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Extrait de. PHOIBOS Bulletin du Cercle de philologie classique et orientale de l'université libre de Bruxelles Tome 11( ),pp.

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Extrait de PHOIBOS

Bulletin du Cercle de philologie classique et orientale de l'Université libre de Bruxelles

Tome 11(1947-1948),pp.23-47

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A L E S I A

par

Marcel RENARD

Titulaire des cours d'étruscologie et d'archéologie romaine à l'Université libre de Bruxelles

£e nom et le sacrifice de Vercingétorix font encore de notre montagne un iieu sacré,

}. Toutain.

Les fouilles d'Alesia constituent peut­être l'exemple le plus frap­

pant d'une découverte illustrant de façon aussi précise que possible un texte historique. Mais elles nous montrent aussi comment une recherche entreprise avec des buts précis et limités, et dans laquelle l'archéologie ne devait jouer que le rôle d'auxiliaire de l'histoire, peut avoir des prolongements considérables et devenir une fin en soi. En effet, alors que les fouilleurs du siècle dernier voulaient avant tout retrouver ici les travaux d'investissement de César, il s'est agi dans la suite de met­

tre au jour les restes de tout un bourg celtique, gallo­romain et chré­

tien. A la recherche des témoignages matériels d'un fait capital, mais épisodique, s'est substituée l'étude, strictement basée sur l'archéologie, de trois civilisations.

Le site (fig. 1 ) est bien tel que l'a décrit César : « une colline de haute altitude » (418 m.), dont le pied « est baigné de deux côtés par des rivières », l'Ose au Nord et l'Oserain au Sud, affluents de la Brenne; devant la place, « une plaine d'environ trois milles » (4,5 km.), la plaine des Laumes; « de tous les autres côtés, à peu de distance, des hauteurs de même altitude », les pentes de Mussy­la­Fosse au Sud­

Ouest (429 m.), la montagne de Flavigny au Sud (429 m.), le mont Pennevelle à l'Est (405 m.), la montagne de Bussy au Nord­Est (426 m.), les hauteurs de Grésigny au Nord (410 m.) et le mont Réa au Nord­Ouest (386 m.).

Des quatre points cardinaux, l'oppidum, qui domine de 170 m. les vallées environnantes, apparaît comme une longue pyramide dont les pentes raides soutiennent un socle aux parois presque verticales, sup­

portant lui­même la table rocheuse du sommet. A pic au Nord et au Sud, le Mont­Auxois ne présente guère d'accès possible que par l'Ouest et par l'Est. Son plateau en forme de fuseau a 2 km. de long pour une largeur maxima de 800 m. Du sommet, nous voyons l'Ose et l'Oserain, parmi les prairies coupées d'arbres et de haies, s'étirer vers la plaine des Laumes. Dans les autres directions, où que se porte le regard, on n'aperçoit que des coteaux verdoyants et boisés, coupés

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de longues vallées étroites qui s'insinuent entre eux avec les festons de leurs combes bleues et leurs promontoires aux croupes précises. Çà et là la tache blanche d'un village à flanc de coteau. Dans le lointain, le paysage se perd dans une brume vaporeuse qui l'unit à l'azur du ciel.

Vers ce coin apaisé de l'Auxois, situé à mi-chemin entre les voies axiales de Sens à Autun et Langres à Lyon, conduisent de très vieux chemins qui devinrent des voies romaines, telle la route de l'Ar- mençon venant de Sens par Tonnerre, et menant par plusieurs em- branchements vers Dijon : ce fut l'itinéraire de Vercingétorix, de César et, avant eux, d'Hercule.

Car l'origine héracléenne d'Alesia est voulue par la tradition antique. Le site est donc fort ancien, probablement antérieur aux Cel- tes. Il a dii servir très tôt de refuge : à la partie inférieure des pentes, on a décelé des gisements préhistoriques. Mentionnons également des trouvailles de l'époque du bronze. Mais c'est à partir de La Tène III surtout que le Mont-Auxois prit de l'importance. Capitale des Man- dubiens, qui étaient vraisemblablement clients des Eduens, il avait peut-être dès lors déjà son caractère de cité sainte. Cependant, à part les faits importants de civilisation révélés par les fouilles, nous ne connaissons rien de son histoire proprement dite jusqu'au jour oii César contraignit Vercingétorix à s'y enfermer.

Nous n'avons pas à rappeler ici comment l'Arverne Vercingétorix, fils de Celtil, réussit par son patriotisme et son énergie, par son inté- grité morale et son désintéressement personnel, par son autorité et son éloquence, à soulever contre César la Gaule entière — y compris les Eduens eux-mêmes, après l'échec des Romains sous les murs de Ger- govie. On a souvent dit le génie et la valeur militaires, l'intrépidité réfléchie, la témérité pleine de sang-froid de ce chef ardent, dont le nom prestigieux signifie « le grand chef des guerriers » et dans le cœur duquel battait un ardent amour de la liberté. On sait combien il réussit à ébranler la fortune des armes romaines et de César. Aussi ne voulons-nous que rappeler brièvement, sur les lieux mêmes, les der- niers jours de son combat, les plus nobles de sa brève carrière puis- qu'ils furent ceux de son suprême sacrifice.

Alors qu'en cette année 52, qui fut celle oii expira la Gaule indé- pendante, le sort des armes avait longtemps favorisé les troupes gau- loises, leur cavalerie, toute entière engagée contrairement sans doute aux vœux du chef, se fit battre en août aux environs de Dijon. Ver- cingétorix fut contraint à la retraite sur Alesia. C'est ce que souhaitait César : il réussissait ainsi à fixer son adversaire pour l'obliger au corps à corps. On a reproché à Vercingétorix sa décision inattendue.

Mais, outre que nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires pour juger, on n'a pas assez insisté sur ce fait : si l'armée de secours demandée à ses alliés par le chef gaulois était arrivée plus tôt que ce ne fut le cas, si elle avait été surtout mieux menée, les troupes de César eussent été étouffées dans une étreinte qu'elles n'auraient pu briser.

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Tout d'abord Vercingétorix, s'il ne dut pas négliger l'ensemble de la défense de la place, fit camper le gros de son armée sur le flanc oriental de la colline, là où un seuil facilite l'accès vers le Mont Penne- velle. Il fit creuser un fossé et élever un rempart dont subsistent des traces. César, de son côté, ne voulant à aucun prix laisser son adver- saire s'échapper, entreprit toute une série de travaux d'investissement d'une extraordinaire importance. Il les renforça ensuite d'une autre ligne, extérieure à la première, pour se protéger contre les attaques du dehors : en effet, Vercingétorix avait renvoyé vers leurs cités, afin de demander du secours, ses cavaliers pour lesquels avait mal tourné devant Alise un nouvel engagement avec les forces romaines. Il faut relire dans le Bellum Gallicum ( 1 ) le récit des épisodes du siège : l'attente de l'armée de secours; la conduite énergique de certains chefs comme Critognatos; la famine et l'expulsion des malades, des vieil- lards, des femmes et des enfants, qui allèrent mourir entre les deux camps; l'arrivée de l'armée de secours s'établissant sur la colline de Mussy-la-Fosse; les divers combats jusqu'au jour de la bataille décisive.

L'exploration du site au siècle dernier a illustré de façon presque parfaite le récit que nous a fait César de ses travaux (fig. 1).

Du côté le plus rapproché de l'oppidum, les Romains creusèrent d'abord un grand fossé large de 18 à 20 pieds, à parois verticales, pro- fond de 2 m. 50. Il a été repéré à l'Ouest, dans la plaine des Laumes, ainsi qu'à l'Est, au pied du Mont Pennevelle. En ces deux endroits, il va de l'Ose à l'Oserain, dont le cours constituait par ailleurs au Nord et au Sud un obstacle suffisant pour rendre inutiles là les travaux de creusement d'un si large obstacle.

Derrière cette première défense, à une distance variant de 600 à 300 m., venait une ligne de contrevallation d'un développement de

12 km. 438. Elle comportait deux autres fossés de profondeur iden- tique et larges de 15 pieds. La contrevallation fut encore renforcée par un système complexe de défenses subsidiaires. Ainsi, quand l'ensemble fut achevé, les assiégés, pour atteindre l'armée romaine, devaient suc- cessivement franchir le grand fossé, parcourir une étendue à découvert, affronter les obstacles que constituaient des rangées d'aiguillons, de trous de loup et de cippes avant d'arriver aux deux fossé de la contre- vallation (fig. 2), dont le second était encore renforcé par le rempart d'escarpe.

Les aiguillons (stimuli) étaient des pointes de fer adaptées à des pieux longs d'un pied, enfoncés dans le sol. Les trous de loup, pro- fonds de 70 cm., étaient disposés en quinconce; ils avaient l'aspect de cônes renversés pourvus de pieux acérés qui dépassaient légèrement le sol (lites). Ils étaient recouverts de feuillage. Ces chausse-trapcs ont été notamment retrouvées sur cinq rangs à l'Est, entre la Route Nationale et le chemin qui conduit à Venarey. Quant aux cippes

(cippi), ils étaient faits d'arbres dont les branches avaient été taillées en pointe et qui étaient placés dans des fossés continus profonds de

(1) C E S A R . B.c.. v u , 69-89.

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5 pieds. Ils étaient reliés entre eux par le bas et seuls les branchages dépassaient le niveau du sol.

Le premier fossé que l'on abordait après avoir vaincu ces pièges étaient à fond plat; il avait une largeur moyenne de 4 m. 50 et une profondeur maxima de 2 m. 50. Dans les parties en plaine, il était alimenté par l'eau de l'Ose, dont le niveau est à 5 m. au-dessus de celui de l'Oserain. Le second fossé, lui, présentait un profil trian- gulaire; il avait environ 4 m. de large et, comme l'autre, était profond de 2 m. 50. Au Sud (le long de la rive gauche de l'Oserain) ainsi qu'à l'Est (au pied du Mont Pennevelle) et au Nord-Est (sous la montagne de Bussy), la contrevallation n'avait plus qu'un fossé. Elle redevenait double cependant au débouché de la vallée du Rabutin. On n'a pas retrouvé la trace de l'escarpe qui couronnait le second fossé, mais le volume des terres qui avaient été extraites pour établir le double obstacle permet d'estimer que le rempart devait atteindre une hauteur de 3 m. 50 et une largeur de 2 m. Il était constitué, nous dit César, d'un terrassement surmonté d'une palissade avec parapet et créneaux.

Des branches fourchues, fixées au point oii le clayonnage du parapet s'insérait dans la terrasse, compliquaient l'escalade. Des tours enfin s'échelonnaient tous les 80 pas.

Abritées contre les sorties des assiégés par la contrevallation, les troupes romaines étaient défendues contre les attaques extérieures par une ligne de circonvallation (fig. 1). Des traces diverses en ont éga- lement été relevées sur un pourtour de 18 km. Dans la plaine des Lau- mes, oii elle est apparue le plus nettement (près de la ferme de l'Epi- neuse), elle court à 150 m. de la contrevallation et présente un fossé profond de 2 m. et large de 4 m. 60 à 4 m. 80. Sur les pentes du Mont Pennevelle, son tracé est distant de 100 à 150 m. du fossé de contre- vallation.

Huit camps romains ont été identifiés : on a pu suivre le tracé de leurs remparts de terre épousant les irrégularités du niveau du sol.

Ils dominaient la crête des collines entourant l'oppidum ou bien obstruaient les vallées. Les trois qui se trouvaient dans la plaine des Laumes étaient petits et irréguliers. Ils pouvaient ensemble abriter deux légions et la cavalerie germaine. Ils flanquaient, à l'extérieur, la ligne de circonvallation tandis que la plupart des autres s'adossaient à celle- ci, dont ils constituaient des points d'appui, et s'ouvraient vers l'intérieur des lignes. Sur la montagne de Flavigny se trouvait d'abord, au som- met d'une petite butte, le camp qui fut celui de César. Il pouvait conte- nir une légion. Il a la forme d'un ovale de 200 m. sur 100. Sa porte est large de 9 m. et placée au Nord-Ouest. Le long de son côté Sud la ligne de circonvallation est redoublée. Puis, à 600 m. à l'Est, un autre camp de 400 m. sur 300 avait sa porte, large de 8 à 9 m., du côté Nord. Il était destiné à un effectif de deux légions. A l'extrémité orientale de la crête, une redoute. Signalons en passant que l'on a retrouvé ailleurs des traces des autres fortins : leur nombre total était de vingt trois. La montagne de Bussy semble avoir présenté un système plus ou moins analogue à celui de la montagne de Flavigny. Le camp central, dont la porte ouvrait au Sud, était fait pour deux légions encore. Cet effectif était aussi celui du camp de Grésigny. Au pied du mont Réa, enfin, tout un système de fossés a été relevé.

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Comme on sait, c'est au Mont Réa, un des points faibles de la circonvallation, que se livra un épisode décisif de l'ultime journée. En cet endroit, les 60.000 Arvernes de Vercassivellaunos, l'un des chefs de l'armée de secours, attaquèrent les deux légions qui y étaient cam- pées tandis que Vercingétorix opérait conjointement une sortie contre la ligne de contrevallation. Dans cette bataille, chacun des adversaires se rendit nettement compte que l'heure était vraiment solennelle et unique (1). Les hommes de Vercassivellaunos allaient sans doute l'emporter, quand César envoya vers le Mont Réa des renforts qui prirent les Gaulois à revers. Vercassivellaunos fut fait prisonnier et les Romains massacrèrent la plupart de ses hommes.

Les fossés du Mont Réa ont livré quantité d'ossements d'hommes et de chevaux entremêlés, des restes de harnais, des éperons, des cen- taines d'armes offensives (lances, javelots, un pilum, épées de la Tène III) et défensives (casques, cuirasses, bossages de boucliers), des fibules, près de 500 monnaies gauloises et romaines. La chronologie de ces monnaies coïncide avec la date du siège, la plus récente étant de 54.

Elles nous révèlent aussi que les contingents gaulois étaient en majorité composés d'Arvernes.

Le lendemain de cette funeste bataille de septembre 52, qui avait tourné au désastre pour les siens, Vercingétorix réunit une dernière fois l'assemblée. Il lui offrit de mourir ou d'être livré vivant à César.

De la députation qui lui fut envoyée, celui-ci exigea la reddition. Le chef arverne, que sa noblesse avait empêché de quitter Alise avec la cavalerie gauloise, comme il eût dû le faire, se livra à son vainqueur au pied du camp de Flavigny. La brève, mais glorieuse carrière du pur héros en qui, ainsi qu'on l'a dit, « battit vraiment le cœur de la patrie », s'achevait avant la trentaine. César, six ans plus tard, après son triom- phe, le fit mettre à mort.

On a prétendu que les traits de Vercingétorix nous auraient été transmis grâce aux monnaies gauloises à son nom — on en a retrouvé une entre autres à Alise. Le type présente une tête juvénile imberbe, aux cheveux bouclés, panfois casquée et le cou cerclé du torques. Si ces pièces ont voulu figurer le grand Arverne, elles ne permettent guère cependant d'imaginer ses traits tels qu'ils furent réellement. On a dit aussi qu'il fallait le reconnaître, amaigri mais non défait par six années de captivité romaine, au droit d'un denier frappé à l'époque du triomphe de César : à côté d'un bouclier gaulois se détache une tête virile au visage hâve, avec une courte barbe, des cheveux ramenés en arrière et un regard d'une extrême intensité.

Quoi qu'il en soit, un autre document (fig. 3) prend à Alesia, où il a été retrouvé, un sens poignant. Il s'agit d'un petit bronze d'applique d'époque romaine, dont le travail est excellent. Il montre un Gaulois vêtu des seules braies nationales étendu sur le flanc à même le sol. La tête pose dans le pliant du coude droit qui dérobe le visage. Le bras gauche s'allonge contre le corps. Le traitement de la musculature nue du dos traduit la même souffrance de la chair que le Celte blessé du Capitole. La jambe gauche enfin se recroqueville sous la droite.

(1) C E S A R . B.C., V I I , 85, 2 : ulrisque ad animum occurit unum esse illud tempus.

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comme en un dernier spasme. C'était vraiment à Alise, au Golgotha de l'indépendance gauloise, que devait être exhumée cette image.

Après la victoire de César, Alesia suivit les nouveaux destins de la Gaule. Contrairement à ce qui fut le cas pour Gergovie et Bibracte.

elle ne fut ni détruite ni déplacée. Sans doute parce qu'elle symbolisait non une défaite mais une victoire romaine; et aussi pour des motifs d'apaisement. Elle ne reçut pas non plus de colonie militaire. D'autre part, si elle resta une métropole religieuse, il ne fut plus question d'elle comme capitale des Mandubiens. Elle devint un simple iticus au milieu du pagus Alisiensis. l'Auxois, rattaché à la cité des Eduens comme le prouve le fait que le bourg, à l'époque chrétienne, dépendait de l'évê- que d'Autun. La ville poursuivit pendant toute la période romaine une existence de calme et tranquille labeur dont le site nous a fourni la preuve. L'opinion d'une destruction du uicus en 166 a été émise sans être unanimement acceptée. Mais au III* siècle sa paix commença à être troublée par les invasions. A la fin du IV° siècle et au début du V*, lorsque déferla le flot des barbares et alors que le christianisme réalisait à Alesia ses premiers progrès, les Burgondes envahirent le pays éduen. Le Mont Auxois fut ravagé. La ville chrétienne ne se releva pas de ses ruines. Ses habitants la désertèrent peu à peu jus- qu'à ce qu'au IX* siècle elle fut complètement abandonnée.

Ces souvenirs de l'Alise romaine et chrétienne, allons les évoquer en même temps que les souvenirs de l'époque gauloise, sur le plateau de l'oppidum solitaire, mais qui demeure un lieu-saint, à la fois par l'événement capital qui se déroula à ses pieds et par les trois civili- sations dont il porte le témoignage.

Nous en gravissons le versant occidental par la rue abrupte au bord de laquelle s'étagent aujourd'hui les maisons d'Alise-Sainte- Reine. Nous passons successivement devant le Musée municipal, l'Hôpital, la Fontaine de Sainte-Reine et le Musée Alesia. Au sortir du bourg, après avoir pris à droite la Grande Voie du Mont Auxois qui traverse le plateau dans toute sa longueur, nous apercevons à gauche le lieu dit £n-Curiot, situé en face du cimetière actuel. De nombreuses excavations y sont disséminées sur un espace d'un demi hectare. Ce sont les restes d'un quartier gaulois. Encore que les ves- tiges de l'époque celtique soient nombreux à d'autres emplacements, c'est ici cependant que nous pouvons le mieux saisir ce que devait être la bourgade avant la conquête romaine.

Une vingtaine de huttes s'érigeaient en cet endroit. Nous en voyons encore les fosses quadrangulaires, profondes de 2 ou 3 m. aux- quelles on accédait par un escalier (fig. 4). Le type le plus primitif nous montre les parois verticales de l'excavation et l'escalier simplement taillés dans la roche vive. Mais dans la plupart, celle-ci a été régula- risée et ses failles ont été comblées à l'aide de murettes en pierres sèches ; de même, l'escalier a été muni de marches rapportées. L'aire de la fosse était recouverte de terre battue. Il arrive que le roc du fond ait d'abord été pavé de pierres disposées en hérisson avant de recevoir la couche de terre. Parfois, un béton garnit le sol. A même celui-ci apparaissent souvent les traces du foyer qui était placé au centre ou

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dans un coin de la pièce. Dans certains cas, il existe un puits intérieur dans un angle.

Ces excavations ne représentent nullement des caves, m.ais bien la base même de l'habitation. La partie dépassant le niveau du sol était construite à l'aide de branchages revêtus de terre et fi.xés à des poteaux. De nombreux fragments de ce clayonnage ont été retrouvés au fond des excavations. Le toit pyramidal ou conique était fait de branchages également, de roseaux et de chaume. Il devait s'y trouver quelque lucarne pour permettre à la fumée du foyer de s'échapper.

Beaucoup de ces huttes ne présentent qu'une seule pièce. Dans certaines cependant, l'excavation comporte deux ou trois subdivisions.

L'une des plus intéressantes a la forme d'une équerre dans l'angle inté- rieur duquel l'escalier aboutit à une première pièce où se trouvait, au sol, un foyer elliptique délimité par des pierres placées sur champ. De là, une ouverture conduisait dans la deuxième pièce que séparait de la troisième un mur dont la partie supérieure seule était revêtue de pierres sèches, le bas formant une banquette taillée dans la pierre.

Le mobilier de ces rustiques habitations était assez pauvre : quel- ques monnaies gauloises, des tessons de céramique, certains objets métalliques. Ce matériel rappelle celui de Bibracte qui est contemporain, tout comme les huttes, par leur type, sont analogues aux cabanes rec- tangulaires du Mont Beuvray et du camp de Sainte-Geneviève près d'Essey-lès-Nancy, elles aussi creusées dans le sol.

A proximité des huttes, on voit d'autres excavations moins pro- fondes — elles ont 1 m. ou un peu davantage —, de forme plus ou moins circulaire et d'aspect grossier. Ce sont les emplacements de silos pour les réserves et de foyers en plein air. Parfois d'ailleurs, ces derniers se trouvaient à la surface même du sol, entourés de pierres.

Dans ce quartier, qui fut celui d'humbles potiers et de modestes forgerons, passe un chemin datant aussi aux origines. On l'aperçoit nettement sur une trentaine de mètres, avec la courbe qu'il dessine, courant sans pavage à la surface du roc simplement aplani. Ce chemin, dont un tronçon se retrouve également un peu au Sud du cimetière du village, est ferré en deux endroits d'ornières parallèles pour les véhi- cules. En le suivant vers l'Ouest nous aboutirions à la statue de Ver- cingétorix, œuvre d'Aimé Millet, aux abords de laquelle ont été retrou- vés des tronçons d'une enceinte en pierre sèche, sans doute en partie d'époque celtique; elle renforçait la défense naturelle constituée par la roche escarpée.

Ce quartier survécut pendant la période romaine, au moins jusqu'à l'époque des Sévères ainsi que le prouvent les découvertes de monnaies et de tessons. Mais il gardait même alors son caractère primitif, le confort ne faisant que de médiocres progrès dans l'humble faubourg.

A deux ou trois cents mètres de là, nous trouvons à gauche de la Grande Voie de l'Auxois le Cimetière Saint-Père qui constitue le prin- cipal champ de fouilles d'Alise : on en a exploré quelque trois hectares.

Nous allons découvrir ici, bâti au-dessus du niveau gaulois, le centre même de la ville gallo-romaine avec son théâtre, ses sanctuaires, sa basilique civile, son Forum, son marché, sans compter d'autres édifices

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publics et des habitations privées (fig. 12). Et sur plusieurs de ces sub- structions celtiques et romaines nous apparaîtront des constructions de l'époque chrétienne.

A quelques mètres avant l'entrée du champ de fouilles, nous voyons à gauche un puits gallo-romain. Ses assises de pierre dessinent un rectangle; entre elles, de distance en distance, avaient été placés des chevrons disposés en forme de cadres.

Nombreux seront les puits que nous rencontrerons au cours de notre visite, le plateau d'Alesia ne possédant aucune source, sinon à son extrémité orientale. Ces puits creusés dans l'argile et le roc pré- sentent encore parfois à la partie supérieure un revêtement de moel- lons qui, dans certains cas, constituait une margelle. Mais s'il faut reconnaître dans ces aménagements l'œuvre de l'époque gallo-romaine, l'irrégularité du forage, due à la plus ou moins grande dureté des stratifications rencontrées, révèle le travail d'ouvriers gaulois, dont la technique était malhabile. Au fait, ce sont des objets de l'époque cel- tique qui ont été retirés des couches les plus profondes.

Ces puits sont particulièrement nombreux dès que nous avons pénétré sur le chantier. Pendant la seule campagne de 1909, ces quelques ares de terrain en ont livré quatorze, disséminés parmi les substructions de maisons modestes. On y a retrouvé des haches et des polissoirs, des poids en pierre, de débris architectoniques, des fragments de statuettes, des récipients en bronze et des creusets en terre réfractaire destinés à la fonte du métal. Un seul puits a fourni onze creusets intacts et des débris d'autres. L'analyse des fragments de bronze adhérant aux parois a révélé peu d'étain dans l'alliage. L'exa- men de tout ce matériel permet de croire que les puits ont été comblés vers le II* et le IIP siècles de notre ère.

Ce quartier possède aussi des foyers gaulois. L'argile dans laquelle ils étaient creusés en a conservé la trace.

A présent, laissant à notre droite les restes de la basilique de Sainte-Reine, dirigeons-nous au Nord, vers le théâtre. Ce monument, dont l'axe dépasse 80 m., offre des proportions trop considérables pour n'avoir servi qu'à la distraction des seuls habitants du uicus. Il

accueillait donc, outre ceux-ci, tous les gens du pays qui, aux jours de fête ou de marché, montaient à l'oppidum. La cauea, orientée vers l'Ouest, profite d'une légère inclinaison du terrain. Ses gradins étaient faits de bois ou de levées de terre recouvertes de gazon et bordées de pierres. Ils devaient s'élever à 6 ou 7 m. Cette masse était extérieure- ment soutenue à' l'aide d'un mur en demi-cercle contrebuté par 18 contreforts (fig. 5). On ne peut qu'en apprécier le petit appareil régu- lier. L'orchestra (fig. 6), aujourd'hui encore, inscrit son hémicycle de façon parfaite devant les restes du logeion et du puissant mur de scène.

Les monnaies découvertes dans les fondations datent le monument de l'époque d'Auguste.

Au Sud du théâtre, une rue a été mise à jour, qui se retrouve à l'Est près du marché où elle conduit tout droit, en traversant le centre d'Alesia d'un bout à l'autre. Mais prenons par le Nord où une autre rue importante mène au temple dit de la Triade Capitoline que nous trouvons à notre droite.

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Un vaste portique, dont on a pu suivre les substructions, délimite de tous côtés, sauf à l'Ouest, une aire à peu près carrée au centre de laquelle s'aperçoivent les restes de ce Temple de la Triade (fig. 9).

C'était un sanctuaire nettement gréco-romain. Devant l'entrée située à l'Est, se voit une maçonnerie représentant les restes de l'autel, qui se dressait au pied de l'escalier conduisant à la cella carrée. De celle-ci subsistent les murs inférieurs dont les angles sont bâtis de gros blocs soigneusement taillés. On y aperçoit encore les trous de scellement des goujons de bronze qui reliaient les pierres d'angle à l'appareil des murs.

Il est vraisemblable que ce monument a été le Capitole d'Alesia étant donné que son plan présente des analogies avec la Maison Carrée, elle aussi entourée d'un péribole et qui fut le Capitole de Nîmes. Cette hypothèse se trouverait corroborée par la découverte à proximité de là d'un intéressant relief de pierre blanche qui semble dater du premier siècle. Il représente la Triade céleste : à la gauche de Jupiter trônant et tenant le sceptre, Junon est représentée voilée et diadémée tandis qu'à la droite du dieu. Minerve casquée appuie la main sur le bouclier. Des environs du temple provient aussi un fragment de statue représentant le thème assez peu fréquent de Mercure à cheval sur un bélier. C'est probablement le seul exemplaire de ce type découvert en Gaule.

Après le temple romain, toujours à notre droite, nous avons la bsisUique civile (fig. 10), à la fois siège de la justice et lieu propice aux affaires, aux réunions et aux flâneries. Elle a l'aspect d'une grande salle rectangulaire que flanquent trois absides. La façade orientale s'ouvrait par sept baies sur une grande cour — sans doute autrefois entourée d'un portique —, qu'un mur séparait du Forum à l'Est. Le grand axe du monument, orienté Nord-Sud, mesure 33 m. sans les absides, 43 en comprenant celles-ci; la largeur de l'édifice est de 13 m.

La basilique a fixé ses solides assises sur le niveau gaulois, dont le pavement de béton mêlé de pierres s'étend sous la cour, SOUF la grande nef ainsi que sous l'abside et le long de la façade occidentale : c'était peut-être une grande place. Dans l'angle Nord-Est de la cour on a retrouvé une excavation de hutte et sous l'abside méridionale les traces d'une autre habitation gauloise.

Dans son état primitif le bâtiment s'ouvrait au Nord; il ne com- portait alors que la nef centrale et l'abside méridionale. Sous Hadrien, il fut agrandi par l'addition sur le petit côté septentrional d'une deu- xième abside pour laquelle on dut empiéter à cet endroit sur la rue et faire dévier celle-ci. En même temps, le long côté Est fut transformé en façade. Ainsi, le forum, la basilique et le temple gréco-romain cons- tituaient un ensemble pareil à celui que formaient à Rome les monu- ments semblables de Trajan et d'Hadrien. La nouvelle façade fut décorée de marbres blancs et gris dont on a retrouvé des débris ainsi que des restes de moulures ou de minimes fragments d'inscriptions.

Les sept baies devaient être en plein cintre comme le prouve un claveau central décoré d'une tête féminine couronnée de fleurs qui a été découverte à proximité. Enfin, plus tard encore, fut construite l'ab- side de l'Ouest, communiquant avec le péribole du temple de la Triade.

Elle présente d'ailleurs des remaniements de basse époque.

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De l'autre côté de la rue du Nord s'étendent aussi plusieurs bâtiments importants. Et tout d'abord un édifice à simple colonnade.

On en a exhumé les bases des colonnes qui s'alignaient le long de la façade. Le tracé de la plupart des pièces intérieures a également été suivi.

Dans le prolongement de cette construction, mais dessinant avec elle un angle faiblement accusé, s'étend un édifice à double colonnade, de plan plus ou moins carré. Il était de dimensions considérables. Les colonnes, au nombre total de vingt, se répartissaient en deux rangées parallèles. Des fragments de l'entablement ont été retrouvés. Derrière la colonnade court une longue galerie précédant les diverses pièces dont certaines étaient ornées de mosaïques. Du côté Est de l'im- meuble existait une entrée latérale à laquelle menait une ruelle. La présence d'hypocaustes sous ces deux bâtiments y a fait voir des thermes.

Séparée de l'édifice à double colonnade par un petit bâtiment de proportions modestes, la maison de la cave à la Mater ( fig. 11) a été ainsi appelée parce qu'on y a trouvé une statuette de pierre représentant une Déesse-Mère (fig. 7). Cet intéressant document gisait au pied d'une niche ménagée dans la paroi de la cave. Il montre la déesse vêtue d'une tunique, coiffée d'un diadème et tenant une patère dans la main droite tandis que de la gauche elle présente des fruits dans son giron. Ces substructions de bonne époque, avec quelques remanie- ments postérieurs, permettent d'apprécier, notamment pour le mur Sud, la qualité de la maçonnerie du premier siècle de notre ère. Les caves et l'hypocauste appartenaient à une habitation siirement impor- tante. On en a enfin retiré de nombreux ossements fragmentés d'ani- maux.

Examinons quelque peu la structure de l'importante artère qu'était cette me du Nord bordée de monuments publics. Le tronçon qui passe devant l'édifice à double colonnade a été bien étudié dans les dernières années et dégagé sur une bonne distance. La rue est large de 5 m.

et présente trois niveaux. La superstructure, telle qu'elle nous apparaît encore aujourd'hui, date de l'époque d'Hadrien. C'est alors, avons-nous dit, qu'à la hauteur de la basilique civile la rue fut déportée vers le Nord pour permettre des aménagements à cet édifice. De ce début du deu- xième siècle date le béton de chaux et de gravier blanc de la rue.

Sous ce béton s'est révélée une autre stratification très compacte remontant au premier siècle et sur laquelle précisément on a retrouvé un moyen-bronze d'Auguste. A ce niveau, la voie était limitée d'une bordure de pierres disposées en hérisson et sur le champ, perpendicu- lairement au sens de la rue. Enfin le niveau le plus bas, qui remonte à l'époque gauloise, est constitué par un lit de pierres et de cailloux bétonnés reposant sur le sol vierge. Il n'est pas encore possible de dire si ce pavement gaulois était déjà celui de la rue ou bien s'il représente une partie de l'esplanade en béton semblable, dont des traces ont été relevées sous la basihque.

A peu près à hauteur de la maison de la cave à la Mater, dont elle longe le côté Est, une petite rue traversière vient du Sud, coupe la rue du Nord et descend vers la lisière septentrionale de l'oppidum.

Ce chemin étroit, d'environ 1 m. 70. est fait d'un béton de cailloux que

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ixjrdent des pierres plates disposées dans le sens de la voie et placées sur champ. Il paraît bien remonter à l'époque gauloise.

Approximativement à l'endroit oti ce chemin s'engage entre la maison de la cave à la Mater et l'autre bâtiment qui le borde, une marche palliait la pente un peu trop raide. Ajoutons que dans ces environs a été rencontré un dispositif comportant deux blocs de pierre, placés à 1 m. de distance, au pied desquels on a décelé une fosse.

Celle-ci atteint 1 m. 50 de profondeur. On y voit aboutir une canali- sation munie de deux petites murettes et qui est perpendiculaire à la grand'rue.

Le monument à crypte, qui vient après la rue traversière, constitue l'un des plus curieux édifices d'Alesia. Il comprend deux parties essen- tielles, l'une caractérisée par la crypte, l'autre par une cour entourée d'un portique.

La crypte (fig. 13) descend à 3 m. Elle a été creusée dans la roche dès la période gauloise, puis maçonnée à l'époque romaine en excellent appareil régulier. On y accède par un escalier à angle droit débou- chant dans un couloir. Sur celui-ci s'ouvre une porte ayant 1 m. 60 de large et 2 m. 70 de haut. Son arc en plein cintre est dans un remar- quable état de conservation. Les parois de cette salle souterraine pré- sentaient à la partie supérieure des restes de fresques. Au centre, un bloc de chaux calcinée contenait un vase de bronze haut de 46 cm., moins remarquable par sa valeur esthétique que par l'inscription du col :

D E O V C V E T I ET BERGVSIAE REMVS PRIMI FILIVS D O N A V I T V.S.L.M.

De la pièce du rez-de-chaussée qui surmontait la crypte ne subsiste plus qu'une partie des parois. De l'autre côté du couloir et de l'es- calier menant à la crypte débouche, comme celle-ci, sur le portique méridional de l'atrium une pièce rectangulaire. Elle est en bon appa- reil elle aussi. On a retrouvé les montants de pierre encadrant la porte que flanquaient deux fenêtres à ébrasement.

La cour (fig. H ) s'étend postérieurement sur une longueur de 20 m. environ. Elle ne semble pas dater d'avant le III" siècle. Elle était entourée d'un portique à étage supporté par des piliers dont la plu- part des bases sont en place. Les chapiteaux aussi en ont été retrouvés, si bien que plusieurs de ces piliers ont pu être redressés. Bases et chapiteaux sont tout à la fois simples et curieux. Deux salles avaient leurs murs décorés de peintures. Outre quelques excavations d'époque gauloise, trois puits ont été mis à jour : à l'angle Nord-Ouest, près du portique Sud et au fond de la galerie de l'Est qui longe la rue traversière. Tout l'édifice porte des traces d'incendie.

Comme l'atteste l'inscription mentionnée plus haut, nous sommes ici dans le sanctuaire du couple divin Ucuetis et Bergusia. D'ailleurs une autre inscription sur pierre moulurée avec queue d'aronde, écrite en caractères latins mais rédigée en langue celtique, a été découverte entre notre monument et la partie du Forum envahie plus tard par le Cimetière Saint-Père. On y lit :

MARTIALIS D A N N O T A L I / l E V R V V C V E T E / SOSIN / C E L I C N O N ETIC / GOBEDBI D V G I I O N T I I O / V C V E T I N /

IN... ALISIIA

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c'est-à-dire sans doute : « Martialis, fils de Dannotal, j'ai dédié à Ucuetis ce monument ainsi que les 'forgerons qui honorent Ucuetis à Alisia ».

La crypte taillée primitivement dans la roche, le plan d'ensemble évoquant les sanctuaires celtiques de Berthouville dans l'Eure et du Mont de Cène près de Santenay en Côte-d'Or, les noms d'Ucuetis et de Bergusia qui ne sont pas plus romains que celui de Dannotal, le fait que l'inscription oîi figure ce dernier nom est écrite en celtique bien qu'elle soit d'époque romaine, tout contribue à prouver que ce lieu de culte remonte aux temps de l'indépendance gauloise. Ucuetis et sa parèdre Bergusia seraient les divinités protectrices des fondeurs alé- siens et de la mine : le vase de bronze, les autres objets exhumés, faits pour la plupart du même métal, représentent les offrandes de ces artisans. La fonction d'Ucuetis et de Bergusia se trouverait confirmée par la confrontation de leur nom respectif, d'une part avec celui d'Ugh- den, le forgeron des légendes celtiques d'Irlande, d'autre part, avec la racine berg (cf. briga) « colline, montagne ». Plus qu'aucun autre peut-être le monument à crypte illustre la survivance du passé celtique jusqu'en pleine époque gallo-romaine.

Le Forum était limité à l'Ouest, comme nous l'avons vu, par le mur extérieur de la cour attenante à la basilique civile, au Nord par la grand'rue que nous avons décrite. Il pouvait avoir 100 m. de long d'Est en Ouest et 30 à 40 m. de large. Situé au centre des monuments publics, il couvre avec ceux-ci une surface totale d'un hectare et demi.

Cet ensemble devait être remarquable.

L'exploration du Forum a commencé de façon exhaustive. Dès à présent on peut dire qu'il a subsisté jusqu'à l'abandon définitif du uicus.

Il présente deux pavages d'époques différentes que l'on a notamment reconnus dans la partie Nord-Ouest. Ces deux pavages sont faits de pierres liées par du mortier. Ils sont surélevés par rapport à la rue du Nord.

Vers le Sud-Est et le Sud du Forum s'étendent diverses sub- structions de maisons gallo-romaines et, sous certaines d'entre elles, des excavations de huttes et de foyers de l'époque celtique. Au voisi- nage d'un puits, on a relevé l'emplacement d'un four de potier gaulois.

Les alentours ainsi que l'aire de terre brûlée au-dessus de laquelle devait s'élever la chambre de cuisson ont livré d'abondants tessons de céramique fruste et même de la terre à modeler. A l'époque romaine, l'emplacement fut dallé.

Ce quartier qui s'allonge devant nous depuis le côté méridional du Forum jusqu'au Sud du théâtre, et que traversait la grand'rue que nous avons dite, avait des édifices en général moins importants que les monuments publics bordant la rue du Nord. Mais il devait être très animé : c'était le quartier commercial et industriel continuant le quartier des puits. On y a retrouvé quantité de vases, de plats et de chaudrons en bronze. Près du cimetière Saint-Père ont été repérées les traces d'une fabrique d'objets en os : on a même exhumé, outre des objets terminés, des objets à demi-finis et des déchets nombreux de taille. Au marché et au magasin devaient conduire, à partir de la basilique civile et du forum, des rues secondaires. Le long de la rue du Sud, on a dégagé six bases alignées, restes d'un bâtiment public. De

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cet édifice et de ses abords immédiats, on a retiré plusieurs tables en pierre. Les innombrables fragments de jarres et d'amphores de grandes dimensions qui proviennent des substructions ininterrompues des bouti- ques qui bordent l'artère ne laissent aucun doute sur le caractère de l'endroit.

Au Sud du temple et de la basilique civile, dans une partie de la parcelle oii s'étendront plus tard l'église de Sainte-Reine et le cimetière chrétien, à l'Est de ceux-ci, deux caves ont été dégagées; l'une a ses murs de moëllons teintés de rouge par l'effet d'un incendie. Dans les déblais de ces terrains, on a récemment récupéré divers objets. D'abord un fragment de plaquette votive en terre blanche, d'un type assez fréquent à Alise. On y voit la partie inférieure d'une niche à colonnes, renflées et lisses, et à piliers cannelés. Une Vénus nue y est debout.

Le long de sa jambe tombe une draperie. Comme d'autres fragments du même genre ont déjà été retrouvés, on peut croire qu'ils provien- nent d'un magasin de céramiques votives. Ces déblais nous ont encore donné une petite chouette de bronze, posée sur un socle rond. Les plumes de l'oiseau et jusqu'aux |X)ils des pattes sont finement gravés.

Les yeux devaient être garnis d'émail ou de verre. Mentionnons aussi deux jolies fibules de bronze, l'une à ressort et à bouton, l'autre à charnière. Celle-ci est constituée par une plaque carrée que décore un cercle central et à chaque angle de laquelle est adapté un petit disque.

Rappelons que c'est dans ce quartier qu'on a retrouvé, au milieu des substructions d'une maison, un peson de balance romaine repré- sentant un Silène à barbe bouclée et dont la tête est garnie de fruits et de pampres. La même maison et son puits ont fourni de nombreux c.utils de fer et des tessons de céramique sigillée. D'autres puits ont également rendu un abondant matériel, notamment un cabestan et un seau de bois avec sa chaîne. Celui-ci devait basculer dans le puits à l'aide d'un de ces morceaux de plomb dont on a retrouvé divers exem- plaires tandis qu'une pierre munie d'un trou comme on en a également découvert, servait de contrepoids à l'extrémité de la poutre à laquelle s'attachait le câble. Ce seau était fait de 11 douves enserrées de trois cercles; le fond était armé d'une ferrure. Citons aussi — véritable unicum — une flûte de Pan, en bois également, à huit chalumeaux.

Elle est ornée de lignes et de demi-cercles, et pourvue d'un trou de suspension. A peu de distance encore, plus près de l'entrée du chantier, il faut signaler parmi les substructions romaines qui ont été explorées une pièce carrée, diverses canalisations de pierre et un bâtiment avec façade à quatre colonnes dont les bases quadrangulaires ont été retrou- vées en place.

Dans ce quartier qui s'étend au Sud du théâtre et du temple gréco- romain s'éleva à l'époque chrétienne la basilique de Sainte-Reine. Mais laissons pour l'instant les substructions de ce monument et quittons momentanément le chantier du Cimetière Saint-Père pour gagner, de l'autre côté de la Grande Voie du Mont Auxois, le lieudit En-Surelot.

Les fouilles d'En-Surelot (fig. 15) nous montrent une fois de plus comment l'Alesia romaine s'est superposée à l'Alesia gauloise : ici également les fouilles ont révélé, aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est, des

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habitations romaines élevées sur des caves de l'époque celtique, elles même creusées dans la roche vive.

Vers l'Est, une grande demeuire de six ares de surface avait une pièce centrale recouvrant une excavation de la période gauloise. Les murs de cette salle étaient ornés de fresques. Les fragments qui en ont été ramassés portent une décoration de feuilles et de fruits. On a aussi retrouvé des débris de stuc avec reliefs d'oves et de dentricules.

Cette maison était pourvue de caves importantes et d'un hypocauste qui nous est parvenu dans un excellent état de conservation de même que l'escalier et les soupiraux de la cave du Sud-Est. L'hypocauste ne chauffait pas seulement la pièce par dessous, il alimentait aussi en air chaud des canalisations en terre cuite qui montaient notamment dans les murs Nord et Sud. Vers l'Est, la chambre centrale donnait par une porte, dont le seuil a été retrouvé en place, sur une cour ou une galerie.

Enfin au Sud, la maison avait un puits mesurant presque 1 m. de large, qui descendait à 27 m. dans le roc. Il a livré des 'figurines en terre cuite, des fragments d'une statuette en pierre, des tessons de céra- mique, un petit récipient et un joli collier de verre, des objets et une bague de bronze, un anneau d'enfant en or très pur, orné d'une pierre gravée.

À une cinquantaine de mètres au Sud-Ouest de cette maison, en bordure et sur le côté Nord d'une rue romaine dont on a suivi le parcours sur quelque 30 m., apparaissent les ruines énigmatiques quali- fiées de « sanctuaire dolménique » (fig. 15 et 16). Cet ensemble curieux comporte une grande salle de 17 m. de long sur 5 de large donnant par une porte en plein cintre sur une sorte de cella. Ici, un dallage irrégulier précède une petite pièce carrée où l'on voit une fosse rectangulaire. Les parois en sont revêtues de pierres plates dressées sur le champ à la façon des tombes à caisse. Elle est recouverte par une contruction d'apparence dolménique faite d'une grande pierre fruste de 2 m. de diamètre soutenue par trois dalles également brutes. Ces éléments sont pré-romains tandis que le reste des substructions est en appareil romain. La fosse et le « dolmen » présentent des traces de feu et on y a recueilli une certaine quantité de cendres.

La cella et ses abords ont livré d'importants documents : quel- que vingt monnaies, dont une quinzaine vont d'Auguste à Sévère Alexandre, et surtout de beaux bronzes. Une tête fort bien conservée de Junon diadémée, en demi-grandeur, est une image idéalisée remon- tant à un modèle grec du IV* siècle de l'école de Scopas ou de Praxi- tèle. Un petit buste de jeune femme gallo-romaine (fig. 8), haut de 23 cm., est dans un état parfait. Cette jolie tête naît d'un calice de fleur; les yeux rapportés, qui ont disparu, devaient encore ajouter au réalisme d'un portrait qui est d'un détail charmant; le front est peu élevé mais large; le nez ferme, un peu court et arrondi; si les pommettes sont un peu saillantes, les lèvres charnues et sérieuses ont bien de la grâce; le menton n'est pas sans noblesse et le cou est plein sans être gras. Ce bronze semblerait dater de Claude ou de Néron à en juger par la coiffure qui présente sur le devant de larges rouleaux d'ondula- tions latérales et se termine en catogan sur la nuque. Citons enfin une jambe bien modelée en demi-grandeur et des débris de draperie pou- vant avoir appartenu à une statue de taille naturelle.

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Dans le voisinage de cet édifice, un monument analogue offre pareillement une 'fosse rectangulaire et un « dolmen », dont la dalle supérieure, semi-circulaire est soutenue encore par trois pierres frustes levées sur le champ. Ici également, il y avait des cendres.

On a émis l'hypothèse qu'il s'agirait en l'occurence d'anciennes tombes et de monuments mégalithiques devenus et restés lieux de culte, attestant jusquà l'époque romaine et à travers la période celtique la continuité de rites remontant aux âges néolithiques. Mais cette opi- nion n'est pas unanimement admise et certains ont voulu reconnaître ici de simples fours de boulangers.

Immédiatement au Sud-Est du « sanctuaire dolménique », trois caves gallo-romaines.

Dans les terrains contigus à ceux que nous venons de visiter, au lieudit En Belles Oreilles, on a procédé à quelques recherches qui ont notamment ramené au jour un intéressant bas-relief représentant trois Déesses-Mères avec des enfants nus.

De l'autre côté de la Grande Voie du Mont Auxois, à La Fan- drole, on a trouvé un « columbarium » (?) pourvu de huit niches avec cintre et, dans les substructions de maisons, deux figurines de Minerve.

Gagnons l'extrémité orientale du plateau, appelée la Croix Saint Charles. A proximité de l'entrée de l'oppidum jaillit la seule source naissant sur le sommet même, la Fontaine de la Porte. En contrebas et en corrélation avec ce point d'eau, s'étendent l'important sanctuaire de Moritasgus et les temples annexes (fig. 17) que de nombreuses cana- lisations reliaient à la source. Le temple principal était celui de Mori- tasgus, dont le nom nous est connu par deux inscriptions. Ce dieu nous apparaît identifié à Apollon. La partie centrale du sanctuaire a la forme d'un carré de 17 m. de côté. Elle est entourée d'un quadruple portique, d'un peu plus de 25 m. chacun, sous lequel s'aperçoit, du côté Sud, une piscine. Trois marches donnaient accès à celle-ci, dont le sol était recouvert d'une mosaïque blanche. Au portique Sud, d'autre part, se rattache, à chaque extrémité, une abside semi-circulaire. Toujours du même côté, une plateforme rectangulaire conduit à diverses pièces an- nexes, chapelles ou oratoires, et à un bain bâti sur chambre de chauffe.

Au Sud-Ouest de cet ensemble, un petit sanctuaire hexagonal avait aussi un bassin. Près de l'angle Nord-Ouest du grand temple de Mori- tasgus, une petite cella carrée, également munie d'une piscine, serait peut-être la chapelle d'une déesse, de Sirona, dont il n'est pas invrai- semblable que ce culte ait été associé à celui de Moritasgus. Plus au Nord se voit un temple rectangulaire d'environ 12 m. sur 6 et, plus loin, de nouveau un bassin. Enfin, au Nord-Ouest du temple de Mo- ritasgus s'élevait un sanctuaire paraissant plus ancien. Sa cella et son portique ont la forme d'un octagone. La plus grande largeur mesure une vingtaine de mètres. L'un des côtés du portique est flanqué d'une annexe, qui semble bien avoir été une dernière piscine.

Ces sanctuaires sont donc nés de la croyance aux vertus bienfai<- santes et curatives des eaux et de leurs dieux. Ils ont fourni, particu- lièrement à l'emplacement du temple de Moritasgus, de nombreux

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ex-voto. Des haches de pierre y représentent un rite connu. Il n'est pas surprenant non plus qu'on ait retrouvé un buste d'Hygie sur ce site qui nous a également rendu une tête de Mercure ainsi que l'image d'un poupon tout enveloppé de ses langes. Mais les offrandes le plus souvent vouées par les malades qui venaient demander la guérison aux bains protégés par les dieux des eaux salutaires sont des représenta- tions en pierre ou en métal de parties du corps humain : têtes, seins, mains, cuisses, pieds. Fréquentes sont surtout les lamelles de bronzes où des yeux sont dessinés en pointillé. Les eaux du sanctuaire passaient donc pour particulièrement efficaces contre les affections ophtalmolo- giques. Mentionnons encore la découverte de clés votives, de moules à rouelles •— l'un en terre cuite, l'autre en pierre — et de plus de quatre cents monnaies dont une quarantaine sont gauloises et les autres romaines; ces dernières vont d'Auguste à Valens.

Bien que ces monuments présentent parfois des éléments d'épo- ques diverses, toutes les constructions datent de la période romaine.

Pourtant, c'était déjà un lieu de culte sous les Celtes et ici, comme souvent à Alise, la religion de l'époque romaine n'a fait que continuer la tradition gauloise. Çà et là, en effet, sous les substructions romaines, on a retrouvé des traces de l'époque celtique, certaines canalisations notamment. Le nom même de Moritasgus n'est pas celui d'un dieu romain. Et c'était encore au fond un Gaulois que ce Catianus, fils d'Oxtaius, qui dédiait à Apollon l'ex-voto de pierre en forme de cuisse, même si l'inscription est gravée en latin. Ce culte des eaux pratiqué aux temps de l'indépendance et continué durant l'âge romain, nous le retrouverons tantôt, transporté sur le flanc Ouest de l'oppidum et localisé autour de la fontaine de Sainte-Reine qui fut ainsi l'héritière de Moritasgus.

Mais, à la Croix Saint Charles, d'autres souvenirs celtiques, qui ont laissé ceux-là des traces plus matérielles, s'ajoutent à ceux que laissent deviner le sanctuaire de Moritasgus et les édifices sacrés qui l'entourent. Il s'agit d'abord d'un tronçon de murailla gauloise que l'on a découvert à l'extrémité orientale du plateau. Ces restes illustrent d'excellente façon la description que donne César de la technique à laquelle recouraient les Gaulois pour ce genre de constructions : l'ap- pareil était constitué par des lits alternés de pierres et de poutres, tantôt longitudinales, tantôt transversales, de telle sorte que le rempart pût résister à la fois au feu et au bélier. De fait, ce tronçon de rempart a révélé entre les assises de pierre, les vides qu'occupaient jadis les ma- driers; ceux-ci avaient été fixés les uns aux autres à l'aide de grands clous dont certains ont été retrouvés : ils ont jusqu'à 30 cm. de long.

Probablement cette région du Mont Auxois possède-t-elle encore les substructions du mur qui fut élevé hâtivement lors du siège : un bout de retranchement grossièrement fait de pierres sèches représenterait, en effet, la maceria dont, nous dit César, les hommes de Vercingétorix s'entourèrent en même temps que d'un fossé lorsqu'au début du siège ils campèrent sur le flanc oriental de la colline.

Retournons maintenant au champ de fouilles du Cimetière Saint- Père pour y visiter la basilique chrétienne primitive. Mais il convient de nous remémorer auparavant la légende de Sainte-Reine à laquelle

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F i g . 2. LES D E U X F O S S É S D E LA C O N T R E V A L L A T I O N

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Fig. 6. T H É Â T R E . « L ' O R C H E S T R A »

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F i g . 7. S T A T U E T T E D E M A T E R Fig. 8. TÊTE DE J E U N E F E M M E . ( B R O N Z E )

F i g . 9. TEMPLE DE L A T R I A D E C A P I T O L I N E

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F i g . 10. B A S I L I Q U E CIVILE

F i g . 11. L A C A V E A L A M A T E R

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Fig. 12.

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Fig. 16. LE « S A N C T U A I R E D O L M E N I Q U E M

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Fig. 17. SANCTUAIRE DE MORITASGUS ET TEMPLES ANNEXES

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F i g . 19. C A V E M U N I E D E N I C H E S P O U R LES A M P H O R E S

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Fig. 21. P O T E R I E SIGILLÉE

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cette église était consacrée et de retracer ce que nous savons de l'his- toire du sanctuaire.

Selon la légende, Reine était la fille de Clemens, qui commandait le pays d'Alise, et l'arrière-petite-fille de ce parent de Vercingétorix, Vercassivellaunos, qui tomba aux mains de César lors de l'engagement du Mont Réa. Née à Grignon en 236, elle avait été élevée à Alise par une nourrice chrétienne qui lui avait donné sa foi. Un jour, elle faisait paître ses troupeaux sur les croupes qui s'étendent au Sud-Ouest du plateau, près des Trois-Ormeaux, là où se dresse aujourd'hui sa statue.

Vint à passer le gouverneur du pays qui portait le nom significatif d'Olibrius. Séduit par la beauté de la jeune bergère et désireux de satisfaire sa passion, il voulut la faire abjurer. Mais ni les promesses ni les menaces n'eurent raison de la foi de Reine. Olibrius, furieux, la condamna à mort. A cet instant, la terre trembla et dans le ciel apparut une colombe qui disait : « Viens, ô Reine, reposer en Jésus-Christ;

tu es heureuse, toi qui as mérité une couronne ». De nombreux

incroyants se convertirent. Sur quoi. Olibrius fit décapiter la jeune fille.

La tête de la martyre roula auprès de la source à côté de laquelle avait lieu l'exécution et qui se trouve sur la pente orientale du plateau. Il paraît que le corps fut enseveli sur place avec les entraves qui l'avaient enchaîné. Plus tard, de nombreux miracles révélèrent, dit-on, l'empla- cement de la dépouille. Celle-ci, vers 400, d'après les Lectiones pour la fête de la Révélation de Sainte-Reine, aurait été transportée à l'in- térieur des murs de l'oppidum et placée dans un tombeau de pierre.

Quoi qu'il en soit de ce récit, à propos duquel la critique histo- rique n'a guère à s'exercer tant il apparaît pure légende, le culte de Sainte-Reine est attesté au début du VU" siècle. Ceci permet peut-être de croire qu'il remonte au VI* ou même à la fin du V*^. Ainsi, à une époque postérieure à la période romaine et aux invasions, vers le Vl" siècle, la bourgade appauvrie vit s'élever la basilique dont la tra- dition allait garder le souvenir. Les reliques qui passaient pour celles de Sainte-Reine attirèrent les pèlerins. Les fidèles se mirent à se faire enterrer auprès de l'église, ad sanctos. Un monastère bénédictin s'ad- joignit au sanctuaire et nous savons que vers 720 il bénéficia de donations.

Peu à peu cependant le village du plateau continuait à se dépeu- pler. Ses habitants préféraient en effet occuper les versants Sud et Sud-Ouest, mieux abrités contre les vents du Nord, autour de l'église de Saint-Léger. Comme celui-ci mourut en 678, c'est vers la fin du V I P siècle ou durant le VIII* que son culte apparut à Alise. Jusqu'au milieu du IX*, le plateau fut encore faiblement occupé, mais en 864 les reliques de Sainte-Reine furent enlevées pour être transportées à Flavigny parce que le site d'Alesia était à peu près délaissé. Les Lec- tiones de la Translation de Sainte-Reine disent que le pesant cou- vercle du sarcophage (saxeum tegmen mirae magnitudinis, ingens saxum quo operiebatiir) fut soulevé et la dépouille miraculeuse placée pour le transfert dans un cercueil de bois (in feretro). Ceci implique que le tombeau de pierre fut laissé en place. Sur le plateau déserté, des croyants continuèrent à se faire enterrer dans ce cimetière

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Saint-Père [Saint-Pierre (1)] où demeurait en place le sarcophage qu'avaient soi-disant sanctifié les ossements de la martyre : au XVI"

siècle encore, des habitants de Flavigny voulaient que leurs restes fussent déposés là.

Le culte de Sainte-Reine resta toujours populaire en Bourgogne : nous le retrouverons à la source où l'on raconte qu'elle fut décapitée et où la ferveur populaire le transporta après l'abandon de l'église primitive.

Ce bref excursus dans le domaine de l'hagiographie nous permet de visiter avec plus de fruit les substructions de la basilique de Sainte- Reine (fig. 5 et 18), qui s'étend à une cinquantaine de mètres au Sud- Est du théâtre et au Sud du temple gréco-romain. Dès l'abord, toute les constructions que comportent l'église et ses annexes se révèlent de basse époque : elles sont faites de murs de moellons assez peu habile- ment reliés les uns aux autres.

Au Nord, nous trouvons une salle rectangulaire mesurant 19 m.

d'Ouest en Est et une dizaine du Nord au Sud. C'est la primitive et simple basilique dont les quatre angles sont marqués par de grosses pierres de taille. Les murs longs sont épais de 80 à 90 cm., les murs courts de 60 à 70; celui du Nord a presque complètement disparu.

Cette salle a empiété sur la rue romaine qui va du théâtre au marché;

ceci est particulièrement visible à l'angle Nord-Ouest du bâtiment.

Exactement au centre, on remarque un sarcophage les pieds orientés vers l'Est, et qui a conservé son couvercle. Celui-ci, un peu plus grand que la caisse, mesure 1 m. 90 de long; à la tête, il a 68 cm. de large, mais il n'a plus que 33 cm. aux pieds. Caisse et couvercle ont ici 69 cm. de haut et là 98. Le tombeau s'abaisse et s'effile donc à la fois. La décoration est réduite à de simples stries. Peut-être sur la face antérieure aperçoit-on une croix. A la hauteur de la poitrine, le cou- vercle présente un trou plus ou moins circulaire d'environ 37 cm. de diamètre, la [enestella. qui permettait d'atteindre les reliques. Sur le sarcophage étaient déposées trois clés de fer. Notons également qu'on a retrouvé une petite chaîne votive de 25 cm. Dans les environs immé- diats encore, on a découvert trois boucles dont l'une avec décor à fili- granes, une autre clé et un fragment de croix en pierre. L'intérieur du sarcophage présentait en son milieu une dalle de 44 cm de long. Il n'a livré qu'une sorte de crochet et un clou de fer, des fragments de verre, un reste de meule en granit, un morceau de moulure, quelques osse- ments qui n'étaient d'ailleurs pas en place et des ossatures d'oiseaux.

Pratiquement le sarcophage était bien vide de sa dépouille.

Le sol était recouvert d'une mosaïque faite de petits dés rouges en terre cuite. Outre ce qu'on a recueilli dans les déblais, des éléments en ont été décelés entre les sarcophage et le mur Est, là où les restes d'un soubassement arrondi supportaient quelques dalles. C'était ici l'emplacement de l'autel. Entre le sarcophage encore et le mur méri- dional s'élevait un autre soubassement analogue au précédent. Tout près ont été exhumés trois sarcophages et une sépulture à murettes, cette dernière sur le sol vierge.

A l'extérieur de cet édifice que devait couvrir un toit à charpente, d'autres sarcophages sont apparus, pareillement orientés vers l'Est.

( I ) Le monaatire de Flavigny, dont à un moment donai dépendit Alise, itall placé SOUt It vocable de Saint'Pierce.

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Près du mur Nord, la rue romaine a été entamée pour en recevoir un.

Mais on est surtout frappé par les onze tombeaux qui se pressent contre le mur occidental qu'ils touchent de leur extrémité inférieure : témoignage du désir qu'avaient les fidèles de reposer le plus près possible de l'endroit sacré. Tous les sarcophages étaient placés plus bas que le niveau de la mosaïque : seul celui de Sainte-Reine dépassait un peu.

Vers le Sud, une salle presque carrée de 17 m. sur 18 fait suite à l'église et semble moins ancienne qu'elle. On y verrait volontiers le cloître du monastère bénédictin qui fut adjoint à la basilique. A l'in- térieur et le long des murs extérieurs Est, Sud et Ouest de cette pièce, de nouveau des sépultures.

A l'Ouest de la salle carrée se voient deux chambres rectangulaires de moindres dimensions. Elles recouvrent des substructions antérieures, dont fait partie une cave gallo-romaine avec escalier et soupirail. Vers le Sud, les murs de la salle carrée se prolongent pour délimiter une autre pièce, à l'angle Sud-Est de laquelle se trouve une nouvelle cave gallo-romaine. Plus au Midi encore, des fondations et des murs, tou- jours de la même période, se retrouvent avec des tombeaux, au-dessus des restes de bâtiments romains. Il en est de même à l'Est de l'église et de la salle carrée, dont la paroi, de ce côté, est flanquée d'un mur paral- lèle distant de 5 m., que des murs de refend divisent en trois pièces de dimensions différentes.

Ces nombreux sarcophages du cimetière Saint-Pèie, dont la plu- part ont été laissés en place tandis que d'autres étaient transportés au Musée Alesia, sont d'aspect lourd. Ils ne sont guère ornés que de bandes ou de stries. Quelques-uns sont décorés d'une croix. Ils datent de l'époque mérovingienne ou carolingienne. L'intérieur en était boule- versé. On n'y a trouvé ni armes ni bijoux. Certains contenaient plu- sieurs squelettes. L'examen anthropologique de ces dépouilles a déter- miné qu'un seul individu était de race italique tandis que les autres étaient en nombre à peu près égal, de souche gauloise ou d'origine ger- manique, surtout burgonde.

La basilique à nef unique de Sainte-Reine devait être d'une naïve modestie, d'une simplicité dépouillée et nue : on n'a découvert pour ainsi dire, que deux petits fragments d'inscriptions, quelques plâtres peints et l'un ou l'autre morceau de pierre moulurée. Mais la grande vénération dont elle était l'objet nous est montrée, nous venons de le voir, par le nombre de sépultures qui s'y sont accumulées. Elle illustre ainsi de façon remarquable les origines du christianisme dans l'Auxois.

En redescendant vers le village actuel, nous retrouvons, un peu avant le Musée Alesia, le souvenir de Sainte-Reine auprès de la fon- taine où la légende place son exécution. Des trois sources qui naissent là, à 1 km. environ du bord du plateau, la source de Sainte-Reine près de laquelle nous sommes déjà passés en montant à l'oppidum, est cou- verte d'un édicule que nous voyons à notre gauche, à l'entrée d'une cour. La croyance à la vertu miraculeuse de cette eau a subsisté longtemps et subsiste peut-être encore. Au XVI" et au XVII* siècles les pèlerins affluaient ici et un hôpital, toujours debout en contrebas, à droite, fut alors construit. A cette époque encore, la crédulité popu-

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laire fit qu'on établit un service régulier pour amener vers Paris l'eau bienfaisante. Chaque année aussi, depuis des temps immémoriaux, le culte de Sain e-Reine donne lieu à une procession qui se déroule le 7 septembre ou le dimanche suivant. Enfin, la tradition est toujours vivace de la représentation du martyre de la sainte puisqu'en 1947 il a encore été joué. Mais outre que cette fontaine nous atteste la popularité du culte rendu à la jeune bergère alésienne et la survivance des vieilles croyances à la vertu des eaux saintes dont nous avons saisi un aspect au sanctuaire de Moritasgus, la source de Sainte-Reine est un nouveau témoignage que dans Alesia plus qu'ailleurs les mêmes endroits ont été successivement gaulois, romains, et chrétiens : à tra- vers les trois époques, ils ont conservé des traits et des caractéristiques absolument pareils. En effet, les recherches pratiquées près de la source ont mis à jour, à peu de profondeur d'abord, une canalisation de pierre et ensuite, à un niveau plus bas, un bassin de bois pourvu d'une con- duite. La fouille a aussi exhumé des monnaies romaines, des tessons de céramique et une image féminine drapée. Ainsi, avant que la source ne fût consacrée à Sainte Reine, elle avait été vénérée déjà par les Gallo-Romains et préalablement par la population celtique.

Alesia nous a donc rendu l'image fidèle de ce qu'elle fut pendant près d'un millénaire.

Si, pour l'époque celtique, on y a retrouvé une ciste à cordons serrés et à décor de pointillés datant de la fin de Hallstatt ou du début de La Tène I ainsi qu'une épée de la La Tène II, le matériel gaulois qu'elle a livré appartient pour l'essentiel à La Tène III comme nous l'avons vu.

A côté d'occupations agricoles, le Mont Auxois et ses modestes huttes connaissaient déjà alors une active industrie des métaux. Les

fondeurs dont nous avons visité le sanctuaire et le quartier y travail- laient le bronze comme l'attestent les creusets retirés des puits et les nombreux récipients. D'après Pline l'Ancien d'ailleurs, c'étaient les Gaulois qui avaient inventé d'étamer et d'argenter le bronze ; cette industrie, ajoute-t-il, fut florissante à Alesia, puis chez les Bituriges.

Parmi les objets de fer de l'époque celtique que les fouilles ont ramenés au jour, retenons de nombreuses armes : casques de type italique, dont les couvre-joues ont disparu et dont la partie inférieure est ornée de bossettes à émaux striés rappelant ceux de Bibracte, javelot à douille et à petites ailettes, lances échancrées ou flamboyantes et surtout des épées qui révèlent une habileté très grande. « Les tranchants, écrit à leur propos Joseph Déchelette, ne sont pas du même fer que le corps de la lame. L'ouvrier, après avoir forgé cette partie avec du fer très nerveux, étiré dans le sens de la longueur, soudait, de chaque côté de petites cornières de fer doux, pour former les tanchants; ce fer était ensuite écroui au marteau. Le soldat pouvait de la sorte, après le combat, réparer par le martelage les brèches de la lame, de la même manière que les faucheurs rabattent leur faux lorsqu'elle est ébréchée ».

Les objets de métal de cette époque présentant quelque valeur esthétique sont rares. Peut-on parler d'art à propos d'une figurine de bronze en forme d'animal qui a servi de pendentif ou à propos d'un torques à tampons et à tige carrée ? Les fibules sont de types divers,

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à charnière et à disque médian. Un beau canthare d'argent, noué d'un ruban en relief et décoré de feuillages et de baies, a été retrouvé dans les retranchements. Le pied en est orné de rais de cœur et il présente les anses caractéristiques à oreillettes horizontales. Mais il dérive de prototypes hellénistiques et n'est pas une production locale. Les mon- naies, nous l'avons dit, ont été retrouvées en nombre important. La céramique enfin, dont une bonne part fut fabriquée sur place comme le montrent les fouilles, présente souvent les décors spécifiquement celtiques.

Ces diverses activités industrielles de l'Alesia gauloise, nous les retrouvons prospères après la conquête de même que survécurent ses dieux : Moritasgus, Ucuetis et Bergusia, Alisanus aussi, qui nous est connu par deux inscriptions trouvées en d'autres endroits.

D'ailleurs à l'époque romaine, la population d'Alesia resta fon- cièrement celtique. Ses magistrats locaux, qui étaient désignés par l'administration romaine d'Autun, furent des indigènes. Elle ne retint guère d'étrangers. Les inscriptions que nous avons citées et quelques autres le prouvent comme elles attestent que la langue celtique resta longtemps en honneur. Aucun de ces Alésiens, à notre connaissance, ne fit carrière vraiment brillante. Néanmoins l'un d'eux semble avoir exercé les fonctions de grand-prêtre au Conseil des Gaules à Lyon.

Ces Gallo-Romains adorèrent les divinités nouvelles de Rome.

Une image de Tutèle indique le culte de la petite cité. Celles de Mer- cure et d'Hygie, des Dioscures et de Vénus, de la Triade Capitoline attestent des dieux romains et le culte officiel. Mais sur le Mont Auxois, où se rassemblaient les jours de fête religieuse les gens des pays environnants, on continua cependant à croire aux protecteurs d'autrefois et à fréquenter leurs sanctuaires. Moritasgus, Ucuetis et Bergusia virent leur temple se développer et s'embellir. Outre les ex-voto, nous avons aussi des dizaines d'images de divinités locales qui nous prouvent de quelle ferveur elles étaient l'objet à l'époque romaine. Elles sont parfois revêtues d'attributs classiques, mais elles demeurent foncièrement indigènes, qu'il s'agisse du dieu au maillet, du dieu aux colombes — celtique malgré son costume romain, son càlathos et la présence de Cerbère —, du couple divin si caractéristi- que du pays éduen et parfois identifié avec Ucuetis et Bergusia, des bienveillantes Déesses-Mères, d'Epona, la populaire déesse des che- vaux.

Ce n'est qu'en nous imposant un effort d'imagination que nous pouvons nous faire une idée de ce que devaient être les temples et les monuments publics d'Alesia. Au moins des fragments de mosa'iques, de colonnes, de chapiteaux, de moulures, d'entablements, un demi fronton triangulaire avec un buste de femme et un Amour, lamentables débris, nous aident-ils à nous figurer le cadre de la vie publique.

De même les substructions des habitations nous permettent de nous représenter le cadre de la vie privée : demeures spacieuses de la bourgeoisie ou canabae des artisans serrées côte à côte au long des rues. Nous en avons vu les caves avec leur escalier et leurs soupiraux, et munies parfois de niches destinées à recevoir des amphores (fig. 19), les hypocaustes et les cheminées de chauffage, les galeries et les cours.

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