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L'abus de droit en droit suisse des affaires

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L'abus de droit en droit suisse des affaires

CHAPPUIS, Christine

CHAPPUIS, Christine. L'abus de droit en droit suisse des affaires. In: Ancel, Pascal ; Aubert, Gabriel ; Christine, Chappuis. L'abus de droit : comparaisons franco-suisses . Saint-Etienne : Publ. de l'Université de Saint-Etienne, 2001. p. 69-99

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42936

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Christine CHAPPUIS

Introduction

1 - Le droit des affaires pour autant qu'on puisse le définirl, englobe le droit commercial ainsi que toutes les branches du droit qui intéressent l'entreprisez. A ce titre, certaines institutions générales du droit des obli- gations comme le contrat, la prescription ou la forme, de même que le droit des personnes morales y trouvent leur place. Ces quatre domaines ont été choisis pour illustrer l'abus de droit du fait qu'une jurisprudence relativement abondante a permis la formation de lignes directrices, parfois de véritables définitions. Étant donné que l'abus de droit est une exception d'application tout à fait générale, il est utilisé dans les domaines men- tionnés sans qu'il y ait lieu de faire une distinction entre le droit civil et le droit commercial. Les lignes directrices ou les définitions qui ont été déve- loppées sont fondamentalement les mêmes; seule l'appréciation des cir- constances du cas d'espèce est différente lorsque l'une des parties ou les deux sont des commerçants3. La présente étude s'attache principalement à mettre en évidence l'enseignement qui peut être tiré de la jurispruden- ce du Tribunal fédéral en cette matière.

2 - L'abus de droit dans l'invocation de la prescription (1), d'un contrat (théorie de l'imprévision, Il), d'un vice de forme (Ill) et, pour terminer, de la personnalité morale (principe de la transparence, IV) sera examiné selon le plan suivant: après une brève description de l'institution juridique à

1 - Yves Guyon, Droit des affaires, tome 1, 5' éd., Paris, Economica, 1988, p. 1 sq.

2 - Yves Chartier, Droit des affaires, tome 1, Paris, PUF, 1993, p. 19 sq.

3 - Ainsi, par ex., l'ATF 123/1996 Ill 70, 75, mentionne le fait que le locataire qui invoquait la nullité pour vice de forme d'une hausse de loyer était un homme d'affaires expérimenté (cf. infra, n. 66).

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laquelle l'art. 2 al. 2 CC est opposé (A), on examinera comment le Tribunal fédéral a défini les conditions et les conséquences de l'abus de droit pour chacune de ces institutions (B), avant de développer quelques exemples tirés de la jurisprudence (C).

1 - La prescription A - Institution juridique

3 - L'écoulement du temps n'affecte en principe pas les créances. Celles- ci sont cependant soumises à la prescription, institution juridique qui per- met au débiteur de paralyser le droit d'action lié à une créance par suite de l'écoulement du temps. La prescription est dite extinctive non parce qu'elle a pour effet l'extinction de la créance en tant que telle, mais du fait qu'elle paralyse le droit d'action qui y est lié. L'obligation prescrite reste due malgré la prescription qui la transforme en obligation imparfaite, mais le débiteur est en droit de refuser la prestation due en soulevant l'excep- tion de prescription. Le juge ne la relève pas d'office (art. 142 C0)4. La prescription produit ses effets de par l'écoulement du temps. Sa justifica- tion est double. Elle répond d'abord et surtout à un intérêt public, celui de la sécurité juridique et de la paix sociale, qui exige que l'on ne puisse plus invoquer après un certain délai des créances que l'on n'a pas fait valoir à temps. La prescription tend également à protéger l'intérêt du débiteur.

Celui-ci ne doit en effet pas être exposé à l'action du créancier au-delà d'une certaine durée étant donné les difficultés de preuve qui augmentent avec l'écoulement du temps5.

4 - La prescription est prévue aux art. 127 à 142 CO. Le délai général est de dix ans (art. 127 CO). La loi prévoit un délai spécial de cinq ans dans

4 - Pierre Engel, Traité des obligations en droit suisse, Dispositions générales du CO, 2' éd., Berne, Stampfli, 1997, p. 796 sq.; Pierre Tercier, Le droit des obligations, Zurich, Schulthess, 1999, 2' éd.,

1191 sq., 1229 sq.; Peter Gauch/Walter Schluep/Pierre Tercier, La partie générale du droit des obli- gations (sans fa responsabilité civile}, 2e éd., Zurich, Schulthess, 1982, 2027 sq., 2101 sq.; Peter Gauch/Walter Schluep/Heinz Rey, Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, oh ne ausserver- tragliches Hafpffichtrecht, vol. Il, 7e éd., Zurich, Schulthess, 1998, 3485, 3491 sq.

5 -ATF 90/196411 428, JT 19651243,249 consid. 8. Engel, op. cit. n. 4, p. 797; Gauch/Schluep/Tercier, op. cit. n. 4, n° 2035.

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certains cas6 (art. 128 CO). El le prévoit également. soit dans le Code des obligations, soit dans des lois spéciales, des délais plus courts pour les pré- tentions en dommages-intérêts résultant d'un acte illicite (un an, art. 60 CO; deux ans lorsqu'il s'agit de véhicules automobiles, art. 83 LCR), en enrichissement illégitime (un an, art. 67 CO), etc. La prescription est inter- rompue lorsque le débiteur reconnaît la dette ou que le créancier fait valoir ses droits, notamment par des poursuites (art. 135 ch. 1et2 CO). Un nouveau délai commence alors à courir (art. 137 CO).

5 - La prescription est opposée à la péremption qui produit également effet par l'écoulement du temps. La péremption est une objection que le juge doit examiner d'office, c'est-à-dire même en l'absence d'invocation par le débiteur. Elle provoque l'extinction proprement dite du droit. Elle s'applique principalement à des droits d'action autres que des créances (par ex., le droit d'invalider un contrat pour erreur essentielle, dol ou crain- te fondée dans le délai d'un an, art. 31 al. 1 C0)7.

B - Conditions et conséquences de l'abus de droit

6 - « Le débiteur commet un abus de droit en se prévalant de la pres- cription, non seulement lorsqu'il amène astucieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais aussi lorsque, sans dol, il a un comportement qui incite le créancier à renoncer à entreprendre des démarches juridiques pendant le délai de prescription et que, selon une appréciation raison- nable, fondée sur des critères objectifs, ce retard apparaît compréhen- sible »8.

7 - Selon cette définition, qui figure déjà dans des arrêts plus anciens9,

l'invocation de la prescription apparaît comme abusive dans deux hypo-

6 - Par ex., pour les loyers et fermages, les actions des artisans pour leur travail, des médecins pour leurs soins, etc.

7 - P. Engel, op. cit. n. 4, p. 798 sq.; Tercier, Le droit des obligations, op. cit. n. 4, n° 1200;

Gauch/Schluep/Tercier, op. cit. n. 4, n° 2126 sq.; Gauch/Schluep/Rey, op. cit. n. 4, n° 3506 sq.

8 - ATF 108/1982 Il 278, 287 consid. 5b.

9-ATF89/1963 li 256,JT 19641151, 156 consid. 4; cf. également, ATF 76/195011113,JT 19501546, 552 consid. 5.

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thèses: premièrement, si le débiteur se prévaut de la prescription après avoir astucieusement ou dolosivement incité le créancier à ne pas agir en temps utile; deuxièmement. lorsque, en l'absence de dol du débiteur, ce dernier a un comportement tel que, d'une part, le créancier renonce à pro- céder juridiquement pendant le délai et que, d'autre part. son inaction, appréciée de manière raisonnable selon des critères objectifs, est compré- hensible. La première situation étant caractérisée par le dol du débiteur, l'accent est mis sur l'aspect subjectif du problème. Dans le second cas en revanche, le dol n'est pas exigé; seul compte le comportement du débiteur apprécié d'une manière objective. Cette appréciation ne doit se fonder que sur le comportement antérieur au moment où la prescription est acquise, car le comportement du débiteur après l'échéance du délai ne peut plus avoir d'influence sur la renonciation du créancier à procéder en temps utile10.

8 - Il faut souligner le fait que l'écoulement du temps, en tant que tel, ne suffit pas pour présumer la volonté d'abandonner un droit, donc l'abus du droit d'invoquer la prescription. En effet, le créancier est libre de choi- sir le moment auquel il fait valoir son droit, pour autant qu'il respecte le délai dont il peut d'ailleurs interrompre le cours par une poursuite et retar- der ainsi l'échéance (art. 135 ch. 2 CO).« Nonobstant le temps qui passe, l'exercice d'une prétention pendant le délai de prescription ne devient abusif qu'en raison de circonstances tout à fait particulières. En décider autrement reviendrait à vider largement de sa substance l'institution de la prescription » 11 .

9 - La jurisprudence la plus récente place le débat sous l'étendard de l'adage venire contra factum proprium. Le fait d'adopter un comportement contradictoire constitue un abus de droit« si le comportement antérieur a suscité une confiance digne de protection qui se trouve ensuite déçue par les actes ultérieurs n11bis; l'attitude adoptée par une partie qui induit le 10 - ATF 113/1987 Il 264, JT 1988 113, 118 sq. consid. 2'.

11-ATF110/198411 273, JT1985 1271, 272; ATF 94/1968 Il 37, JT 1969 1 348, 350 sq. consid. 6b.

11bis -ATF 125/1999 Ill 257 consid. 2a, SJ 2000 133,35.

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partenaire à laisser expirer un délai est mention,né comme une illustration possible d'un comportement contradictoire. Etant donné la tendance actuelle de la jurisprudence suisse à placer l'idée de confiance déçue au premier plan, cette décision pourrait impliquer une réorientation des conditions traditionnelles de l'abus de droit dans ce domaine.

10 - L'admission de l'abus de droit a pour conséquence que le créancier peut obtenir l'exécution de l'obligation malgré le fait qu'elle soit prescri- te, donc non soumise à exécution forcée.

11 - Il est intéressant d'évoquer brièvement la possibilité d'opposer l'abus de droit à l'invocation d'un délai de péremption. La question est controversée12 et n'a jusqu'ici pas été clairement tranchée. L'abus de droit ne peut être opposé qu'à celui qui se prévaut d'un droit. Or, s'il existe un droit à se prévaloir de la prescription, que le juge ne peut pas retenir si l'exception n'a pas été soulevée, l'expiration d'un délai de péremption doit être relevée d'office comme un fait qui supprime le droit. On ne peut donc parler d'abus d'un droit. La situation est la même qu'en matière de vice de forme, moyen que le juge doit également retenir d'office. Or, la possibilité d'abuser de l'invocation du vice de forme n'a jamais été remise en cause pour cette raison dans la jurisprudence du Tribunal fédéral. Cet argument ne devrait pas valoir davantage en matière de péremption que de vice de forme, raison pour laquelle l'abus de droit devrait pouvoir être opposé à l'invocation de la péremption.

12 - ATF 108/1982 Il 233, 239 consid. Sc (fr.); cf. également, ATF 103/1977 1115, JT 1977 1 349, 350 consid. 3 et réf. cit. Un grand commentateur de l'art. 2 CC, Hans Merz, in Berner Kommentar, Einleitung, Artikel 1-10 ZGB, Berne, Stampfli, 1966, n. 420 ad art 2 CC, admet de manière libérale la possibilité d'abuser d'une disposition, voire d'une situation juridique.

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C - Exemples

12 - On trouve, dans la jurisprudence, quelques exemples13 d'abus de droit dans l'invocation de la prescription, mais bon nombre d'arrêts14 constatent que cette exception est invoquée à tort.

13 - a) A titre d'illustration de la première hypothèse mentionnée par la jurisprudence, on peut citer une affaire dans laquelle une compagnie d'as- surance fait valoir une prétention en paiement de primes insuffisantes à laquelle le défendeur oppose la prescription (deux ans, conformément à l'art. 46 LCA). Les primes avaient été fixées à un montant trop bas en rai- son des déclarations inexactes du défendeur, preneur d'une assurance accidents, quant au nombre et au salaire de ses employés. Le Tribunal fédéral constate qu'en dissimulant sciemment ces faits, le preneur d'assu- rance a empêché la compagnie d'assurance de faire valoir sa prétention en temps utile, ce qui peut constituer une illustration de l'empêchement dolosif ou astucieux de faire valoir sa prétention15. L'invocation de la pres- cription étant abusive, la compagnie d'assurance obtient le paiement des montants réclamés.

14 - b) De même, un débiteur d'aliments qui, en donnant de faux ren- seignements sur ses facultés financières, amène à la fois la personne indi- gente et l'autorité d'assistance à ne pas faire valoir le droit à des secours appropriés, ne peut opposer la prescription (cinq ans, conformément à l'art. 128 al. 1 CO) à l'action en remboursement de la commune pour les montants avancés à la personne indigente. Le débiteur avait établi de fausses déclarations fiscales durant un certain nombre d'années. Sa situa- tion de fortune réelle avait été révélée à l'occasion d'une amnistie fiscale 13 -ATF 112/1986 Il 231 (argument admis à titre superfétatoire en p. 234); 108/1982 Il 278 (fr.);

89/1963 11256, JT 19641151, 156 consid. 4; ATF 76/195011113, JT 1950 1546,552 consid. 5; ATF

42/ 1916 11 67 4, 681 sq. consid. 2b.

14 -ATF 123/1996 Ill 120 (fr.); 116/1990 Il 428, JT 1991 1 354; ATF 113/1987 Il 264, JT 1988 113;

ATF 110/1984 Il 273, JT 1985 1 271; ATF 95/1969 Il 109, JT 1970 1 92; ATF 94/1968 11 37, JT 1969 1 348; ATF 91/1965 Il 260, JT 1966 1 350; ATF 90/1964 Il 325 (fr.); 90/196411 428.

15 -ATF 42/191611 674, 681 sq. consid. 2b.

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dont il avait profité. L'arrêt retient que le débiteur d'aliments avait dolosi- vement mis l'autorité d'assistance dans l'impossibilité de faire valoir sa prestation et ne pouvait par conséquent opposer la prescription à l'action de la commune16. L'abus de droit étant réalisé, la commune peut obtenir le remboursement par le débiteur d'aliments des sommes versées à la per- sonne indigente.

15 - c) La seconde hypothèse a été considérée comme réalisée dans les deux cas qui suivent. Un contrat d'entretien viager est conclu par lequel le fils d'un agriculteur s'engage à entretenir son père sa vie durant, moyen- nant que celui-ci lui cède son domaine 17. Le contrat est exécuté jusqu'à la mort du fils, survenue onze ans plus tard. Il s'avère à ce moment-là que le transfert des immeubles avait bien été demandé au registre foncier, mais non valablement inscrit (au grand livre). Le père invoque le délai de pres- cription - dix ans - du droit de l'acheteur d'exiger le transfert de l'im- meuble et refuse aux héritiers du fils l'inscription au registre foncier. La première hypothèse n'est pas réalisée en l'espèce, car il n'y a pas eu dol de la part du père, mais une erreur des autorités du registre foncier. Reste la seconde hypothèse. Pendant onze ans, le père avait laissé son fils agir comme propriétaire des immeubles cédés (exploitation du domaine, paie- ment des impôts, etc.). Il avait adopté un comportement montrant qu'il considérait son fils comme propriétaire. Cette attitude avait engagé son fils à ne pas agir pendant la durée du délai. De plus, les démarches néces- saires auprès du registre foncier avaient été faites. L'inaction du fils était donc objectivement compréhensible. La seconde hypothèse mentionnée précédemment étant réalisée, l'arrêt admet que le père invoquait abusive- ment la prescription. En conséquence, les héritiers du fils obtiennent l'ins- cription du transfert au registre foncier.

16 - d) Une commune est instituée légataire de différents biens dont un immeuble, avec charge pour elle de les transférer à une fondation à créer

16 -ATF 76/1950 Il 113, JT 1950 1 546, 552 consid. 5.

17 -ATF 89/1963 Il 256, JT 1964 1 151.

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par ladite commune18. Une fois constituée, la fondation ainsi que la com- mune sont inscrites conjointement au Registre foncier. Opérée ainsi, l'ins- cription est sans portée juridique et a été spontanément rectifiée par le conservateur du registre foncier, pour ne plus mentionner que la commu- ne. Celle-ci oppose la prescription à l'action de la fondation tendant au transfert des immeubles. Pendant près de cinquante ans, la commune avait manifesté par son attitude qu'elle reconnaissait le droit de la fondation à user des immeubles comme un propriétaire. La commune ayant ainsi adop- té un comportement propre à inciter le créancier à ne pas entreprendre des démarches juridiques pendant la durée du délai, la fondation n'avait eu aucune raison d'exiger le transfert des immeubles19. Quoique l'arrêt ne le précise pas, l'inaction du créancier apparaît compréhensible du fait de l'er- reur des autorités du Registre foncier. L'invocation de la prescription étant abusive, l'inscription de la fondation comme propriétaire au Registre fon- cier est admise.

17 - Il découle de ce qui précède que l'invocation de la prescription est abusive, d'une part, lorsque le débiteur amène par dol le créancier à ne pas agir, d'autre part, lorsque, sans qu'il y ait dol de la part du débiteur, le créancier renonce à agir sur la foi du comportement de celui-ci et que cette inaction est objectivement compréhensible. Cette définition est véri- fiée dans sa double branche par différentes décisions. Il s'agit d'une juris- prudence bien établie qui a fait ses preuves.

Il - La théorie de l'imprévision A - Institution juridique

18 - L'institution juridique en cause ici est celle du contrat, dominée par le principe pacta sunt servanda que le Tribunal fédéral range parmi les principes fondamentaux de l'ordre juridique suisse20. Les parties qui se 18 -ATF 108/1982 Il 278 (fr.).

19 -Le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si le droit conféré à la fondation par la charge était ou non soumis à prescription du fait qu'il admet que l'invocation de la prescription par la commune se heurterait à l'abus de droit: ATF 108/1982 Il 278, 287 consid. Sa (fr.).

20 -ATF 120/199411155,166 (fr.); cf. également, ATF 119/1993 Il 348, 351 (fr.); 107/1981 11343, JT

1982 1 272, 277; ATF 104/1978 Il 314, JT 1979 1 602, 603; ATF 100/1974 Il 345, JT 1974 1 614, 618;

ATF 59/1933 1372,JT19341 626, 630.

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lient par contrat, en particulier lorsqu'il s'agit d'un contrat de durée, s'en- gagent à tenir leur promesse quelles que soient les circonstances. Elles assument le risque d'une modification de celles-ci, même si le déroule- ment du contrat ne correspond plus à leur attente et qu'une affaire initia- lement bonne cesse de l'être. Leur engagement les empêche par consé- quent de se prévaloir d'un changement ultérieur des circonstances.

19-Le principe de la fidélité contractuelle, comme tout principe, souffre toutefois certaines exceptions. Il en va ainsi lorsqu'en raison d'une modi- fication imprévisible des circonstances, l'exécution du contrat représente- rait une charge à ce point intolérable pour le débiteur qu'il serait contrai- re aux règles de la bonne foi pour le créancier de continuer à prétendre à l'exécution du contrat. C'est dans cet espace que s'est développée la théo- rie de l'imprévision ou de la c/ausula rebus sic stantibus. Elle est un moyen permettant à celui qui s'est engagé par contrat d'échapper à la rigueur de la fidélité contractuelle et d'obtenir du juge sa libération partielle ou tota- le. Les parties recourent en particulier à ce moyen lorsque la situation éco- nomique se détériore. On constate ainsi des pointes dans la jurisprudence durant les périodes de mauvaise conjoncture économique21.

B - Conditions et conséquences de l'abus de droit

20 - Le fondement de l'intervention du juge, qui se trouve parfois dans la loi22, n'est pas incontesté en dehors des cas ainsi prévus. Alors qu'une partie importante de la doctrine23 y voit essentiellement un problème de 21 -Par exemple, dans les années 1920, 1930 et 1940. Cf. Pierre Tercier, La " clausu/a rebus sic stan- tibus" en droit suisse des obligations, in Journal des Tribunaux 1979 1 194, 195 et n. 3.

22 -Cf. par ex., art. 373 al. 2 CO:" Toutefois, si l'exécution de l'ouvrage est empêchée ou rendue dif- ficile à l'excès par des circonstances extraordinaires, impossibles à prévoir, ou exclues par les prévi- sions qu'ont admises les parties, le juge peut, en vertu de son pouvoir d'appréciation, accorder soit une augmentation du prix stipulé, soit la résiliation du contrat"·

23 -Tercier, Le droit des obligations, op. cit. n. 4, 734; Herbert Schonle, L'imprévision des faits futurs lors de la conclusion d'un contrat générateur d'obligations, in Le Centenaire du Code des obligations, Fribourg, Ed. Universitaires, 1982, p. 413 sq., 437, 440 sq.; Ernst A. Kramer, in Ernst A. Kramer/Bruno Schmidlin, Allgemeine Einleitung in das schweizerische Obligationenrecht und Kommentar zu Art. 1-

18 OR, Berner Kommentar, Berne, Stampfli, 1986, n. 332 ad art. 18 CO; Peter Jaggi/Peter Gauch, Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Obligationenrecht, Kommentar zu Art. 18 OR, 3' éd.,

Zurich, Schulthess, 1980, n. 645-647 ad art. 18 CO.

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lacune du contrat - les parties n'ayant pas tenu compte de l'éventualité d'une modification des circonstances dans l'élaboration du contrat - à combler par le juge, le Tribunal fédéra1 24 fait reposer son éventuelle inter- vention sur l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC).

21 - Cependant, et le Tribunal fédéral l'a encore souligné récemment25, la c!ausu!a rebus sic stantibus ne conduit que rarement à une correction du contrat par le juge. Le juge intervient« seulement si le déséquilibre sur- venant dans le rapport entre prestation et contre-prestation en raison d'une modification extraordinaire des circonstances est tel que la réparti- tion des risques découlant du contrat n'est plus supportable pour l'une des parties et que l'autre commet un abus de droit au vu de l'ensemble des cir- constances en maintenant sa prétention n26.

22 - La doctrine a décomposé les conditions auxquelles la théorie de l'imprévision est subordonnée de la manière suivante27:

a) existence d'un contrat valable de durée ou à exécution différée, b) survenance de circonstances nouvelles indépendantes de la faute de celui qui s'en prévaut,

c) circonstances qui sont imprévues et imprévisibles au moment de la conclusion du contrat ou du moins exclues par les prévisions qu'ont admises les parties,

d) disproportion entre les prestations des parties d'un degré de gravité tel que le maintien du contrat constituerait un abus de droit.

24 -ATF 122/1996 111 97, 98; ATF du 5 juin 1996, Praxis 1997 54, p. 288, 292 sq.; ATF 107/1981 11

343, JT 1982 1 272, 277; ATF 100/197411 345, JT 1975 1 614, 618; ATF 97/1971 11390,JT1973 1 81, 87. Selon certains arrêts plus anciens traitant de la dévaluation du mark allemand dans les années

1920 à 1930, l'intervention du Tribunal fédéral était justifiée par l'existence d'une lacune du contrat:

cf. par ex., ATF 57/1931 Il 368, 371 fr.); 51/1925 Il 303, JT 1925 1 564, 571. Cf. également, Henri Deschenaux, Le titre préliminaire du Code civil, Traité de droit civil suisse, tome Il, 1, Fribourg, Ed.

Universitaires, 1969, p. 188 sq.

25 -ATF 122/1996111 97, 98.

26 -ATF 100/197411 345, JT 1975 1 614, 618 et réf. cit.

27 -Luc Thévenoz, Le droit suisse des contrats face à la monnaie unique, in Luc Thévenoz (édit.), Journée 1996 de droit bancaire et financier, Berne, Stampfli, 1996, p. 17 sq., 44; Tercier, La clausula, op. cit. n. 21, pp. 196-197; Kramer, op. cit. n. 23, n. 335-352 ad art. 18 CO.

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23 - Les conséquences de l'application de la c!ausula rebus sic stantibus peuvent être diverses, à l'image de ce que prévoit le législateur lui-même lorsqu'il règle les situations d'imprévision28. On peut distinguer deux groupes de conséquences29. Le juge peut premièrement retenir l'extinction du contrat. par exemple en accordant un droit de résiliation anticipée à l'une des parties, parfois aux deux, avec ou sans indemnisation à charge de la partie qui résilie. Il peut également adapter le contenu du contrat en modifiant les obligations des parties, soit en libérant partiellement l'une des parties de ses obligations, soit en étendant les obligations de l'autre, soit encore en réduisant la durée du contrat.

24 - L'intervention du juge en cas d'imprévision mérite d'être replacée dans son contexte général. Face à un tel problème en relation avec un contrat, le raisonnement comprend trois étapes. En premier lieu, le juge interprète le contrat. Il est en effet possible que les parties aient prévu l'hypothèse d'un changement de circonstances soit expressément, soit implicitement. Les contrats internationaux en particulier prévoient fré- quemment une clause de hardship. Ainsi les Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international consacrent une section entière3o à cette situation qui appelle d'abord l'ouverture de négociations; en cas d'échec de celles-ci, le tribunal saisi peut mettre fin au contrat et en fixer les conditions d'extinction ou adapter le contrat en vue de rétablir l'équi- libre des prestations (art. 6.2.3 al. 4). En second lieu, il appartient au juge de compléter le contrat si les parties n'ont pas prévu l'hypothèse d'un changement des circonstances, c'est-à-dire en cas de lacune du contrat.

C'est la raison pour laquelle la doctrine majoritaire résout les problèmes découlant d'un changement non prévu des circonstances conformément aux principes développés en relation avec la lacune du contrat, plutôt que 28 - L'art. 373 al. 2 CO (contrat d'entreprise) donne au juge le choix d'accorder l'augmentation du prix de l'ouvrage ou la résiliation du contrat. Les art. 266g et 297g CO (bail à loyer et à ferme) prévoient la résiliation anticipée du bail avec une éventuelle indemnisation de l'autre partie.

29 - ATF 122/1996 Ill 97, 98; ATF du 5 juin 1996, Praxis 1997 54, p. 288, 292 sq.; ATF 97/1971 11

390, JT 1937 1 81, 87; ATF 45/1919 Il 351, 355, 356. Cf. également, Tercier, Le droit des obligations, op.

cit. n. 4, p. 210-211 ; Deschenaux, op. cit. n. 24, p. 192 sq.; Kra mer, op. cit. n. 23, n. 353 sq. ad art. 18

CO; Jaggi/Gauch, op. cit. n. 23, n. 634-637.

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sur la base d'une correction du contrat fondée sur l'abus de droit31. Enfin, le pouvoir, qui appartient toujours en dernier ressort au juge, de corriger le contrat ensuite d'un abus de droit devrait être réservé au cas où la solu- tion effectivement prévue par les parties conduirait à un résultat cho- quant.

25 - Que le juge intervienne sur la base d'une lacune du contrat ou de l'abus de droit, les conditions de cette intervention doivent être pareille- ment limitées. On peut à cet égard se demander s'il suffit que les circons- tances nouvelles n'aient pas été prévues par les parties ou si elles doivent également avoir été imprévisibles pour que l'existence d'une lacune du contrat puisse être retenue. S'il est vrai que le contrat, spécialement le contrat de durée ou à exécution différée,« est une emprise sur l'avenir »32 ,

il faut admettre qu'une part d'imprévu est comprise dans la réglementa- tion adoptée par les parties lors même qu'un changement de circonstances n'aurait pas été expressément évoqué durant les pourparlers.

L'engagement réciproque des parties vise précisément à régler leurs rela- tions juridiques pour le futur. Pour justifier l'intervention du juge, quel qu'en soit le fondement, il ne suffit par conséquent pas que les parties n'aient pas prévu une certaine évolution, encore faut-il que celle-ci ait été imprévisible, ou du moins « exclue par les prévisions qu'ont admises les parties » (cf. art. 373 al. 2 CO).

C - Exemple

26 - La question de l'imprévision n'est à vrai dire pas examinée très sou- vent par le Tribunal fédéral sinon de manière incidente. Lorsqu'elle l'a été ces dernières années, la jurisprudence a rejeté l'application de la

c/ausula rebus sic stantibus,

soit parce que les circonstances invoquées n'étaient pas imprévisibles au moment de la conclusion du contrat, soit parce que

30 - Chapitre 6 (Exécution), Section 2, art. 6.2.1 à 6.2.3.

31 -Cf. supra, n. 23.

32 - Selon la formule de Georges Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4° éd., Paris, LGDJ,

1949, p. 151, 84.

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la disproportion entre prestation et contre-prestation n'était pas assez importante. La jurisprudence récente ne fournissant pas d'exemples dans lesquels la

clausula rebus sic stantibus

a été admise, c'est un arrêt ancien33 qui servira d'illustration à cette problématique. Une convention de livrai- son de bière pour dix ans est conclue en 1912 entre une brasserie et une cliente qui exploite un café restaurant. Le prix de la bière est fixé à 25 F.

l'hectolitre. En 1916, en raison de la hausse des matières premières, la brasserie facture la bière à 31 F. l'hectolitre. La cliente persiste à exiger la livraison de la bière au prix initial de 25 F.

27 - L'arrêt admet ici une modification radicale de la situation telle que le maintien du prix fixé violerait les règles de la bonne foi. On n'aurait pas pu exiger de la brasserie qu'elle poursuive la livraison de la bière au prix de 25 F. au lieu du prix conforme à l'usage local de 31 F. La conséquence de l'application des règles de la bonne foi est que les deux parties sont autorisées à se départir du contrat sans indemnité. Cet arrêt paraît éton- namment large dans l'admission d'une modification « radicale » de la situation. Mais il est vrai que toute tarification de la disproportion entre les prestations doit être rejetée s'agissant d'un moyen permettant au juge de tenir compte des particularités du cas d'espèce pour éviter l'application normale de la loi lorsqu'elle n'est pas compatible avec les règles de la bonne foi34.

28 - En conclusion, on retiendra que l'art. 2 al. 2 CC peut, dans des situations exceptionnelles, être opposé au droit tiré d'un contrat en cas de changement des circonstances provoquant une perturbation extrêmement grave de l'équilibre contractuel, les conditions énoncées plus haut étant au surplus remplies. L'invocation de l'abus de droit a pour conséquence l'ex- tinction ou l'adaptation du contrat.

33 - ATF 45/191911 351 (fr.).

34 - ATF 105/1979 Il 39, JT 1979 1 608, 610; ATF 92/1967 Il 97, 104-105 (fr.); ATF 87/1961 Il 147, JT 1962 1 86, 91.

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Ill - Le vice de forme A - Institution juridique

29 - Le principe de la liberté de forme est exprimé à l'art. 11 al. 1 CO qui prévoit que « La validité des contrats n'est subordonnée à l'observation d'une forme particulière qu'en vertu d'une prescription spéciale de la loi».

De telles prescriptions spéciales existent dans tout le Code civil et le Code des obligations, par exemple en matière de vente immobilière (art. 216 al.

1 CQ)35, de bail (art. 18 AMSL)3 6 et d'engagement des voyageurs de com- merce (art. 339 C0)37.

30 - Le législateur poursuit différents buts lorsqu'il institue une contrainte relative à la forme38: protéger les parties contre des engage- ments assumés à la légère; garantir la sécurité juridique, c'est-à-dire faci- liter la preuve, particulièrement lorsque des tiers sont concernés; sauve- garder l'intérêt public dans les cas où le contrat sert de base à une ins- cription dans un registre public.

35 - « Les ventes d'immeubles ne sont valables que si elles sont faites par acte authentique ».

36 - Art. 18 al. 1 AMSL: «Le bailleur qui a l'intention de majorer le loyer convenu dans le bail est tenu d'en informer le preneur, sans le menacer d'une résiliation, par un avis écrit indiquant le montant, la date et les motifs de la majoration; ... ». Al. 2:" La majoration doit être notifiée sur une formule agréée par le canton. Celle-ci indiquera que le locataire peut, dans les trente jours à compter de la réception de l'avis, contester le montant du loyer qu'il estime abusif devant la commission de conciliation "·

Cette disposition figure dans l'Arrêté fédéral instituant des mesures contre les abus dans le secteur locatif du 30 juin 1972; elle a été remplacée par l'art. 269d CO, actuellement en vigueur, dont l'alinéa 1" prévoit que" Le bailleur peut en tout temps majorer le loyer pour le prochain terme de résiliation.

L'avis de majoration du loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen d'une formule agréée par le canton ».

37 - Art. 339 al. 1 CO:" Le contrat doit être fait par écrit et régler notamment: ... c) La rémunération et le remboursement des frais; ... ». Al. 2: « A défaut de contrat écrit, les questions visées à l'alinéa précédent sont réglées par les dispositions légales et, au surplus, par les conditions habituelles de tra- vail».

38 - Engel, op. cit. n. 4, p. 247; Tercier, Le droit des obligations, op. cit. n. 4, Nos 521. sq.; Bruno Schmidlin, in Ernst A. Kramer/Bruno Schmidlin, Allgemeine Einleitung in das schweizerische Obligationenrecht und Kommentar zu Art. 1-18 OR, Berner Kommentar, Berne, Stampfli, 1986, n. 11- 16 ad art. 11 CO. Cf. également, ATF 121/1995 Ill 214, 217, JT 1996138,41; ATF 118/1992 1132,34, JT 1993 1 387, 388; ATF 112/1986 Il 330, JT 1987 1 70, 76.

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31 - Conformément à l'art. 11 al. 2 CO, le contrat n'est valable que si la forme prévue a été respectée. Le non respect de la forme a pour consé- quence la nullité39 du contrat, pour autant que la norme prescrivant l'usa- ge d'une certaine forme prévoie cette sanction en cas de contravention (ce qui peut être question d'interprétation). La nullité est un vice originaire qui intervient de plein droit. Elle est relevée d'office par le juge, peut être invo- quée tant par voie d'action que d'exception et soulevée aussi bien par les parties que par les tiers4o. La partie qui invoque la nullité n'a pas besoin de justifier d'un intérêt quelconque ni de démontrer que le maintien du contrat serait contraire au but poursuivi par la norme prescrivant la forme.

Cette conception correspond à celle du Tribunal fédéra141, mais est contes- tée par une partie importante de la doctrine42.

32 - En principe, la nullité exclut toute action en exécution lorsque le contrat n'a pas encore été exécuté et permet une action en restitution ou en remboursement lorsqu'il l'a déjà été, soit partiellement, soit complète- ment. L'abus de droit autorise, le cas échéant, à une correction des consé- quences inéquitables que pourrait entraîner la nullité de l'acte. Toutefois, il est généralement admis que l'abus de droit, en tant qu'exception oppo- sée à une prétention adverse, ne peut avoir d'effet positif et servir de fon- dement à une action en exécution; il est donc en principe exclu de corri- ger l'absence d'action en exécution par ce biais43.

39 - Le contrat est inexistant s'il manque l'un de ses éléments constitutifs (par exemple, la concor- dance des déclarations de volonté); il est nul lorsqu'il réunit tous les éléments constitutifs, mais qu'il manque une exigence de validité posée par l'ordre juridique (par exemple, il a pour objet une chose impossible, art. 20 CO, ou ne respecte pas la forme prévue, art. 11 CO); il est annulable, lorsqu'il peut être invalidé ou attaqué par une partie (par exemple pour vices du consentement, art. 23 sq., 31 CO).

Cf. Engel, op. cit. n. 4, p. 259 sq.

40 - Engel, op. cit. n. 4, p. 262; Schmidlin, op. cit. n. 38, n. 110 ad art. 11 CO. ATF 106/1980 Il 146, JT 1980 1 580, 584-585.

41-ATF106/198011146, JT 19801580, 584-585; ATF 104/1978 1199, JT 1979116, 20 et réf. cit.

42 - Cf. Gauch/Schluep, op. cit. n. 4, Nos 558-562 et réf. cit. n° 559. Suivent l'opinion du Tribunal fédé- ral: Engel, op. cit. n. 4, pp. 261-262, 264; Tercier, Le droit des obligations, op. cit. n. 4, n. 536 sq.; Hans Giger, Berner Kommentar, Der Grundstückkauf, Berne, Stampfli, 1997, n. 352 sq., 355, 368 ad art. 216 CO; Schmidlin, op. cit. n. 38, n. 30 sq., 34 sq. ad art. 11 CO.

43 - Cf. infra, vers n. 57 et 65.

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33 - En revanche, le Tribunal fédéral revoit régulièrement l'invocation d'un vice de forme sous l'angle de l'abus de droit lorsque des obligations, fondées sur un contrat ne respectant pas la forme prescrite, sont exécu- tées44. L'exécution en tant que telle n'est cependant pas suffisante pour justifier l'application de l'art. 2 al. 2 CC.

B - Conditions et conséquences de l'abus de droit

34 - Selon une formule souvent répétée,« lorsque le juge doit dire si une partie abuse de son droit en invoquant un vice de forme, il en décide d'après l'ensemble des circonstances, sans être lié à des principes rigides n45_ Mais,« la jurisprudence ne répond pas de manière sûre et cer- taine» à la question de savoir dans quelles circonstances le plaideur abuse de son droit en se prévalant d'une vice de forme. Bien plus,<< elle fournit des réponses très diverses, voire contradictoires n46_ Cette jurisprudence délibérément pragmatique, qui vise, selon les termes du Tribunal fédéral, à permettre d'appréhender dans leur diversité tous les cas possibles47, méri- te quelques observations.

35 - Il a été indiqué plus haut qu'une véritable définition de l'abus du droit d'invoquer la prescription ou de se prévaloir d'un contrat s'est déga- gée au fil des arrêts qui en traitent48 (il en va de même du principe de la transparence) 49. L'abus dans l'invocation d'un vice de forme a en revanche résisté à une telle cristallisation d'une règle dont les conditions pourraient être vérifiées dans un nombre indéterminé de cas. Certains auteurs ont vivement critiqué cette absence de principes conduisant à une insécurité juridique qu'ils déplorent. Selon un commentateur, « Le Tribunal fédéral

persiste à ériger en principe l'absence de principes. Il y met une insistance 44 - ATF 123/1996111 70, 74-75, JT 1998 18,12.

45 - ATF 112/1986 Il 330, JT 1987 1 70, 73-74; ATF 112/1986 11 107, JT 1986 1 587, 590; ATF 104/1978 11 99, JT 1979 116, 18 et 20. Cf. également, ATF 116/1990 Il 700, JT 1991 1 643, 644-645.

46-ATF 112/198611330, JT 1987 170, 76.

47 -ATF 104/1978 Il 99, JT 1979 116, 20.

48 -Cf. supra, l.B et 11.B.

49 -Cf. infra, IV.B.

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qui fait songer au slogan de mai 68: IL EST INTERDIT D'INTERDIRE n5o. Ce commentateur, pour critique qu'il soit, admet pourtant que l'abus de droit a été retenu avec raison dans le cas d'espèce. D'autres auteurs51 approu- vent à juste titre cette jurisprudence qui résiste aux dangers d'une géné- ralisation excessive et permet de tenir compte des spécificités de chaque situation pa rticu li ère.

36 - Les arrêts traitant de l'abus de droit en matière de nullité d'une vente immobilière soumise à la forme authentique (art. 657 al. 1 CC, 216 al. 1 CO) sont particulièrement nombreux. A défaut de formule générale, certaines lignes directrices peuvent en être dégagées. Ainsi, le principal indice d'un abus de droit est celui de l'exécution volontaire du contrat. La partie qui a volontairement exécuté un contrat (par ex., le vendeur d'un immeuble qui a requis l'inscription de l'acheteur au registre foncier) ne peut plus ultérieurement se prévaloir d'un vice de forme, sous peine de se voir reprocher son attitude contradictoire. Le Tribunal fédéral a ainsi éta- bli une présomption de l'homme selon laquelle« l'abus de droit se présu- me lorsque le contrat nul en la forme a été exécuté de part et d'autre n52.

37 - Trois précisions supplémentaires en ce qui concerne l'exécution du contrat vicié peuvent être tirées de la jurisprudence. Premièrement,« il ne suffit pas que le contrat ait été volontairement exécuté de part et d'autre:

il faut qu'il ait été exécuté en connaissance de cause». Cela signifie que

«la partie qui se prévaut d'un vice de forme n'abuse pas de son droit lors- qu'elle a conclu et exécuté le contrat dans l'ignorance du vice n53. En 50 -Raymond Jeanprêtre, in JT 1987 1 70, 78. Cf. également la critique vigoureuse de Pierre Cavin, Vente, échange, donation, Traité de droit privé suisse, tome VII 1, Fribourg, Ed. Universitaires, 1978, pp.

130-133, à laquelle le Tribunal fédéral refuse clairement de céder dans l'ATF 104/1978 Il 99, JT 1979 1 16, 20.

51 -Giger, op. cit. n. 42, n. 422 ad art. 216 CO; Ingeborg Schwenzer, in Honsell/Vogt/Wiegand (édit.), Kommentar zum Schweizerischen Privatrecht, Obligationenrecht 1, 2' éd., Bâle et Francfort-sur-le- Main, Helbing, 1996, n. 24 ad art. 11 CO.

52 -ATF 112/198611330, JT 1987 1 70, 74. Cf. également, ATF 112/198611107, JT 1986 1 587, 590;

ATF 104/1978 Il 99, JT 1979 1 16, 18.

53 -ATF 112/1986 Il 330, JT 1987 1 70, 74 et 75. ATF 115/1989 Il 331, JT 1991 1 150, 156; ATF

104/1978 Il 99, JT 1979 116, 20.

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second lieu, il n'est pas nécessaire que l'exécution soit complète; il suffit d'une exécution « pour l'essentiel »ou d'une« exécution approximative n54.

En dernier lieu, la nature du vice de forme joue un rôle. Il est en effet abu- sif d'invoquer un vice minime, qui n'affecte ni les manifestations de volon- té de l'acquéreur ni l'objet du contrat mais uniquement l'identité du représentant de l'acquéreur, pour faire constater la nullité d'une vente immobilière exécutée pour l'essentie155.

38 - Ce qui vient d'être dit vaut pour la vente immobilière. En revanche, en matière de vice de forme dans les contrats de travail ou de bail, l'argu- ment de l'exécution antérieure de ces contrats de durée est plus nettement lié à la protection de la confiance et à la réprobation qui frappe l'attitude contradictoire (venire contra factum proprium). L'abus de droit est alors considéré comme réalisé lorsque« la position prise antérieurement par une partie a créé chez l'autre une confiance légitime et l'a déterminée à des actes qui se révèlent préjudiciables lorsque la situation a changé n56. Il s'agit d'une formule que l'on retrouve dans différents arrêts.

39 - En principe, et c'est là un principe qui a longtemps été considéré comme fondamental, une partie ne peut invoquer l'abus de droit à l'appui d'une action en exécution. L'abus de droit est une exception que l'on peut opposer à certaines prétentions de la partie adverse. Il permet de bloquer l'exercice d'un droit. Son effet est purement négatif. Dans le domaine du vice de forme en particulier,« l'art. 2 [ ... ]ne doit pas devenir le moyen posi- tif de remédier à un vice de forme, en faisant d'un contrat nul un contrat valable, par le biais de l'abus de droit n57.

54 - ATF 104/1978 Il 99, JT 1979 1 16, 21.

55 -ATF 112/198611330, JT 1987 170, 77-78.

56 - ATF 116/1990 11 700, JT 1991 1 643, 645 et ATF 123/1996111 70, 75, JT 1998 18,12. Cf. égale- ment, ATF 106/1980 Il 323, JT 1982 11115, 118-119. Sur cette catégorie d'abus de droit, cf. la contri- bution de M. Jean-François Perrin, Ill.A.

57-ATF 104/19781199,JT 1979116, 19;ATF 115/198911331,JT 19911150, 156;ATF 112/198611 111, JT 1986 1 587, 590. Cf. également, Cavin, op. cit. n. 50, p. 131 ; Deschenaux, op. cit. n. 24, p. 182;

Schmidlin, op. cit. n. 40, n. 121-122 ad art. 11 CO; Merz, op. cit. n. 12, n. 485 sq., 496 ad art. 2 CC. Cf.

supra, vers n. 43 et infra, vers n. 65.

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40 - La jurisprudence a tempéré ce principe. Le moyen tiré du vice de forme peut constituer un abus de droit non seulement en cas d'exécution complète, mais aussi en cas d'exécution approximative ou pour l'essen- tiel58. Une partie peut alors réclamer l'exécution pour le reste malgré la nullité du contrat. L'autre partie qui ne peut se prévaloir de la nullité de la convention exécutée pour l'essentiel doit s'exécuter nonobstant la nullité.

Cette jurisprudence s'explique par le souci du Tribunal fédéral de ne pas s'en tenir à des règles rigides dans l'application de l'abus de droit. Dans son commentaire récent de l'art. 2 CC, Baumann59, tout en approuvant ces arrêts quant à leur résultat, fait remarquer à juste titre que le Tribunal fédéral confond les conditions de l'abus de droit - invoquer un vice de forme alors que le contrat est exécuté pour l'essentiel - avec ses consé- quences possibles. L'art. 2 al. 2 CC prévoit simplement que l'abus manifes- te d'un droit n'est pas protégé, sans se prononcer sur la forme que peut prendre cette absence de protection. Il se justifie d'admettre que la solu- tion concrète d'un cas d'abus de droit peut consister à accorder à la par- tie qui en est victime une action en exécution pour la partie non encore exécutée de la convention.

C - Exemples

41 - Dans le domaine des vices de forme en matière de vente immobi- lière, il apparaît que l'abus de droit est. de plus en plus fréquemment60, invoqué avec succès. Différents exemples seront développés ci-après.

42 - a) Un contrat de vente immobilière conclu en la forme authentique est en cause dans la première affaire61. Le transfert de propriété est inscrit au registre foncier et le prix indiqué dans l'acte est payé, mais l'acheteur refuse de verser au vendeur un dessous-de-table, objet d'une promesse 58 - ATF 116/1990 11 700, JT 1991 1 643, 645; ATF 112/1986 Il 107, JT 1986 1 587, 590-591; ATF 104/19781199, JT 1979116, 19-20.

59 - Max Baumann, in Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Einleitung, Art. 1-7 ZGB, Zurich, Schulthess, 1998, n. 244-245, 277-278, 283 sq., 286 sq., 288 ad art. 2 CC.

60 - Dans le même sens, Giger, op. cit. n. 42, n. 420 ad art. 216 CO.

61-ATF104/1978 1199, JT 1979 116.

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orale. Le prix réellement convenu n'avait pas été indiqué dans l'acte pour des raisons fiscales. Devant le refus de l'acheteur de payer le dessous-de- table, le vendeur ouvre action pour faire constater la nullité de la vente. Le contrat était nul car le prix n'est pas correctement indiqué dans l'acte authentique. La demande en constatation de la nullité de l'acte est cepen- dant rejetée, car invoquer la nullité dans ces circonstances constitue un abus de droit de la part du vendeur.

43 - La circonstance ici déterminante est l'exécution pour l'essentiel: le contrat a été exécuté du fait de l'inscription au registre foncier contre paiement du prix, à l'exception du dessous-de-table. Par ailleurs, les deux parties s'étaient exécutées en ayant conscience du vice de forme. Un autre élément considéré comme déterminant est que l'acheteur du terrain avait déjà fait construire une maison sur celui-ci. Avant d'admettre l'abus de droit du vendeur, le Tribunal fédéral se pose une question intéressante:

l'acheteur qui avait refusé de payer le dessous-de-table, donc violait la parole donnée, pouvait-il se prévaloir de l'abus de droit du vendeur? Tout en reconnaissant que celui qui manque à la parole donnée est mal placé pour reprocher un abus de droit à son cocontractant, le Tribunal fédéral considère que le refus de l'acheteur de payer le dessous-de-table ne constituait pas un abus aussi grave que celui du vendeur qui cherchait à faire constater la nullité de la vente. L'abus de droit du vendeur étant admis, son action en constatation de la nullité de la vente est rejetée.

44 - b) Le second exemple concerne la vente par une coopérative de droit public d'un terrain à bâtir qui devait être complètement équipé en un an au maximum après la conclusion du contrat62. Deux ans plus tard, l'équipement n'étant pas été réalisé, l'acheteuse ouvre action et demande la constatation de la caducité du contrat ainsi que le remboursement du montant qu'elle avait versé contre la restitution du terrain. En cours de procédure, la nullité du contrat de vente est constatée. Devant le Tribunal fédéral, sont évoqués pour la première fois le vice de forme ainsi que l'abus

62 - ATF 112/198611330, JT 1987 1 70.

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de droit de la part de l'acheteuse à l'invoquer. La désignation exacte des parties et de leurs représentants est l'une des exigences de la forme authentique. Le représentant de la coopérative venderesse n'ayant pas été correctement désigné dans l'acte de vente, le contrat était nul.

L'inscription au registre foncier avait cependant eu lieu et le prix été payé.

Le contrat avait donc été complètement exécuté et l'acheteuse s'était comportée en propriétaire pendant deux ans. Ce n'est qu'au cours d'une procédure justifiée par l'absence d'équipement du terrain qu'elle s'était rendu compte de l'existence d'un vice de forme et avait cherché à en tirer parti. Le Tribunal fédéral semble mettre en balance l'exécution complète du contrat et le peu d'importance du vice de forme pour finalement conclure que l'acheteuse commettait un abus de droit à invoquer ce vice.

45 - Cet arrêt appelle une remarque. Le Tribunal fédéral commence par résumer sa propre jurisprudence et rappeler que, conformément à l'exi- gence de l'exécution volontaire, la partie qui exécute le contrat dans l'ignorance du vice ne commet pas abus de droit lorsqu'elle fait valoir ce vice ultérieurement63. Puis il admet l'abus de droit nonobstant le fait que l'acheteuse ignorait l'existence du vice puisque ce dernier n'est apparu qu'en seconde instance cantonale, soit plus de trois ans après l'exécution du contrat. Une telle contradiction au sein du même arrêt montre à quel point les critères qu'on tente de dégager de la jurisprudence sont peu fiables. Le caractère véritablement insignifiant du vice de forme (désigna- tion inexacte du mandataire du vendeur dans l'acte, la situation étant par ailleurs claire pour les parties) peut expliquer que le Tribunal fédéral ait renoncé, sans d'ailleurs le dire expressément, à la condition de l'exécution volontaire en l'espèce.

46 - c) Dans une dernière affaire immobilière64, une commune avait conclu avec une société anonyme un contrat de droit administratif. Selon ce contrat, un permis de construction pour une installation atomique était

63 -ATF 112/198611330, JT 1987170, 74-75.

64 - ATF 112/1986 Il 107, JT 1986 1 587.

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accordé à la société. De plus la commune s'obligeait à construire de nou- velles routes sur des terrains cédés par la société aux frais de celle-ci, ce qui fut fait. La commune s'engageait également à céder à la société deux anciens chemins, ce qui ne fut pas fait. La société ouvre alors action pour obtenir le transfert des deux chemins litigieux. Le contrat n'ayant pas observé la forme authentique qui était nécessaire pour le transfert des ter- rains, il était nul, ce que ne manque pas d'invoquer la commune pour s'op- poser à la demande. Cependant, le contrat, qui formait un tout, avait été presque complètement exécuté sous réserve du transfert des terrains: les routes prévues avaient été construites, leur coût (5 millions) pris en char- ge par la société, le permis de construction accordé, ce qui correspondait à une exécution pour l'essentiel. En refusant par la suite de céder les ter- rains comme convenu, la commune contredisait son attitude antérieure.

L'invocation du vice de forme étant abusive, la commune est condamnée au transfert des deux chemins.

47 - Il s'agit là d'un exemple particulièrement clair d'une action en exé- cution fondée sur l'abus de droit. Le Tribunal fédéral justifie cette entorse au principe de la portée négative de l'art. 2 al. 2 CC en affirmant que seul un «jugement formaliste fondé sur des règles rigides » aurait conduit à rejeter le moyen tiré de l'abus de droit65. Une confirmation supplémentai- re que, dans cette matière, aucun principe ne vaut de manière absolue.

48 - d) Le bail à loyer66 peut également fournir des exemples d'invoca- tion abusive du vice de forme. Dans ce domaine, la loi veut qu'une hausse de loyer soit notifiée au locataire au moyen d'une formule officielle67. Une hausse qui ne remplit pas cette condition est nulle, sous réserve de l'abus de droit, réalisé, on l'a vu, en cas d'attitude contradictoire d'une partie qui trompe la confiance légitime créée chez l'autre. Après avoir payé durant six ans le loyer sans faire de réserve quant à la validité de la hausse, le

65 - ATF 112/1986 Il 107, JT 1986 1 587, 591. Cf. supra, vers n. 43 et n. 57.

66-ATF 123/1996111 70.

67 - Art. 18 al. 2 AMSL. Cf. supra, n. 36.

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locataire qui était un homme d'affaires expérimenté ne peut se prévaloir de la nullité alors que le propriétaire, lui-même inexpérimenté en affaires, n'avait aucune raison de douter de la validité du loyer convenu.

L'invocation tardive de la nullité s'explique par le fait que des négocia- tions, qui avaient été engagées quant à la modification des conditions du bail, ne se déroulaient pas conformément aux attentes du locataire. Dans ces circonstances, il était abusif d'invoquer la nullité de la hausse.

49 - Pour conclure, on relèvera qu'il s'impose toujours d'observer la même retenue du fait que l'admission de l'abus de droit conduit à annuler les effets d'une prescription de forme. La tendance générale et croissante de la jurisprudence en faveur de l'admission de l'abus de droit en cas d'in- vocation d'un vice de forme en matière immobilière a été signalée plus haut. Dans le domaine du contrat de travail ou de bail, l'abus de droit est moins souvent retenu. Cette différence s'explique du fait que la prescrip- tion de forme ne joue pas le même rôle pour ces contrats. En matière immobilière, la forme est prescrite non seulement dans l'intérêt des deux parties, mais également dans l'intérêt général (preuve d'un acte à inscrire dans un registre public). En revanche, dans le domaine du contrat de bail ou de travail, les prescriptions de forme n'ont pas pour but la protection de l'intérêt général, mais essentiellement celle du locataire ou du tra- vailleur et, accessoirement seulement, celle de l'employeur ou du bailleur, dans la mesure où un acte formel facilite la preuve de la volonté des par- ties. L'abus de droit doit être plus rarement retenu si l'on veut éviter de vider cette protection de son sens6s.

IV - Le principe de la transparence A - Institution juridique

50 - Le principe de la transparence ou de la levée du voile corporatif (en allemand, Durchgriff, en anglais, piercing the veil) est un moyen, aussi sou- vent invoqué que rarement admis, de remettre en cause l'indépendance

68- Cf. pour le contrat de travail, ATF 116/1990 Il 700, JT 1991 1 643, 644-645. Cf. également pour le but de protection de l'art. 269d CO, ATF 121/1995111214, 217.

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juridique d'une personne morale. La levée du voile constitue une exception au principe fondamental de l'indépendance69 de la personne morale par rapport aux personnes physiques qui la composent ou la dirigent comme par rapport à d'autres personnes morales membres d'un même groupe.

Selon la formule consacrée,« les personnes morales jouissent en principe de l'indépendance juridique, à moins que cette indépendance ne soit invo- quée abusivement, contrairement aux règles de la bonne foi n70.

B - Conditions et conséquences

51 - Conformément à une jurisprudence qui se qualifie elle-même de

«bien établie», la levée du voile corporatif est admise lorsque« le fait d'in- voquer la diversité des sujets constitue un abus de droit ou a pour effet une atteinte manifeste à des intérêts légitimes n71. L'atteinte manifeste à des intérêts légitimes constituant une catégorie particulière d'abus de droit, le fondement que le Tribunal fédéral, avec l'approbation de la doc- trine, assigne à la levée du voile est l'abus de droit72.

52 - Le problème est de déterminer quelles sont les constellations de fait typiques dans lesquelles l'invocation de la dualité juridique est constituti- ve d'abus de droit. Selon le Tribunal fédéral, on ne peut pas s'en tenir sans réserve à l'existence formelle de deux personnes juridiquement distinctes

« lorsque tout l'actif ou la quasi-totalité de l'actif d'une société anonyme

69 - Ce principe est également désigné par les termes de séparation ou de dualité.

70 - ATF 113/1987 Il 31, JT 1988 1 20, 24.

71 - ATF 121/1995111319,321 (fr.); 102/1976111165, 169 (fr.).

72 -Peter Forstmoser/Arthur Meier-Hayoz/Peter Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, Berne, Stampfli, 1996, 52; Hrant Hovagemyan, Transparence et réalité économique des sociétés, Lausanne, CEDIDAC, 1994, 8 sq. La conception de Merz, op. cit. n. 12, n. 288 ad art. 2 CC, également soutenue par Andreas von Planta, Die Haftung des Hauptaktionars, thèse Bâle, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Helbing et Lichtenhahn, 1981, p. 153 sq., 155 sq., selon laquelle la levée du voile constitue un problè- me d'interprétation de la loi, semble aujourd'hui dépassée; dans ce sens, Kristina Kuzmic, Haftung aus

« Konzernvertrauen >>, Die Aussenhaftung des Konzerns im Schweizerischen Privatrecht, thèse Zurich, Schulthess, 1998, p. 109 n. 440; Peter Forstmoser, Schweizerisches Aktienrecht, vol. 1, Zurich, Schulthess, 1981, § 1 111 n. 201. A relever tout de même un arrêt récent qui place le débat sur le plan de l'interprétation de la loi ou du contrat (art. 2 al. 1 CC) et non sur celui de l'abus de droit (art.

2 al. 2 CC): ATF 125/1999 Ill 257, consid. 3a et b, SJ 2000 1 33, 38.

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