• Aucun résultat trouvé

L'"Amicus curiae" devant l'organe de règlement des différends de l'OMC

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'"Amicus curiae" devant l'organe de règlement des différends de l'OMC"

Copied!
45
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

L'"Amicus curiae" devant l'organe de règlement des différends de l'OMC

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, MBENGUE, Makane Moïse

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, MBENGUE, Makane Moïse. L'"Amicus curiae" devant l'organe de règlement des différends de l'OMC. In: Maljean-Dubois, Sandrine. Droit de

l'Organisation mondiale du commerce et protection de l'environnement . Bruxelles : Bruylant, 2003. p. 400-443

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:43372

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

400 MISE EN ŒUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

merciaux et objectifs environnementaux (73).

L'OMC n'est pas restée étanche aux questions environnementa- les et sanitaires. Leur élaboration ne peut toutefois être entièrement dé- volue aux organes de règlement des différends de l'OMC, qui tout en développant le droiLsous certains aspects emplissent cette fonction dans le cadre d'une approche casuistique au gré des litiges qui leur sont sou- mis (74) et dans les limites fixées par les principes et règles du Mémo- randum d'accord. Les rapports commerce/environnement devront être abordés de front par les autorités politiques compétentes dans le cadre du mandat de Doha, ainsi que dans d'autres fora.

Section 2

LES RÈGLES DE PROCÉDURE SONT-ELLES ADAPTÉES AU DOMAINE ENVIRONNEMENTAL ?

S'agissant de l'adaptation des règles procédurales à la protection de l'environnement, trois questions retiennent particulièrement l'atten- tion : celle de la participation d'organisations non gouvernementales à la procédure (I), celle de la preuve (II), et enfin celle de l'expertise (III).

I - L'AMICUS CURIAE DEVANT L'ORGANE DE RÈGLE- . MENT DES DIFFÉRENDS DE L'OMC

Laurence BOISSON DE CHAZOURNES et Makane Moïse MBENGUE

« Les règles de l'OMC sont fiables, compréhensibles et applica- bles. Elles ne sont pas rigides ou inflexibles au point d'interdire tout jugement motivé face aux flux et reflux incessants et toujours changeants de faits réels concernant des affaires réelles dans le monde réel. Elles seront plus utiles au système commercial multilatéral si nous les inter- prétons en gardant cela présent à l'esprit... » (75). Cette vision ontologi- que de l'Organe d'appel témoigne de la possibilité d'interpréter les rè- gles de l'OMC dans une perspective d'adaptation aux aspirations socia- les sans cesse émergentes, aspirations que sont censées représenter les intérêts des États membres de l'OMC. La technique des amici curiae reflète l'aspiration de la société civile internationale lato sensu ou de l'individu sricto sensu de participer spécifiquement au processus de réso-

(73) L. Boisson de Chazournes, Mondialisation et procédures de règlement des diffé- rends, op. cil.

(74) Sur la contribution du juge au développement du droit international, voir L. Boisson de Chazournes, S. Heathcote, The Role of the New International Adjudicator, ASIL,Proceedings of the 95th Annual Meeting, 2001, pp. 129-138.

(75) Japon- Taxes sur les boissons alcooliques, Rapport de !'Organe d'appel, Doc.

WT/DS8/AB/R, WT/DSIO/AB/R, WT/DSl 1/AB/R, pp. 36-37.

(3)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVfRONNEMENTAUX 401

lution des différends interétatiques. De manière générale, ce besoin s'inscrit dans la volonté des personnes physiques et morales privées ou non-étatiques de participer à la production de la norme juridique et à son application à tous les niveaux. L'opération de règlement des différends par un organe juridictionnel, quasi-juridictionnel ou encore arbitral est une des phases essentielles du processus de production normative inter- nationale. Le juge international dans sa tâche d'application et d'inter- prétation des normes de droit international général, des normes de droit international coutumier et des normes de droit international convention- nel, exerce nécessairement de facto et de jure -et peut être inconsciem- ment - une fonction normative, et ce même si les organes de règlement des différends de l'OMC sont réticents à le reconnaître (76). Les normes de droit international ont évidemment des destinataires. Ces destinataires comprennent aussi bien les États que les indjvidus, personnes physiques ou morales. Ces derniers sont en droit de connaître et de mesurer l'impact des normes internationales sur leur vie quotidienne (77). Le juge international étant un acteur majeur de la production de normes, règles et standards internationaux et de leur application, il est dès lors normal que les acteurs non-étatiques s'intéressent à l'espace du règlement des diffé- rends internationaux, notamment dans la sphère du commerce internatio- nal (78). Comme l'a rappelé le groupe spécial dans l'affaire États-Unis - Articles 301 à 310 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur, «on aurait tout à fait tort de penser que la situation des particuliers ne pré- sente aucun intérêt en ce qui concerne le cadre juridique du GATT/de l'OMC. Bon nombre des avantages qui sont censés résulter pour les Membres de l'acceptation des diverses disciplines du GATT/de l'OMC dépendent de l'activité des différents agents économiques sur les mar- chés nationaux et mondiaux. Le but de bon nombre de ces disciplines, d'ailleurs l'un des objets primordiaux du GATT/de l'OMC dans leur en- semble, est de créer des conditions de marché qui permettront à cette activité individuelle de prospérer [. .. ] Garantir la sécurité et la prévisi- bilité du système commercial multilatéral est un autre objet et but essen- tiels du système, qui pourrait contribuer à la réalisation des grands ob- jectifs inscrits dans le préambule. De toutes les disciplines de l'OMC, le

Mémorandum d'accord est l'un des instruments les plus importants lors- qu'il s'agit de protéger la sécurité et la prévisibilité du système commer- cial multilatéral et, ce faisant, celles du marché et des différents interve- nants. Les dispositions du Mémorandum d'accord doivent donc être in- terprétées à la lumière de cet objet et de ce but et de manière à les pro-

(76~ L; Boisson de Chazournes et M.M Mbengue, Le rôle des organes de règlement des d1fferends de l'OMC dans le développement du droit: à propos des OGM, in Le com- merce international des organismes génétiquement modifiés, op. cil., pp. 177-212.

(77_) C. Harding, Statist assumptions, normative individualism and new forms of persona- hty : evolving a philosophy of international law for the twenty first century, Non-State Ac tors and International Law, vol. 1, n°2, 2001, pp. 107-125.

(78) S. Charnovitz, Opening the WTO to Nongovememental Interests, Fordham Interna- tional Law Journal, vol. 24, November-December 2000, N§ 1&2, pp. 173-216.

(4)

402 MISE EN ŒUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

mouvoir le plus efficacement possible [. .. ]La sécurité et la prévisibilité en question sont celles "du système commercial multilatéral". Par la force des choses, le système commercial multilatéral est composé non seulement d'États mais aussi, de fait surtout, d'agents économiques. Ce sont eux qui souffrent le plus du manque de sécurité et de prévisibilité.

Le plus souvent et de plus en plus, le commerce est le fait d'agents du secteur privé. C'est en améliorant les conditions dans lesquelles opèrent ces agents du secteur privé que les Membres profitent des discipline.s de l'OMC. La négation des avantages d'un Membre qui résulte d'une viola- tion est souvent indirecte et s'explique par l'incidence de cette violation sur le marché et sur les activités des particuliers qui œuvrent sur ce marché [ . .}L'un des principaux éléments déclencheurs de l'action des États- Unis lorsqu'ils défendent leurs droits au titre d'accords visés est l'incidence des violations alléguées sur les différents agents économiques et les plaintes émanant de ces agents » (79).

§ 1 - LA NOTION D'AMICUS CURIAE

1 - À LA RECHERCHE D'UNE DÉFINITION DE LA NOTION D'AMICUS CURIAE

L'amicus curiae est un ami de la cour. Certains systèmes juridi- ques autorisent des personnes non parties à un litige à apporter au cours de la procédure judiciaire, des informations s\lr des points de droit, voire des éléments factuels. Les amici curiae ont une longue histoire dans certains systèmes juridiques alors qu'ils sont inexistants dans d'autres, ou qu'ils sont apparus récemment. Ils ont évolué en droit romain, se sont développés avec la Common Law et ont été intégrés dans le système juridique américain au sein duquel ils se sont épanouis. On les trouve donc principalement dans l'ordre juridique américain, dans un dévelop- pement moindre dans les systèmes de Common Law, apparaissant ré- cemment dans les ordres juridiques continentaux, comme en France.

L'idée est de permettre aux organisations ou aux personnes qui ont un intérêt dans un différend, d'intervenir et de donner leur point de vue. Ce mécanisme a plusieurs avantages, qui sont liés aux informations qu'ils peuvent apporter dans la résolution d'un litige, qu'il s'agisse d'in- formations factuelles ou juridiques, ou d'autres sources de droit ou des conséquences qu'auraient une décision. D'autres avantages tiennent au coût relativement faible des informations et à une plus grande légitimité de la solution du différend (car tous les intérêts sont pris en considé- ration) (80).

(79) États-Unis- Articles 301 à 310 de la Loi de 197 4 sur le commerce extérieur, Rapport du groupe spécial, adopté le 27 janvier 2000, par. 7.73 à 7.90.

(80) J. Razzaque, Changing role of friends of the court in the International Courts and Tribunals, Non-State Actors and International Law, vol. 1, n° 3, 2001, p. 170. Selon l'auteur, "The difference between Amicus Curiae and third party submission is that the former, known as the 'friend of the court' submits arguments independently of the par- ties to the dispute. The third party needs to establish a legal interest in the outcome of the case. The right of access is not dependent upon the consent of the parties. The third

(5)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 403

La notion d'amicus curiae n'apparaît pas dans le Mémorandum d'accord (81). Ce dernier ne fait référence qu'aux« avis», «renseigne- ments» qu'un groupe spécial peut demander à toute personne ou à tout organisme qu'il jugera approprié, ou encore à toute source qu'il jugera appropriée. En outre, le Mémorandum d'accord mentionne les« consul- tations», les «avis» et les «rapports consultatifs» d'experts sur cer- tains aspects techniques et scientifiques. La notion d' amicus curiae à l'OMC se situe aux confluents de ces différentes techniques: celle du renseignement, celle de l'avis, celle de l'expertise, celle de la consulta- tion. Dès lors l' amicus curiae doit être appréhendée comme une notion générique difficile à objectiver de manière absolue.

Une définition de l 'amicus curiae est donnée dans les Règles de procédure de la Cour Suprême des États-Unis : « an amicus curiae brief that brings to the attention of the Court relevant matter not already brought to its attention by the parties may be of considerable help to the Court. An amicus curiae brief that does not serve this purpose burdens the Court, and its .filing is not favored [. .. }An amicus is, by de.finition, a persan or institution not personally involved in the particular lawsuit.

The amicus may be interested because the Court's resolution of the legal issue in a case may some day have an effect on him or it. [. .. } Or an amicus may be an organization with a worthy social aim to push, or the Federal Government. that provides a degree of expertise and responsi- bility in advocacy that few private counsel can match » (82).

Dans Je Black's Law Dictionary (83), l'amicus curiae signifie

« literally, friend of the Court. A persan with a strong interest in or views on the subject-matter of an action, but not a party to the action, may petition the Court for permission to file a brief Such amicus curiae briefs are commonly filed in appeals concerning matters of broad public interest ».

Enfin, le Dictionnaire de droit international public définit I 'amicus curiae comme une notion du droit interne anglo-américain dé- signant la faculté attribuée à une personnalité ou à un organe non-partie à une procédure judiciaire de donner des informations de nature à éclairer le tribunal sur des questions de fait ou de droit (84).

party will need to prove, prima facie, that their right or protected interest will be af- fected by the outcome of the case. This is not necessary with an amicus brief'.

(81) Voir Article 13 du Mémorandum d'accord.

(82) Cité in Issues of Amicus Curiae Submissions: Note by the Editors, Journal of Inter- national Economie Law, vol. 3, n°4, December 2000, p. 704.

( 83) Black 's Law Dictionnary, 6e ed., West Publishing Co, St. Paul, Minn, 1990, p. 82.

(84) Dictionnaire de Droit international public (sous la direction de J. Salmon), Bruylant/AUF, Bruxelles, 2001, pp. 62-63.

(6)

404 MISE EN ŒUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

2 - LE RÔLE DES AMICI CURJAE DANS LA MONDIALISATION DU RÈGLEMENT INTERNATIONAL DES DIFFÉRENDS

La mondialisation fait appel à la complexité du droit (85). Celle- ci renvoie à l'idée de récursivités et d'enchevêtrements de relations d'un ordre juridique à un autre (86). Le juge international (compris au sens de tiers partie dans un règlement) est tenu dans le contexte de mondialisa- tion d'opérer une rupture épistémologique sur sa perception du différend, et ce en amont et en aval. En amont, c'est la question du droit applicable qui est en jeu. Le juge ne saurait se limiter de manière fragmentée ou isolée à un corpus de règles particulières pour trancher certains diffé- rends, bref à un droit monolithique. La matière des différends portés devant !'Organe de règlement des différends de l'OMC témoigne de la transversalité des questions juridiques qui peuvent se poser. Par exemple, les organes de l'OMC ne peuvent ignorer les Accords multilatéraux rela- tifs à la protection de l'environnement. En ce sens, les groupes spéciaux et !'Organe d'appel doivent procéder à une lecture combinée ou du moins compatible de ces deux ordres juridiques pour garantir l'efficacité de leurs décisions. En outre, la complexification ne relève pas seulement de la multiplication de jure des normes d'origine étatique dans la sphère internationale. Elle découle aussi de facto de la privatisation du droit international auquel le juge ne saurait rester insensible. Ainsi, par exem- ple, le droit international économique ne peut ignorer la lex mercatoria, la !ex sportiva et les avancées de la régulation d'Internet, avec la !ex elec- tronica. En aval, c'est la question de la portée juridique des décisions du juge international qui est interpellée. La res judicata est appelée à s'ou- vrir à une nouvelle dimension. Il ne s'agit plus pour le juge de se cram- ponner au dogme de « l'économie jurisprudentielle ». La globalisation fait appel à une res judicata anticipative et non plus seulement curative.

Le juge doit être apte à mettre le doigt sur certains problèmes juridiques et à identifier les paramètres de résolution afin de limiter les différends pouvant porter sur ces problèmes à moyen ou long terme. Dans un tel contexte, les amici curiae peuvent contribuer à clarifier le ou les droits applicables et à déterminer les intérêts juridiques en présence dans un différend donné.

La mondialisation impose également de repenser les procédures de règlement des différends. La globalité et la complexité des enjeux liés à un différend particulier exigent de l'instance de règlement des diffé- rends une démarche ouverte sur la société. Les individus et les acteurs non-étatiques demandent de plus en plus à être entendus à l'échelon in- ternational. Le juge ne peut rester sourd à ces demandes. Deux méthodes

(85) L. Boisson de Chazournes, Mondialisation et règlement des différends : Défis et ré- ponses, International Law Forum du Droit International, vol. 4, n°1, 2002, pp. 26-31.

(86) A.-J. Arnaud, Du jeu fini au jeu ouvert: vers un Droit post-modeme, in Le jeu: un paradigme pour le droit, sous la direction de F. Ost et de M. van de Kerchove, LGDJ,

Paris, 1992, p. 119.

(7)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DlFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 405

pourraient alors être mises en œuvre.

On peut penser tout d'abord à une méthode qui privilégie l'accep- tation de communications d'individus, d'ONG ou d'entreprises privées comme éléments de preuve dans le règlement d'un différend entre États.

La voie des amici curiae pourrait leur être plus largement ouverte. De plus, la société civile internationale devra de plus en plus être associée à la résolution des conflits pour garantir une légitimité aux décisions. Il y a dès lors nécessité d'une plus grande transparence des procédures de rè- glement des différends proprement dites. Celles-ci dans le cadre de l'OMC sont caractérisées parfois par un déficit de publicité. Ensuite, la méthode de la souplesse doit aussi avoir son rôle à jouer. Elle consiste en la création d'instances de règlement des différends à structure ouverte.

Ainsi, le juge stricto sensu ne doit pas être le seul acteur dans la résolu- tion des différends. La sphère juridictionnelle doit s'élargir afin de per- mettre à des acteurs tels que les experts, les scientifiques, les sociologues entre autres de contribuer à la res judicata. L'affaire Mesures commu- nautaires concernant les viandes et produits carnés (Hormones) (ci- après affaire Hormones) (87) a permis de relever ce point. L'Organe d'appel lui-même a reconnu que dans l'évaluation des risques de nom- breux acteurs sont à prendre en considération (88). Les amici curiae peu- vent légitimer la participation de ces acteurs multiples à la juridictio (le pouvoir de dire le droit).

Les amici curiae témoignent de la nécessité d'introduire une au- tre dynamique juridique dans le règlement des différends dans l'ordre juridique international : celle d'un droit international « internormatif »

(89) pour un règlement « systémique » ou « holistique » des différends.

Le droit internormatif fait référence à un tissu de normes issues d'ordres juridiques différents ainsi qu'à des normes sociales, techniques, écono-

miques, écologiques et politiques. Son utilisation par le juge sera la ga- geure d'un équilibre normatif dans les procédures de règlement des diffé- rends et partant d'un droit plus systémique basé sur l'intégration de nor- mes diverses et non exclusivement de règles résultant de la production juridique interétatique (90). Comme l'a dit le Juge Weeramantry, «nous sommes entrés dans une ère du droit international où celui-ci ne se

(87) Mesures communautaires concernant les viandes et produits carnés (hormones), Rapport de !'Organe d'appel, 16 janvier 1998, Doc. WTIDS26/ABIR, WTIDS481ABIR.

( 88) Ibidem, § 187 : «li est essentiel de ne pas perdre de vue que le risque qui doit être évalué ... aux termes de l'article 5: 1 n'est pas uniquement le risque vérifiable dans un laboratoire scientifique fonctionnant dans des conditions rigoureusement maîtrisées, mais aussi le risque pour les sociétés humaines telles qu'elles existent en réalité, autre- ment-dit, les effets négatifs qu'il pourrait effectivement y avoir sur la santé des person- nes dans le monde réel où les gens vivent, travaillent et meurent».

(89) L. Boisson de Chazournes, Le principe de précaution: Nature, contenu et limites, in Le principe de précaution : Aspects de droit international et droit communautaire, C.

Leben et J. Verhoeven eds., IHEI, Paris II, Pedone, Paris, 2002, pp. 65-94.

(90) J. Chevallier, Vers un droit post-moderne? Les transformations de la régulation juri- dique, RDP, 1998, n° 3, pp. 659-690; L. Boisson de Chazournes, P. Sands, IntÙna- tional Law, the International Court of Justice and Nuclear Weapons, Cambridge Uni- versity Press, 1999, pp. 13- 16.

(8)

406 MISE EN ŒUVRE DU DROIT DEL 'OMC ET PROTECTION DEL 'ENVIRONNEMENT

contente pas de servir les intérêts des États à titre individuel, mais pro- jette son regard au-delà de ceux-ci et de leurs querelles de clocher pour

considérer les intérêts majeurs de la planète. Pour examiner de tels pro- blèmes [. . .], le droit international devra voir plus loin que les règles de procédure élaborées aux seules fins du contentieux inter partes » (91 ).

Les amici curiae peuvent permettre au juge international de conférer cette teneur « internormative » à la résolution des différends. En outre, les amici curiae symbolisent une technique juridique par laquelle la di- mension erga omnes de certains différends internationaux sera beaucoup mieux prise en compte. La dimension erga omnes ne se limite pas à la participation de tous les États membres de la communauté internationale dans le processus de résolution des différends. Pour certains, cette di- mension requiert même que le système de règlement des différends se désétatise (en ce sens que les États ne doivent pas être les seuls à avoir le locus standi), et se démocratise (c'est-à-dire que les organisations inter- nationales, individus et groupes privés devraient être associés au maxi- mum au processus) (92).

Comme l'explique Hervé Asencio, «À vrai dire, ce n'est pas tant que les juridictions internationales aient souhaité recevoir de nom- breux avis amicaux ; ce sont bien plutôt les personnes avisées qui se sont soudainement bousculées à leur porte. Le droit international n'est plus un monde clos, suspendu au-dessus des individus et des entreprises dans la pureté des rapports entre puissances souveraines. Le mouvement d'ouverture des juridictions internationales, encore incomplet, a corres- pondu à l'irruption des personnes privées dans le contentieux interétati- que et au développement d'un contentieux international non exclusive- ment interétatique. L 'amicus curiae est la brèche procédurale par la- quelle peuvent s'engouffrer individus, sociétés et associations lorsque la qualité de partie est réservée aux États » (93).

3 L'AMICUS CURIAE, PHÉNOMENE EXCLUSIVEMENT

CONTENTIEUX ?

L' amicus curiae renvoie généralement à la question de la partici- pation d'acteurs non étatiques au processus de règlement des différends.

De ce fait, la fonction de l 'amicus curiae en droit international doit être distinguée de la fonction ou du rôle des acteurs non-étatiques dans d'autres processus tels que l'élaboration des traités ou le contrôle du respect des traités. Toutefois, l'on est en droit de se poser la question de savoir si I 'amicus curiae répond à un critère purement « contentieux ».

La participation de la société civile internationale dans des situations

(91) Affaire du Projet Gabcikovo-Nagymaros, Opinion individuelle du Juge Weeraman-

try, CIJ, Recueil 1997, p. 118.

(92) D.C. Esty Non-governmental Organization at the World Trade Organization: Coop- eration, Competition, or Exclusion, Journal of international Economie Law, vol. 1, n°1, March 1998, p. 123.

(93) H Ascencio, L'Amicus Curiae devant les juridictions internationales, RGDJP, t. 105, 2001, n°4, p.900.

(9)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 407

non-contentieuses ne peut être qualifiée a priori juridiquement d' amicus curiae. En effet, en tant qu'« ami de la cour», sa participation ne devrait être envisagée ratione fori que dans un cadre juridictionnel ou « quasi- juridictionnel » (94). Et pourtant, le règlement des différends à l'OMC comme en droit international général ne se limite pas à une phase contentieuse. D'ailleurs dans le Mémorandum d'accord, il est précisé- ment dit que « il est entendu que les demandes de conciliation et le re- cours aux procédures de règlement des différends ne devraient pas être conçus ni considérés comme des actes contentieux, et que, si un différend survient, tous les Membres engageront ces procédures de bonne foi dans un effort visant à régler ce différend» (95). Le non-contentieux est im- portant dans la résolution pacifique d'un différend. En, vertu du Mémo- randum d'accord sur le règlement des différends, les Etats membres de l'OMC peuvent au lieu de saisir les organes de règlement des différends procéder à des consultations (96), à des bons offices, à la conciliation ou encore à la médiation (97). Est-ce que les amici curiae ne pourraient pas participer à ces procédures ? Le problème réside dans la notion de

«cour» elle-même. Dans le langage commun, la cour renvoie à l'idée de juridictionnalité. L'idée de «cour» doit être appréhendée dans son sens fonctionnel c'est-à-dire la «}uridictio » (le pouvoir de dire le droit).

Lorsque des États engagent des consultations pour régler un différend, ils sont à la fois juges et parties. Qu'on le veuille ou non, en réglant de cette manière leur différend les États « disent le droit » et procèdent donc à une opération de juridictio. De même dans la procédure de conciliation ou médiation, le conciliateur ou le médiateur tant bien que mal «disent le droit». La société civile internationale peut avoir un apport positif sur le règlement non-contentieux des différends. Malheureusement le dogme de la «confidentialité» (98) autre dogme particulier du système de rè- glement des différends à l'OMC limite grandement la participation de la société civile internationale dans ce genre de procédures (99). Le pro-

(94) H. Ruiz Fabri, Le règlement des différends au sein de l'OMC : naissance d'une juridiction, consolidation d'un droit, in Souveraineté étatique et marchés à la fin du 20ème siècle- Mélanges en l'honneur de Philippe Kahn, LITEC, 2000, pp. 303-334.

(95) Article 3 :10 du Mémorandum d'accord.

(96) Article 4 du mémorandum d'accord.

(97) Article 5 du mémorandum d'accord.

(98) Voir article 4: 6 du mémorandum d'accord qui prévoit expressis verbis la confiden- tialité des consultations.

(99) Voir, A. Reinisch and C. lrgel, The Participation of non-governmental organisations (NGOs) in the WTO dispute settlement system, Non-State Actors and International Law, vol. 1,, n°2, 2001, pp. 127-151. La règle de la confidentialité s'applique même entre deux Etats parties à un différend. Il est dès lors difficile de concevoir comment cette règle pourrait s'assouplir à légard des acteurs non-étatiques. Voir affaire Indoné- sie-Mesures affectant l'industrie automobile dans laquelle le Président du groupe spé- cial a déclaré que: «Nous encourageons toutes les parties à communiquer les données pertinentes au Groupe spécial aussi rapidement que possjble. Toutefois, nous avons conclu qu'il ne serait pas indiqué que nous exigions des Etats-Unis qu'ils fournissent les renseignements en question lors de cette réunion. Il appartient à chaque partie de décider s'il y a lieu de présenter des renseignements et des arguments et de choi:;ir le moment pour le faire, compte tenu du calendrier fixé par Je Groupe spécial. A cet

(10)

408 MISE EN ŒUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

blème est que dans la réflexion relative à l'intégration de la technique de I 'amicus curiae dans le système de règlement des différends internatio- naux, il y a une sorte de tentation de duplication de ce qui se passe dans les systèmes internes. Or, I' amicus curiae pourrait très bien jouer un rôle fondamentaf dans le règlement diplomatique ou non-contentieux des différends ( 100).

4 - LA PRA TIQUE DES AMICI CURIAE DANS D'AUTRES FORA INTERNA TI ON AUX

La problématique des amici curiae n'est pas propre à l'OMC.

D'autres juridictions internationales ont été également confrontées à cette question. C'est le cas notamment de la Cour européenne des droits de l'Homme (101), de la Cour inter-américaine des droits de l'homme

(102), de la Cour internationale de Justice (103) et des tribunaux pénaux internationaux ( 104 ).

Pour ce qui est des différends commerciaux internationaux, le traitement des amici curiae au sein de l'OMC a servi de modèle dans le cadre de différends soulevés au titre d'accords régionaux de libre-échan- ge. Ainsi, dans le cadre de I 'ALENA, un récent arbitrage rendu dans l'affaire Methanex Corporation v. United States (105) a accueilli des mémoires d'amicus curiae, en se fondant en partie sur l'acceptation d'interventions désintéressées dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l'OMC (106).

égard. nous notons que Je Mémorandum d'accord et nos procédures de travail ne contiennent aucune règle exigeant que les parties présentent tous les renseignements factuels dans leurs premières communications [ ... ] l'article 18:2 dù Mémorandum d'accord permet aux parties de désigner des renseignements comme étant confidentiels.

Cette désignation sera respectée par le Groupe spécial, le Secrétariat de l'OMC et les autres parties au différend».

( 100) J.L. Dunoff, The Misguided Debate Over NGO Participation at the WTO, Journal of International Economie Law, vol. 1, n°3, september 1998, p. 433.

(101) Voir par exemple CEDH, Lawless c. Irlande, Série A, vol 1, n°l, 14 novembre 1960. cité par H. Ascencio, op. cit., pp.901-902.

( 102) Voir sur la question : T. Buergenthal, The Advisory Practice of the Inter-American Court of Human Rights, American Journal of International Law, 1985, vol. 79, p. 15 ; C. Chinkin, Third Parties in International Law, Clarendon Press, Oxford, 1993, pp.

242 et ss; D. Shelton, The Participation ofNongovemmental Organizations in Interna- tional Judicial Proceedings, American Journal of International Law, 1994, pp. 638 ss.

( 103) Pour une présentation générale de la question, voir J. Razzaque, Changing Role of Friends of the Court in the International Courts and Tribunals, Non-State Actors and International Law, vol. 1, n°3, 2002, pp. 172-176.

(104) Sur la pratique des tribunaux pénaux internationaux, voir J. R.W.D. Jones, The Practice of the International Criminal Tribunats for the Former Yugoslavia and Rwanda, Transnational Publishers Inc., New York, 1998, pp. 143-144, 213-214, 273- 275 ; voir également H. Ascencio, op. cil., pp. 902-905.

(105) Decision on Petitions ji-om Third Persans to lntervene as "Amici Curiae ", 15 jan- vier 2001, disponible sur http //wwwnaflaworg/methanex/methanes-Amicus Déci- sion.pdf.

( 106) P. Dumberry, The Admissiblity of Amie us Curiae Briefs by NGOs in lnvestors- States Arbitration : The Precedent set by the Methanex Case in the context of NAFT A Chapter 11 Proceedings, Non-State Actors and International Law, vol. 1 .• n°3, 2001, pp. 201-214; B. Stern, L'entrée de la société civile dans l'arbitrage entre Etat et inves- tisseur, Revue de ! 'Arbitrage, 2002, n°2, pp. 329-345. Dans cette affaire qui mettait en

(11)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 409

Le tribunal arbitral dans cette affaire, a décidé d'accueillir les

a"""'""p" d' amicus curiae en se référant presque religieusement à cha- aux positions !'Organe d'appel de l'OMC. Le tribunal arbi- tral a d'abord constaté que rien dans les règles qui gouvernent sa procé- dure, qu'il s'agisse des règles de procédure de la CNUCDI, ou des règles du chapitre 11 de 1' ALENA, « either express/y confers upon the Tribu- nal the power to accept amzcus submissions or express/y provides that the Tribunal shall have no such power» (107). Le tribunal s'est référé alors à l'article 15 des règles de procédure de la CNUDCI, qui lui confère de larges pouvoirs dans la conduite de la procédure d'arbitrage.

Il fait re-marquer que « in the Tribunal 's view, its receipt of written sub- missions from a persan other than the Disputing Parties is not equivalent to adding that persan as a party to the arbitration », ce qu'il n'a pas le pouvoir de faire, ajoutant ~omme pour se conforter dans son raison- nement que dans l'affaire Etats-Unis - Acier au bismuth réglée dans le cadre de l'OMC, «the distinction between Parties to an arbitration and their right to make submissions and a third party persan having no such right was adopted by the WTO Appellate Body ... For present purposes, this WTO practice demonstrates that the scope of a procedural power can extend to the receipt of written submissions from non-Parties third persans ». Poussant le parallèle encore plus loin, le tribunal arbitral

compare les deux articles pertinents, l'article 15 des règles de la CNUCDI et l'article 17.6 du Mémorandum d'accord de l'OMC. D'après le tribunal, « [. . .] the Appellate Body there found that it had power to accept amicus sub-missions under Article 17.9 of the Dispute Settlement Understanding to draw up working procedures. That procedural power is significantly less broad than the power accorded to this Tribunal un- der Article 15 (1) to conduct the arbitration in such manner as it consid-

cause la protection de l'environnement, trois organismes ont demandé à présenter des mémoires désintéressés: !'International lnstitute for Sustainable Development (ISSD), Communities for a Better Environment et Earth Island lnstitute. La société Methanex réclamait un milliard de dollars aux États-Unis, du fait que les autorités californiennes avaient interdit, pour des raisons de protection de l'environnement contre la pollution, l'utilisation d'un additif à l'essence appelé MTBE, que cette société fabriquait, ce qui diminuait donc ses bénéfices. Le tribunal arbitral était saisi d'une demande d'autorisa- tion de soumission de mémoires d' amicus curiae. Les ONG demandaient un accès to- tal à la procédure, ce qui impliquait quatre requêtes différentes: la possibilité de sou- mettre des communications écrites, la possibilité d'assister aux audiences, la possibilité de présenter des plaidoiries orales, la possibilité d'avoir accès à tous les documents échangés entre les parties au différend, mémoires, contre-mémoires, annexes, preuves, etc. Une telle d~mande était sans précédent dans un arbitrage en matière d'investisse- ment entre un E_tat et un investisseur privé. Les arguments des ONG étaient multiples mais ils ont particulièrement insisté sur l'importance de l'affaire en termes d'intérêt général (the immense public importance of the case). La société commerciale, évi- demment, était réticente au fait que d'autres parties privées interviennent dans le litige, puisqu'elle se plaignait de mesures de protection de l'environnement qui diminuaient ses bénéfices, alors que les ONG envi,ronnementales souhaitaient au contraire défendre ces mesures. Nulle surprise que les Etats-Unis aient été favorables à l'admission des mémoires désintéressés, car c'est là leur politique constante, alors que le Mexique, suivant en cela les prises de position des pays en développement, y était hostile.

(107}B. Stern, op. cit., p. 338.

(12)

4 J Ü MISE EN ŒUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

ers appropriate » (108).

La question des amici curiae à l'OMC ayant fait des émules dans d'autres fora, il faut alors s'interroger sur le statut des amici curiae au sein de cette organisation.

§ 2 - LE FEUILLETON DE L'ADMISSIBILITÉ DES AM/Cl

CURIAE AU SEIN DE L'OMC : UN FEUILLETON À

REBONDISSEMENTS MULTIPLES

PREMIÈRE ÉTAPE : LA RÉTICENCE DES GROUPES SPÉCIAUX (OU PANELS) DE L'OMC

Conformément à la pratique issue du GATT de 1947, les amici curiae soumis pendant les différends Etats-Unis - Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules, Mesures Communautaires concernant les viandes et produits carnés (Hormones) ne furent pas pris en considération par les groupes spéciaux (109).

Dans l'affaire Etats-Unis - Prohibition à l'importation de certai- nes crevettes et de certains produits à base de crevettes (110), le groupe spécial a estimé qu'il ne pouvait accepter les informations non sollicitées, à moins qu'elles ne soient intégrées dans les mémoires de l'une des par- ties. En l'espèce, au cours de la procédure du groupe spécial, celui-ci avait reçu une demande d'intervention du Centre pour la protec-tion du milieu marin (Center for Marine Conservation -« CMC »)et du Centre pour le droit environnemental international (Center for Interna-tional Environmental Law - « CIEL » ). Tous deux sont des organisations non gouvernementales. Le groupe spécial avait également reçu une autre demande d'intervention, émanant du Fonds mondial pour la nature. Les parties plaignantes - Inde, Malaisie, Pakistan et Thaïlande - ont demandé (108) B. Stern, op. cit., p. 339. Cette jurisprudence a été confirmée dans l'affaire UPS (United Parce! Service of America !ne.) v. Government of Canada. Cette affaire est également un arbitrage dans le cadre du chapitre 11 de l 'ALENA, suivant les règles d'arbitrage de la CNUDCI. Ce litige a mis en cause la société de distributiqn de cour- rier rapide UPS et le Canada, car selon la société, il existait un monopole d'Etat pour la Poste canadienne. Elle considérait que cette situation violait les règles du traitement national prévu dans l'ALENA. Ce sont des associations syndicales de la Poste cana- dienne qui ont souhaité intervenir comme amici curiae dans cette affaire, en l'occurrence la Canadian Union of Postal Workers (The Union) et d'autre part le Council ofCanadians (the Council). En réalité, la possibilité d'intervenir comme amici curiae n'était qu'une demande subsidiaire posée dans l'hypothèse du rejet de la de- mande principale, qui était que ces deux associations puissent devenir véritablement parties à l'affaire. Pour une présentation de cette affaire, voir également B. Stern, op.

cit., pp. 340-345. Voir Decision of the Tribunal on Petitionsfor Intervention and Par- ticipation as Amici Curiae, 17 octobre 2001, disponible sur http://www.dfait- maeci.gc.ca/tna-nac/lntVent_ oct. pdf

( 109) Sous le GATT, les communications de parties tierces étaient admises seulement si elles avaient été au préalable formellement adoptées par une des parties au différend.

Voir par exemple, Japon- Commerce des semi-conducteurs, in E. Canal-Forgues et T.

Flory, GATT/OMC- Recueil des contentieux, Bruylant, Bruxelles, 2001, pp. 256-271.

( 110) Ci-après affaire Crevettes. Etats-Unis - Prohibition à l'importation de crevettes et de certains produits à base de crevettes, Rapport du Groupe spécial, 15 mai 1998, Doc. WTIDS58/R.

(13)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 41 J

au groupe spécial de ne pas prendre en compte la ten~ur des communica- tions dans son examen du différend. Par contre, les Etats-Unis ont enga- gé le groupe spécial à faire usage de tout renseignement pertinent conte- nu dans les deux interventions, ainsi que dans toutes autres communica- tions semblables (111). Le groupe spécial a statué sur cette question de la façon suivante: «Nous n'avions pas de-mandé les renseignements figu- rant dans les documents susmentionnés. Nous notons que, conformément à l'article 13 du Mémorandum d'accord, l'initiative de demander des renseignements et d'en choisir la source revient au groupe spécial. Dans toute autre situation, seules les parties et les tierces parties sont autori- sées à communiquer des renseignements directement au Groupe spécial.

Accepter des renseignements non demandés émanant de sources non gouvernementales serait, à notre avis, incompatible avec les dispositions du Mémorandum d'accord telles qu'elles sont appliquées.

Nous avons donc informé les parties que nous n'avions pas l'intention de prendre ces documents en considération. Nous avons en outre fait obser- ver que l'usage était que les parties présentent tous documents qu'elles jugeaient pertinents pour étayer leur argumentation et que, si une partie au présent différend voulait présenter ces documents, en tout ou partie, dans le cadre de sa propre communication au Groupe spécial, elle était libre de le faire. Les autres parties auraient alors deux semaines pour répondre aux éléments additionnels. Nous avons noté que les États-Unis avaient utilisé cette possibilité en annexant la section III du document présenté par le Centre pour la protection du milieu marin et le Centre pour le droit environnemental international à leur deuxième communica- tion au Groupe spécial» (112).

L'interprétation faite par le groupe spécial de l'article 13 du Mé- morandum d'accord (sur lequel nous reviendrons plus loin) dans cette affaire ne facilite pas l'intervention d'amicus curiae et induit une incerti- tude sur l'indépendance et l'objectivité de ces derniers. En effet, en po- sant comme condition d'acceptabilité de la communication d'une organi- s,ation non gouvernementale, sa présentation par une partie (donc un Etat) au différend comme élément de sa propre communication, les amici curiae se voient instrumentalisés dans le contentieux OMC. L'Organe d'appel de l'OMC a alors relativisé les interprétations du Mémorandum d'accord faites par les groupes spéciaux.

2 - DEUXIÈME ÉTAPE : LA CONTRE-ATTAQUE DE L'ORGANE D'APPEL DE L'OMC

2.1. Première partie de l'épisode: l'accessibilité des amici curiae dans la procédure devant les groupes spéciaux

La position du groupe spécial dans l'affaire Crevettes a entraîné une réaction fort intéressante de !'Organe d'appel en ce qui concerne les

( 111) Ibidem, par. 3.129.

( 112) Ibidem, par. 7.8.

(14)

412 MISE EN ŒUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

amici curiae ( 113). Selon !'Organe d'appel, l'interprétation de l'article 13 du mémorandum d'accord qui confère aux groupes spéciaux « le droit de demander à toute personne ou à tout organisme qu'il jugera approprié des renseignements et avis techniques » (art. 13 : 1) et de «demander des renseignements à toute source qu'ils jugeront appropriée et consulter des experts » (art. 13 :2) était trop restrictive. L'Organe d'appel avait déjà établi dans l'affaire Mesures Communautaires concernant les viandes et produits carnés (Hormones) (114) et dans l'affaire Argentine - Mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres articles, qu'un groupe spécial disposait d'un large pouvoir discrétionnaire en matière de demande de renseignement et d'avis (115). Par conséquent d'après le raisonnement de !'Organe d'appel dans l'affaire Crevettes, il ne convenait pas d'interpréter le terme « demander » de façon trop étroite, notamment en l'assimilant à une interdiction d'accepter. L'Organe d'appel précise qu'« il convient d'insister sur le caractère global du pouvoir qu'a un groupe spécial de "demander" des renseignements et des avis techni- ques "à toute personne ou à tout organisme" qu'il peut juger approprié, ou "à toute source qu'il [jugera} appropriée". Ce pouvoir englobe plus que le seul choix de la source des renseignements ou des avis que le groupe spécial peut demander et plus que la seule évaluation de ceux-ci.

Le pouvoir conféré à un groupe spécial comprend la possibilité de déci- der de ne pas demander de tels renseignements ou avis du tout [. . .] un groupe spécial a aussi le pouvoir d'accepter ou de rejeter tout rensei- gnement ou avis qu'il pourrait avoir demandé et reçu, ou d'en disposer d'une autre façon appropriée. Un groupe spécial a en particulier la pos- sibilité et le pouvoir de déterminer si des renseignements et des avis sont nécessaires dans une affaire donnée, d'évaluer l'admissibilité et la perti- nence des renseignements ou avis reçus et de décider quelle importance il convient d'accorder à ces renseignements ou avis ou de conclure

(113) Etats-Unis - Prohibition de /'importation de crevettes et de produits à base de crevettes, Rapport de !'Organe d'appel, 12 octobre 1998, Doc. WTIDS58/AB/R.

(114) Op. cit., par. 147.

( 115) Voir affaire Argentine - Mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres articles, Rapport de !'Organe d'appel, 27 mars 1998, Doc.

WTIDS56/AB/R, par. 84-86: «Conformément à l'article 13:2 du Mémorandum d'ac- cord, un groupe spécial peut demander des renseignements à toute source qu'il jugera appropriée et consulter des experts pour obtenir leur avis sur certains aspects de la question. fi s'agit là d'un pouvoir discrétionnaire: un groupe spécial n'est pas tenu, en vertu de cette disposition, de demander des renseignements dans chaque cas ni de consulter des experts individuels. Nous rappelons ce que nous avons dit à ce sujet dans l'affaire Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hor- mones). à savoir que l'article 13 du Mémorandum d'accord habilite un groupe spécial à demander des renseignements et des avis techniques comme il le juge approprié pour une affaire donnée et que le Mémorandum d'accord laisse "au groupe spécial la liberté de déterminer si l'établissement d'un groupe consultatif d'experts est nécessaire ou ap- proprié". Tout comme un groupe spécial est libre de déterminer comment demander l'avis d'experts, il est libre de déterminer s'il doit ou non demander des renseignements ou l'avis d'experts».

(15)

SYSTEME DE L'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 4] 3

qu'aucune importance ne devrait être accordée à ce qui a été reçu »

(116).

L'ouverture aux amici curiae était dès lors acquise bien au-delà de la seule hypothèse d'une invitation par le groupe spécial. En outre,

!'Organe d'appel a saisi cette occasion pour clarifier le pouvoir des orga- nes de règlement des différends de l'OMC dans l'interprétation du mémo- randum d'accord. C'est là un exemple fort illustratif de la tendance des organes de règlement des différends de l'OMC à vouloir s'émanciper parfois de la tutelle étatique et politique. L'Organe d'appel n'a pas hésité à mettre l'accent sur la nécessité d'interpréter de façon flexible le Mémo- randum d'accord sur le règlement des différends (pour garantir 1'9bjecti- vité dans le règlement des différends exigée à l'article 11 du mémoran- dum d'accord), par une lecture combinée de l'article 13 et de l'article 12 du Mémorandum. Dans la logique de !'Organe d'appel, il est utile de signaler que l'article 12: 1 du Mémorandum d'accord autorise les groupes spéciaux à déroger aux procédures de travail énoncées dans !'Appen- dice 3 du Mémorandum d'accord ou à les étoffer et, en fait, à élaborer leurs propres procédures de travail, après avoir consulté les parties au différend. Quant à l'article 12:2, il dispose que « [l]a procédure des groupes spéciaux devrait offrir une flexibilité pour que les des groupes soient de haute sans retarder

1nir.fiî1'nP111 les travaux des groupes » ( 117). Et L'Organe de préciser que

« l'idée qui sous-tend les articles 12 et 13, considérés ensemble, est que le Mémorandum d'accord donne à un groupe spécial établi par l'ORD, et engagé dans une procédure de règlement d'un différend, le pouvoir am- ple et d'engager et de contrôler le processus par lequel il s'in- aussi bien des faits de la cause que des normes et principes juridiques applicables à ces faits. Ce pouvoir, et son étendue, sont donc tout à fait nécessaires pour permettre à un groupe spécial de s'acquitter de la tâche que lui impose l'article 11 du Mémorandum d'ac- cord - ''procéder à une évaluation objective de la question dont il est saisi, y compris une évaluation objective des faits de la cause,

bilité des dispositions des accords visés et de la des faits avec des dispositions ... » ( 118).

Il s'agit ici bel et bien d'une contre-attaque de !'Organe d'appel par rapport aux positions tranchées des groupes spéciaux notamment sous le GA TT 194 7. D'ailleurs, !'Organe d'appel n'hésite pas à le faire savoir en déclarant que « le Groupe spécial a commis une erreur dans son interprétation juridique selon laquelle accepter des renseignements non demandés émanant de sources non gouvernementales est incompa- tible avec les dispositions du Mémorandum d'accord» (119). L'Organe

(116) États-Unis- Prohibition à l'importation de crevettes et de produits à base de cre- vettes, op. cit., par. 104.

(117) Ibidem, par. 105.

( 118) Ibidem, par. 106.

(119) Ibidem, par. 11 O.

(16)

4 J 4 MISE EN CEUVRE DU DROIT DE L'OMC ET PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

d'appel s'est tout de même félicité que le groupe spécial ait permis à une partie au différend d'annexer les interventions d'organisations non gou- vernementales, en tout ou partie, à sa propre communication (120).

Il en résulte une distinction entre « amicus curiae non annexés à la communication d'une partie au différend » et « amicus curiae annexés à la communication d'une partie au différend ». Les deux types d'amicus curiae ne semblent pas bénéficier du même statut juridique après une analyse approfondie de l'affaire Crevettes et du raisonnement de !'Organe d'appel. En d'autres termes, !'Organe ne leur accorde pas le même poids.

C'est ce qui ressort de l'idée formulée par !'Organe d'appel selon laquelle

« en vertu du Mémorandum d'accord, seuls les Membres qui sont parties à un différend, ou qui ont informé l'ORD de leur souhait de devenir tier- ces parties dans ce différend, ont un droit de présenter des commu- nJcations à un groupe spécial et ont un droit à ce que ces commu- . nications soient examinées par un groupe spécial (121). En conséquence, un groupe spécial est légalement tenu de n'accepter et prendre dûment en compte que les communications présentées par les parties et les tier- ces parties au cours de la procédure. Ce sont des postulats juridiques fondamentaux ... » ( 122). Est-ce à dire a contrario que les organisations non gouvernementales n'ont aucun « droit légal » à soumettre des com- munications ? Ce serait paradoxal par rapport à la suite du raisonnement et de l'interprétation que !'Organe d'appel a donné de l'article 13 du Mé- morandum d'accord.

Ceci étant, le rappel à l'ordre de l'Organe d'appel a été respecté d'une manière subtile et étrange par les groupes spéciaux établis après l'affaire Crevettes. En effet, les groupes spéciaux tout en ne rejetant pas la possibilité de soumission d'amicus curiae non annexés à la communi- cation d'une partie au différend, ont limité l'impact des amici curiae sur la solution des différends. Dans l'affaire États-Unis -Article 1 JO 5) de la Loi sur le droit d'auteur le panel a considéré qu' «en l'espèce, [il ne]

rejet[te] pas catégoriquement les renseignements contenus dans la lettre adressée par le cabinet juridique représentant l'ASCAP à l'USTR dont une copie a été communiquée au Groupe spécial [. . .] !'Organe d'appel a reconnu le pouvoir qu'avaient les groupes spéciaux d'accepter des ren- seignements non demandés. Toutefois, nous partageons l'avis exprimé par les parties selon lequel cette lettre pour l'essentiel fait double emploi avec des renseignements qu'elles ont déjà communiqués. Nous souli- gnons également que la lettre n'était pas adressée au Groupe spécial mais que celui-ci en a simplement reçu une copie. En conséquence, sans

( 120) Ibidem, par. 1 l O.

(121) Articles 10 et 12 et Appendice 3 du Mémorandum d'accord. L'article 17:4 du Mé- morandum d'accord limite aux parties à un différend le droit de faire appel du rapport d'un groupe spécial et permet aux tierces parties qui ont informé l'ORD qu'elles ont un intérêt substantiel dans l'affaire de présenter des communications écrites à !'Organe d'appel et d'avoir la possibilité de se faire entendre par lui.

( 122) Etats-Unis - Prohibition à! 'importation de crevettes et de produits à base de cre- vettes, op. cit., par. 102.

(17)

SYSTEME DEL 'OMC ET REGLEMENT DES DIFFERENDS ENVIRONNEMENTAUX 415

avoir refusé la copie de la lettre, nous ne nous sommes pas fondés sur elle pour établir notre raisonnement ou nos constatations » ( 123).

2.2. Deuxième partie de l'épisode: l'accessibilité des amid curiae dans la devant /'Organe d'appel lui-même

L'ouverture de principe qui vaut pour les groupes spéciaux vaut- elle également pour !'Organe d'appel lui-même? La question est d'autant plus importante que cette phase de la procédure attirerait san,s doute da- vantage les amici curiae. Elle a été résolue dans l'affaire Etats-Unis - Imposition de droits compensatoires sur certains produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume - Uni, où l'Organe d'appel a estimé qu'il disposait d'un pouvoir comparable à celui accordé par l'article 13 du Mémorandum au groupe spécial. Selon }'Organe d'appel, « nous sommes d'avis que nous sommes habilités en droit, en vertu du Mémorandum d'accord, à accepter et à examiner des mémoires d'amicus curiae si nous jugeons qu'il est pertinent et utile de le faire dans le cadre d'une procédure d'appel» (124).

L'Organe d'appel s'est appuyé sur l'article 17.9 du Mémorandum selon lequel « !'Organe d'appel, en consultation avec le Président de l'ORD et le Directeur général, élaborera des procédures de travail qui seront communiquées aux Membres pour leur information ». L'Organe en a déduit qu'il dispose d'un large pouvoir et est habilité légalement à décider de l'opportunité d'accepter et d'examiner ou non les renseigne- ments qu'il estime pertinents et utiles dans le cadre d'une procédure d'ap- pel. Il s'agit ici d'un prolongement de l'affaire Crevettes dans laquelle l'Organe d'appel avait déjà accepté que des mémoires d'ONG soient joints à la communication d'un État partie en appel (125).

Cette interprétation du Mémorandum d'Accord a soulevé de nombreuses critiques et controverses au sein de l'OMC (126). Il est vrai

(123) Etats-Unis - Article 110 5) de la Loi sur le droit d'auteur, Rapport du Groupe spécial, 15 juin 2000, Doc. WTIDSI 60/R, par. 6.8.

(124) Etats-Unis - Imposition de droits compensatoires sur certains produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, Rapport de

!'Organe d'appel, IO mai 2000, Doc. WTIDS/38/ABIR, par. 42.

(125) Etats-Unis- Prohibition à l'importation de crevettes et de produits à base de cre- vettes, op. cit., par. 39.

(126) Lors de la réunion portant sur l'adoption des rapports de !'Organe d'appel et du Groupe spécial dans l'affaire Etats-Unis - Imposition de droits compensateurs sur cer- tains produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni (Doc. WTIDSBIM/83, par. 12), le représentant du Canada s'est demandé

«si l'autorité générale conférée par l'article 17:9 du Mémorandum d'accord pour élabo- rer des procédures de travail constituait une base juridique suffisante pour que !'Organe d'appel puisse accepter et examiner des mémoires d'amicus curiae ... !'Organe d'appel n'avait pas indiqué quand, dans des cas futurs, il serait disposé à accepter et à examiner des mémoires d'amicus curiae .. . en reconnaissant, de façon explicite, qu'il devait agir conformément aux dispositions du Mémorandum d'accord, !'Organe d'appel semblait avoir exclu l'examen de mémoires contenant des faits nouveaux ou cherchant à rouvrir le débat sur des points déjà résolus par le Groupe spécial. Agir autrement serait contraire à l'article 17:6 du Mémorandum d'accord limitant la compétence de !'Organe d'.appel aux questions de droit ... La décision de !'Organe d'appel sur cette question cru- ciale était plus qu'une simple question de procédure. Elle montrait clairement que les

Références

Documents relatifs

Mais la nouveauté, ici, est qu’il s’agit d’une femme poète 21 qui, en reprenant le mythe à Shakespeare, s’identifie cette fois à Ophélie (au lieu de l’imaginer

Seul le système arbitraire (dans le sens de non défini par la loi) garantit une justice modérée, nourrie d'équité et qui protège les individus d'un automatisme légal.

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1

Dans cette procédure d'arbitrage, l'arbitre (17) devrait partir du principe que le délai raisonnable pour la mise en œuvre des recommandations du groupe spécial ou

l'Accord sur la propriété intellectuelle ; l'Annexe 2 inclut le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends et l'Annexe 3 l'Accord sur le Mécanisme d'examen

Après avoir tenté de décrire la réalité du deal pour ces migrants, en faisant mention de leur mode d’organisa- tion, des stratégies dont ils usent afin de se construire une place

11 Voir par exemple CPJI, affaire du Traitement des nationaux polonais à Dantzig (avis consultatif, 1932), sér.. ancrées dans le droit international 13. En effet, si elle