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Troisième journée juridique : 12 octobre 1963

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Conference Proceedings

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Troisième journée juridique : 12 octobre 1963

PATRY, Robert, et al.

PATRY, Robert, et al . Troisième journée juridique : 12 octobre 1963 . Genève : Georg, 1964, 132 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:141201

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MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE

No 19

ROBERT PATRY - EDMOND MARTIN-ACHARD GEORGES FOËX - CHRISTIAN DOMINICÉ

TROISIÈME

,

JOURNEE JURIDIQUE

12 octobre 1963

GENÈVE

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ GEORG & (ie S.A.

1964

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TROISIÈME

JOURNÉE JURIDIQUE

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© by Georg et Cie S.A. 1964. Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE

No 19

ROBERT PATRY - EDMOND MARTIN-ACHARD GEORGES FOËX - CHRISTIAN DOMINICÉ

TROISIÈME

,

JOURNEE JURIDIQUE

12 octobre 1963

GENÈVE

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ GEORG & Oe S.A.

1964

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AVANT-PROPOS

La Journée J°uridique que la F acitlté de Droit organise annitelle- ment depuis r96I est une institution que l'on peut d'ores et déJ°à quali- fier de coutumière.

Le programme de la troisième Journée J°uridique, qiti a eu lieu le I2 octobre r963, comprenait des exposés sur le droit des sociétés, la propriété intellectuelle, la procédure pénale et le droit international.

Le texte de ces exposés est reproduit dans le présent volume.

Alexandre BERENSTEIN Doyen

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L'action en annulation

des décisions de l'assemblée générale

par Robert PATRY

Professeur à la Faculté de droit

Dans toute société orgamsee corporativement, chacun de ses membres exerce un certain nombre de droits que la tradition classe en deux groupes distincts, soumis d'ailleurs à des règles différentes.

Les uns, d'ordre pécuniaire, constituent de simples créances contre la société et ne se distinguent pas essentiellement de toute autre créance de notre droit des obligations. Les autres, de nature sociale, non seulement appartiennent aux seuls membres, mais encore dépendent essentiellement de la nature de la société elle-même.

Ainsi, dans la société de personnes, où la personnalité des associés joue le rôle prépondérant, chacun exerce ses droits sociaux en commun avec ses coassociés et dispose de pouvoirs égaux à ceux des autres. Il en résulte logiquement que l'organisation sociale, fondée sur la notion de l'intuitus personae, se trouve dominée par les principes de l'unanimité et de l'égalité des droits sociaux.

En revanche, dans les sociétés de capitaux, où l'organisation corporative est plus rigide, le fonctionnement de l'entreprise rend impossible l'application de ces deux principes: les actionnaires ne sont pas liés entre eux par des rapports personnels, ils n'ont pas cet esprit de collaboration qui caractérise la société de personnes, de sorte que le principe de l'unanimité paralyserait pratiquement le fonctionnement de l'organisme social. En outre, parce que les actionnaires se sont groupés en considération non de leur person- nalité, mais de leurs apports dont la réunion est. nécessaire au développement de l'entreprise, l'application stricte du principe de l'égalité des droits sociaux causerait une injustice pour ceux qui ont fait des mises de fonds plus importantes que les autres.

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IO ROBERT PATRY

C'est pourquoi, l'organisation corporative de la société anonyme est entièrement dominée par le principe majoritaire 1, et cela à un double point de vue.

D'une part, toutes les décisions qui engagent la société anonyme sont prises par les divers organes sociaux, notamment par l'assem- blée générale des actionnaires, non pas à l'unanimité, mais à la majorité des voix représentées. C'est la majorité, non l'ensemble des actionnaires, qui fait la loi dans la société anonyme et qui dirige l'entreprise sociale.

D'autre part, chaque actionnaire ne dispose pas de pouvoirs égaux à ceux des autres; ses pouvoirs sont, en principe tout au moins, proportionnels à l'importance de ses apports: plus sa mise de fonds sera importante, plus grande sera son influence dans la direction des affaires sociales.

Et peut-être faut-il remarquer que cette inégalité se trouve par- fois encore aggravée par l'émission, autorisée dans les conditions de l'article 693 du code des obligations, d'actions à droit de vote privilégié.

Or, l'application rigoureuse de ce principe majoritaire dans le cadre de la société anonyme comporte un danger que nous retrou- vons, d;ailleurs, dans toutes les corporations soumises à ce principe.

Les individus - et dans la société anonyme encore moins qu'ail- leurs - n'agissent pas naturellement de manière désintéressée;

au contraire, chacun cherche, le plus souvent, à défendre ses intérêts personnels, sans se préoccuper beaucoup de l'intérêt commun ou de celui de son prochain. ·

Dans la société anonyme - qui, on doit le rappeler, est constituée intuitu pecitniae - la majorité risque donc d'abuser des pouvoirs que lui confère le principe majoritaire pour se servir de l'entreprise sociale comme de leur affaire propre 2Le danger existe alors, pour l'actionnaire isolé ou, même plus simplement, minoritaire, de voir ses droits violés et ses intérêts lésés dans la société.

1 Selon l'article 703 du code des obligations, «si la loi ou les statuts n'en dispo- sent pas autrement, l'assemblée générale prend ses décisions et procède aux élections à la majorité absolue des voix attribuées aux actions représentées. »

2 Voir Ernst WALDER, Unternelmzer- und PttblikmnsaMioniir, thèse de Zurich, 1955.

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L'ACTION EN ANNULATION I I

C'est pourquoi, de tout temps et partout, l'ordre juridique a dû intervenir pour atténuer les conséquences fâcheuses de ce prin- cipe majoritaire: en fait et tout particulièrement dans la société anonyme, la liberté dont jouissent les organes sociaux - liberté que l'on appelle l'autonomie corporative - est loin d'apparaître comme absolue. Elle se trouve limitée par de nombreuses dispositions légales - voire même par des principes généraux de droit non écrit - de caractère impératif, établis précisément dans le but de protéger les droits fondamentaux de chacun des actionnaires.

Mais alors se pose un problème qu'il importe d'étudier, celui de la sanction de ces règles juridiques.

Faut-il frapper de nullité absolue toute décision que la majorité a pu imposer dans la société anonyme en violation de ces règles impératives? Doit-on, au contraire, considérer que, dans ce domaine, seuls des intérêts privés, et non l'ordre public, sont en jeu et que, dès lors, il convient de laisser à chacun le soin de défendre lui-même ses droits dans la société anonyme?

Autrement dit, les décisions prises par l'un des organes en viola- tion de la loi ou des statuts sont-elles radicalement nulles ou seulement annulables ou attaquables à certaines conditions de fond et de forme?

*

*

*

Chez nous, la réponse paraît simple et nette. Dans toute corpo- ration de droit privé soumise au principe majoritaire, notre droit accorde à chacun des membres la faculté d'introduire devant le juge une action en annitlation des décisions sociales qui violent la loi ou les statuts. C'est un principe de portée générale établi dans l'article 75 du code civil suisse:

«Tout sociétaire est autorisé de par la loi à attaquer en justice, dans le mois à compter du jour où il en a eu connaissance, les déci- sions auxquelles il n'a pas adhéré et qui violent des dispositions

légales ou statutaires. » ·

Et, dans la société anonyme, chacun sait que de tout temps, même en l'absence d'une disposition légale dans l'ancien code, le Tribunal fédéral a toujours reconnu à l'actionnaire ce droit d'atta-

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12 ROBERT PATRY

quer en justice les décisions de l'assemblée générale, prises en viola- tion de la loi ou des statuts 1 .

La disposition actuelle de l'article 706, introduite dans notre code lors de la révision de 1936, n'a donc fait que consacrer légale- ment un principe admis depuis longtemps en jurisprudence:

«L'administration et chaque actionnaire peuvent attaquer en justice les décisions de l'assemblée générale qui violent la loi ou les statuts; l'action est dirigée contre la société».

En apparence, tout au moins, la situation paraît simple et claire:

entre les deux solutions de la nullité et de l'annulabilité, notre droit des sociétés a nettement choisi, puisqu'il ne retient, du moins offi- ciellement, que la seconde solution, celle de l'annulabilité.

Ainsi, celui qui se plaint de la violation de la loi ou des statuts, ne peut pas se borner à invoquer la nullité de la décision prise: il doit introduire en justice une action en annulation, dans les conditions précises de l'article 706 du code des obligations.

Et, par voie de conséquence, on devrait pouvoir alors considé- rer comme définitives toutes les décisions prises dans le cadre de la société anonyme, dès lors qu'une action en annulation n'a pas été introduite en justice dans le délai légal de deux mois.

Du point de vue matériel, un seul problème devrait donc rete- nir l'attention du juge; la décision attaquée viole-t-elle réellement une disposition légale ou statutaire ou encore, selon la jurisprudence, un principe général de droit non écrit 2

Et du point de vue de la procédure, le juge devrait simplement se demander si l'action satisfait aux exigences de l'article 706 du code des obligations.

En particulier, tenant compte des précisions apportées par la jurisprudence, le juge aurait à vérifier si l'action a bien été intro- duite dans le délai de deux mois selon les prescriptions de la loi de pro-

1 « Chaque actionnaire a un droit acquis à ce que la loi et les statuts soient observés et peut attaquer les décisions de l'assemblée générale qui les violent ...

*

Arrêt Timber Holdinggesellschaft contre J(ettmr & Cl•, ATF 50 II, pp. 496 ss.,

J. T. 1925 I, pp. 140 ss., notamment 145·

Voir aussi l'arrêt Saint-Gall co11tre Toggenburgbalm, du 28 mai 1897, ATF 23, pp. 913 ss., notamment 923.

2 ... ainsi, par exemple, le principe de l'égalité de traitement des actionnaires.

Arrêt Affida cont·re Société amfricano-su.isse d'électricité S.A., du 29 juin 1943, ATF 69 II, pp. 246 ss, J. T. 1944 I, pp. 45 ss, notamment 47 et 48.

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L'ACTION EN ANNULATION 13 cédure civile cantonale (soit, à Genève, par le dépôt en conciliation de l'exploit introductif d'instance) 1 ; en outre, il devrait s'assurer que le demandeur a la légitimation active, et, à ce propos, on peut rappeler un arrêt du Tribunal fédéral du 17 février 1948, selon lequel

«la participation à l'assemblée générale n'est pas une condition du droit de l'actionnaire d'attaquer en justice les décisions qui violent la loi ou les statuts» 2.

Enfin, le juge devrait encore vérifier si la décision attaquée émane bien de l'assemblée générale car, dans un arrêt du 21 mars 1950, le Tribunal fédéral a (faut-il le rappeler ici?) déclaré l'article 706 du code des obligations inapplicable, même par analogie, pour faire annuler une décision du conseil d'administration con- traire à une disposition légale ou statutaire. «Il n'y a pas, dans ce domaine, lacune de la loi, de sorte que l'actionnaire ne peut attaquer en justl.ce que les· décisions de l'assemblée générale; il n'existe pas d'action pour attaquer celles de l'administration» 3 .

* * *

Sur le plan théorique, tout cela paraît relativement simple, facile à comprendre: tout actionnaire qui n'a pas adhéré à une déci- sion de l'assemblée générale a le droit - un droit acquis au sens de l'article 646 du code des obligations 4 - d'attaquer en justice cette décision et, dans la mesure où il y a violation d'une disposition légale ou statutaire ou encore d'un principe général de droit non écrit, le juge doit simplement annuler cette décision.

1 Arrêt Daetwyler contre Delta Werke Zojingen A. G., du 13 décembre 1955, ATF 81 II, pp. 534 ss, J. T. 1956 1, pp. 269 ss, notamment 271 et272 (considérant l).

2 Arrêt Bachniann contre Bachmann & Cic S.A., du 17 février 1948, ATF 74 II 41 SS, J. T. 1949 1 pp. II SS.

Voir, en outre, l'arrêt Gi·rod contre Etablissements Barberai S.A., du 17 mai 1949, ATF 75 II, pp. 149 ss, J. T. 1950 1, pp. 571 ss, S. J. 1949, pp. 6u ss, et l'arrêt Pi'o- duits Perfectone S.A. contre Tchankerten, du 24 mai 1960, J. T, 1960 1, pp. 559 ss.

3 Arrêt F. X. cont·re .X & Co et consorts, du 21 mars 1950, ATF 76 II, pp. 51 ss,

J. T. 1950 1 pp. 555 SS.

Voir, en outre, l'arrêt Herold contre A. G. Biind11er Ifraftwerke, du 5 juillet 1955, ATF 81 II, pp. 462 ss, J. T. 1956 1, pp. 244 ss, notamment 246.

4 « Chaque actionnaire a un droit acquis à ce que la loi et les statuts soient observés et peut attaquer les décisions de l'assemblée générale qui les violent ... » Arrêt Timber Holdinggesellschaft contre Hettner & CI•, du 2 décembre 1924, ATF 50 II, pp. 496 ss, J.T. 1925 1, pp. 140 ss, notamment 145.

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ROBERT PATRY

Et pourtant, nous savons tous qu'en droit les solutions théo- riques trop simples sont parfois trompeuses: au-delà de l'apparence de simplicité ou de facilité, les véritables problèmes apparaissent lorsqu'il s'agit d'appliquer ces solutions dans la pratique. Et, bien entendu, il sera d'autant plus difficile de résoudre ces problèmes pratiques qu'ils ont échappé à l'attention du législateur.

Or, c'est précisément le cas de l'action en annulation des déci- sions de l'assemblée générale: le texte de l'article 706, que le Tri- bunal fédéral déclare net et précis, loin d'épuiser le sujet, laisse en réalité subsister un certain nombre de problèmes pratiques.

Nous nous proposons donc d'étudier aujourd'hui quelques-uns de ces problèmes, ceux que l'expérience de ces dernières années a révé- lés comme les plus fréquents et1 en même temps, les plus contro- versés, dans la doctrine et la jurisprudence.

Sans doute, devrait-on peut-être démontrer, d'abord, que malgré les apparences et le texte légal, notre droit des sociétés admet dans ce domaine, à côté de la solution légale de l'annulabilité, celles de la nitllité, d'une part, et de l'inefficacité relative, d'autre part.

En effet, une décision sociale - de l'assemblée générale ou du conseil d'administration - peut parfois être déclarée absolument nulle et non pas annulable seulement dans les conditions de l'arti- cle 706 du code des obligations.

C'est ce que prévoit expressément la loi allemande de r937 de même que, bien entendu, le projet de révision de r958 (projet dit Referentenentwurf) 1 ; en outre et surtout, c'est un principe admis dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, notamment dans un arrêt du 3 décembre r945 :

«Le code civil et le code des obligations déclarent simplement annulables les décisions de l'assemblée générale qui violent la loi ou les statuts; toutefois, la jurisprudence et la doctrine admettent unanimement qu'il y a aussi des décisions nulles; celles-ci ne doivent pas être prises en considération et les délais légaux prévus pour intenter l'action en annulation ne leur sont pas applicables» 2

1 Voir notamment Je§ 195 de la loi allemande du 30 janvier 1937 sur les sociétés anonymes (A ktiengesetz) et § 228 du Refere11tenentwurf eines Aktiengesetzes de 1958.

2 Arrêt Schweizerische Vereinigimg z11r W ahritng der Gebirgsi11teressen contre Vor- sta11d der schweizerischen Vereinigung zur W ahrung der Gebfrgsinteressen et consorts,

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L'ACTION EN ANNULATION 15 Quant aux conséquences pratiques, le Tribunal fédéral les a précisées dans un arrêt du 18 mai 1938:

«L'action tendant à faire constater la nullité absolue des déci- sions de l'assemblée générale d'une société anonyme se présente comme une action en constatation de droit. Le jugement qui admet une telle action a un effet exclusivement déclaratif; en d'autres termes, une décision de l'assemblée générale qui est radicalement nulle ne peut d'emblée produire aucun effet juridique même en l'absence d'une constatation juridique de la nullité. Celle-ci doit être prise en considération d'office par les tribunaux et les autorités administratives .... » 1.

D'autre part, nous ne devons pas oublier que, comme organes de la société, l'assemblée générale et le conseil d'administration ne peuvent pas prendre des décisions en violation des obligations qui lient la société elle-même à un tiers, actionnaire ou créancier:

comme tout autre. sujet de droit, la société doit respecter elle- même - et faire respecter par ses organes - ses obligations à l'égard des tiers.

C'est pourquoi, tout naturellement, la jurisprudence et la doc- trine en ont déduit la théorie de l'ineffecacité relative des décisions prises par les organes sociaux en violation des droits des tiers 2

Ainsi, par exemple, c'est en application de cette théorie que, dans son arrêt du 21 mars 1950, le Tribunal fédéral a autorisé un actionnaire à faire reconnaître en justice son droit d'exiger de la société le consentement de l'administration au transfert de ses actions nominatives.

«Ce droit est lié à la qualité d'actionnaire et peut être opposé à la société quel qu'en soit l'organe chargé d'accorder ou de refuser l'autorisation de transfert... Peu importe que la décision appar- tienne à l'administration, comme c'est généralement le cas, ou à l'assemblée générale; c'est toujours la société comme telle qui par

du 3 décembre 1945, ATF 71 II, pp. 383 ss, J. T. 1946 1, pp. 135 ss, notamment 139.

Voir, en outre, l'arrêt !<reis contre Helvetia A. G., du 12 mai 1960, ATF 86 II, pp. 78 ss, J. T. 1961 1, pp. 7 ss, notamment 13 et 14 (considérant 6).

1 Arrêt Spimier contre I<eton A.G. et Bachmann, du 18 mai 1938, ATF 64 II, pp. 150 ss, J. T. 1939 1, pp. 17 ss, notamment 20.

2 Voir, notamment, Walter René ScHLUEP, Die wohlerworbenen Rechte des Aktio- ndrs tmd ihr Scliutz nach schweizerischem Recht, thèse de Saint-Gall, 1955, pp. 266 ss.

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ses organes, admet ou refuse le transfert. C'est elle-même qui est tenue de par la loi de reconnaître le transfert des actions, si et dans la mesure où ce transfert n'est pas exclu ou limité par les statuts.

«Si la société refuse, contrairement à la loi et aux statuts, de procéder à ces actes, elle peut y être contrainte à la demande de l'actionnaire, inscrit au registre des actions, qui a transféré des actions à des tiers » 1.

En réalité, la solution de notre droit est plus complexe qu'elle ne paraît à la lecture du texte, précis et net de l'article 706: une décision peut, suivant les circonstances, être radicalement nulle, annulable ou encore relativement inefficace.

C'est, d'ailleurs, un fait qui n'est pas contesté, ni en doctrine, ni en jurisprudence: il est donc inutile d'insister sur ce fait. Tout au plus, pourrions-nous nous demander dans quelles circonstances il y a nullité absolue, mais c'est là une question délicate que nous n'avons pas l'intention d'étudier, car elle vient de faire l'objet d'une étude approfondie dans la thèse que M. Armin Strub a publiée récemment 2

En revanche, il est trois problèmes juridiques qui se posent de plus en plus souvent dans la vie de nos sociétés et dont la solution n'est pas encore évidente aux yeux de tous, car ils touchent à la fois au droit de fond et à la procédure.

* * *

Le premier de ces trois problèmes, le plus connu des trois et pourtant le plus controversé, c'est, bien sûr, le problème de l'arbi- trage.

En effet, tout particulièrement dans les sociétés anonymes dites de famille, où les rapports personnels entre des actionnaires peu nombreux jouent un rôle important, il est devenu courant d'intro- duire dans les statuts une clause arbitrale de portée générale.

1 Arrêt F. X. contre X & Co S.A. et consorts, du 21 mars 1950, ATF 76 II, pp. 51 ss, ]. T. 1950 1, pp. 555 ss, notamment 564 et 565.

2 Armin STRUB, Die Ungültigkeit von Generalversammlungsbeschlûsse der Aktien- gesellschaft, thèse de Zurich, 1963.

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L'ACTION EN ANNULATION

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Ainsi, par exemple, dans l'affaire jugée le 23 janvier 1959 par la Cour de Justice, l'article 59 des statuts de la Compagnie Aramayo de mines de Bolivie SA disposait ceci:

cc Toutes les contestations qui pourront s'élever pendant la durée de la société ou sa liquidation, soit entre les actionnaires et la société, ses administrateurs, l'administrateur délégué et les con- trôleurs, soit entre les actionnaires eux-mêmes, en raison des affaires de la société, seront résolues par des arbitres désignés conformément à la loi 1. »

Bien sûr, une telle clause arbitrale s'explique aisément par le fait qu'en même temps, les statuts contiennent généralement une clause dite de « Vinkulierung » - au sens de l'article 686 du code des obligations - et une clause de préemption sur toutes les actions nominatives en faveur et à la charge de tous les actionnaires.

Et comme les membres de ces sociétés ne désirent pas dévoiler au grand jour les secrets de leur entreprise sociale, ils établis- sent tout naturellement une clause arbitrale aussi générale que possible.

Or, il faut évidemment considérer l'action de l'article 706, en annulation des décisions de l'assemblée générale, comme l'une des contestations entre les actionnaires et la société, que les statuts soumettent obligatoirement à l'arbitrage.

Dès lors, la question, très importante dans la pratique, est de savoir si le texte de l'article 706 du code des obligations autorise le recours à l'arbitrage.

On doit, d'ailleurs, remarquer que la même question peut se poser dans le cadre de l'article 736, chiffre 4: en réalité, elle s'est posée dans un arbitrage encore en cours, car un actionnaire mino- ritaire avait, dans cette procédure arbitrale, introduite contre la société, conclu à la dissolution pour justes motifs.

Mais, quoi qu'il en soit, on est bien obligé de constater que les procédures arbitrales sont relativement fréquentes, qui tendent à l'annulation d'une décision de l'assemblée générale. 11 vaut donc la peine d'étudier ce problème qui, en réalité, est double.

1 Arrêt de la Cour de Justice de Genève, du 23 janvier 1959, S. J. 1960, pp. 121 ss, notamment 122.

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D'une part, il s'agit de savoir si, en principe, notre droit des sociétés admet la possibilité pour les actionnaires, d'introduire une clause arbitrale dans les statuts de leur société.

Et d'autre part, nous devons, en cas de réponse positive à cette première question, nous demander si un actionnaire ou l'administra- tion peuvent recourir à l'arbitrage pour attaquer une décision de l'assemblée générale qui viole la loi, les statuts ou un principe général de droit non écrit.

En ce qui concerne la première question, il est utile de remarquer ceci: le plus souvent, dans l'esprit des actionnaires qui l'introdui- sent dans les statuts, la clause arbitrale a d'abord pour but de résou- dre, plus facilement et rapidement, tous les litiges pouvant surgir au sujet de l'exercice d'un droit de préemption sur les actions et de l'application de la clause de Vinkulierung, selon l'article 686 du code des obligations.

La clause arbitrale est donc, dans la pratique, liée étroitement à la clause de préemption qu'elle vient compléter.

Sans doute, est-ce un peu sortir de notre sujet, mais il vaut tout de même la peine de se demander si un droit de préemption sur les actions a bien sa place dans les statuts d'une société anonyme.

Ne devrait-il pas plutôt, avec la clause d'arbitrage qui le sanc- tionne, faire l'objet d'un accord entre actionnaires, de caractère privé et en dehors des statuts?

Quelle que soit la théorie générale que l'on adopte - contrac- tuelle ou institutionnelle - les statuts de la société anonyme ont à fixer les droits et les obligations des actionnaires à l'égard de la société, dans la mesure nécessaire au fonctionnement normal de l'organisation sociale 1 •

En revanche, tout ce qui ne concerne pas directement les rap- ports sociaux et l'organisation corporative, mais les rapports pri- vés entre actionnaires 2 devrait normalement demeurer en dehors des statuts: ainsi, en particulier, les accords que les actionnaires

1 Voir, notamment, E. ScHUCANY, Kommentar zuni schweizerischen Ahtienrecht, Zurich, 2• édition, 1960, ad Art. 626, note 1.

2 Ainsi, par exemple, les accords que les actionnaires concluent au sujet de l'exer- cice de leurs droits dans la société, car ces accords sont de nature essentiellement contractuelle.

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L1 ACTION EN ANNULATION 19 concluent au sujet de l'exercice de leurs droits dans la société, car ces accords sont de nature essentiellement contractuelle 1 ; c'est du moins le point de vue que M.

J

aggi a soutenu en 1958 2

Toutefois, il faut reconnaître que la majorité de la doctrine est d'un avis opposé: en effet, la plupart des auteurs, en particulier MM. Fritz de Steiger, Alfred Wieland et Othmar Lehner considèrent que le droit de préemption sur les actions peut figurer dans les sta- tuts de la société anonyme, afin de compléter une clause de Vinku- lierung 3; de même, dans un arrêt du 13 mai 1955, le Tribunal fédéral n'a pas contesté la validité d'une clause de préemption dans les statuts 4 •

Or, cette constatation nous amène à formuler ici deux remar- ques.

D'une part, dans la mesure où l'on adopte ce point de vue - sans doute critiquable en bonne logique, mais somme toute imposé par la pratique-, on doit alors comprendre que, par son inscription dans les statuts, le droit de préemption acquiert en quelque sorte un effet réel, analogue à celui qui résulte, en matière immobilière, d'une annotation au registre foncier. C'est un principe admis en doctrine, en ce sens que, par son inscription dans les statuts, ce droit de préemption devient opposable à tous ceux qui, par la suite, entreront dans la société.

Mais, d'autre part, nous ne devons pas oublier que, quelles que soient les circonstances de sa création, un droit de préemption demeure de nature essentiellement contractuelle; c'est donc dire, en d'autres termes, qu'il ne pourrait pas être établi par une sim-

1 Voir, à ce sujet, Hans GLATTFELDER, Die Aktioniirbindimgsvert-riige, Z. S. R. 1959, pp. 141 a ss, notamment 227 a; Robert PATRY, Les accords sur l'exercice des droits de l'actionnaire, Z. S. R. 1959, pp. 1 a ss, notamment 59 a.

2 Peter J AGGI, Ungelôste Fragen des Aktienrechts, S. A. G. 1958/59, pp. 57 ss, notamment 68.

3 Othmar LEHNER, Gemeinsame Charakterziige und Wirkungen der aktienreclit- lichen Vorkaufsrechte, S. A. G. 1953/54, pp. 189 ss, et 218 ss; Emil ScHUCANY, Die

Wirlmng statutarischer Vorkaujsrechte an Aktien gegeniiber Dritterwerber, S. A. G.

1954/55, pp. 63 ss; Alfred WIELAND, Haben statutarische Vorkaufsrechte an Aktien obligatorische oder aMienrechtliche {dingliche) Wirkung? S. A. G. 1954/55, pp. 152 ss;

Fritz von STEIGER, Das Vorkaufsrecht und J(aufrecht an Aktien, S. A. G. 1953/44, pp. 1 SS.

4 Arrêt Garesa S.A. contre Grand Anstalt, du 13 mai 1955, ATF 81 Il, pp· 197 ss, J.T. 1956 I, pp. 66 ss, notamment 68 et 69.

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ple décision majoritaire de l'assemblée générale: l'opposition d'un seul actionnaire suffirait pour y faire obstacle.

Or, il en est de même pour les clauses arbitrales inscrites dans les statuts d'une société anonyme. Comme pour le droit de préemp- tion, il faut bien admettre la possibilité de prévoir dans les statuts l'arbitrage obligatoire pour tout litige entre actionnaires ou entre la société et l'un de ses membres. Un tel procédé peut certes paraî- tre critiquable aux yeux d'un théoricien, mais il n'est pratiquement plus possible de l'interdire.

D'ailleurs, nous savons tous que les grandes associations écono- miques ont depuis longtemps introduit dans leurs statuts une clause arbitrale, dont le Tribunal fédéral n'a jamais contesté la validité de principe. Tout au plus, a-t-il, dans une jurisprudence abondante et bien connue, surbordonné la compétence du tribunal arbitral à une relative indépendance des arbitres: «la sentence arbitrale, a-t-il déclaré dans un arrêt du 7 décembre 1955, ne mérite d'être assimilée au jugement d'un tribunal ordinaire que si le tribunal arbitral qui l'a rendue présente des garanties suffisantes d'indépen- dance »1 .

Or, bien sûr, cette condition se trouve pratiquement toujours réalisée dans le cadre de la société anonyme, car les statuts n'établis- sent pas, comme dans les grandes associations économiques, un tribunal institutionnel et permanent, mais prévoient simplement, pour chaque litige, la nomination d'arbitres indépendants des parties.

Mais, si l'on peut ainsi admettre la validité des clauses arbitrales figurant dans les statuts de nombreuses sociétés anonymes, on ne doit tout de même pas oublier la nature essentiellement volontaire ou contractuelle de ces clauses.

1 Arrêt Lus en a W atch S.A. contre Fédération suisse des associations de fabricants d'horlogerie et consorts, du 7 décembre 1955, ATF 81 1, pp. 321 ss, J. T. 1956 1, pp.

532 ss, notamment 535.

Voir, en outre, l'arrêt Biedermann-Graeppi contre Brod. ]Hstesen, du 17 mai 1950, ATF 76 1, pp. 121 ss, J. T. 1951 1, pp. 46 ss; l'arrêt Union suisse de la Benzine contre jean Osterwalder, du 21 juin 1950, ATF 76 1, pp. 87 ss., J. T. 1951 1, pp. 77 ss;

l'arrêt Fédération du tabac contre dame Ehimofj, du 13 octobre 1954, ATF 80 1, pp. 336 ss, J. T. 1955 1, pp. 217 ss et l'arrêt Ligna contre Baumgartner & CI• S.A., du 12 février 1958, ATF 84 1, pp. 39 ss, J. T. 1958 1, pp. 566 ss.

(23)

L'ACTION EN ANNULATION 21 Comme le droit de préemption qu'elles sont généralement appe- lées à sanctionner, elles reposent nécessairement sur un accord de volonté des actionnaires.

A ce propos, on peut citer un bref passage de l'ouvrage fonda- mental que M. Klein a publié en 1955 sur l'arbitrage:

«Nous relèverons tout d'abord qu'il ne peut y avoir arbitrage que si et dans la mesure où les parties l'ont voulu. C'est là essentiel- lement en quoi cette institution se distingue de la fonction judi- ciaire étatique>> 1.

Dans le même sens, le Tribunal fédéral a dit, dans son arrêt Triebold et consorts contre Fédération horlogère :

«Le droit garanti par l'article 58 de la Constitution doit égale- ment être respecté sur le terrain du droit civil; en vertu de l'article 27 du code civil, il est contraire au droit de la personnalité qu'un individu soit distrait de son juge naturel contre sa volonté» 2

Il en résulte alors cette conséquence trop souvent négligée dans la doctrine: de nature essentiellement contractuelle ou volontaire, une clause arbitrale, pas plus qu'un droit de préemption sur les actions, ne peut être introduite dans les statuts d'une société ano- nyme par une simple décision majoritaire de l'assemblée générale;

elle suppose l'accord unanime de tous les membres de la société au moment où la décision est prise.

Dans un arrêt du 4 juillet 1963, la Cour d'appel de Berne a expressément admis ce principe 3

* * *

1 Frédéric Edouard KLEIN, Considérations sur l'arbitrage en droit international privé, Bâle, 1955, p. 33.

2 Arrêt Triebold et consorts contre Fédération suisse des associa.t-ions de fabricants d'horlogerie et consorts, du 15 décembre 1959, ATF 85 II, pp. 489 ss, J. T. 1960 1, pp. 322 ss, notamment 329.

3 Selon cet arrêt (pages rr et 12), «le compromis d'arbitrage est un contrat par lequel les deux contractants renoncent à leur juge naturel pour en désigner un de leur choix ... En l'espèce, le demandeur a voté contre l'article 30 des statuts. Il n'y a donc pas eu contrat, donc pas de renonciation de sa part à son juge naturel. La majorité des voix des actionnaires présents à l'assemblée générale extraordinaire ne pouvait par ailleurs pas suppléer à son consentement, car le droit à son juge naturel est un droit constitutionnel dont tout citoyen peut exiger l'application, même dans le cadre du droit privé et auquel il ne peut renoncer que par une déclaration expresse, par exemple par un vote. Une exception pourrait toutefois être admise dans les cas, certainement très rares, où l'institution d'un tribunal arbitral serait commandée

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22 ROBERT PATRY

Nous arrivons ainsi à la seconde partie du problème, celle qui se trouve en rapport direct avec l'article 706 du code des obligations.

Peut-on recourir à l'arbitrage (en vertu d'une clause arbitrale ou d'un compromis arbitral) pour faire annuler une décision de l'assemblée générale qui viole la loi, les statuts ou un principe géné- ral de droit non écrit?

A ce propos, on doit d'emblée remarquer que nous ne pouvons tirer aucun argument valable de la solution allemande: sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, le texte de la loi allemande est plus précis que celui de notre code des obligations.

En effet, selon le § 199 alinéa 2 de cette loi allemande, l'action en annulation - die Anjechtungsklage - est de la compétence exclu- sive du Landgericht du lieu où la société anonyme a son siège social, de sorte que dans ce domaine, il n'est pas question de recourir à l'arbitrage.

En revanche, l'article 706 de notre code des obligations déclare simplement que l'administration ou chaque actionnaire peuvent attaquer en justice les décisions de l'assemblée générale.

Ainsi, comme l'a relevé la Cour de Justice dans son arrêt du 23 janvier 1959:

cc On ne saurait déduire de ces termes que le législateur a voulu sur ce point exclure une décision arbitrale. Comme l'a catégori- quement jugé le Tribunal fédéral, les nombreuses dispositions de la loi qui prévoient le recours au juge ne signifient nullement qu'il faille s'adresser aux tribunaux publics, le juge pouvant être l'arbi- tre choisi par les parties » 1.

Au surplus, on peut encore rappeler que, dans la plupart des cantons, la sentence arbitrale, prononcée conformément aux règles de la loi de procédure civile, est tout simplement assimilée, quant à

par l'intérêt impérieux de la société, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ... Les nouveaux membres qui entrent dans la société adhèrent effectivement à la clause compromis- soire contenue dans les statuts et y donnent leur consentement par l'acceptation de ceux-ci. Par contre, une adjonction postérieure d'une clause compromissoire dans des statuts qui ne la prévoyaient pas auparavant ne peut contraindre un mem- bre à s'y soumettre contre son gré et malgré son vote négatif... »

Arrêt Louis Brnndt cont-re Fabrique de boîtes Bielna S.A., du 4 juillet 1963 (non publié).

1 Arrêt Compagnie Aramayo de mines en Bolivie S.A. contre BiiHmlin et autres, du 23 janvier 1959, S. J. 1960, pp. 121 ss, notamment 124.

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L'ACTION EN ANNULATION 23

ses effets, à un jugement rendu par les tribunaux publics: ainsi, à Genève, selon l'article 390 de la loi de procédure civile gene- voise.

Dès lors, pourquoi ne pas admettre tout simplement l'annula- tion des décisions de l'assemblée générale par la voie arbitrale?

En fait, une telle solution, qui présente d'ailleurs de nombreux avantages, se heurte pratiquement à deux difficultés successives, qu'il importe de bien saisir si l'on veut arriver à une solution valable en droit suisse.

La première difficulté d'un recours à l'arbitrage dans le cas de l'article 706 réside dans le fait que selon le dernier alinéa de cet article:

«Le jugement qui annule une décision de l'assemblée générale est opposable à tous les actionnaires et chacun d'eux peut s'en pré- valoir.»

Du point de vue théorique, il est pour le moins douteux qu'une sentence arbitrale puisse toujours satisfaire à cette exigence de l'article 706, alinéa 5. Fondée nécessairement sur une convention (qui peut être soit un compromis arbitral, soit une clause d'arbi- trage), la sentence peut en bonne logique, sortir ses effets juridiques seulement à l'égard des parties directement en cause dans la pro- cédure ou, tout au plus, entre les parties à cette convention. En vertu du principe bien connu de la relativité des conventions, la sentence demeure donc inopposable aux tiers.

Dès lors, on ne devrait co~sidérer le recours à l'arbitrage comme possible dans le cas de l'article 706 que si la sentence était réelle- ment opposable tant à la société elle-même qu'à tous les actionnaires.

Or, pour atteindre ce résultat, il faudrait non seulement que tous les membres de la société soient liés par la convention d'arbitrage (d'ailleurs, c'est généralement le cas, puisque la clause arbitrale figure dans les statuts de la société anonyme), mais encore qu'ils aient au moins la possibilité d'intervenir dans la procédure afin de défendre directement leurs intérêts.

Mais, comme à Genève, la loi ne connaît pas l'intervention en matière d'arbitrage, il faudrait que tous les actionnaires soient en cause dans la procédure arbitrale ou, si tel n'est pas le cas, que la clause arbitrale inscrite dans les statuts confère expressément à

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ROBERT PATRY

chacun des actionnaires et à l'administration le droit d'intervenir dans la procédure.

Mais, alors, une seconde difficulté surgit, comme conséquence à la fois de la première difficulté et de la combinaison nécessaire, en matière d'arbitrage, des règles du droit de fond unifié avec celles des diverses procédures cantonales.

En effet, cc le Tribunal fédéral a abandonné en 1915 sa concep- tion suivant laquelle le compromis arbitral et la clause arbitrale appartiennent au fond du droit. D'accord avec la doctrine domi- nante, il a rangé ces conventions et stipulations dans la procédure régie exclusivement par le droit cantonal... » 1 .

Or, dans la plupart des cantons, la loi de procédure civile autorise le recours à l'arbitrage seulement dans les litiges ayant pour objet des droits dont les parties ont la faculté de disposer librement 2•

Et, somme toute, l'article 371 de notre loi de procédure civile gene- voise ne fait qu'exprimer la même idée dans des termes différents, lorsqu'il interdit de soumettre cc à la décision d'arbitres ... les objets sur lesquels la loi ne permettrait pas de transiger >>.

Mais, alors, selon le Tribunal fédéral, cc la question de savoir s'il en est ainsi relève du droit fédéral lorsque les droits considérés sont conférés par les lois de la Confédération. Et leur solution est alors préjudicielle pour celle de la validité du compromis arbitral en droit cantonal. Le Tribunal fédéral est compétent pour en connaî- tre>> 3.

Somme toute, nous retombons ainsi dans la même difficulté que celle signalée tout à l'heure; mais cette fois, nous devons l'en- visager d'un point de vue plus formaliste, puisqu'elle résulte d'une disposition expresse de la loi de procédure civile: selon cette loi cantonale, la procédure arbitrale n'est valable et possible que si, de son côté, l'article 706 du code des obligations laisse aux parties le droit de disposer librement de l'action ou, ce qui revient au même, le droit de transiger (selon l'expression de la loi genevoise).

1 Arrêt Buss A. G. contre Milo Werke, Nationalunternehmen, du 14 mai 1959, ATF 85 II, pp. 149 ss, J. T. 1959 I, pp. 555 ss, notamment 556.

2 Ainsi, par exemple, le code de procédure civile bernois, article 380.

3 Arrêt Inderbitz-in contre Sshweizerischer Tabakverband du 1er septembre 1952,

J. T. 1953 I, pp. 130 ss, notamment 131 et 132.

(27)

L'ACTION EN ANNULATION 25 Bien sûr, le texte de cet article 706 ne le conteste pas formelle- ment, mais, une fois encore, nous devons revenir à l'alinéa 5.

En effet, nous ne pouvons pas ignorer cette disposition légale qui stipule que le jugement sera opposable à tous les actionnaires, donc même à ceux qui n'ont pas participé à la procédure. Dès lors ne devrait-on pas considérer que les parties au procès, soit l'action- naire minoritaire, demandeur en annulation, d'une part, et la société, défenderesse, d'autre part, ne peuvent pas transiger, c'est- à-dire disposer de droits qui ne leur appartiennent pas en propre, mais appartiennent aussi aux autres actionnaires? En particulier, les membres de la société qui ont voté en faveur de la désicion attaquée, ont le droit de penser que les représentants de la société défenderesse soutiendront loyalement leur point de vue majori- taire et s'abstiendront de conclure, à leur dépens, un accord avec le demandeur.

Tel est, en tout cas, l'avis du Tribunal fédéral qui, dans un arrêt du 21 décembre 1954. a nié la validité d'une transaction, même judiciaire, dans le cadre de l'action prévue par l'article 706.

«Car l'annulation d'une telle décision est opposable à tous les actionnaires et cet effet absolu suppose un jugement. Il est évident, en effet, qu'un actionnaire ne pourrait, par un accord extrajudi- ciaire passé avec le représentant de la société, annuler une décision de l'assemblée générale et lier par cette convention les autres action- naires. Or, il ne saurait en être autrement d'une transaction judi- ciaire. Celle-ci exige le même pouvoir de disposition sur l'objet du litige ... » 1.

Dans ces conditions, puisque les parties n'ont pas ce pouvoir de disposer librement de l'action ni celui de transiger, ne devrions- nous pas considérer la cause de l'arbitrage comme définitivement perdue, et interdire toute transaction ou procédure arbitrale dans le cadre de l'article 706?

Nous ne le pouvons pas, car la jurisprudence du Tribunal fédéral paraît aller trop loin.

1 Arrêt M orage et consorts contre Département genevois du commerce et de l' indus- trie, du 21décembre1954, ATF Bo I, pp. 385 ss, J. T. 1955 I, pp. 202 ss, S.J. 1955, pp. 609 ss, notamment 614.

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26 ROBERT PATRY

D'ailleurs, il est significatif que, de divers côtés, l'on a expressé- ment admis la possibilité d'un recours à l'arbitrage: c'est, du moins, l'avis de la doctrine 1.

En outre, la Cour d'appel de Berne, dans un arrêt du 2 décembre 1942, a, elle aussi, admis la possibilité cc de' faire trancher par arbi- trage l'action par laquelle, en se basant sur l'article 706 du code des obligations, on attaque les décisions de l'assemblée générale d'une

société anonyme» 2. ·

Toutefois, nous pouvons remarquer que ces divers articles et cet arrêt bernois sont tous antérieurs à l'arrêt du Tribunal fédéral.

Au surplus, ces auteurs se sont en général appuyés sur un argu- ment que la Cour d'appel de Berne avait développé dans son arrêt du 2 décembre 1942, mais que le Tribunal fédéral a expressément rejeté, dans son arrêt du 21 décembre 1954: selon la Cour bernoise et les auteurs qui l'ont suivie dans ce raisonnement, les parties sont privées de leur droit de disposition (et par voie de conséquence, toute transaction ou procédure arbitrale est exclue) seulement dans les litiges où l'intérêt de l'Etat ou, au moins, l'intérêt public, se trouve en jeu.

cc Mais, selon le Tribunal fédéral, l'objet du litige n'est pas seule- ment soustrait à la libre disposition des parties dans les différends qui touchent à l'intérêt public, comme les divorces. C'est également le cas lorsque, en vertu du droit matériel, la situation juridique créée par le jugement est opposable à des tiers qui n'interviennent pas dans la procédure ... » 3 •

C'est là, nous semble-t-il, l'argument décisif, argument d'autant plus décisif, d'ailleurs, qu'il nous est dicté sans ambages par la juridiction suprême dans l'interprétation du droit fédéral.

Cependant, nous devons maintenant remarquer que cet argu- ment nous conduit logiquement à une solution finale plus nuancée

i Werner STAUFFER, Düijen Schiedsgerichte Anfechtungsklagen nach Art. 706 O.R. beurteilen? S. J. Z. 1947, pp. 213 ss; Wolfhart BüRGl, Komnzentar ad Art. 706 O. R., note 66; Emil STEINER, Aktiengesellschaft 1md Schiedsgericht, S. A. G. 1949/50, pp. 138 SS.

2 Arrêt de la Cour d'appel de Berne, du 2 décembre 1942, Z. B. J. V. 1943, pp.

565 SS.

3 Arrêt Moroge et consorts contre Département genevois dit commerce et de l'indi1s- trie, du 21 décembre 1954, ATF 80 1, pp. 385 ss, J. T. 1955 1, pp. 202 ss, S. J. 1955, pp. 609 ss, notamment 614.

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L'ACTION EN ANNULATION

27

que ne le laissait paraître le Tribunal fédéral dans cet arrêt du 21

décembre 1954·

En effet, ce· serait une profonde erreur de croire que, dans le cadre de l'action en annulation des décisions de l'assemblée générale, toute transaction et, par voie de conséquence, tout arbitrage soient toujours exclus.

Et c'est le grand mérite de notre Cour de Justice dans son arrêt du 23 janvier 1959 d'avoir réservé le cas, plus fréquent qu'on ne pourrait le penser, où tous les actionnaires sont en cause: elle a, en effet, «admis en principe que tous les actionnaires peuvent vala- blement convenir de soumettre à l'arbitrage les actions dirigées con- tre les décisions de l'assemblée générale, ce qui ne heurterait ni l'article 706 du code des obligations, ni l'article 371 de la loi de pro- cédure civile genevoise » 1.

Or, il faut le relever ici, cette solution satisfait également aux exigences de la pratique.

En effet, l'arbitrage n'est en fait possible que dans les sociétés anonymes dites de famille, c'est-à-dire dans les sociétés où les action- naires sont peu nombreux et liés entre eux par des rapports per- sonnels étroits. Or, dans l'exécution de leur mission, les arbitres peuvent, plus librement que les juges ordinaires, apprécier toutes les circonstances qui pourraient justifier l'annulation d'une décision de l'assemblée générale.

C'est dire, en d'autres termes, que l'arbitrage présente l'avantage de permettre aux arbitres - ce qu'un juge ordinaire ne pourrait pas faire - de tenir compte aussi des relations personnelles entre les actionnaires, relations qui, nous le savons bien, peuvent jouer un rôle décisif dans les litiges entre actionnaires majoritaires et mino- ritaires au sujet des décisions de l'assemblée générale.

* * *

Le second problème pratique mériterait d'être mieux connu:

en effet, l'actionnaire minoritaire se contente trop souvent d'atta-

1 Arrêt de la Cour de Justice de Genève, dans la cause Compagnie Aramayo de mines en Bolivie S.A. contre Biimnlin et autres, du 23 janvier 1959. S. J. 1960, pp.

121 ss, notamment 127.

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28 ROBERT PATRY

quer en justice une décision de l'assemblée générale, sans s'inquié- ter des conséquences définitives et parfois irréparables que cette décision pourrait entraîner avant son annulation judiciaire.

C'est donc le problème des mesures provisionnelles qui se pose ici et de la manière suivante.

Dans notre introduction, nous avons dit que notre droit a retenu, dans le cadre de l'article 706, en principe tout au moins, la solution de l'annulabilité, et non pas celle de la nullité des décisions prises en violation de la loi ou des statuts.

On doit donc, logiquement, en déduire qu'une décision demeure valable aussi longtemps qu'elle n'a pas été annulée par un jugement définitif prononcé dans les conditions de l'article 706 de notre code des obligations.

Or, nous savons tous que l'exécution de certaines décisions peut entraîner des conséquences irrémédiables.

Sans doute, la doctrine 1 nous enseigne que cette exécution n'est que provisoire, car le jugement d'annulation a un effet rétro- actif - ex tune et non pas ex nunc - de sorte que, dès le jugement, la décision annulée sera réputée n'avoir jamais existé et, en théo- rie tout au moins, ses effets juridiques devront être purement et simplement supprimés.

Mais, en réalité l'expérience montre que cela est parfois impos- sible à réaliser: la situation dans la société peut a voir changé de manière telle que l'annulation d'une décision aurait perdu toute utilité pratique pour l'actionnaire minoritaire.

On peut le démontrer par un exemple, plus fréquent qu'on ne le pense dans la vie des sociétés anonymes: une assemblée générale, en violation de la loi ou des statuts, révoque les administrateurs et procède à l'élection de leurs successeurs qui, bien sûr, s'empressent de se faire inscrire au registre du commerce. Or, l'annulation de ces décisions ne pourra évidemment pas remédier au fait que, pendant tout le temps du procès, les véritables administrateurs ont été, de manière irrégulière, empêchés d'exercer leurs fonctions.

Dès lors, pour éviter d'être ainsi placé devant le fait accompli, l'actionnaire minoritaire devrait pouvoir pendant toute la durée

1 Voir, en particulier, Wolfhart BüRGI, Kommentar ad Art. 706 O. R., note 66.

(31)

L'ACTION EN ANNULATION 29

du procès en annulation, empêcher la société de mettre à exécution les décisions qu'il attaque en justice. Et, bien sûr, c'est par la voie de la mesure provisionnelle qu'il pourrait obtenir ce résultat.

«Comme une procédure ordinaire s'étend souvent sur une période assez longue il peut être nécessaire d'accorder à l'une des parties une protection juridique provisoire, déjà avant que le jugement au fond ne soit entré en force. C'est précisément le but que pour- suivent les mesures provisionnelles ... » 1 .

Mais, alors, nous devons comprendre que, dans ce domaine comme dans celui de l'arbitrage, la difficulté réside dans le fait que la solution du problème dépend à la fois du droit de fond - fédéral - et de la procédure, qui est cantonale.

Ainsi, à Genève, notre loi de procédure civile ne prévoit nulle part - même pas dans le texte de l'article 25 bis - la possibilité d'ob- tenir des mesures provisionnelles dans le cadre d'une action en annulation des décisions de l'assemblée générale.

Reste alors, la disposition de l'article 12, qui paraît être de por- tée très générale, puisqu'elle autorise le juge - c'est-à-dire la Cour et le Tribunal, pour les causes placées dans leurs compétences respectives - à « statuer sur toute autre espèce de demande provi- sionnelle ».

Toutefois, nous savons bien que la jurisprudence a tout de même limité le champ d'application de cet article 12:

«Une demande de mesures provisionnelles fondée sur l'article 12

L.P.C., déclare un arrêt du I I janvier 1957, doit se justifier au vu d'une disposition du droit matériel susceptible d'en faire admettre le bien-fondé. Si la mesure provisionnelle n'est pas prévue comme telle par le droit de fond, elle doit tout au moins « préfigurer >> la mesure qui pourra être ordonnée dans le jugement au fond en vertu d'une règle déterminée de ce droit... >> 2 •

Or, pas plus que le § 199 de la loi allemande, qui est muette sur ce point, l'article 706 de notre code des obligations ne prévoit expressément l'éventualité d'une mesure provisionnelle dans le

1 Arrêt Ziegler contre G1·osclattde et Berne, du II avril 1962, ATF 88 I, pp. II ss,

J. T. 1962 I, pp. 590 ss, notamment 59r.

2 Arrêt Steinhauslin contre S.A. du Garage de Montchoisy, du II janvier 1957, S. J. 1958, pp. 129 ss, notamment 133·

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30 ROBERT PATRY

cadre de l'action en annulation. Elle ne sous-entend même pas une telle éventualité.

Faut-il, dès lors, exclure toute mesure provisionnelle?

Certainement pas, car il apparaît nécessaire d'établir 1c1 une distinction entre deux groupes de décisions: le premier groupe comprend évidemment toutes les décisions portant sur des faits soumis à l'inscription au registre du commerce et le second groupe comprend toutes les autres décisions de l'assemblée générale, celles qui ne sont pas soumises à l'inscription.

En effet, nous savons - et un arrêt du Tribunal fédéral du 14 janvier 1958 le confirme expressément 1 - , que les décisions du pre- mier groupe «ne produisent leurs effets qu'à partir de leur inscrip- tion au registre du commerce et cela aussi bien pour les actionnaires que pour les tiers». Ainsi, pratiquement, le demandeur en annula- tion pourrait assurer la sauvegarde provisoire de ses droits et éviter d'être placé devant le fait accompli s'il pouvait s'opposer à l'ins- cription des décisions qu'il attaque en justice.

Or, précisément, l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance sur le registre du commerce paraît lui donner ce droit d'opposition:

« Si une opposition de droit privé est formée contre une inscrip- tion non encore opérée, le préposé impartit à l'opposant un délai suffisant d'après la procédure cantonale pour obtenir du juge une ordonnance provisionnelle. >>

Il est vrai que, dans un arrêt du 31 janvier 1940, le Tribunal fédéral a interprété cette disposition dans ce sens un peu curieux que l'ordonnance provisionnelle, tendant à interdire provisoirement l'inscription, serait subordonnée à une autorisation expresse de la loi de procédure cantonale 2

Mais, quoi qu'il en soit de ce petit jeu de renvoi entre le droit fédéral et le droit cantonal, nous pensons qu'à Genève cette condi- tion se trouve réalisée: l'article 25 bis dernier alinéa de la loi de pro- cédure civile donne au Tribunal de première instance le droit « de statuer sur les mesures provisionnelles en matière de contestations civiles concernant le registre du commerce »; et l'opposition civile

1 Arrêt Z.imnierma.nn & Co A. G. contre Zimmermann, du r4 janvier 1958,ATF 84 II, pp. 34 ss, J. T. 1958 1, pp. 361 ss, notamment 364.

2 S. J. Z. 1940/41 p. 12; S. A. G. 1940/41, p. 14.

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