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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES F

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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES F ACULTÉ DE P HILOSOPHIE ET L ETTRES

CONTEXTE ET FORCE ILLOCUTOIRE

V ERS UNE THÉORIE COGNITIVE DES ACTES DE LANGAGE

T HÈSE PRESENTÉE EN VUE DE L ’ OBTENTION DU TITRE DE DOCTEUR EN PHILOSOPHIE ET LETTRES , ORIENTATION LINGUISTIQUE

par

Mikhail Kissine

Promoteur : M. le Professeur Marc Dominicy

Année académique

2007-2008

(2)

R EMERCIEMENTS 1

I NTRODUCTION 2

PARTIE I : DE LA DIFFICULTÉ DE DEFINIR L’ASSERTION

C HAPITRE 1 : J USTIFICATION , ÉVIDENCE ET VÉRITÉ 10

1 L E MARQUEUR ASSERTORIQUE DE F REGE 10

2 B RANDOM : ASSERTION ET JUSTIFICATION 15

2.1 L’ironie, l’autorité et la justification impossible 15

2.2 Fausseté et mensonge 18

3 W ILLIAMSON : L ’ ASSERTION ET L ’ ÉVIDENCE 22

3.1 Connaissance et évidence 22

3.2 Les concepts « inanalysables » 24

4 L ES DEUX FACES DE L ’ ENGAGEMENT ASSERTORIQUE 32

C HAPITRE 2 : L A CONVENTION ET L ENGAGEMENT À LA VÉRITÉ 37 1 S EARLE : L’ EXPRIMABILITÉ ET LA SIGNIFICATION LINGUISTIQUE 37

1.1 Engagement et convention 37

1.2 Assertion et présupposition 39

1.3 Exprimabilité et assertabilité 42

1.4 L’arrière-plan et l’assertabilité 44

2 A LSTON : RESPONSABILITÉ ET STRUCTURE SYNTAXIQUE 50

2.1 La structure syntaxique et le contenu asserté 50

2.2 Ellipse et assertion 52

3 L E RÔLE DE L ’ ALLOCUTAIRE 65

C HAPITRE 3 : A GIR SUR L ALLOCUTAIRE 67

1 L E PERLOCUTOIRE FORT 68

1.1 Stalnaker : assertion, présupposition et contexte 68

1.2 L’analyse est-elle trop forte ? 70

1.2.1 La situation d’examen 70

1.2.2 Les rappels 71

(3)

1.2.3 La conclusion d’un argument 71

1.2.4 Les récapitulations 72

1.2.5 Les aveux 73

1.2.6 L’allocutaire impossible à persuader et les cas kantiens 74

1.2 L’analyse est-elle trop faible ? 79

2 L E PERLOCUTOIRE FAIBLE 82

3 L’ ASSERTION ET L ’ INSINUATION 84

C ONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 87

PARTIE II : L’ACTE LOCUTOIRE

C HAPITRE 4 : L ES NIVEAUX DE SENS D ’A USTIN REVISITÉS 90

1 L ES NIVEAUX DE SENS CHEZ A USTIN 91

2 I LLOCUTOIRE VS . PERLOCUTOIRE 91

3 L E RHÉTIQUE ET LE LOCUTOIRE COMME POTENTIEL DE L ’ ILLOCUTOIRE 94 4 L’ ACTE LOCUTOIRE COMME REPRÉSENTATION D ’ UN ÉTAT MENTAL 99 C HAPITRE 5 : U NE TYPOLOGIE DES ÉTATS I NTENTIONNELS 104 1 L A DIRECTION D ’ AJUSTEMENT — UNE NOTION IMPRÉCISE 104

2 L A POSITION INTERNALISTE DE S EARLE 106

3 L A PERCEPTION COMME INTERACTION 110

4 L A DIRECTION D ’ AJUSTEMENT ESPRIT - MONDE 112

5 L ES INTENTIONS 117

6 L ES DÉSIRS 120

C HAPITRE 6 : L A REPRÉSENTATION LINGUISTIQUE DES ÉTATS I NTENTIONNELS 124

1 A CTE LOCUTOIRE OU ACTE ILLOCUTOIRE EXPRESSIF ? 125

1.1 Searle et Vanderveken 125

1.2 Alston 129

2 L’ EXPRESSION DES ÉTATS I NTENTIONNELS 131

3 L E PERSPECTIVE FONCTIONNELLE DE R UTH M ILLIKAN 134

3.1 L’ancrage évolutionnaire des signes Intentionnels 134

3.2 La fonction biologique du langage 136

3.3 Le rôle du contexte 140

4 L’ ISOMORPHIE FONCTIONNELLE ENTRE LES ÉTATS I NTENTIONNELS ET LES ÉNONCÉS

LINGUISTIQUES 149

4.1 Représenter des états du monde 149

4.2 Représenter des désirs 151

4.2.1 Les représentations « Pushmi-Pullyu » 151

(4)

4.2.2 La sémantique du mode impératif 153

5 L’ EXPRESSION LOCUTOIRE 163

C HAPITRE 7 : L E CONTENU ET LE CONTEXTE 166

1 L E LOCUTOIRE MINIMAL DE B ACH 167

2 L E MINIMALISME SÉMANTIQUE 174

3 L E RELATIVISME SÉMANTIQUE 180

C ONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 185

PARTIE III : DE L’INTERPRÉTATION DES ACTES ILLOCUTOIRES

C HAPITRE 8 : L ES ACTES ILLOCUTOIRES ASSERTIFS 188

1 L ES ASSERTIONS COMME RAISONS DE CROIRE 189

1.1 Les raisons de croire 190

1.2 Le contexte de l’assertion 194

2 Q UAND LA FORCE ASSERTIVE FAIT DÉFAUT 195

2.1 Le discours non-littéral 195

2.2 Contradictions, tautologies et échec présuppositionnel 198

2.3 Les énoncés à contenu patent 199

3 L ES ( INTUITIONS À PROPOS DES ) ENGAGEMENTS ASSERTORIQUES 202

3.1 La perception directe dans le langage 202

3.2 La coopération et la communication 208

3.3 Du locutoire à l’assertion 216

3.3.1 La nécessité et l’AP 216

3.3.2 Les marqueurs de réserve 222

4 L E RÔLE DU CONTEXTE 227

C HAPITRE 9 : L ES ACTES ILLOCUTOIRES DIRECTIFS 229

1 L ES ACTES DIRECTIFS COMME RAISONS D ’ AGIR 229

2 L ES ÉNONCÉS IMPÉRATIFS NON - DIRECTIFS 233

2.1 L’expression de désirs 234

2.2 Les « pseudo-impératifs » 236

2.3 Les prédicats superlatifs à l’impératif 239

2.4 La désirabilité et l’impératif 240

3 L ES CONTRAINTES SÉMANTIQUES SUR L ’ UTILISATION DU MODE IMPÉRATIF 244

3.1 Les contraintes séquentielles 245

3.2 Les domaines de discours 248

3.2.1 Le liage des domaines sous la conjonction 248

(5)

3.2.2 Les conjonctions « impératives », les « pseudo-impératifs » et les conditionnelles

« indicatives » 252

3.2.3 Les contraintes séquentielles expliquées 259

3.3 Les prédicats statifs 265

4 L ES ACTES DIRECTIFS À CONTENU CONDITIONNEL ET LES ACTES DIRECTIFS CONDITIONNELS 266

5 L A DISJONCTION ILLOCUTOIRE 271

5.1 Les phénomènes à expliquer 271

5.2 L’hypothèse du « décrochage énonciatif » 272

5.3 Le liage sous la disjonction 274

5.4 Les disjonctions « impératives », les « pseudo-impératifs » et les conditionnelles

« indicatives » 279

5.5 Les contraintes séquentielles expliquées 284

6 L E RÔLE DU CONTEXTE 286

C HAPITRE 10 : L ES ACTES ILLOCUTOIRES COMMISSIFS 288

1 Q UEL NIVEAU D ’ ANALYSE POUR LES PROMESSES ? 289

2 U NE SOLUTION SÉMANTIQUE ? 290

3 L ES PROMESSES ET LES PRÉDICTIONS 293

3.1 Les conditions de succès des prédictions 293

3.2 Les prédictions catégoriques, les intentions et les promesses 294

4 L ES MENACES 300

5 L A COMPLEXITÉ DES ACTES COMMISSIFS 302

C HAPITRE 11 : L ES CORRÉLATS PSYCHOLOGIQUES 304

1 L E CONTEXTE ET L ’ INTERPRÉTATION 306

2 L’ HYPOTHÈSE D ’ UN MODULE PRAGMATIQUE INFÉRENTIEL 310

3 L ES CORRÉLATS COGNITIFS DE L ’ AUTISME 315

3.1 La compétence pragmatique et la croyance fausse 315

3.2 L’hypothèse du déficit exécutif 317

4 L A COMMUNICATION AUTISTE ET LA COMMUNICATION ENFANTINE 323

5 M ENSONGE ET IRONIE 328

6 C OMPRENDRE LES PROMESSES 330

7 C ONTRE L ’ HYPOTHÈSE MODULAIRE 332

C ONCLUSION GÉNÉRALE 337

B IBLIOGRAPHIE 339

(6)

Remerciements

Ma plus profonde gratitude va à Marc Dominicy, dont la patience et l’investissement ont dépassé de loin tout ce que l’on peut espérer d’un directeur de thèse.

L’aspect humain sous lequel se manifestent son intransigeance scientifique et son exigence de probité intellectuelle rendent encore plus inestimable le privilège dont j’ai pu bénéficier. Je remercie également mes collègues et amis du Laboratoire de Linguistique Textuelle et de Pragmatique Cognitive pour leurs encouragements et leurs conseils. Plus particulièrement, merci à Emmanuelle Danblon d’avoir consacré du temps à des conversations qui furent d’une grande aide pour certaines étapes de ma réflexion.

Philippe De Brabanter n’a pas hésité, au cours de ces trois dernières années, à m’associer à divers projets académiques qui m’ont permis d’élargir mes centres d’intérêts et de passer des moments passionnants, tant sur le plan scientifique que personnel. Qu’il en soit remercié. Je lui suis également redevable, ainsi qu’à Gregory Bochner, Emmanuel de Jonge, Katia Kissina, Philippe Kreutz et Fabienne Martin d’avoir relu et commenté des parties de cette thèse. Il va sans dire que toutes les erreurs et toutes les imprécisions relèvent de ma seule responsabilité.

Merci à Eugénie qui a partagé ma vie tout au long de cette période. Je remercie tout particulièrement ma famille et mes amis pour leur présence indéfectible — et ils savent ce que je veux dire.

C’est en toute humilité que je me permets de dédier ce qui suit à la mémoire de

mes proches qui ne sont plus.

(7)

Introduction

L’aspect illocutoire des énoncés constitue, sans doute, l’un des objets d’étude les plus complexes qui s’offrent au linguiste, du moins quand il se cantonne à un niveau d’analyse sémantico-pragmatique situé en deçà des séquences de discours complexes, composées de plusieurs phrases structurellement indépendantes.

Une première difficulté provient du statut intermédiaire que revêt la force illocutoire par rapport aux différentes dimensions de la pratique langagière : accomplir un acte illocutoire ou, plus communément, un acte de langage, ne se réduit pas à émettre un certain énoncé linguistique, doté d’une signification et/ou d’un sens contextuel ; c’est aussi s’engager dans une action caractérisable dans ses termes propres, mais liée tant à la signification qu’au sens — affirmer, suggérer, proposer, offrir, supplier, demander, commander, inviter, promettre, menacer… Et pourtant — ce sera l’un des leitmotivs de ce travail — de tels actes ne se laissent pas ramener à des effets causaux de l’énonciation.

L’autonomisation d’une couche illocutoire nichée entre le sens et la modification causale du monde se trouve au centre du livre d’Austin Quand dire c’est faire (How to do things with words) qui fonde, de près ou de loin, la grande majorité des discussions contemporaines relatives aux actes de langage. La solution d’Austin consiste, on le sait, à isoler l’illocutoire grâce à la notion de convention. Cependant, si cette vision des choses s’applique aisément à des actes de langage dits

« institutionnels », comme baptiser un enfant, déclarer un homme et une femme

mariés, prononcer un divorce, passer au poker, lever une séance…, dont le bon

accomplissement dépend d’un cadre conventionnel établi par un certain groupe social,

on peut s’interroger, avec Strawson (1964), sur sa capacité à décrire l’assertion, la

suggestion, l’avertissement, l’ordre… En effet, la maîtrise de ces comportements

verbaux — qu’on retrouve dans toutes les cultures et dans toutes les langues humaines

(8)

— ne dépend ni de l’appartenance à un groupe social donné, ni de la connaissance — ou même de l’existence — d’un lexème nommant l’acte illocutoire en question.

On comprendra donc que le caractère intrinsèquement pluridimensionnel de notre objet d’étude nous interdise, d’emblée, d’en traiter tous les aspects. Nous nous concentrerons, ici, sur les actes de langage qui ne répondent pas au critère de conventionnalité — qui ne dépendent donc pas d’une institution culturelle spécifique.

Nous laisserons aussi de côté les actes expressifs comme remercier, saluer, blâmer, louer…, dont l’étude requiert de prendre en compte non seulement la dimension illocutoire du langage mais aussi sa dimension sociale, voire émotionnelle.

1

Enfin, nous n’aborderons pas non plus les activités verbales qui visent à obtenir de l’information, c’est-à-dire, dans un langage moins pédant, les questions. Notre champ d’investigation se trouve ainsi circonscrit aux actes assertifs — affirmations, témoignages, confirmations, suppositions… —, aux actes directifs — ordres, requêtes, exigences… — et aux actes commissifs — promesses, offres, menaces…

La seconde difficulté à laquelle nous nous heurtons relève d’un ordre plus pratique. La littérature touchant, de près ou de loin, à la théorie des actes de langage est plus que considérable, et impossible à embrasser dans son ensemble, du moins par un travail dont la portée ne se veut pas encyclopédique. Quelles sont, dès lors, les motifs qui nous ont incité à reprendre un sujet tellement exploré ? À l’heure où la nécessité d’une interaction entre la linguistique, la philosophie, la psychologie et les sciences cognitives fait (presque) l’unanimité, une grande partie des recherches portant sur la sémantique et la pragmatique du langage cherchent, tout naturellement, leur légitimité dans des modèles cognitifs de l’interprétation. Quand elle évoque la dimension illocutoire, cette littérature l’assimile trop souvent à un développement trivial, mais toujours remis à un futur hypothétique, de la théorie défendue, voire

1

Pour un traitement de ces problèmes, on se rapportera notamment à Danblon (1998), Van Hecke (1998), De Mulder et Van Hecke (1999), Alston (2000, 104-113), Franken et Dominicy (2001).

Ajoutons que certains de ces actes prennent pour objet (Intentionnel) des personnes, et non des

états de choses (voir Franken et Dominicy 2001).

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même à une question résolue et passée de mode.

2

Il y a sans doute, à cela, une double explication sociologique. D’une part, le projet searlien, esquissé dans Speech Acts (Les Actes de Langage), de clarifier les propositions initiales d’Austin, et les développements formels qui en sont issus (Searle et Vanderveken 1985 ; Vanderveken 1988, 1991, 1990) apparaissent, aux yeux de certains auteurs, comme une vaine entreprise classificatoire, déconnectée de la réalité psychologique et linguistique.

3

D’autre part, dans l’article même où il refutait le caractère conventionnel de l’illocutoire austinien, Strawson a jeté les bases d’un modèle inférentiel, fondé sur l’attribution d’intentions communicatives, ce qui peut donner le sentiment — illusoire, selon nous — qu’une simple généralisation de l’approche gricéenne rendra facilement compte des mécanismes interprétatifs qui s’appliquent aux actes de langage.

4

Dans ce qui suit, nous ne nous attacherons pas à opérer des distinctions fines au sein des trois catégories que nous aborderons — actes assertifs, actes directifs et actes commissifs. Nous adopterons cette attitude non seulement parce que la méthode taxinomique de Searle et Vandeveken (1985) nous paraît satisfaisante à cet égard, mais aussi, et surtout, parce qu’une tâche bien plus urgente nous attend, qui est de construire un modèle psychologiquement plausible de la manière dont nous attribuons des forces illocutoires à nos énoncés. Le défi consiste ici à définir chaque type majeur de force illocutoire en termes précis — et là, par contre, la Théorie searlienne des Actes de Langage, pas plus que d’autres approches d’ailleurs, ne livre pas de critères véritablement adéquats. Ce constat, nous le ferons dans la première partie de notre thèse, quand nous étudierons l’assertion, dont on trouve pourtant de nombreuses définitions, plus ou moins explicites, dans la littérature philosophique et linguistique.

2

Parmi les travaux qui prennent une place centrale dans le débat contemporain sur l’interface sémantique/pragmatique mais où l’on ne trouve (quasiment) aucune mention des actes illocutoires, citons Carston (1988), Bach (1994a), Levinson (2000), Stanley (2000), Recanati (2004a), Cappelen et Lepore (2005b).

3

Pour un exemple particulièrement frappant de cette attitude, voir Jaszczolt (2002, chapitre 14).

4

L’élaboration la plus complète de ce paradigme théorique a été fournie, sans nul doute, par Bach

et Harnish (1979).

(10)

Partant de la conception frégéenne de l’inférence et de la définition corollaire du signe assertorique, nous montrerons que si les définitions formulées en termes de démonstrabilité s’avèrent trop fortes, elles mettent néanmoins en lumière la double dimension que revêt l’engagement à la vérité, tel qu’il est véhiculé par les actes assertifs. Il y a, d’une part, un engagement à la vérité monotone — persistante à travers tous les mondes possibles — et, d’autre part, un engagement à la vérité non-monotone

— plus proche des logiques de la praxis. Cette dualité du lien entre assertion et vérité préfigure, en fait, les deux thèmes directeurs de ce travail : d’abord, que l’interprétation des actes de langage émerge d’une mise en rapport de l’énoncé avec un certain ensemble de possibilités ; ensuite, que le contenu propositionnel des actes de langage (directs et littéraux) se voit déterminé en aval de la signification linguistique, mais en amont de la force illocutoire — à un niveau que, suivant Austin, nous nommerons « locutoire ». Ce second point se verra établi au chapitre 2, consacré aux théories qui définissent l’assertion dans les termes d’un engagement à la vérité du contenu propositionnel. Nous montrerons qu’on ne peut lier ce type d’engagement à la force assertive elle-même qu’au prix d’une correspondance biunivoque entre le contenu propositionnel en cause et la structure syntaxique de l’énoncé ; or cette contrainte s’avère impossible à maintenir. Le chapitre 3 traite des théories qui définissent l’assertion en termes d’impact sur les croyances de l’allocutaire ; une attention particulière sera alors accordée au point de vue défendu par Robert Stalnaker. Nous soulignerons la nécessité de mettre l’énoncé en rapport avec un arrière-plan conversationnel constitué de mondes possibles compatibles avec les croyances mutuellement manifestes aux interlocuteurs. Toutefois, certaines conséquences, trop contraignantes, qu’entraînent ce type de théories nous inciteront à prendre pour analysans non pas l’effet que l’énoncé exerce sur l’arrière-plan, mais plutôt le statut qu’il y acquiert.

Avant de développer notre traitement des actes assertifs, directifs et

commissifs, nous devrons, dans notre deuxième partie, donner plus de corps à la

notion d’acte locutoire. Le chapitre 4 proposera une relecture d’Austin qui, tout en

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prenant en compte des acquis plus récents, aboutit à définir l’acte locutoire comme l’expression linguistique d’un état mental (Intentionnel

5

). Nous déploierons ensuite cette approche analytique en deux volets. Au chapitre 5, nous critiquerons la manière dont Searle (1985) trace les frontières entre les croyances, les désirs et les intentions, et nous proposerons une typologie revue, qui se base sur la distinction tripartite entre conditions relationnelles, conditions descriptives et conditions de vérité. Une fois ce résultat obtenu, nous nous attacherons, au chapitre 6, à circonscrire la notion d’expression de telle manière qu’elle permette de caractériser le locutoire. La stratégie que nous adopterons conjugue notre catégorisation des états Intentionnels au point de vue téléo-sémantique que Ruth Millikan entend appliquer au langage. Nous montrerons que la fonction biologique de certains énoncés coïncide avec celle qui se voit remplie par les croyances ou les désirs, ce qui justifie le postulat que de tels énoncés constituent des représentations linguistiques des états mentaux correspondants. Au cours du même chapitre, nous défendrons l’idée qu’un énoncé ne peut pas acquérir une fonction biologique hors contexte ; par conséquent, l’acte locutoire accompli par un énoncé-token ne saurait se réduire à l’assignation d’une valeur sémantique au type dont il relève.

6

Cette position « contextualiste » ayant été violemment récusée par des auteurs qui veulent maintenir le contenu propositionnel dans un rapport de correspondance biunivoque avec la structure syntaxique, nous nous attacherons, dans notre chapitre 7, à réfuter empiriquement les trois incarnations majeures de cette posture anti-contextualiste : le minimalisme sous-propositionnel, le minimalisme propositionnel et le relativisme sémantique.

5

Conformément aux recommandations de Searle (1985) nous utiliserons la majuscule dans Intentionnalité et Intentionnel pour distinguer, d’une part, les états mentaux qui portent nécessairement sur un objet, et possèdent donc de l’Intentionnalité au sens général du terme, et d’autre part, les intentions, qui constituent une classe particulière de ces états mentaux. Tout état intentionnel est donc un état Intentionnel, mais non réciproquement.

6

Nous adopterons la terminologie peircienne token/type, qui nous paraît s’être imposée au

détriment de la traduction française occurrence/type (sur l’histoire de cette dichotomie en

pragmatique, voir Recanati 1979a, 70-74).

(12)

Après avoir ainsi consolidé notre vision au niveau locutoire, nous nous

attaquerons, dans la troisième et dernière partie de cette thèse, à la force illocutoire

proprement dite. Au chapitre 8, nous soutiendrons qu’un acte assertif de contenu p

constitue, pour l’allocutaire, une raison de croire que p, en ce sens que l’arrière-plan

conversationnel se trouve dans un état tel que l’adjonction de l’énoncé à l’un des sous-

ensembles de cet arrière-plan peut provoquer un raisonnement ceteris paribus

débouchant sur la conclusion p, qui n’aurait pas pu être dérivée de ce sous-ensemble

pris isolément. Nous verrons que cette conception permet de lever les problèmes

rencontrés par la théorie de Stalnaker et qu’elle fournit des prédictions empiriques

adéquates. Nous reviendrons aussi sur l’engagement à la vérité du contenu

propositionnel, en montrant qu’il s’agit là d’un réflexe profondément enraciné dans le

processus même de l’échange d’information et qui, transposé sous la forme d’une

pratique verbale immergée dans un arrière-plan conversationnel, produit l’illusion d’un

engagement à la démontrabilité du contenu. Au chapitre 9, nous aborderons les actes

illocutoires directifs. Nous maintiendrons que, sur le plan locutoire, la fonction du

mode grammatical impératif consiste à exprimer des désirs, c’est-à-dire à présenter un

contenu propositionnel comme virtuel. Sur le plan illocutoire, nous définirons les actes

directifs comme des raisons, pour l’allocutaire, de rendre le contenu propositionnel

vrai. La combinaison de ces deux hypothèses permet d’expliquer les contraintes

structurelles qui pèsent sur les énoncés à vocation directive. Au chapitre 10, nous

étendrons notre approche aux actes commissifs. Loin de cantonner cet objet d’étude à

l’analyse anthropologique des interactions en usage dans un groupe social déterminé,

nous ferons l’hypothèse que l’engagement déontique généré par les actes commissifs

prend sa source dans la structure des intentions. Ces trois chapitres appuient notre

thèse centrale que le modèle gricéen ne constitue pas la seule voie possible pour rendre

compte de l’assignation des forces illocutoires aux énoncés ; celle-ci naît plutôt de la

mise en rapport de l’énoncé avec un certain arrière-plan conversationnel. Pour

conclure, nous montrerons, au chapitre 11, que notre analyse conceptuelle se marie

parfaitement avec les données empiriques disponibles sur le fonctionnement cognitif

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et langagier des jeunes enfants et des personnes souffrant d’autisme. Nous nous autorisons même à croire qu’en fondant la compétence pragmatique sur l’aptitude à concevoir des possibilités alternatives, nous offrons une analyse plus viable que les approches basées sur l’attribution d’intentions spécifiques.

Une dernière mise au point d’ordre méthodologique s’impose avant de commencer. On l’aura pressenti, ce travail s’efforce, à bien des endroits, d’évaluer des conditions qui ont été précédemment posées comme nécessaires et suffisantes pour la constitution d’une classe d’actes illocutoires, et finit par en formuler de nouvelles.

Cependant, le bien-fondé d’une pareille attitude ne va pas de soi, comme nous le rappelle Dennett (1995, 95) :

This sort of inquiry is familiar to philosophers. It is the Socratic activity of definition- mongering or essence-hunting: looking for the “necessary and sufficient conditions” for being-an-X. Sometimes almost everyone can see the pointlessness of the quest […]. But at other times there can still seem to be a serious scientific question that needs answering.

Les objectifs de notre thèse vont au-delà de la simple description des comportements verbaux ; nous ne pouvions donc nous satisfaire d’une organisation catégorielle floue.

Nous visions à mettre en lumière la capacité cognitive qui préside à nos interactions

langagières, et ce d’après une perspective naturaliste qui ne fasse appel, dans son

appareil analytique, à aucune notion ou méthode d’explication que les praticiens des

sciences naturelles jugeraient irrecevable. C’est pourquoi, au moment de cerner les

conditions nécessaires et suffisantes à l’intégration d’un certain énoncé (token) au sein

d’une classe illocutoire, nous nous sommes efforcé de formuler des hypothèses qui

autorisent des prédictions claires sur les corrélats cognitifs d’un tel comportement et

sur les prérequis de son émergence au cours de l’évolution.

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PARTIE I :

DE LA DIFFICULTÉ DE DEFINIR L’ASSERTION

(15)

Chapitre 1 : Justification, évidence et vérité

« Toutes sortes de propos s’ensuivirent : […] mensonges tenus pour vrais, assertions improbables […]. » (Flaubert, L’Éducation sentimentale)

De tous les types d’actes de langage, l’assertion a sans doute bénéficié de l’attention la plus particulière, et ce, bien souvent, dans ces régions où la philosophie côtoie l’épistémologie et l’éthique. C’est pourquoi il nous a semblé judicieux de la prendre comme point de départ de notre enquête. Nous allons essayer de montrer que ni les approches qui se bornent à la définir, ni les diverses incarnations d’une théorie plus générale des actes de langage n’ont fourni, jusqu’à présent, une analyse qui convienne pleinement à l’étude de la communication.

Toutefois, dans cette première partie, il ne s’agit pas tant de critiquer les théories existantes, que de mettre en lumière certaines familles de difficultés qui nous permettront de dégager des principes directeurs pour la suite de notre travail. Nous commencerons par exposer brièvement, dans le présent chapitre, le traitement que Frege réserve à l’assertion ; nous aborderons ensuite les théories contemporaines qui se sont inspirées de cette conception. Dans le chapitre 2, nous examinerons les approches qui mettent au cœur de leurs définitions l’engagement à la vérité du contenu propositionnel. Nous terminerons par un troisième chapitre consacré aux approches qui tentent de cerner la nature de l’assertion en se fondant sur le type d’effet que le locuteur a l’intention de produire chez son allocutaire.

1 Le marqueur assertorique de Frege

L’introduction, par Frege, du signe assertif dans le langage logique constitue,

sans nul doute, une étape incontournable pour toute enquête relative au thème de

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cette première partie. Cependant, comme beaucoup d’exégèses, celle de Frege recèle bien des difficultés et recouvre des débats qui risquent de nous faire perdre le fil que nous nous apprêtons à dérouler. Heureusement, dans le cadre de la présente thèse, nous pouvons nous contenter d’exposer la conception fregéenne de l’assertion dans ses grandes lignes, pourvu que nous arrivions à mettre en lumière l’origine des positions théoriques abordées plus bas.

Dans la conception de Frege, une pensée, qui correspond à ce qu’aujourd’hui on nommerait plus volontiers proposition, se distingue d’un jugement. Fixer son attention sur une pensée et savoir qu’elle a un certain sens et une certaine référence, c’est-à-dire qu’un certain (type d’)état du monde possède le pouvoir de rendre cette pensée vraie ou fausse, ne donne pas accès à sa valeur de vérité ; seule l’opération mentale que Frege nomme jugement permet d’appréhender une pensée vraie comme vraie — ainsi, les jugements frégéens n’ont pour objets que des propositions ou des pensées vraies. De même, concevoir qu’un énoncé a un certain sens et une certaine référence ne suffit pas pour reconnaître la référence de cet énoncé ; par contre, asserter ce même énoncé revient à émettre un jugement sur la pensée correspondante (Frege 1994, 11-15, 221-224, 235-236 ; 1971, 70-75, 170 sv. ; voir Dummett 1981, 298-299, 314-316).

En conséquence, Frege introduit, dans sa Begriffsschrift (Frege 1999), le marqueur assertorique « ⊢  », en le composant du marqueur de contenu « — » et du marqueur de jugement « ∣  ». Le marqueur « — » signale qu’un contenu est jugeable, c’est-à-dire vrai ou faux, tandis que le marqueur de jugement transforme ce contenu en jugement.

7

7

Après coup, Frege (1971, 94) renoncera au terme marqueur de contenu au profit du terme plus neutre horizontal. Techniquement, « – » est une fonction qui donne la valeur VRAI lorsqu’elle prend pour argument la valeur de vérité VRAI, et la valeur FAUX pour tous les autres arguments.

Étant donné le postulat frégéen que seules les pensées vraies font l’objet d’un jugement, il est ainsi

garanti qu’un jugement ne porte que sur des concepts dénotant des valeurs de vérité (voir aussi

Dummett 1981, 314-315).

(17)

On pourrait croire, à la suite de Wittgenstein (1993, §4.442), que le marqueur assertorique se borne à signaler, à un niveau métalinguistique (en réalité dépourvu de sens, du point de vue de Wittgenstein), une valeur de vérité particulière :

Le « signe de jugement » frégéen « ⊢ » est dépourvu de signification logique ; il montre simplement chez Frege (et Russell) que ces auteurs tiennent pour vraies les propositions ainsi désignées. « ⊢ » n’appartient donc pas davantage à la construction propositionnelle que, par exemple, son numéro. Il n’est pas possible qu’une proposition dise d’elle-même qu’elle est vraie.

Cependant, comme le souligne Geach (1965 ; voir aussi Dummett 1981, 303- 304), « ⊢ » ne s’applique pas à n’importe quelle proposition atomique tenue pour vraie

— il ne s’agit que des propositions prises dans leur entièreté :

[…] even if the proposition represented by “p vel q” or by “p aut q” is taken in itself to be an asserted proposition, “p” will not be asserted in this context, and neither will “q” ; so if we say that the truth value of the whole proposition is determined by the truth values of the disjuncts, we are committed to recognizing that the disjuncts have truth values independently of being actually asserted. (p. 452)

Cette observation fait évidemment écho à la façon dont Frege conçoit les propositions conditionnelles.

Si quelqu’un dit que, dans un jugement hypothétique, deux jugements sont mis en relation l’un avec l’autre, il utilise le mot « jugement » de façon à ne pas inclure la reconnaissance de la vérité. Car même si la phrase composée dans sa totalité est prononcée avec une force assertive, on n’asserte ni la vérité de la pensée dans l’antécédent, ni celle de la pensée dans le conséquent. La reconnaissance de vérité s’étend plutôt sur une pensée qui est exprimée dans la phrase composée toute entière. (1994, 222 ; voir aussi, 1971, 228-229)

Pour mieux saisir la portée de cette remarque, voyons comment Russell

(1903, 503-504), par exemple, a exploité la distinction entre le sens et la force

(18)

assertorique pour résoudre des (pseudo-)paradoxes liés à une règle d’inférence aussi banale que le modus ponens (voir Geach 1965 ; Dummett 1981, 304 ; Green 2002) :

Si P, alors Q P

∴ Q

Le (prétendu) paradoxe se décline comme suit : d’une part, si Q a le même sens (et le sens d’une proposition détermine sa référence, laquelle est, pour Frege, une valeur de vérité) dans les prémisses et dans la conclusion, c’est-à-dire s’il est vrai que Q, alors la première prémisse impliquerait à elle seule qu’il est vrai que Q ; d’autre part, si les significations de Q sont différentes dans les prémisses et dans la conclusion, on se retrouverait confronté à une inférence invalide. Considérer chaque pas de l’inférence comme une assertion, marquée par le signe frégéen « ⊢ », suffit à dissoudre ce problème ; le modus ponens se notant désormais comme suit :

Si P, alors Q

P

∴ ⊢ Q

En effet, l’occurrence de Q dans la première prémisse n’est pas assertée de manière indépendante, même si elle possède le même sens, et donc la même valeur de vérité que l’occurrence de Q dans la conclusion.

On comprend, dès lors, pourquoi Dummett affirme que le besoin d’un marqueur assertorique surgit lorsque le sens ne permet pas de prédire la force de l’énonciation (Dummett 1981, 305), c’est-à-dire lorsque le sens d’un énoncé ne donne pas accès à une valeur de vérité particulière ; c’est le cas, par exemple, dans l’antécédent d’une conditionnelle.

La place ainsi accordée au marqueur assertorique dans le système logique

éclaire son lien étroit avec la conception fregéenne de l’inférence. Dans la vision que

nous avons aujourd’hui d’un système formel, les règles d’inférence permettent

simplement de dériver des théorèmes à partir des axiomes, en ce sens qu’elles

préservent à chaque fois l’éventuelle vérité de l’étape précédente (ou n’importe quelle

autre valeur comparable, comme la satisfaction dans les logiques de l’action). De ce

(19)

point de vue, l’introduction du marqueur assertorique est superflue, car le paradoxe résulte de la réduction (illicite) de la validité à la vérité (voir aussi Green 2002).

Toutefois, une telle définition du fonctionnement inférentiel s’oppose à celle de Frege, qui restreint l’application du terme inférence à la dérivation de conclusions vraies à partir de prémisses vraies et reconnues comme telles — en somme, on assiste, chez lui, à une confusion entre le valide et le démonstratif. Du point de vue de Frege, une déduction menée à partir de prémisses fausses, ou dont on ignore la valeur de vérité, se réduit, au mieux, à une pseudo-inférence (par exemple, Frege 1994, 11 ; 1971, 228-229 ; Green 2002, pour une discussion détaillée).

8

Par conséquent, les inférences conformes à l’idée que s’en fait Frege exigent non seulement que les prémisses soient vraies, mais aussi qu’elles soient assertées (Dummett 1981, 311-313).

Ainsi, on peut raisonnablement interpréter les vues de Frege en considérant que le marqueur assertorique « ⊢ »   marque la proposition mise sous sa portée comme disponible pour jouer le rôle de prémisse ou de conclusion dans une inférence. Une telle position conduit, tout naturellement, à définir l’assertion dans des termes qui explicitent cet aspect procédural : une fois asserté, l’énoncé constituerait une proposition que l’on accepterait rationnellement de prendre pour prémisse d’une inférence, au sens fregéen du terme. Dans la suite de ce chapitre, nous allons envisager deux manières, une forte et une plus faible, de construire une telle définition. Dans les deux cas, les conditions requises s’avèrent trop strictes lorsqu’elles s’appliquent aux actes communicatifs, en ce sens qu’elles obligent à exclure, de manière totalement arbitraire, des types d’énoncés qui, pourtant, peuvent prétendre de plein droit au titre d’assertion. Nous conclurons en montrant qu’il ne faut pas confondre deux sortes d’engagements assertoriques : celui portant sur le bien-fondé de l’assertion, qui est central dans les théories que nous allons examiner maintenant, et celui qui touche à la vérité du contenu propositionnel.

8

Frege rejetait ainsi les preuves par l’absurde : mettant en jeu une prémisse fausse, elles sont

valides, mais non démonstratives.

(20)

2 Brandom : assertion et justification

Robert Brandom défend une vision normative de l’assertion, qui sert de clé de voûte à sa tentative de reformuler, en termes inférentiels, des notions logiques et sémantiques traditionnelles.

9

Dans la lignée de Frege, Brandom (1994, 157-175 ; 1983) soutient qu’il est propre à une assertion, d’une part, de constituer une justification potentielle pour d’autres assertions qui en découlent démonstrativement, et d’autre part, de découler elle-même de justifications indépendantes. Asserter, selon Brandom, c’est toujours, au moins, s’engager à pouvoir justifier ce qui est asserté ou, en cas d’échec justificatif, à se rétracter. Cet engagement — l’engagement assertorique — est public : au travers de son assertion que p, le locuteur permet à autrui de le considérer comme sachant que p et comme autorisant toutes les conclusions inférables de p.

Quant au contenu asserté, il ne se définit pas, dans le système de Brandom, de manière indépendante : ce qui est asserté par une énonciation se délimite, de manière négative, à partir de tous les engagements assertoriques incompatibles avec cette énonciation.

2.1 L’ironie, l’autorité et la justification impossible

D’emblée, les conditions formulées par Brandom semblent mises en péril par des assertions comme (1), que le locuteur (L) présente explicitement comme se trouvant hors de portée d’une justification verbale.

10

(1) Firmin est un voleur. Je ne sais pas ce qui me fait dire ça, mais ma main à couper que c’en est un.

Brandom a bien sûr conscience de ces exemples et ne tente pas de nier que (1) soit une assertion ; mais il objecte que ce type d’assertion ne se conçoit que par rapport à un arrière-plan d’assertions « normales », c’est-à-dire sujettes à justification :

9

Dans le cadre du présent travail, nous nous intéresserons uniquement à la définition que Brandom donne de l’assertion ; nous ne discuterons son projet inférentialiste que lorsque cela sera nécessaire pour ce propos.

10

Lors de notre discussion de la théorie de Brandom, le terme « justification », employé sans

indication spécifique, est à comprendre comme « justification démonstrative ».

(21)

[…] such assertions are intelligible only as exceptions against a background of practices where [assertions] typically have the significance of claims whose authority is redeemable by demonstration of warrant. (1994, 229, italiques dans le texte)

Dans de tels cas, écrit Brandom (1983, 643), l’énoncé accède au rang d’assertion en vertu de l’autorité sociale de L, laquelle joue, dès lors, le rôle de la justification requise.

Malheureusement, les libertés ainsi prises avec les conditions nécessaires à l’assertion — qui, autrement, s’avèreraient restrictives à l’excès et excluraient des énoncés comme (1) — donnent lieu à une tension importante, que l’appel à la justification par l’autorité ne suffit pas à dissoudre.

Considérons (2), en le supposant énoncé alors que L et l’allocutaire (A) marchent ensemble sous une pluie battante :

(2) Il fait vraiment trop sec.

Face à (2), A peut avoir deux réactions, que n’importe quelle théorie des actes de langage doit pouvoir prédire. La première équivaut, dans le cas présent, à considérer L comme irrationnel ; elle consiste simplement à traiter (2) comme une assertion fausse.

Mais A empruntera vraisemblablement un second trajet interprétatif, proche de celui décrit par Grice (1975, 34 ; 1978, 53-54), en faisant l’hypothèse que (2) n’a pas pour but d’asserter qu’il fait plein soleil, mais de transmettre, de façon ironique, un autre message.

11

Inutile de préciser que, dans le second cas de figure, (2) ne saurait s’interpréter comme une assertion — en tous cas, pas dans le sens donné à ce terme par Brandom : si L a été mû par une intention ironique, il n’a forcément pas mis en jeu sa responsabilité quant à l’usage de son énoncé comme prémisse d’inférences

11

Nous avons bien sûr conscience que le modèle gricéen de l’ironie n’est pas le seul disponible sur

le marché et qu’on peut nier que l’assertion du contenu explicite soit toujours incompatible avec

l’ironie. Nous reviendrons sur l’ironie aux chapitres 4 et 11, mais tout le monde s’accordera,

croyons-nous, à dire que sous une lecture ironique, (2) n’engage pas la responsabilité de L quant à

la justification du contenu propositionnel.

(22)

ultérieures et n’a donc pas prétendu qu’une justification soit possible (voir Recanati 1987, 228-229).

12

Pourtant, si (1) est une assertion, comment l’approche de Brandom garantit-elle la lecture ironique de (2) ? En d’autres termes, comment peut-on s’assurer que le type de justification par l’autorité qui se fonde, en (1), sur une intuition intime et ineffable de L, n’a pas sa place ici ?

Tant le contenu propositionnel de (1) que le contenu perceptuel qui sous-tend le contenu propositionnel de (2) se trouvent à cette limite au-delà de laquelle, comme le dirait Wittgenstein (1989), demander des justifications tient de l’irrationnel — c’est entendu. Mais cela ne nous aide aucunement à rendre compte du fait que (1) soit une assertion, alors que (2) ne l’est pas.

En outre, dans la perspective inférentialiste de Brandom, on ne peut stipuler que si (2) n’est pas une assertion, c’est parce que L se montrerait irrationnel s’il entretenait une croyance avec un tel contenu. En effet, de deux choses l’une : soit les critères de croyance rationnelle sont aussi stricts que ceux de l’assertion, et (1) n’est pas une assertion ; soit ils sont plus lâches, mais rien ne garantit alors l’irrationalité de (2), pris en tant qu’assertion.

Brandom (1994, 121-123 ; 1996, 250-251) donne l’exemple d’un perroquet à qui on aurait appris à dire « Rouge » en présence d’objets rouges ; ce perroquet n’asserte pas (et donc serait incapable d’entretenir une croyance de même contenu) pour la simple raison qu’il est incapable de maîtriser l’utilisation de « Rouge » dans des chaînes inférentielles. Par contre, lorsque nous disons « Rouge » ou « Il fait plein soleil » tout en nous trouvant incapables de donner une justification pour notre énoncé, celui-ci est bel et bien une assertion parce qu’il peut rentrer dans des relations inférentielles :

One can perfectly well acknowledge that someone may count as entitled to a belief or judgment […] without being able to offer reason or justification for it, while insisting nonetheless that it can be thought of as a belief or a judgment at all insofar as it can serve as

12

On notera qu’un contour prosodique spécifique n’est ni nécessaire, ni suffisant pour déclencher

l’interprétation ironique (Winner et Leekam 1991 ; Bryant et Tree 2005).

(23)

both a premise and a conclusion of inferences, and so is liable to critical assessment on the basis of its relation to other beliefs and judgments. (Brandom 1996, 251, italiques dans le texte)

Dans une acception large de l’inférence, conçue comme une opération qui préserve la vérité, le contenu littéral de (2) peut servir tant de prémisse que de conclusion et serait, de plein droit, une assertion qu’il fait plein soleil. Mais on se retrouve alors dans l’incapacité de prédire une lecture ironique de l’énoncé. Dans une perspective fregéenne, où les inférences ne contiennent que des prémisses et conclusions vraies, (2) ne vaudrait évidemment pas pour une assertion, mais — et c’est là une conséquence absurde — tel serait également le sort de n’importe quelle assertion fausse.

2.2 Fausseté et mensonge

Les considérations du paragraphe précédent soulèvent une question de taille quant aux implications de la conception inférentialiste de l’assertion. Nous venons de voir que Brandom n’arrive pas à faire la différence entre une assertion fausse et une assertion défectueuse. On aura pressenti que sa conception de l’engagement assertorique implique également que n’importe quel mensonge, du moins à partir du moment où il est découvert comme tel, cesse immédiatement d’être une assertion.

Clairement, le contenu d’un énoncé manifestement mensonger ne peut être ni justifié, ni servir comme raison pour une assertion ultérieure.

13

Bien entendu, la même conclusion vaut pour une assertion fausse.

Dans le passage suivant, Brandom raisonne pourtant comme si l’échec à exercer la « responsabilité justificative » n’entraînait pas la faillite assertive de l’énoncé :

If A is challenged concerning his assertion and fails to provide an appropriate set of justifying assertions, the socially constitutive consequence is to deprive his assertion of the

13

Évidemment, un mensonge peut servir de (pseudo-)justification pour des mensonges ultérieurs.

Cependant, l’engagement assertorique constitue, chez Brandom, une pratique irréductiblement

sociale : la justification en cause est celle que L devrait donner à des tiers ; elle tend, par

conséquent, vers l’objectivité.

(24)

authorizing force which it otherwise would have had. That is, insofar as A fails to discharge the justificatory responsibility undertaken in his original assertion, others are deprived of the option of deferring to A justificatory responsibility for their assertions of claims which follow from what A asserted. (Brandom 1983, 642)

Toutefois, comme le rôle inférentiel constitue, dans ce système, la condition sinon suffisante, du moins nécessaire pour qu’un acte verbal puisse se voir qualifié d’assertion (Brandom 1994, 168), la cohabitation de la faillite justificative avec la force assertive est prohibée par définition.

On pourrait objecter que celui qui dit le faux croit asserter, mais n’asserte pas.

Une telle position exigerait d’expliquer comment une correction subséquente priverait l’énoncé faux de sa force assertorique, ce qui n’apparaît pas comme une entreprise facile. Mais cette difficulté mise à part, le traitement qu’on devrait réserver au menteur constitue un problème encore plus grave pour la théorie de Brandom. Si le menteur n’asserte pas, on est en droit de se demander ce qu’il fait réellement. De nombreuses conversations que nous avons eues à ce sujet avec des linguistes et des philosophes ont témoigné de la tentation qu’il y a à caractériser le mensonge comme l’acte de prétendre faire une assertion ; pourtant, tout indique combien il serait malheureux d’y céder.

Une première difficulté serait de trouver un critère de différenciation entre les simulations manifestes et celles qui sont cachées, afin de pouvoir expliquer pourquoi le mensonge est blâmable. En effet, le propre des actes de paroles qui, tels l’ironie ou le discours fictionnel, exhibent leur caractère « comme-si » est, précisément, de ne pas engager L à la vérité du contenu littéral : quelle que soit la définition de l’assertion que l’on adopte, une assertion fictive n’impose à L aucun engagement assertorique (Searle 1975, 104-110 ; Dummett 1981, 310-311). Cette absence d’engagement tient au caractère manifeste du « comme-si » ; ainsi, il semble bien que la notion d’un « faire semblant » caché se réduise à une contradiction dans les termes (voir aussi Williams 2006, 95-96).

Il est évident, en outre, que L ne saurait se dédouaner d’avoir menti en objectant qu’il

n’a pas asserté le contenu propositionnel attaché à son énoncé et, par conséquent, qu’il

(25)

n’en pas responsable.

14

Notons, en passant, que les mêmes raisons empêchent de réduire (1) à une assertion « comme-si ».

Deuxièmement, priver le mensonge de la force assertive heurte violemment l’intuition. En d’autres termes, si le mensonge n’a pas de force assertive « sérieuse » ou

« littérale », cela implique qu’on lui refuse toute relation avec les assertions sincères, mais fausses. Or, comme le note Dummett (1981, 299), le mensonge est une assertion intentionnellement fausse :

A man may say something knowing or believing it to be false, with all sorts of intentions, perhaps, as in the case of the pathological liar, with the very intention to say something false ; or a man may say something about which he has no opinion whether it is true or false,

14

Fauconnier (1979) considère que le mensonge annule l’acte d’affirmation ; il cite à l’appui de sa thèse les tentatives faites par les casuistes jésuites pour prévenir la condamnation du mensonge.

Cependant, ces sources militent pour une conclusion inverse, car la stratégie casuiste ne consistait

pas à nier qu’une affirmation ait été produite lors d’un mensonge, mais plutôt à tenter de démontrer

que l’affirmation que L a l’intention de produire possède alors un contenu différent de celui que A

attribue à l’énoncé. Fauconnier rapporte plusieurs manières d’appliquer une telle stratégie « de

mauvaise foi » : restreindre mentalement la portée temporelle ou quantificationnelle de la

proposition assertée — par exemple, quand on jure qu’on a pas mangé telle ou telle chose, ajouter

dans son for intérieur, aujourd’hui ; présupposer, pour certaines parties de l’énoncé, une

interprétation pragmatique qui ne soit pas facilement accessible à A — par exemple, dire Il n’est

pas passé par ici en posant son pied sur un pavé afin que ce pavé soit un référent plausible pour

ici ; doter ses mots, à l’instar de Humpty Dumpty, d’une signification non conventionnelle. Il est à

noter que ces tactiques rencontrèrent une résistance farouche, fondée sur des principes somme

toute, gricéens, de la part de Port-Royal (Dominicy 1984, 113-131 ; voir aussi Williams 2006, 126-

136). En revanche, l’exposé de Fauconnier montre qu’une relation plus complexe s’instaure entre

la promesse et l’obligation correspondante. En effet, il semble bien que dans l’esprit de certains des

Révérends Pères, on puisse faire un vœu ou une promesse sans s’engager réellement, pourvu que

l’intention de s’engager ait été absente lors de l’énonciation. Au-delà des intuitions que chacun de

nous peut ressentir quant à une telle conception de la promesse, le fait même que le mensonge et la

promesse aient été distingués en ces termes met en lumière le contraste qui subsiste entre le

caractère non-conventionnel de l’engagement à la vérité et le caractère social (dans un sens

toutefois restreint du mot, voir chapitres 10 et la section 6 du chapitre 11) des attentes liées aux

promesses.

(26)

again with varying intentions. In none of these cases does the fact that he does not have the intention to say something true make it false to say that he has made an assertion.

Cette intuition se voit confirmée par la définition du Petit Robert :

MENSONGE [ ... ] n.m. — […] 1

Assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l’intention de tromper.

Enfin, si l’on accepte l’hypothèse, pour le moins raisonnable, que les verbes comme asserter ou affirmer décrivent des assertions, alors, à supposer que mentir n’est pas asserter, (3) devrait se révéler aussi contradictoire que (4), où l’attribution d’une action se voit conjointe à l’attribution d’une seconde action, incompatible avec la première.

(3) Firmin a asserté / a affirmé qu’il y avait encore de l’argent dans la caisse et, ce faisant, il a menti.

(4) # Firmin a ouvert la porte et, ce faisant, il l’a maintenue fermée.

Résumons-nous. Pour Brandom, la capacité à fonder et à être fondé

inférentiellement constitue la condition nécessaire pour qu’un énoncé puisse compter

comme une assertion. Dans la sous-section précédente, nous avons vu que l’inférence

en question doit relever, comme chez Frege, du démonstratif ; car une conception plus

lâche de la justification inférentielle, qui ne confond pas le valide et le démonstratif, ne

permettrait pas de prédire correctement la défectuosité assertorique. Cependant,

comme l’a montré la discussion ci-dessus, à restreindre de la sorte la classe des actes

assertifs, on finit par devoir priver les mensonges de toute force assertive. À ce stade, il

serait légitime de se demander si le problème ne tient pas tant au caractère inférentiel

de la théorie, qu’au fait que Brandom élève celui-ci au statut de condition nécessaire ;

afin de répondre à cette question, nous examinerons, dans la section suivante, une

théorie qui assigne au rôle inférentiel une place non plus de condition nécessaire, mais

de règle constitutive.

(27)

3 Williamson : l’assertion et l’évidence

3.1 Connaissance et évidence

D’après Williamson (1996), la règle suivante, constitutive de l’acte d’asserter, permet d’isoler les assertions parmi d’autres types d’actes de langage :

Règle constitutive de l’assertion (Williamson) : Pour asserter que p,

il est nécessaire de savoir que p.

En formulant cette règle en termes constitutifs, Williamson se met à l’abri des problèmes que rencontre la théorie de Brandom face aux mensonges et aux assertions fausses. À l’opposé des règles normatives ou prescriptives régulant des activités qui existent indépendamment d’elles, les règles constitutives créent un type d’activité.

Pour prendre un exemple connu, les règles du jeu d’échecs sont indissociables de l’activité même de jouer aux échecs ; sans ces règles, les joueurs ne feraient que déplacer des morceaux de bois sur une planche quadrillée. Cependant, n’importe quelle règle constitutive (par exemple, celle qui stipule, aux échecs, qu’une pièce perdue ne peut plus réapparaître sur l’échiquier, à moins de remplacer un pion arrivé sur le bord opposé) peut se voir enfreinte (par exemple, le joueur J replace subrepticement sur l’échiquier une pièce ayant fait objet d’une prise antérieure), sans que l’agent qui commet l’infraction cesse pour autant de participer à l’action que cette règle constitue : on dira que J triche, et non qu’il a arrêté de jouer (Williamson 1996 ; voir aussi, Searle 1972, 72-82). L’infraction d’une règle constitutive (qu’il faut contraster avec sa dénégation) présuppose donc le cadre mis en place par celle-ci. Par conséquent, contrairement à ce qui se passe chez Brandom, la perspective de Williamson ne nous force pas à exclure les mensonges de la classe des assertions ; car en violant la règle assertive, L ne sort pas du jeu assertorique.

15

Bien entendu, prise telle quelle, la définition de Williamson ne relève pas nécessairement d’un cadre inférentialiste ; mais c’est le cas si on la combine avec la

15

Non que cette définition soit dépourvue de problèmes ; pour une discussion intéressante, on se

rapportera à Williams (2006, 98-101).

(28)

conception de la connaissance que cet auteur défend par ailleurs. Dans un article ultérieur, Williamson (1997) propose de ramener le « savoir » en cause à une

« évidence », au sens anglo-saxon du terme où « évidence » dénote un ensemble de propositions qui permettent de valider ou d’invalider une hypothèse. En effet, toujours d’après Williamson, toute évidence se laisse reformuler au moyen d’une proposition complète:

We often choose between hypotheses by asking which of them best explains our evidence—

which of them, if true, would explain the evidence better than any other one would, if true.

[…] Thus evidence is the kind of thing which hypotheses explain. But the kind of thing which hypotheses explain is propositional. Therefore evidence is propositional. (1997, 724) […] our evidence sometimes rules out some hypotheses by being inconsistent with them.

[…] But only propositions can be inconsistent in the relevant sense. If evidence e is inconsistent with a hypothesis h in that sense, it must be possible to deduce ¬h from e ; the premises of a deduction are propositions. (1997, 727)

Il s’ensuit qu’en parallèle avec sa conception de la connaissance, Williamson

construit la norme définitoire de l’assertion comme exigeant, pour une assertion que p

par L, que l’évidence totale en possession de L inclue p. De manière triviale, cette

norme requiert que L maîtrise chacun des concepts inclus dans la proposition assertée

(cf. Williamson 1997, 730). En effet, pour toute proposition de forme G(y) telle que L

n’est pas en mesure de spécifier le sens de G ou, du moins, les relations que G

entretient avec les autres prédicats, G(y) constitue la seule proposition vis-à-vis de

laquelle G(y) fournisse une évidence du point de vue de L. Par conséquent, à moins que

G(y) soit connaissable de manière essentielle, c’est-à-dire sans évidence aucune, le fait

d’asserter une telle proposition viole la règle constitutive de l’assertion. En d’autres

mots, à moins que p soit connaissable essentiellement, le fait d’asserter que p

présuppose que L soit capable d’utiliser p en tant qu’évidence, c’est-à-dire de mettre p

dans des rapports inférentiels non-triviaux avec d’autres propositions. Nous allons

(29)

montrer dans la sous-section suivante qu’une telle exigence s’avère trop forte au regard des certaines de nos pratiques assertoriques.

3.2 Les concepts « inanalysables »

Prenons les énoncés suivants, certainement anodins et que, tout aussi certainement, leurs locuteurs ne voudraient à aucun prix voir privés de la force assertive :

(5) L’inconscient est structuré comme un langage.

(6) Dieu est partout.

(7) Adélaïde a ce je-ne-sais-quoi qui fait une femme du monde.

(8) Cette fille se prend pour une vraie Bruxelloise, alors qu’en réalité elle n’est qu’une typique bourgeoise de province. (adapté de Camp 2006) Personne, à notre sens, n’accepterait de penser que les contenus en (5-8) soient connaissables de façon essentielle. À l’opposé du mensonge (ou, à la rigueur, d’exemples comme (1)), (5-8) ne paraissent pas violer, que ce soit de manière manifeste ou non, les normes régissant l’assertion. Et pourtant, on va le voir à présent, ces énoncés sont d’une nature telle que L ne peut pas avoir de support propositionnel (ne peut fournir d’évidence) pour les contenus assertés et que ces contenus ne peuvent servir d’évidence propositionnelle pour d’autres propositions — ces contenus ne peuvent donc pas être « connus », au sens de Williamson, ce qui rend impossible, toujours dans la perspective de cet auteur, l’accomplissement des assertions correspondantes.

Comme l’indique Sperber (1974, 112-113), aucun lacanien, fût-ce Lacan lui-

même, ne possède la capacité de formuler explicitement le contenu de (5), en ce sens

qu’il semble impossible d’établir des relations d’implication et d’incompatibilité entre

cette proposition et d’autres propositions, ou de définir des critères d’appartenance à

la catégorie encyclopédique qui correspondrait à (l’)inconscient (lacanien) (pour une

définition rigoureuse de ce qu’est un tel concept « inanalysé », voir Dominicy 1999). De

même, bon nombre de croyants reconnaissent ne pas disposer d’une définition précise

de Dieu, au point de pouvoir tenir pour vraies des propositions contradictoires à son

(30)

sujet, ce qui ne les empêche certainement pas de concevoir (6) comme une assertion (cf. Sperber 1974, 106-107 ; 1982, 66-69 ; 1997). Quant au je-ne-sais-quoi, ce lexème correspond, de l’opinion même des locuteurs, à un concept éminemment aristocratique, dont la connaissance est censée s’acquérir de manière soit « vécue », soit surnaturelle, et qui se soustrait, dans tous les cas, à une définition explicite ; comme pour la plupart, sinon la totalité des mots qui représentent des concepts symboliques (Sperber 1974),— et (l’)inconscient (lacanien) comme Dieu en font partie — les

« experts » peuvent désigner ostensivement des instances positives ou négatives du je- ne-sais-quoi, sans être capables d’expliciter les critères guidant un tel choix (Delvenne, Michaux et Dominicy 2005 ; Michaux et Dominicy à paraître ; voir Jimenez 1997, 60- 75 sur le je-ne-sais-quoi dans la théorie artistique). Par conséquent, il n’existe pas de proposition de la forme [Adélaïde a la propriété F], telle que F(x) implique véri- conditionnellement avoir le je-ne-sais-quoi d’une femme du monde(x). On retrouve exactement le même phénomène en (8) ; il est peu probable que, même au cœur des Marolles, il se trouve un « expert » pour définir le comportement d’une vraie Bruxelloise et le contraster avec l’essence d’une bourgeoise de province (pour des conclusions similaires, voir Camp 2006).

Avant d’aller plus loin, il importe de montrer qu’aucun sens descriptif

inaccessible à L ne peut être assigné aux prédicats « inanalysés » de (5-8). D’après

Recanati (1997 ; 2000, chapitre 18), ceux-ci correspondent à des concepts qui intègrent

la somme des croyances de L sous la forme R

x

(σ). Considérons que le caractère d’un

concept consiste en une fonction qui projette les contextes d’usage sur des contenus

propositionnels (Kaplan 1989a) ; σ représente la signification publique du concept

inanalysé, tandis que R

x

est un opérateur déférentiel qui projette le symbole σ sur le

caractère que σ a pour un individu x « expert », au sens de Putnam (1975), c’est-à-dire à

même de fournir une description constituant le sens de σ ; de cette manière, on arrive

à concevoir que σ ait un sens descriptif, accessible à x, mais pas à L. Dès lors que les

contenus assertés en (5-8) se laisseraient reformuler sous la forme R

x

(σ)(y), ne pourrait-

(31)

on pas dire que des propositions comme (9) ou (10) constituent une évidence suffisante pour que (5-8) se conforment à la règle postulée par Williamson ?

(9) x sait/dit que σ(y).

(10) Pour toute propriété P telle que, P(y)→ σ(y), et x sait/dit que P(y).

Comme le souligne Dominicy (1999 ; aussi Delvenne, Michaux et Dominicy 2005, 103-104 ; Michaux et Dominicy à paraître), l’opérateur déférentiel de Recanati est soumis à des contraintes strictes :

The user [of R

x

(σ)] must entertain appropriate meta-representational attitudes, viz. the belief that some agent x uses σ with a certain content, and the intention to use R

x

(σ) with precisely that content. (Recanati 1997, 97) .

On vient de voir, cependant, que personne, de l’aveu même des locuteurs, n’est en mesure d’accéder descriptivement au contenu des concepts inanalysés en (5-8) : dès lors, dans la formule R

x

(σ), R

x

serait un opérateur inanalysé, c’est-à-dire dépourvu de contenu. Or Recanati (1997) lui-même prohibe l’intégration, au sein du « stock des croyances » du sujet, de contenus renfermant des éléments inanalysés.

De toute façon, même si le sens ou le caractère des concepts inanalysés se laissait traduire en une proposition « déférentielle » ou méta-linguistique comme (9) ou (10), on ne saurait garantir le caractère assertorique de (5-8) — du moins, pas dans la conception que Williamson se fait de l’assertion et de la connaissance. Pour des raisons bien connues, le sens (fregéen) de (le) je-ne-sais-quoi ou de Dieu ne saurait se ramener à [être appelé (le) je-ne-sais-quoi] ou [être appelé Dieu] : (7) n’est pas vrai dans tout monde possible

16

où Adélaïde instancie ce qui est appelé (le) je-ne-sais-quoi dans ce monde-là, mais dans tout monde possible où elle instancie ce qui est appelé (le) je-ne- sais-quoi dans la circonstance d’évaluation qui correspond au contexte de

16

Pour l’instant, nous ne faisons pas de différence entre monde possible et circonstance

d’évaluation ; nous y reviendrons (voir chapitre 7).

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