétences et de résolution de problèmes, il est difficile de mesurer l’impact de ce type d’approche sur la performance collective de l’atelier. La réussite de ce type d’opération passe aussi par une cohérence entre les intentions pédagogiques affichées et l’organisation du travail. Le projet de formation au poste de travail a été conduit en marge des changements d’organisation engagés avec à terme la constitution de nouveaux collectifs de travail et le regroupement de deux ateliers. C’est donc, plus globalement la question des modalités de conduite du changement et des pratiques de management qu’il convient d’interroger ici.

L’approche simultanée des changements d’organisation et d’évolution des compétences offre, de notre point de vue, d’autres perspectives avec l’opportunité d’installer des pratiques de développement permanent des compétences13.

L’alternance des temps de formation et des temps de travail, le rôle formateur de l’encadrement, ou bien encore la maintenance et l’actualisation des outils pédagogiques font partie des conditions de réussites d’un dispositif ancré sur les situations de travail. Plus globalement l’autonomie, la responsabilité et la prise d’initiative laissée aux opérateurs, les pratiques d’échanges et de travail en groupe, la mise en place de démarches d’analyses concertées des dysfonctionnements, sont des éléments favorables à une logique de rapprochement du travail et de la formation que nous défendons ici. Il s’agit de passer d’une logique de formation en situation de travail à une logique de formation dans et par le travail.

12. La circulaire DGEFP du 20 juillet 2001 définit la formation ouverte et/ou à distance comme « Un dispositif souple de formation organisé en fonction de besoins individuels ou collectifs (individus, entreprises, territoires). Elle comporte des apprentissages individualisés et l’accès à des ressources et compétences locales ou à distance. Elle n’est pas exécutée nécessairement sous le contrôle permanent d’un formateur. »

13. Voir Conjard P. et al., 2003, p. 8-18.

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