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Créancier en Suisse, débiteur en Italie: aspects de droit matériel et procédural

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Créancier en Suisse, débiteur en Italie: aspects de droit matériel et procédural

MARCHAND, Sylvain

MARCHAND, Sylvain. Créancier en Suisse, débiteur en Italie: aspects de droit matériel et

procédural. In: Aspetti patrimoniali e di esecuzione forzata nei rapporti transfrontalieri:

Atti della giornata di studio del 2 giugno 2014 . 2015. p. 87-97

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:91583

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MICHEL OCHSNER

poursuite dirigée contre un État étranger et le Conseil fédéral est l'autorité unique pour en vérifier le respect.

En d'autres termes, après avoir rempli toutes les conditions fixées par la LP pour obtenir une saisie et celles découlant du droit international public pour identifier des actifs saisissables, le créancier d'un État étranger peut voir fina- lement tous ses efforts anéantis au nom de la raison d'état, sans possibilité de recours et encore moins de dédommagements.

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Créancier en Suisse, débiteur en Italie:

aspects de droit matériel et procédural

SYLVAIN MARCHAND

Table des matières

1. Introduction

11. Clauses contractuelles

A. Élection de for judiciaire

B. Élection de for de poursuite c. Clauses de garantie

D. Clauses de paiement

111. Exécution forcée

A. Injonction de payer européenne

B. Conversion

c. Faillite du débiteur à l'étranger

IV. Conclusion

r. Introduction

La situation dans laquelle le débiteur est domicilié en Italie et le créancier en Suisse peut être appréhendée de plusieurs points de vue:

- du point de vue du droit suisse des poursuites, la question est régie par les règles sur les fors spéciaux de poursuite contre un débiteur domiciliés à l'étranger;

- du point de vue du droit international privé, l'internationalité de la situa- tion appelle les réflexions classiques sur le for et le droit applicable;

- du point de vue pratique, le créancier se renseignera vraisemblablement sur les possibilités de recouvrement en droit italien.

La présente contribution n'est ni une analyse complète des fors spéciaux de la LP (le sujet est traité dans cet ouvrage par M. Michel ÜCHSNER), ni une syn- thèse générale des règles de droit international privé applicables à une rela- tion helvético-italienne (le champ serait trop large), ni une présentation du droit italien de l'exécution forcée (l'auteur ne serait pas compétent).

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SYLVAIN MARCHAND

Notre parti a donc été celui du point de vue du créancier, qui doit prendre quelques précautions au moment de la rédaction du contrat, et être conscient des risques liés à une éventuelle exécution forcée. C'est sur ces deux moments que se structure notre analyse.

n. Clauses contractuelles

A.

Élection de for judiciaire

Le créancier suisse qui passe un contrat avec un débiteur italien et qui ne souhaite pas être confronté au système judiciaire italien qu'il cannait mal envisagera dans un premier temps de prévoir dans le contrat une élection de for judiciaire. Cette possibilité lui est largement offerte par la Convention de Lugano1 applicable dans les rapports entre une partie suisse et une partie ita- lienne. Quelques exceptions restreignent cependant cette liberté de choix du for2 et le créancier suisse devra donc faire valider par un juriste l'élection de for judiciaire qu'il envisage d'intégrer dans le contrat.

Le développement du droit de la consommation implique notamment une pro- tection du for du domicile du consommateur, susceptible de remettre en cause une élection de for suisse si le débiteur italien doit être considéré comme un consommateur. Contrairement au droit international privé suisse3, la Conven- tion de Lugano ne restreint pas cette protection aux actes de consommation courante4Aucun plafond quant au montant de la créance ne vient donc limiter l'application de ces règles impérative en matière de for, dès lors que le débiteur italien a acquis un produit ou un service pour un motif personnel ou familial.

Même si l'élection de for judiciaire est parfaitement valable, elle n'implique pas encore que le créancier ne sera pas confronté au système procédural ita- lien: l'élection de for judiciaire ne comprend pas la phase de l'exécution de la décision. La convention de Lugano prévoit d'ailleurs que seul sont corn-

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Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, du 30 ottobre 2007 (CLug, RS 0.275.12), art. 23.

Art. 23 ch. 5 CLug concernant les contrats d'assurance, de travail, les contrats avec un consommateur, et les situations pour lesquelles la convention de Lugano prévoit une compétence exclusive.

Art. II4 et 120 LDIP (RS 291).

Voir à ce sujet MARCHAND, Consommation, p. 305 ss.

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CRÉANCIER EN SUISSE, DÉBITEUR EN ITALIE: ASPECTS DE DROIT MATÉRIEL ET PROCÉDURAL

pétents en matière d'exécution des décisions des tribunaux du lieu d'exécu- tion5.

Cette distinction entre for judiciaire et compétence en matière d'exécution implique bien sûr que chaque procédure soit rattachée soit à la procédure judiciaire, soit à la procédure d'exécution. La première tend à déterminer si la prétention du créancier est justifiée, la seconde à forcer le débiteur à s'exé- cuter. Il arrive parfois que la nature mixte des procédures rende la distinction délicate. Ainsi en droit suisse la procédure de mainlevée est-elle considérée comme une procédure d'exécution forcée qui ne peut faire l'objet d'une élec- tion de for6L'élection de for redevient cependant applicable au moment de l'éventuelle action en libération de dette du débiteur, qui relève de la procé- dure judicaire7, ce qui condamne les parties à slalomer d'un for à l'autre de façon assez inconfortable.

Pour compliquer un peu la situation, un conflit entre la compétence du lieu d'exécution et les compétences exclusives prévue par la Convention de Lu- gano doit être tranché en faveur des compétences exclusives. Un bailleur suisse poursuivant un locataire domicilié en Suisse sur la base d'un contrat de bail portant sur un immeuble en Italie devra saisir les tribunaux italiens qui jouissent d'une compétence exclusive au lieu de situation de l'immeuble. Il ne pourra requérir une mainlevée provisoire en Suisse, même si le contrat de bail contient une élection de for judiciaire suisse, puisque cette compétence exclusive est de droit impératif8

B.

Élection de for de poursuite

Compte tenu des limites d'une élection de for judiciaire, le créancier suisse peut envisager d'ajouter au contrat une élection de for de poursuite. Celle-ci est va- lable en droit suisse aux conditions de l'article 50 al. 2 LP, lorsque un débiteur domicilié à l'étranger élit domicile en Suisse pour l'exécution d'une obligation.

Une telle clause peut également être prévue lorsque le débiteur est domicilié en Suisse, pour le cas où il changerait de domicile avant exécution de la dette9

Art. 22 ch. 5 CLug: sont seuls compétents, sans considération de domicile: en matière d'exécution des décisions, les tribunaux de l'État lié par la présente Convention du lieu de l'exécution.

Arrêt du Tribunal fédéral5A_36/2oro du 7 octobre 2oro et les référence citées.

ATF 120 111 r 19: le for de poursuite prévu à l'article 83 al. 2 LP n'est pas impératif et les parties peuvent l'écarter par une élection de for judiciaire.

Revue fribourgeoise de jurisprudence (RFJ) 2009 p. 235 (Tribunal cantonal de Fribourg). Cette jurisprudence a le mérite de reconnaître à la Convention de Lugano sa primauté par rapport au droit interne suisse. Sur cette question, voir MARCHAND, Précis, p. 60.

Arrêt du Tribunal fédéral5A....snl2or2 du 8 octobre 2012.

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SYLVAIN MARCHAND

La rédaction de la clause est assez délicate, compte tenu de la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle le simple fait de se mettre d'accord sur un lieu d'exécution de l'obligation ne suffit pas à constituer une élection de for de poursuite10. L'élection doit donc être expresse11

Même bien rédigée, l'utilité d'une telle clause nous laisse dubitatif. En effet, de deux choses l'une:

- soit le débiteur italien a des actifs en Suisse, auquel cas le créancier peut profiter des fors spéciaux de la LP, en particulier le for de l'article 52 LP après séquestre des biens du débiteur italien sur la base de l'article 279 al. I ch. 4 LP (débiteur à l'étranger et titre de mainlevée provisoire constitué par le contrat), ou 271 al. I ch. 6 (titre exécutoire si le créancier a déjà obtenu un jugement exécutoire contre le débiteur);

- soit le débiteur n'a aucun actif en Suisse, et une procédure d'exécution for- cée, qui par nature vise à appréhender les actifs du débiteur pour les réaliser au profit du créancier, n'aurait pas d'objet.

Les plus belles constructions juridique se heurtent parfois à la réalité: l'exécu- tion forcé ne peut de facto avoir lieu que là où le débiteur possède des actifs.

c. Clauses de garantie

A défaut d'actif en Suisse, le débiteur peut constituer une garantie de paie- ment de la créance en faveur du créancier.

Une telle garantie est la meilleure solution pour éviter au créancier de devoir faire de la procédure en Italie: une garantie réelle mobilière permet au créan- cier d'agir en Suisse, par la réalisation de l'objet qui lui a été remise en nan- tissemene2. Une garantie personnelle émise par un garant domicilié en Suisse permet au créancier d'agir contre le garant en Suisse, la procédure italienne étant limitée au droit de recours du garant contre le débiteur principal en Italie.

Si le débiteur n'a ni actifs mobiliers à nantir, ni garantie personnelle à offrir, reste la solution de la réserve de propriété qui permet au moins au créancier de récupérer les actifs qu'il a livrés au débiteur. La réserve de propriété est

10 ATF 119 IIl54·

11 Les contrats anglo-saxon contiennent parfois la clause suivante, qui nous semble convenir:

"The Parties choose Switzerland as domicilium citandi et executandi for ali purposes under this Agreement, including without limitation for delivery of notices, enforcement and debts collection proceedings".

12 Au for du lieu de situation de la chose (art. 51 al. 2 LP) soit en principe au domicile du créancier, conformément au principe de la dépossession du débiteur (art. 884 al. 3 CC).

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CRÉANCIER EN SUISSE, DÉBITEUR EN ITALIE: ASPECTS DE DROIT MATÉRIEL ET PROCÉDURAL

une garantie qui doit être possible dans tous les pays de l'Union européenne, en tout cas ceux qui se conforment à la Directive 2000!3s/CE13 qui leur impose

d'inclure une telle possibilité dans leurs droits nationaux14. Dans la situation

d'un vendeur suisse livrant des marchandises en Europe, cette réserve de pro-

priété sera soumise au droit italien15. Cela aura l'avantage pour le vendeur d'éviter les lourdeurs formelles du droit suisse16, mais le contraindra néan- moins à agir en Italie et selon le droit italien pour rechercher la marchandise livrée.

o . Clauses de paiement

Un contrat prévoyant un paiement par un débiteur domicilié à l'étranger peut aussi contenir des clauses spécifiques relatives au paiement, en particulier le lieu et la monnaie du paiement.

Le lieu du paiement peut être en droit suisse déterminé librement par les par- ties, conformément à l'article 74 al. 1 CO. Cette liberté contractuelle trouve cependant ses limites dans le droit de l'exécution forcée. Ainsi le droit suisse de l'exécution forcée prévoit qu'en cas de poursuite en Suisse, le paiement peut avoir lieu en main l'office, quel que soit le lieu de paiement prévu par le contrat17Le débiteur est même encouragé à ne pas respecter la clause contrac- tuelle de lieu de paiement, puisque le paiement en mains de l'office interrompt la poursuite, alors que ce n'est pas le cas d'un paiement en mains du créancier qui doit retirer lui-même la poursuite18

La clause dans un contrat entre un créancier suisse et un débiteur en Italie, se- lon laquelle le paiement doit intervenir en Suisse au lieu désigné par le créan- cier, n'a donc de validité que dans les limites du droit italien de l'exécution forcée.

13 Directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

14 Art. 4 de la directive [note 13]: "Les États membres prévoient, conformément aux dispositions nationales applicables en vertu du droit international privé, que le vendeur peut conserver la propriété des biens jusqu'au paiement intégral lorsqu'une clause de réserve de propriété a été explicitement conclue entre l'acheteur et le vendeur avant la livraison des biens".

15 Art. 103 LDIP.

16 Art. 715 CC: la réserve de propriété doit être inscrite dans le registre des pactes de réserve de propriété au domicile de l'acheteur. Cette condition du droit Suisse est d'ordre public:

(ATF 131 m 595). Si le débiteur italien reprend domicile en Suisse, la réserve de propriété doit être inscrite dans le trois mois (même arrêt, art. 102 al. 2 LDIP).

17 Art. 12 LP.

18 Décision du Obergericht du Canton Zurich RU! 100501 du 28 février 2012.

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SYLVAIN MARCHAND

En déterminant le prix ou les obligations financières du débiteur, les parties choisissent nécessairement une monnaie. La détermination de la monnaie du paiement dans un contrat soumis au droit suisse ne lie cependant pas le débi- teur, qui peut payer dans la monnaie du lieu dè paiemene9. Cette disposition du droit suisse appelle de notre part deux remarques:

- Les parties restent libres de fixer la monnaie du paiement, par une clause de valeur effective. Cette clause doit prévoir que le débiteur n'est pas autorisé à payer dans une autre monnaie que celle qui est indiquée par le contrat.

L'opportunité d'une telle clause est discutable, dès lors que l'inconvénient du change entre euros et francs suisses reste mineur pour le créancier. La clause peut par ailleurs avoir l'effet de paralyser une possibilité de com- pensation entre deux créances en monnaie différente20Elle doit donc être utilisée avec la plus grande réserve.

- L'article 84 al. 2 CO n'offre d'alternative qu'au débiteur et non au créan- cier. Ce dernier n'a droit qu'au paiement dans la monnaie convenue, et ne peut actionner en justice le débiteur en concluant à son paiement dans une autre monnaie. Une action en reconnaissance de dette concluant à la condamnation pécuniaire du débiteur dans une autre monnaie que celle qui est prévue par le contrat doit donc être rejetée21.

m. Exécution forcée

A.

Injonction de payer européenne

Le contrat le plus raffiné peine à éviter au créancier suisse les affres d'une pro- cédure en Italie, lorsque le débiteur y est domicilié et ne possède pas d'actifs en suisse. Ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. Le créancier bénéfi- ciera en effet de la procédure européenne d'injonction de payer, applicable en Italie comme dans tous les pays membres de l'Union européenne22

Cette procédure européenne présente certes une incongruité aux yeux d'un juriste suisse, mais aussi un avantage indéniable.

19 Art. 84 a. 2 CO Pour plus de détail, MARCHAND, Action en paiement, p. 69 ss.

20 ATF 130 Ill 312.

21 ATF 134 111 151.

22 Règlement (CE) 1896f2oo6 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer.

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CRÉANCIER EN SUISSE, DÉBITEUR EN ITALIE: ASPECTS DE DROIT MATÉRIEL ET PROCÉDURAL

L'incongruité, c'est l'abandon de la distinction classique entre for judiciaire et for de poursuite. Le créancier doit s'adresser au for judiciaire23 tel qu'il est déterminé dans l'Union européenne par le règlement de Bruxelles24Si le débiteur fait opposition, c'est également au for judiciaire que l'opposi- tion doit être levée25Cette spécificité du droit européen doit être prise en compte par le créancier au moment de la rédaction du contrat déjà: s'il veut profiter du système de l'injonction de payer européenne, il doit choisir un for judiciaire en Europe. Une juge suisse serait bien en mal de délivrer une telle injonction, en tout cas tant que la Suisse ne participe pas à ce système de recouvrement. Il est possible qu'à terme, cette évolution du droit euro- péen rende moins attractif le choix du for judiciaire suisse, y compris pour un créancier domicilié en Suisse.

L'avantage, c'est l'article 18 du règlement: une injonction de payer restée sans opposition de la part du débiteur vaut titre exécutoire dans toute l'Union européenne. Aucun exequatur n'y est requis26Il faut bien dire que notre commandement de payer resté sans opposition fait pâle figure au regard de l'injonction de payer européenne. Le Tribunal fédéral n'y voit qu'un "indice de la créance alléguée'm, à mille lieues du titre exécutoire européen.

La confusion entre le domaine du judicaire et le domaine de l'exécution for- cée, créée par l'abandon de la distinction entre for judiciaire et for de pour- suite, a été récemment illustrée par un arrêt de la Cour de justice européenne.

Le débiteur avait fait opposition à une injonction de payer, sans contester la compétence du tribunal ayant délivré cette injonction. La question était de savoir s'il fallait y voir une renonciation à contester la compétence de ce tribunal, y compris en matière judicaire. La Cour de justice est revenue à la distinction traditionnelle entre exécution forcée et procédure judiciaire, en considérant que l'absence de contestation de compétence au niveau de l'in- jonction de payer ne valait pas reconnaissance de la compétence du tribu- nal en matière judiciaire28Ce n'est qu'un exemple des nombreuses questions juridiques que pose cette nouvelle procédure européenne d'injonction de payer. Une autre question est de savoir si une injonction de payer restée sans opposition en Europe doit constituer un cas de séquestre en Suisse au sens de

23 Art. 6 du règlement sur la procédure d'injonction de payer.

24 Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

25 Art. 17 du règlement sur la procédure d'injonction de payer.

26 Art. 19 du règlement sur la procédure d'injonction de payer.

27 Arrêt du Tribunal fédéralsP -328!2oo6 du 1 février 2007.

28 Arrêt de la Cour de justice européenne C-144ir2 du 13 juin 2013 Goldbet Sportwetten GmbH contre Massimo Sperindeo.

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SYLVAIN MARCHAND

l'article 27r al. r ch. 6 LP. Cela semble devoir être le cas. Nous avons répondu positivement à cette question29, même si il est assez étrange qu'une injonction de payer européenne sans opposition ait plus de poids en suisse qu'un com- mandement de payer sans opposition.

Cette procédure européenne d'injonction de payer offre d'intéressantes pers- pectives au créancier. Il est temps que le législateur suisse s'y intéresse, s'il ne veut pas que les créanciers suisses aient l'impression d'être moins bien proté- gés en Suisse qu'ils ne le sont dans l'Union européenne30

B.

Conversion

Le créancier suisse qui poursuit le débiteur en Italie doit également s'attendre à une conversion de sa créance dans la monnaie du lieu de l'exécution forcée.

Cette question peut être réglée par le contrat pour tout paiement intervenant en dehors de l'exécution forcée. Dès lors qu'une procédure d'exécution forcée a lieu, une conversion de la créance découle du droit public, indépendamment du contrat. Tel est en tout cas le point de vue du Tribunal fédéral, lorsque la procédure d'exécution forcée a lieu en Suisse: "L'art. 84 CO traite des obli- gations du débiteur et non de l'exécution forcée de la créance en Suisse. La conversion en francs suisses d'une créance exprimée en monnaie étrangère selon l'art. 67 al. rer ch. 3 LP est en revanche une règle d'ordre public répon- dant à des exigences pratiques"31

Se pose alors la question du moment de la conversion. Cette question est réglée en droit suisse par les articles 67 al. rer ch. 3 LP et 88 LP, selon lesquels une première conversion de la créance en droit suisse doit avoir lieu au moment de la réquisition de poursuite, le créancier pouvant cependant procéder à une se- conde conversion au moment de la réquisition de continuer la poursuite. La loi ne règle pas la question d'une conversion en cas de requête de séquestre par le créancier. La jurisprudence comble cette lacune, en indiquant que la requête de séquestre doit exprimer la créance alléguée en valeur légale suisse32. Si la pour- suite continue au for du séquestre, une nouvelle conversion ne peut en effet plus avoir lieu. Selon le principe de la spécialité du for du séquestre, la poursuite en validation du séquestre en Suisse ne peut porter que sur le montant séquestré33

29 Voir à ce sujet MARCHAND, Précis, p. 63.

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°

Cette impression pourrait être renforcée par la Directive 2000/3s/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

31 ATF 134 m 151.

32 Arrêt du Tribunal fédéralsA_I97f20r2 du 26 septembre 2012.

33 Voir ATF IIO m 27.

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Le créancier suisse d'un débiteur domicilié en Italie doit donc s'attendre à une conversion de sa créance en euros, quelle que soit la monnaie prévue par le contrat, s'il doit poursuivre le débiteur en Italie. À l'inverse, il devra convertir la créance en francs suisses indépendamment du contrat, s'il veut séquestrer les biens du débiteur en suisse. Là encore, les règles de l'exécution forcée rela- tivisent l'effectivité des clauses du contrat en matière de monnaie de paiement.

c. Faillite du débiteur à l'étranger

Le fait d'avoir un débiteur domicilié en Italie implique bien sûr pour le créan- cier le risque de devoir participer à la faillite de ce débiteur, selon le droit italien de la faillite.

Pour être précis, ce n'est pas tant le domicile du débiteur qui sera pertinent, que le centre de ses intérêts principaux (en anglais Center of main interests34).

C'est en effet ce critère qui fonde la compétence des autorités de faillite dans l'Union européenne35. La Suisse pour sa part en est restée au principe de l'immatriculation. La différence est conceptuellement importante, mais prati- quement moins effrayante qu'il n'y parait: l'article 3 par. r du règlement euro- péen sur les procédures d'insolvabilité pose la présomption selon laqûelle le centre des intérêts principaux du débiteur est à son domicile ou à son siège social. Cette présomption est interprétée strictement par les tribunaux euro- péens. Ainsi la Cour de justice européenne a-t-elle considéré, dans un arrêt de principe, que la présomption de l'article 3 du règlement ne pouvait être renversée par le simple fait que le débiteur est la filiale intégrale d'une so- ciété italienne, qu'il est entièrement contrôlé par les organes de la société mère italienne, et qu'il se met entièrement au service de cette maison mère.

Il faut pratiquement que le débiteur n'ait aucune existence physique au lieu de son immatriculation, ni aucune activité réelle, pour que la présomption de l'article 3 du règlement puisse être renversée36Cet arrêt de la Cour de jus- tice, qui évite que la faillite des sociétés européennes soit systématiquement prononcée au siège de la maison mère qui les contrôle, limite beaucoup les effets de la différence entre le droit européen et le droit suisse sur la question du for de la faillite.

34 COMI.

35 Article 3 du Règlement (CE) 1346hooo du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures

d'insolvabilité.

36 Arrêt de la Cour (Grande chambre) C-341/04 du 2 mai 2006 (demande de décision préjudicielle de la Supreme Court) Euro food JFCS Ltd.-Enrico Bondi contre Bank of America NA., Pearse Farrell, Official Liquidator, Director of Corporate Enforcement, Certificat (Note holders) in:

Journal officiel de l'Union européenne (JO) C 143 du 17 juin 2006, p. rr.

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SYLVAIN MARCHAND

Le créancier suisse intervenant dans une faillite ou une procédure d'insol- vabilité italienne doit être conscient du fait que cette procédure n'empêche pas le débiteur de disposer de ses actifs en Suisse. Le Tribunal fédéral ap- plique en effet strictement le principe de la territorialité, et n'accorde aucun effet à une faillite étrangère avant qu'elle ait été pleinement reconnue en Suisse selon les articles 166 ss LDIP37. Dans l'intervalle, il appartient donc au créancier suisse de prendre en Suisse les mesures utiles concernant les actifs suisse, notamment leur éventuel séquestre, indépendamment de la procé- dure étrangère.

Si en revanche le créancier suisse produit dans la procédure d'insolvabilité italienne, il doit s'attendre à ce que la vérification judiciaire de la créance ait lieu en Italie, dans le cadre de la procédure de collocation, indépendamment de l'élection de for judiciaire se trouvant dans le contrat. La procédure de collocation relève en effet de la procédure de poursuite, et non de la procé- dure judiciaire38, même si sur le fond la question reste la validité de la créance alléguée par le créancier.

Même si le créancier a introduit en Suisse un procès contre le débiteur, sur la base de l'élection de for judiciaire, les autorités de poursuite italienne pour- ront décider de son éventuelle collocation dans la procédure italienne sans tenir compte de l'ouverture de cette procédure. C'est ainsi en tout cas que le Tribunal fédéral autorise les faillites suisses à procéder, puisqu'il les absout de la nécessité de prendre en compte une procédure judiciaire ouverte à l'étranger39.

Là encore la fragilité d'une clause d'élection de for judiciaire apparaît, dès lors que les règles de l'exécution forcée deviennent applicables.

IV.

Conclusion

Il ressort des quelques remarques qui précèdent que le contrat, aussi sophis- tiqué fût-il, n'est pas une protection efficace du créancier contre le risque de devoir affronter des procédures à l'étranger, dans l'État de domicile du débi- teur. Les clauses contractuelles les mieux rédigées se heurtent au principe de réalité: l'exécution forcée n'a de sens que là où se trouvent des actifs du débi- teur. Même pour juger de la validité de la créance, de nombreuses situations

37 JdT 2005 II p. 28.

38 ATF 135 III 127 = JdT 2011 Il 402; ATF 133 Ill 386 consid. 4.3.2 et 4·3·3·

39 ATF 130 III 769 = JdT 2006 Il 137 consid. 3.2 et 3.3; revue fribourgeoise de jurisprudence (RFJ) 2012 p. 222; SJ 2005 1 142.

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cRÉANCIER EN SUISSE, DÉBITEUR EN ITALIE: ASPECTS DE DROIT MATÉRIEL ET PROCÉDURAL

se présentent où la question est considérée comme une question relevant du droit de l'exécution forcée, et donc du for de poursuite ou de faillite.

De lege ferenda, une réflexion sur deux axes s'impose au législateur suisse:

- comment rendre le système d'exécution forcée suisse compétitif au regard de la procédure européenne d'injonction de payer? Comment gérer le rat- tachement de cette procédure au for judiciaire plutôt qu'au for de pour- suite? Comment traiter le titre exécutoire que constitue une injonction de payer européenne dépourvue d'opposition?

- Le droit suisse de l'exécution forcée doit être plus respectueux du for judi-

ciaire choisi par les parties, ou des procédures judiciaires intentées à l'étran- ger. L'autonomie de la volonté des parties en ce qui concerne le juge com- pétent pour examiner la créance sur le plan matériel ne devrait pas être si souvent compromise par les nécessités de l'exécution forcée.

De lege lata, le créancier ne doit pas se fier au caractère rassurant d'une clause d'élection de for judiciaire. La seule protection efficace contre le risque d'une procédure à l'étranger reste la constitution de garanties réelles (sur des actifs en Suisse) ou personnelles (par un garant en Suisse) en sa faveur. Là encore, l'Union européenne lui offre un instrument utile, avec la généralisation des clauses de réserve de propriété dans toute l'Union. Là encore, le droit suisse, par son formalisme en la matière, paraît un peu déphasé.

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