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Actes de la recherche en sciences sociales | Prologue http://www.arss.fr/articles/prologue/

Prologue

[Texte intégral]

Les atrocités que Winston Churchill qualifiait de « crimes sans nom » en août 1941 se sont vues, au cours du XXe siècle, nommées par le recours à des terminologies juridiques – celles de « génocide », de « crimes contre l’humanité », ou encore de « crimes de guerre ». Le registre du droit, comme celui du nombre, permet d’énoncer l’impensable en le formalisant dans des cadres qui contribuent à l’objectiver. Ce faisant, le recours à ces outils normatifs pour qualifier des conflits actuels devient tout autant un enjeu politique que les chiffres mobilisés pour en étayer la véracité, comme le montre la situation prévalant au Darfour depuis 2003. C’est à ce titre que les « crimes de guerre » sont susceptibles de devenir un objet sociologique.

Phénomènes exprimant une forme limite de rapport social entre des groupes sociaux ou nationaux, ils sont qualifiés socialement de « crimes », en tant que le monde social produit un travail sur lui-même qui le conduit à dire l’indicible et à produire des catégories (juridiques notamment) permettant de le penser. En d’autres termes, l’approche sociologique des « crimes de guerre » renvoie, d’une part, à l’existence de pratiques de violence physique parfois extrême dans des conflits entre populations dont il est possible de faire la sociologie et, d’autre part, à l’analyse des processus sociaux de qualification juridique et politique de ces phénomènes comme crimes dans un cadre supranational. C’est à ce second aspect que ce numéro et le suivant sont consacrés pour l’essentiel.

Vouloir sociologiser et donc historiciser le travail accompli par les agents et les institutions qui parlent de « crimes de guerre » pour étudier les conflits armés et les soumettre éventuellement à un traitement juridique international ne va pas de soi – surtout concernant des faits qui touchent aux limites mêmes de ce qui relève de l’humanité. Comment sociologiser alors la reconnaissance par le monde social de droits universels sans paraître dénier la possibilité ou même la nécessité d’une telle reconnaissance ? Mais pourquoi à l’inverse ne pas accorder aux instruments de l’analyse sociologique leur importance pour comprendre les logiques sociales qui sous-tendent les formes historiques observées de cette forme de travail de conscience sociale et qui sont inscrites dans le registre du droit et des catégorisations juridiques ?

La construction de l’objet sociologique se heurte ici à un double effet d’objectivation. Tout d’abord, les effets sociaux produits par la « judiciarisation[1]» des faits de guerre semblent devoir être déjà englobés dans une « méta-narration » produite par des juristes, autour du droit et des institutions. En énonçant les conditions de légitimité de traitement des conflits, les catégorisations juridiques organisent des « interventions » et des types de « réponses » à apporter, comme si toutes participaient d’une même trame inéluctable de gestion des « crises » par le droit. Par conséquent, cette inscription dans le droit s’appuie sur le registre propre aux actions d’État et de pouvoir des États, qui tend à être gommé par la rhétorique en apparence « apolitique » de l’universel. La construction du monopole de la violence physique et symbolique s’inscrit alors dans le cadre, supranational, de la recherche de la paix. Pacifier et punir : deux aspects indissociables de cet impérialisme de l’universel.

Le parti pris méthodologique de ces deux numéros a été non pas en fait de prendre les « crimes de guerre » pour des objets sociologiques en soi, mais de lire l’élaboration historique de cette notion comme le produit de la genèse multiforme d’un ordre juridique international de gestion par « le Nord » des « violences du Sud » (ce qui, on le notera, constitue d’emblée un

déplacement de ces questions dont l’importance historique est née des conflits internes aux grandes puissances). Il a été nécessaire pour cela de repenser le rapport entre droit et politique dans un espace social international éclaté, caractérisé par un foisonnement d’initiatives produisant et redéfinissant les modes de gestion des « crises ». Cet espace aux frontières poreuses reste tributaire d’autres espaces sociaux (politiques, médiatiques, académiques), tout en étant constitué sur un socle de modèles institutionnels et de normes juridiques. Il a donc fallu remettre en question la conception « institutionnelle » de l’énonciation comme de la gestion « en droit » des « crises » pour explorer les logiques sociales qui animent les

trajectoires des principaux agents de cet espace international, sans pour autant occulter leur dimension juridique spécifique.

C’est dans la perspective de mieux comprendre ces processus qu’une collaboration a été initiée, depuis 2005, avec deux juristes et criminologues reconnus dans l’étude des « crimes de guerre », John Hagan et Ron Levi, qui ont été les premiers à appliquer une approche sociologique à l’analyse de la « justice pénale internationale », et en particulier aux jeux de positions des différents procureurs du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie[2]. Leur volonté d’utiliser les outils de la sociologie des champs pour repenser de tels « objets », à la fois pour penser les « crimes de guerre » et pour en penser le processus juridique de construction constituait un pari scientifique et politique correspondant à la volonté des Actes de la recherche en sciences sociales de s’ouvrir à des thématiques plus internationales et de fait moins consacrés par le champ académique national[3], mais aussi à des thématiques peu prises en compte par la sociologie contemporaine. Nouvelle venue dans l’étude de ces « crimes de guerre », la sociologie ne peut plus négliger les apports du droit, de la science politique et de la statistique en ce domaine, que les processus d’objectivation produits par ces disciplines.

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Les deux numéros qui constituent ce dossier « Pacifier et punir » se complètent tout en privilégiant des axes distincts. Le premier (« les crimes de guerre et l’ordre juridique international ») explore d’abord les enjeux des interventions armées, qui sont tout autant le produit de luttes impériales que des réactions face à la recomposition des modes de domination : d’où un centrage sur les débats pratiques et académiques aux Etats-Unis. Il offre ensuite différents éclairages de la gestion des conflits armés, en considérant la construction d’un ordre juridique international comme le produit de luttes professionnelles et militantes contribuant à la formation d’un espace professionnalisé et internationalisé, même s’il reste encore fragmenté.

Cette esquisse continue dans le second numéro (« La force du droit international et le marché de la paix ») pour finir sur les enjeux de la qualification et donc de la monopolisation du droit de « dire la guerre » comme de définir les modalités de la paix. Ce faisant, ces numéros constituent une contribution positive à une compréhension des rapports de force et de

domination historiques à l’œuvre dans la construction actuelle d’un ordre juridique international qui prétend à l’universalité – compréhension qui est sans doute une condition nécessaire à l’émergence de l’universalité.

 

[1]Processus par lesquels les institutions judiciaires et les techniques procédurales jouent un rôle croissant dans la gestion et la prise en charge des conflits sociaux et politiques. À propos de la « judiciarisation », voir Charles R. Epp, The Rights Revolution, Lawyers, Activists and Supreme Courts in Comparative Perspective, Chicago, University of Chicago Press, 1998 ; Ran Hirschl, Towards Juristocracy: The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Cambridge, Harvard University Press, 2004

; Carlo Guarnieri et Patricia Pederzoli, The Power of Judges: A Comparative Study of Courts and Democracy, Oxford, Oxford University Press, 2002 ; Neal Tate et Torbjörn Vallinder, The Global Expansion of Judicial Power, New York, New York University Press, 1997 ; Thomas B. Ginsburg, Judicial Review in New Democracies: Constitutional Courts in Asian Cases, New York, Cambridge University Press, 2003.

[2]Ron Levi et John Hagan, “International Police”, in Markus D. Dubber et Mariana Valverde (éds), The New Police Science: the Police Power in Domestic and International Governance, Stanford, Stanford University Press, 2006, p. 207-247 ; John Hagan et Ron Levi, “Crimes of war and the force of law”, Social Forces, 83(4), 2005, p. 1499-1534 ; John Hagan et Ron Levi, “Social skill, the Milosevic indictment, and the rebirth of international criminal justice”, European Journal of Criminology, 1, 2004, p.

445-475.

[3]Voir les numéros précédents consacrés aux « Politiques impérialistes », aux « Nouvelles( ?) frontières du tourisme » ou encore aux « Constructions européennes ».

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