A488 – Somme et produit réglés à l’unité
Montrer qu’il existe 2012 nombres rationnels pas nécessairement distincts entre eux, compris dans l’intervalle ouvert Q] -2, 2 [ et dont la somme et le produit sont égaux à 1.[*]
Même question avec respectivement 2013, 2014 et 2015 nombres rationnels.[***]
Pour les plus courageux : pour quelles valeurs de l’entier k, existe-t-il k nombres rationnels définis dans l’ensemble Q, pas nécessairement distincts, dont la somme et le produit sont égaux à 1 ?[*****]
Solution par Patrick Gordon
Pour 2012, on peut songer à prendre :
soit 1005 fois –1 et 1005 fois 1
Reste, dans ce cas, à trouver deux nombres a et b tels que a + b = 1 et ab = –1.
Ils sont donc racines de l'équation : X² – X – 1 = 0
et ne peuvent donc pas être rationnels.
soit 1004 fois –1 et 1004 fois 1
Reste à trouver quatre nombres a, b, c, d tels que a + b + c + d = 1 et abcd = 1.
Supposons c et d donnés. a et b sont racines de l'équation : X² – (1 – c – d) X + 1/cd = 0
Il faut donc à tout le moins que le discriminant (1 – c – d)² – 4/cd soit le carré d'un nombre rationnel.
Une solution est donnée pour c = 4/3, d = –1/3. En effet, le discriminant vaut alors 1, qui est bien un carré.
Plus simplement, a et b sont racines de : X² – 9/4 = 0
et l'on a donc la solution :
a = 3/2 b= –3/2 c = 4/3 d = –1/3,
à laquelle il faut adjoindre 1004 fois –1 et 1004 fois 1.
Pour 2013 et, plus généralement pour 4n + 1, c'est trivial. On prend 2n fois –1 et 2n+1 fois 1.
Pour 2014, nous reconduisons l'idée de passer d'une solution à une autre en adjoignant un même nombre pair de fois –1 et 1 et cherchons donc une solution au problème à 6 inconnues rationnelles de signe quelconque a, b, c, d, e, f :
a + b + c + d + e + f = 1 abcdef = 1.
Par analogie avec la solution précédente, l'intuition suggère de rechercher tout d'abord une solution de la forme :
b = – a d = – c f = 1 – e avec a, c, e >0 soit à satisfaire :
a²c² e (1 – e) = 1
Donc e doit être racine de l'équation : X² – X +1/a²c² = 0
Comme a²c² est un rationnel, posons a²c² = p²/q² (p et q entiers, positifs pour fixer les idées) et e doit donc être racine de l'équation :
X² – X + q²/p² = 0 Le discriminant est :
(p² – 4q²) / p²
L'expression (p² – 4q²) est un carré pour de nombreux couples p, q.
Prenons-en un : p = 5, q = 2.
Un couple a, c appartenant à l’intervalle ouvert ] -2, 2 [ et tel que ac = 5/2 est par exemple : a = 3/2, c = 5/3.
On calcule aisément que e prend alors les valeurs 4/5 ou 1/5. Prenons 4/5.
Une solution est donc :
a = 3/2 b = –3/2 c = 5/3 d = –5/3 e = 4/5 f = 1/5
à laquelle il faut adjoindre 1004 fois –1 et 1004 fois 1.
Pour 2015, on peut envisager :
1) soit 3 inconnues satisfaisant les conditions de somme et de produit, auxquelles on adjoindra 1006 fois –1 et 1006 fois 1,
2) soit 7 inconnues satisfaisant les conditions de somme et de produit, auxquelles on adjoindra 1004 fois –1 et 1004 fois 1.
3) soit 6 inconnues satisfaisant les conditions S = 0, P = 1, auxquelles on adjoindra 1004 fois –1 et 1005 fois 1.
4) soit 6 inconnues satisfaisant les conditions S = 2, P = – 1, auxquelles on adjoindra 1005 fois –1 et 1004 fois 1.
Dans la démarche (4)
Rappelons qu'il s'agit de trouver 6 nombres de somme 2 et de produit – 1, auxquels on adjoindra 1005 fois –1 et 1004 fois 1.
En tâtonnant un peu, on trouve une solution :
a = 4/3 b = –4/3 c = 3/2 d = 3/2 e = –1/2 f = –1/2
à laquelle on adjoindra 1005 fois –1 et 1004 fois 1.
Pour les plus courageux
Les raisonnements faits pour k = 2012, 2013, 2014 et 2015 montrent qu'il existe une solution respectivement pour n de la forme :
k = 4n k = 4n + 1 k = 4n + 2 k = 4n + 3
à partir d'une certaine valeur de k pour chaque cas.
Pour k = 4n, c'est vrai dès n = 1, donc k = 4.
Une solution est, comme on l'a vu :
a = 3/2 b= –3/2 c = 4/3 d = –1/3,
à laquelle il faut adjoindre 2(n–1) fois –1 et 2(n–1) fois 1.
Pour k = 4n + 1, c'est vrai dès n = 0, donc k = 1 (la somme et le produit de 1 tout seul valent bien 1).
Il suffit de prendre 2n fois –1 et 2n+1 fois 1.
Pour k = 4n + 2, c'est vrai dès n = 1, donc k = 6.
Une solution est, comme on l'a vu :
a = 3/2 b = –3/2 c = 5/3 d = –5/3 e = 4/5 f = 1/5
à laquelle il faut adjoindre 2(n–1) fois –1 et 2(n–1) fois 1.
Pour k = 4n + 3, c'est vrai dès n = 1, donc k = 7.
Une solution est, comme on l'a vu :
a = 4/3 b = –4/3 c = 3/2 d = 3/2 e = –1/2 f = –1/2 g = –1
à laquelle il faut adjoindre 2(n–1) fois –1 et 2(n–1) fois 1.
Restent les cas de k = 2 et k = 3.
Le cas de k = 2 est simple.
Il faudrait que a et b soient racines de l'équation : X² – X + 1 = 0
Mais cette équation n'a pas de racines réelles.
Le cas de k = 3 est difficile.
Il faut trouver 3 nombres a, b, c tels que a + b + c = 1 et abc = 1.
Supposons c donné. Alors a et b sont racines de l'équation : X² + (1 – c) X + 1/c = 0
Il faut donc à tout le moins que le discriminant (1 – c)² – 4/c soit le carré d'un nombre rationnel.
Cherchons c = p/q (p et q entiers de signe quelconque, premiers entre eux en valeur absolue).
Si c > 0, la condition sur le discriminant s'écrit (avec p et q entiers positifs premiers entre eux) :
[p(q–p)² – 4q3] / pq² = m² / n² (m et n entiers positifs premiers entre eux), soit encore :
n² [p(q–p)² – 4q3] = m² pq²
Comme, par hypothèse, n² ne divise pas m, il divise p ou q².
Si n² divise q², n divise q, soit q = kn, la condition se réécrit : [p(q–p)² – 4q3] = m² p k²
Donc p divise q (ce qui est impossible par hypothèse) ou 4 et donc p = 1, 2 ou 4.
Si p = 1, la condition se réécrit : [(q–1)² – 4q3] / q² = m² / n²,
ce qui est impossible pour q > 0 car [(q–1)² – 4q3] est alors < 0.
Si p = 2, la condition se réécrit : [2(q–2)² – 4q3] / 2q² = m² / n²,
ce qui est impossible pour q > 0 car [2(q–1)² – 4q3] est alors < 0.
Si p = 4, la condition se réécrit : [4(q–p)² – 4q3] / 4q² = m² / n²,
ce qui n'est possible que pour q = 1 et ne donne pas de solution car le premier membre vaut alors 8, qui n'est pas le carré d'un nombre rationnel.
Si n² divise p, alors p comporte au moins un facteur à une puissance ≥ 2.
Les 20 premiers entiers positifs p de ce type (de 1 à 56) croisés avec les valeurs de q de 1 à 60 ne donnent pas la valeur du carré d'un nombre rationnel pour l'expression [p(q–p)² – 4q3] / pq².
Si c < 0, la condition sur le discriminant s'écrit (avec c = – p/q et donc p et q entiers positifs premiers entre eux) :
[p(q–p)² + 4q3] / pq² = m² / n² (m et n entiers positifs premiers entre eux), soit encore :
n² [p(q–p)² + 4q3] = m² pq²
Comme, par hypothèse, n² ne divise pas m, il divise p ou q².
Si n² divise q², n divise q, soit q = kn, la condition se réécrit : [p(q–p)² + 4q3] = m² p k²
Donc p divise q (ce qui est impossible par hypothèse) ou 4 et donc p = 1, 2 ou 4.
Si p = 1, la condition se réécrit : [(q–1)² + 4q3] / q² = m² / n², ce qui n'est possible pour q = 1.
On a alors c= –p/q = –1 et l'équation donnant a et b s'écrit : X² + 2 X –1 = 0
équation qui n'a pas de racines rationnelles.
Si p = 2, la condition se réécrit : [2(q–2)² + 4q3] / 2q² = m² / n²,
ce qui ne donne pas de valeurs carré d'un nombre rationnel.
Si p = 4, la condition se réécrit : [4(q–p)² + 4q3] / 4q² = m² / n², ce qui n'est possible pour q = 4.
On a alors c = – p/q = –1 et on a vu que l'équation donnant a et b n'a pas de racines rationnelles.
Si n² divise p, alors p comporte au moins un facteur à une puissance ≥ 2.
Les 20 premiers entiers positifs p de ce type (de 1 à 56) croisés avec les valeurs de q de 1 à 60 ne donnent la valeur du carré d'un nombre rationnel pour l'expression [p(q–p)² + 4q3] / pq² que pour certains couples de p et q avec p = q, donc c = – p/q = –1 et on a vu que l'équation
donnant a et b n'a pas de racines rationnelles.
La recherche de 3 inconnues satisfaisant les conditions de somme et de produit semble donc ne rien donner.
En conclusion, les valeurs de l’entier k telles qu'il existe k nombres rationnels, pas nécessairement distincts, définis dans l’intervalle ouvert Q] -2, 2 [ et dont la somme et le produit sont égaux à 1 sont tous les entiers, sauf 2 et probablement 3.
Nota : J.W.S. Cassels montre qu'il n'y a pas de solution pour k=3 (ICM Acta Arithmetica 1960)