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L'expérience des femmes avec les jeux de hasard et d’argent : parcours de vie et identité

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Academic year: 2021

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L'expérience des femmes avec les jeux de hasard et

d’argent : parcours de vie et identité

Mémoire

Elsa Bérubé

Maîtrise en service social - avec mémoire

Maître en service social (M. Serv. soc.)

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L’expérience des femmes avec les jeux de hasard et

d’argent : parcours de vie et identité

Mémoire

Elsa Bérubé

Sous la direction de :

Annie-Claude Savard, directrice de recherche

Sylvia Kairouz, co-directrice de recherche

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Résumé

Sur le plan populationnel, il semble que 30 % des personnes qui s’adonnent aux jeux de hasard et d’argent (JHA) et qui développeraient des difficultés sur ce plan seraient des femmes (Kairouz, Nadeau et Paradis, 2014). Bien que ces dernières démontrent une pratique active de JHA, qui s’avère parfois problématique, peu d’études portent spécifiquement sur la population de femmes joueuses (Kairouz, Nadeau et Paradis, 2014). La réalité des femmes demeure souvent diluée au profit de nombreuses études menées majoritairement auprès d’hommes et davantage associée à une pratique de JHA masculine. Afin de pallier cette absence de données relatives au vécu des femmes joueuses et de mieux comprendre les spécificités lies à leur expérience, ce mémoire vise à comprendre 1) comment les trajectoires du parcours de vie des femmes joueuses influencent ou ont été influencées par leur trajectoire de jeu et 2) comment ces femmes négocient leur identité de joueuse à l’intérieur de leur parcours de vie. Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées auprès de 12 femmes joueuses âgées de 18 ans et plus, ayant reçu de l’aide au cours des 18 derniers mois pour des difficultés en lien avec leurs habitudes de JHA. Les résultats obtenus révèlent une diversité de parcours de vie des participantes ainsi que la présence de quatre types de trajectoires spécifiquement liées à la trajectoire de jeu : familiale et relationnelle, de maternité, conjugale et professionnelle. Il ressort des résultats que les trajectoires sont dynamiques, interreliées et qu’il existe une influence mutuelle entre la trajectoire de jeu et les diverses trajectoires des joueuses. Sur le plan identitaire, certaines femmes agiraient en discontinuité à leurs valeurs pouvant mener à une confusion au sein des diverses dimensions identitaires. Les participantes auraient d’ailleurs tendance à rejeter leur identité de joueuse par la mise en valeur d’une identité positive d’elles-mêmes.

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Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières... iii

Liste des tableaux ... v

Liste des acronymes ... vi

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique ... 3

1.1 Objet d’étude ... 3

1.2 Méthode de recherche documentaire ... 4

1.3 Recension des écrits ... 4

1.4 Limites des études recensées ... 14

1.5 Pertinence scientifique ... 14

1.6 Pertinence sociale... 15

1.7 Pertinence disciplinaire ... 15

1.8 Questions et objectifs de recherche ... 16

Chapitre 2 : Cadre théorique ... 17

2.1 Paradigme épistémologique ... 17

2.2 Théorie du parcours de vie ... 17

2.2.1 Principes de la théorie ... 18

2.2.2 Définitions des concepts ... 19

2.3 La théorie de l’identité construite par le discours ... 21

2.3.1 Définitions des concepts ... 21

2.4 Pertinence des théories en lien avec l’objet d’étude ... 23

Chapitre 3 : Méthodologie ... 24

3.1 Approche privilégiée ... 24

3.2 Type de recherche ... 24

3.3 Population à l’étude et type d’échantillonnage ... 24

3.4 Mode et outils de collecte de données ... 25

3.5 Procédure de recrutement ... 27

3.6 Déroulement de l’entretien ... 28

3.7 Stratégies d’analyse des données ... 29

3.8 Considérations éthiques ... 29

Chapitre 4 : Parcours de vie ... 31

4.1 Description de l’échantillon ... 31

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4.3 Contextes de jeu ... 36

4.4 Parcours de vie des femmes joueuses ... 40

4.4.1 La trajectoire de jeu ... 40

4.4.2 Trajectoire familiale et relationnelle... 55

4.4.3 Trajectoire de maternité ... 61

4.4.4 Trajectoire conjugale ... 67

4.4.5 Trajectoire professionnelle ... 74

Chapitre 5 : Discours et identité ... 81

5.1 Discours à l’endroit des JHA ... 81

5.2 Discours à l’endroit des femmes joueuses ... 84

5.3 Rapport à l’identité des femmes joueuses ... 86

5.4 Résumé du rapport des joueuses à leur identité de joueuse ... 88

Chapitre 6 : Discussion ... 89

6.1 Contextes et espaces de jeu ... 89

6.2 Le parcours de vie des femmes joueuses... 91

6.3 Rapport à soi et l’identité de joueuse ... 96

6.4 Forces et limites de l’étude ... 98

6.5 Pistes pour l’intervention ... 99

6.6 Pistes pour la recherche ... 100

Conclusion ... 102

Liste de références ... 104

Annexe A : Annonce de recrutement ... 117

Annexe B : Formulaire d’autorisation à être contactée ... 118

Annexe C : Questionnaire sociodémographique ... 119

Annexe D : Grille d’entrevue ... 123

Annexe E : Liste de ressources d’aide ... 128

Annexe F : Formulaire de consentement... 129

Annexe G : Questionnaire sur les habitudes de JHA ... 133

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Liste des tableaux

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Liste des acronymes

ALV : Appareil de loterie vidéo

CRD : Centre de Réadaptation en Dépendance

CISSS : Centre Intégré de la Santé et des Services Sociaux

CIUSSS : Centre Intégré Universitaire de la Santé et des Services Sociaux INSPQ : Institut National de Santé Publique du Québec

JAR : Jeu : aide et références JHA : Jeux de hasard et d’argent

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Remerciements

L’accomplissement de ce mémoire n’aurait pas été possible sans l’implication de nombreuses personnes. Je souhaite remercier dans un premier temps l’ensemble des douze participantes qui ont accepté généreusement de participer au projet sans qui la réalisation aurait été tout simplement impossible. Merci pour la confiance dont vous m’avez accordée et votre humilité à me partager des événements de votre vie. Il s’agit d’un privilège de pouvoir honorer vos propos.

Dans un deuxième temps, je souhaite remercier le soutien des nombreuses ressources d’aide qui ont contribué à la réalisation du projet de recherche et grandement facilité le recrutement des participantes. Je crois pertinemment que la réalisation de ce mémoire n’aurait pu se dérouler si rondement sans l’aide incontournable de Francine Ferland, chercheure au Centre de recherche du CISSS de Chaudière-Appalaches. Merci pour ton temps, ta générosité et de m’avoir si bien guidée dans ce processus.

Je remercie dans un troisième temps ma famille qui a su m’épauler tout au long de mon parcours universitaire. Elle a été une source d’encouragements incontestable. Je souhaite également remercier la présence de mes amies durant ces trois années de maîtrise qui m’ont accompagnée dans cette aventure forte en émotions. Je garde en mémoire tous ces beaux moments et ces fous rires qui ont su rendre ce parcours plus léger.

Finalement, je souhaite remercier sincèrement ma directrice de recherche, Annie-Claude Savard, ainsi qu’à ma co-directrice de recherche Sylvia Kairouz qui ont su me conseiller avec justesse tout au long de ce processus. Vous avez su accueillir mes moments d’inquiétudes et de questionnements avec ouverture et bienveillance. Votre expertise a été particulièrement aidante et formatrice. Je vous remercie également pour la bourse d’études que vous m’avez accordée, laquelle m’a permis d’accomplir ce mémoire en plus grande quiétude.

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Introduction

La légalisation des jeux de hasard et d’argent (JHA) en 1970 a entraîné plusieurs transformations dans l’encadrement et la commercialisation de l’offre de jeu. Au Québec, l’exploitation en matière de JHA est désormais assurée par la Société d’État : Loto-Québec (Chevalier et Allard, 2001b; Shaffer et Korn, 2002). Depuis, l’expansion de l’offre de jeu a connu un essor considérable entraînant une diversification des activités de JHA et une accessibilité accrue des JHA, notamment à la suite du virage numérique de l’industrie du jeu (Adams, Sullivan, Horton, Menna et Guilmette, 2007).

Bien que la pratique de JHA ait longtemps été considérée comme une activité exclusivement masculine, cette prédominance tend à s’estomper (Merkouris et coll., 2016). En effet, des études récentes montrent l’augmentation de la prévalence du jeu chez les femmes tant dans sa participation que dans les difficultés qui lui sont associées (Kairouz, Nadeau et Paradis, 2014). La population de femmes joueuses demeure toutefois une population sous-représentée des études réalisées sur le jeu en raison d’échantillons composés majoritairement d’hommes. Ainsi, les résultats sont généralisés à l’ensemble des joueurs, alors que les hommes et les femmes constituent des catégories distinctes et hétérogènes (Mark et Lesieur, 1992; Wardle et coll., 2011; Svensson, 2013). Ce constat soulève des questions importantes concernant la représentation de la femme dans ce champ d’études ainsi que la faible reconnaissance de son expérience en tant que joueuse en faveur d’une compréhension masculine.

Alors que plusieurs études dans le domaine des JHA ont permis de documenter des différences de genre en termes de types de jeu pratiqués, motivations et difficultés vécues, peu de recherche explore le sens que les joueuses attribuent aux comportements de jeu en regard du contexte social dans lequel ceux-ci s’inscrivent (Li, 2007; Holdsworth, Hing et Breen, 2012). Les normes sociales et les stéréotypes de genre auxquels les femmes joueuses sont particulièrement confrontées dans la société sont par conséquent minimisés, voire écartés de notre compréhension. Ainsi, les influences du contexte socio-culturel dans lequel ces dernières évoluent offrent un éclairage très partiel de leur rapport aux JHA (Holdsworth, Hing et Breen, 2012; Svensson, 2013).

S’inscrivant dans le courant du constructivisme social, ce mémoire vise à documenter comment les points tournants qui transcendent le parcours de vie des femmes module leur trajectoire de jeu et de quelle manière elles négocient leur identité de joueuse. Plus spécifiquement, ce projet de recherche explore le vécu subjectif des femmes qui vivent des difficultés en lien avec les JHA à travers l’analyse

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de différentes trajectoires qui composent leur parcours de vie. Il porte également une attention particulière aux inter-influences entre ces diverses trajectoires et la trajectoire de jeu des joueuses. Cette étude vise donc à comprendre 1) comment le parcours de vie des femmes joueuses façonne leur trajectoire de jeu et 2) la manière avec laquelle ces femmes joueuses négocient leur rapport à l’identité de joueuse dans leur parcours de vie. Afin de répondre aux deux questions de recherche, des entrevues ont été réalisées auprès de douze femmes adultes âgées de 18 ans et plus ayant reçu de l’aide au cours des 18 derniers mois sur le plan de leurs habitudes de JHA. Les propos recueillis soulèvent la diversité et le caractère dynamique des trajectoires ayant pu influencer la trajectoire de jeu de ces femmes et le rapport qu’elles entretiennent à leur propre identité de joueuse.

Le mémoire est divisé en cinq chapitres. Le premier chapitre présente la problématique et la pertinence scientifique, disciplinaire et sociale de l’étude. Ce chapitre comprend également la présentation de la recension des écrits et les limites méthodologiques des études recensées. Il se termine par la présentation des questions et des objectifs de recherche auxquels tente de répondre ce projet de mémoire.

Le deuxième chapitre expose l’orientation épistémologique ainsi que les cadres théorique et conceptuel sur lesquels s’appuie cette recherche, soit la théorie du parcours de vie à laquelle nous avons greffé certains concepts issus du modèle de l’identité construite par le discours. Les théories et les concepts sont décrits ainsi que la pertinence de les adopter dans l’étude des parcours de vie et de l’identité des femmes joueuses.

Le troisième chapitre aborde la méthodologie de recherche, notamment une description de l’approche méthodologique privilégiée dans le projet ainsi que la population à l’étude et l’échantillon retenu, les instruments utilisés, leur mode d’administration, les stratégies d’analyse et enfin, les considérations éthiques de la recherche.

Les quatrième et cinquième chapitres exposent les résultats basés sur des analyses thématiques du matériel de recherche recueilli auprès des participantes. Les résultats sont abordés de façon séquentielle selon les deux questions de recherche qui guident ce projet d’étude.

Le sixième chapitre présente la discussion des principaux constats issus de la recherche. La présentation des forces et des limites de l’étude ainsi que les pistes de recommandations futures pour la recherche et l’intervention, terminent le chapitre.

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Chapitre 1 – Problématique

Le premier chapitre présente la problématique de l’étude dans lequel l’objet d’étude, la démarche documentaire réalisée et une recension des écrits. La pertinence scientifique, sociale et disciplinaire de l’étude est ensuite exposée. Les principales limites des études recensées terminent le chapitre.

1.1 Objet d’étude

Bien que de nombreuses études aient permis de documenter les populations plus à risque de développer des habitudes de JHA problématiques, celles-ci s’appuient essentiellement sur des échantillons composés d’hommes. Ainsi, les résultats sont dégagés à partir d’expériences vécues selon des hommes joueurs et ensuite généralisés à l’ensemble des joueurs incluant les femmes (Delfabbro, 2000; Dowling et Oldenhof, 2016). Les femmes joueuses demeurent donc un sous-groupe de la population encore trop souvent oubliée et sous-représentée du champ d’études des JHA, en faveur d’une culture à prédominance masculine (Granero, 2009).

Les écarts de participation aux JHA entre les hommes et les femmes tendent toutefois à diminuer (Merkouris et coll., 2016), comme en témoignent les résultats issus de la dernière enquête populationnelle menée par Kairouz et Nadeau (2014) auprès de la population adulte du Québec. L’enquête révèle que plus de 60 % des femmes déclarent avoir participé à des activités de JHA au cours de l’année précédant l’enquête, ce qui représente près de quatre millions de Québécoises. La présence significative de femmes dans ce secteur d’activité est aussi mise en lumière dans le dernier rapport annuel de l’organisme Jeu : aide et références. En effet, 37 % des appelants préoccupés par leurs habitudes de JHA seraient des femmes et 52 % des participants inscrits au programme de télé counseling pour joueurs excessifs seraient également des femmes (Jeu, aide et références, 2019). Sur le plan populationnel, il semble d’ailleurs que 30 % des joueurs ayant développé des difficultés en lien avec les JHA seraient des femmes (Kairouz, Nadeau et Paradis, 2014).

Considérant la forte prévalence du jeu chez les femmes en termes de participation, de difficultés associées aux JHA et la propension à la recherche d’aide, il importe que la communauté scientifique accorde une attention particulière à l’expérience des femmes joueuses. C’est précisément ce que vise cette étude.

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1.2 Méthode de recherche documentaire

La démarche de recherche documentaire réalisée s’appuie sur les mots-clés suivants : problème de jeu « gambling problem » et « problem gambling » et « problem gambler », stigmatisation « stigma », femme « women » et « female » et « gender differences », construction identitaire « identity » et perception « self-perception ». Les banques de données documentaires consultées pour cette présente étude sont PsycINFO, EBSCOhost, Social Services Abstracts, Sociological Abstract et Érudit.

1.3 Recension des écrits

La recension des écrits trace un bref portrait de l’état des connaissances actuelles sur la pratique de JHA des femmes joueuses en termes de préférences de jeux, de difficultés rencontrées ainsi que la propension à la recherche d’aide de celles-ci. Les événements et les changements de vie qui affectent particulièrement les habitudes de JHA des femmes joueuses sont également abordés. La dernière section expose comment la stigmatisation et les stéréotypes que font l’objet les femmes joueuses façonnent leur rapport aux JHA et leur identité de joueuse.

1.3.1 Prévalence du jeu chez les femmes

C’est dans un contexte d’expansion et de diversification de l’offre dite légale que la prédominance des hommes dans ce secteur d’activité tend à diminuer au cours des dernières années. Cette expansion des JHA, notamment marquée par une légalisation suivi d’un virage numérique, expliquerait en partie l’augmentation de la participation aux JHA chez les femmes (Adams, Sullivan, Horton, Menna et Guilmette, 2007). En effet, celles-ci auraient moins tendance à s’engager dans des activités de JHA dites illégales, qui sont considérées en non-conformité au Code criminel canadien (Potenza, Maciejewski et Mazure, 2006; Afifi et coll., 2010). Au Canada, les provinces canadiennes sont autorisées depuis 1970 à commercialiser les JHA sur leur territoire via des Sociétés d’État. De ce fait, l’encadrement de ce secteur d’activité est contrôlé au Québec par sa Société d’État : Loto-Québec qui s’assure, notamment de réguler l’offre de jeu. Pour d’autres provinces, ce sont plutôt des opérateurs privés qui détiennent des licences d’opération délivrées par ces Sociétés d’États les autorisant à opérer en matière de JHA sur le territoire de leur province (INSPQ, 2003).

Bien que le taux de prévalence des problèmes de jeu au Québec semble demeurer stable à travers les années (1,4 % à risque – 0,4 % problématique; Kairouz et Nadeau, 2014) et que la majorité des gens qui s’adonnent aux JHA le font pour se divertir ou pour éprouver du plaisir, d’autres vivront en revanche des difficultés en lien avec leur pratique de JHA (Suissa, 2003; Chevalier et Allard, 2001a,

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Petry, 2005). Selon la dernière enquête populationnelle menée au Québec, cette activité ludique est pratiquée autant chez les hommes que chez les femmes. De ces activités de JHA, plus de 60 % des femmes ont déclaré avoir joué aux JHA au cours de l’année précédant l’enquête, alors que 30 % des joueurs ayant des habitudes de JHA problématiques seraient des femmes (Kairouz, Nadeau et Paradis, 2014). Ces résultats de l’enquête vont dans le même sens que ceux de Grant et ses collaborateurs (2012) qui démontrent que 20 à 40 % des femmes joueuses vivraient des difficultés en lien avec leurs habitudes de JHA.

1.3.2 La pratique des JHA chez les femmes : un profil distinct 1.3.2.1 Début et progression du jeu

Des recherches révèlent que le genre influencerait l’âge d’initiation aux JHA (Grant et Kim, 2002;

Ibáñez et coll., 2003; Richmond-Rakerd, Slutske et Piasecki, 2013). De manière générale, les hommes commenceraient à jouer à un âge plus jeune comparativement aux femmes (Ladd et Petry, 2002). Lloyd et ses collaborateurs (2010) indiquent un début du jeu chez les femmes vers la trentaine et vers la vingtaine, chez les hommes. En effet, celles-ci débuteraient à jouer et développeraient des habitudes de JHA problématiques plus tardivement au cours de leur vie, soit 11 ans plus tard que les hommes selon l’étude d’Haw et Holdsworth (2015). La progression vers des habitudes de JHA problématiques semble toutefois être plus rapide chez les femmes que chez les hommes (Nelson et coll., 2006; Grant et Kim, 2002; Ibáñez et coll., 2003; Shaffer et Martin, 2011). Selon González-Ortega et ses collaborateurs (2013), les femmes seraient plus enclines à développer des habitudes de JHA problématiques lorsqu’elles doivent composer avec des situations difficiles, notamment la solitude et des problèmes conjugaux.

1.3.2.2 Types de jeux et motivations

Les recherches réalisées dans le domaine des JHA ont permis de mettre en évidence des différences de genre importantes sur le plan des pratiques de JHA des femmes, notamment en ce qui concerne les préférences de jeux, les motivations et les difficultés rencontrées. Concernant les habitudes de JHA, les femmes ont tendance à préférer les jeux basés sur la chance et de nature non stratégique (p. ex., les machines à sous, la loterie et le bingo) qui ne demandent pas d’habiletés particulières (Blanco et coll., 2006; Crisp et coll., 2010; Granero et coll., 2009; Hing et Breen, 2001). Selon Petry (2003), les femmes jouent préférablement aux machines à sous et sont majoritairement plus âgées que les hommes qui s’adonnent au même type de jeu. L’étude de Jimenez-Murcia et ses collaborateurs (2007)

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révèle, quant à elle, une association entre l’âge des femmes et le type de jeu pratiqué : les femmes plus jeunes seraient plus nombreuses à s’adonner à la loterie et les plus âgées au bingo. Bien que les machines à sous semblent être l’activité de JHA la plus populaire et la plus fréquemment pratiquée parmi les femmes et les hommes (Nower et Blasczynski, 2006), ces derniers démontrent toutefois une préférence pour les jeux de type stratégique qui font appel à la compétition et qui nécessitent de posséder certaines habiletés ou connaissances particulières (p. ex., paris sportifs, poker et blackjack) (Merkouris et coll., 2016; Crisp et coll., 2000; Kairouz et coll., 2014). L’étude de Potenza et ses collaborateurs (2001) montre d’ailleurs que les hommes éprouveraient davantage de difficultés avec des activités de JHA de type stratégique ou à la fois avec des activités de JHA de type stratégique et non stratégique. Les femmes seraient, quant à elles, davantage affectées par des activités de JHA de type non stratégique, activités plus fortement associées au jeu problématique (Stark et coll., 2012). Ces distinctions en termes de pratiques et de types de jeux se reflètent également sur le plan motivationnel. En effet, Defabbro (2012) indique que les femmes seraient plus motivées à jouer par des raisons intrinsèques : régulation de l’humeur, relaxation ou encore le plaisir. Les hommes seraient, quant à eux, davantage motivés par des raisons extrinsèques : le fait de gagner, de battre les prédictions, de mettre à profit leurs habiletés ou encore de se surpasser. Le fait de vivre de l’isolement serait d’ailleurs un facteur important motivant certaines femmes à participer aux JHA et du même coup un élément potentiellement déclencheur vers des habitudes de JHA problématiques (Afifi, Cox, Martens, Sareen et Enns, 2010; Thomas et Moore, 2001). Le jeu représenterait ainsi une activité sociale de manière à contrer l’isolement (McMillen et coll., 2004; Granero et coll., 2009), et qui, constituerait selon Wood et Griffiths (2007) un lieu de socialisation. À cet effet, Nuske, Holdsworth et Breen (2015) révèlent une participation accrue aux JHA chez les femmes lorsqu’elles doivent composer avec une vie sociale pauvre.

1.3.2.3 Environnements et espaces de jeu

Les femmes semblent, par ailleurs, choisir de jouer prioritairement dans des lieux de jeux physiques plus traditionnels comme le casino (Ibanez et coll., 2003), celui-ci représenterait pour certaines femmes un environnement sécuritaire (McMillen et coll., 2004). Les travaux de Valentine (1989) sur l’aspect géographique et culturel des espaces de jeux démontrent d’ailleurs comment les femmes évaluent l’accès aux espaces de jeux selon les sentiments de peur et de sécurité qui leur sont associés (Bicego, 2002; Valentine, 1989). En plus de l’importance accordée à l’environnement de jeu, les femmes

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accorderaient davantage d’importance à l’aspect social du jeu qu’à son aspect monétaire comparativement aux hommes (Ibanez et coll., 2003). Elles apprécieraient, par exemple, le fait de pouvoir socialiser et d’appartenir à un groupe dans un lieu socialement acceptable et sécuritaire (Brown et Coventry, 1997). Delfabbro (2009) rapporte d’ailleurs comment la croissance du nombre d’espaces de jeux conviviaux offrant des machines à sous et des installations axées sur le divertissement auraient contribué à rendre les JHA plus socialement acceptables et accessibles pour les femmes comparativement aux endroits traditionnellement associés à une culture masculine (p. ex., paris de courses).

1.3.2.4 Méfaits liés aux JHA

Concernant les effets délétères liés à la pratique de JHA, ceux-ci soulèvent des préoccupations importantes en matière de santé publique pouvant entraîner de graves répercussions sur le plan individuel, social et économique (INSPQ, 2010). Sur le plan individuel, les habitudes de JHA problématiques peuvent affecter différentes sphères de vie du joueur. De nombreuses recherches ont documenté, à ce jour, l’impact négatif d’une pratique excessive de jeu si bien que certaines recherches ont révélé des différences de genre importantes en ce qui a trait aux difficultés vécues (Fong, 2005, Andronicos et coll., 2015; Newman et Thompson, 2007; Petry, Stinson, et Grant, 2005). Concernant les difficultés d’ordre financier et professionnel, les hommes rapporteraient en plus grand nombre que les femmes vivre des difficultés professionnelles en lien avec leurs habitudes de JHA, alors que les femmes seraient, en revanche, plus nombreuses à vivre des difficultés financières (Potenza et coll., 2001; Crisp, 2000). Ces dernières accorderaient une part plus importante de leur revenu annuel dans leur pratique de JHA que les hommes entraînant du même coup de plus grandes pertes (Grant et Kim, 2002). Certains auteurs révèlent toutefois que les femmes auraient moins tendance que les hommes à vivre des difficultés d’ordre financier considérant le contrôle exercé par les membres de l’entourage (Echeburua et coll., 2011) L’étude de Crisp et ses collaborateurs (2004) révèle que les hommes préoccupés par leurs habitudes de JHA seraient plus enclins que les femmes à mettre en péril ou encore à perdre leur emploi. Concernant les difficultés d’ordre judiciaire, il ne semble pas y avoir de différences observées selon le genre du joueur. En effet, 50 % des joueurs auraient commis au cours de leur vie des actes illégaux pour rembourser leurs dettes ou pour financer leurs activités de JHA

(Emshoff et coll., 2008; Crisp et coll., 2004). Concernant les difficultés d’ordre psychologique, les

femmes qui présentent de difficultés relatives aux JHA auraient plus tendance que leurs homologues masculins à manifester une faible estime de soi et à avoir fait des tentatives de suicide (Echeburúa et

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coll., 2011; Martins et coll., 2004). L’étude de Légaré et ses collaborateurs (2014), menée auprès de 125 hommes et 65 femmes ayant des habitudes de JHA problématiques, montre que ces dernières rapporteraient vivre en plus grand nombre des difficultés d’ordre relationnel comme des situations conflictuelles. Par ailleurs, plusieurs études montrent que les femmes seraient plus nombreuses à vivre des problèmes socio-affectifs ou encore avoir des symptômes anxieux et dépressifs comparativement aux hommes (Granero et coll., 2009; Simon et Nath, 2004; Thomas et Moore, 2001; Echeburúa et coll., 2011). Les hommes présenteraient, en revanche, plus de problèmes liés à la consommation ou à l’abus de substances (Crisp et coll., 2000; González-Ortega et coll., 2013; Martins et coll., 2004). Selon Kessler et ses collaborateurs (2008), ces problèmes socio-affectifs chez les femmes s’installeraient avant l’arrivée des premières difficultés liées aux JHA, alors que les problèmes relatifs à la consommation de substances plus fréquemment rapportés chez les hommes, émergeraient une fois les difficultés liées aux JHA installées (Haw et Holdsworth, 2015; Andronicos et coll., 2015). Ces difficultés d’ordre psychologique influenceraient non seulement les motivations à jouer des femmes, mais également la gravité des difficultés associées aux JHA (Ibanez et coll., 2001).

1.3.3 Événements de vie stressants : le jeu comme stratégie compensatoire

De nombreuses recherches ont permis de documenter comment certains événements stressants peuvent avoir des impacts importants dans la vie des individus (Holmes et Rahe, 1967). En tête de liste, le décès d’un être cher, la perte et le changement d’emploi ou encore la maladie d’un proche constituent des événements potentiellement stressants qui demandent généralement à l’individu une période d’adaptation. Par conséquent, l’exposition à un événement stressant peut engendrer chez l’individu des conséquences négatives, mais peut également agir de facilitateur vers d’autres difficultés personnelles importantes (Holmes et Rahe, 1967).

Dans cet esprit, des études se sont intéressées plus particulièrement à l’influence des événements de vie sur les comportements de jeu des joueurs. Elles démontrent notamment une hausse des habitudes de JHA ou encore une participation accrue aux JHA en réponse aux événements stressants (Nuske, Holdsworth, et Breen, 2011; Boughton et Falenchuk, 2007). En effet, les joueurs qui vivent des difficultés en lien avec les JHA rapporteraient, en plus grande proportion que les non-joueurs, avoir vécu un événement de vie stressant au cours de la dernière année (p. ex., perte ou changement d’emploi, séparation, conflit au travail, déménagement et perte ou maladie d’un proche) (Roberts et coll., 2017; Department of Justice, 2009; Echebura et coll., 2011). L’étude de Tirachaimongkol et ses

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collaborateurs (2010) révèle que la perte d’un être cher peut susciter une réaction émotionnelle importante, celle-ci apaisée dans certains cas par des moyens compensatoires, dont les JHA. Les joueurs se tourneraient donc vers les JHA en réponse aux événements stressants afin de diminuer la détresse ou encore fuir les émotions négatives (Southwell et coll., 2008; Nuske, Holdsworth et Breen, 2015). L’étude de Wood et Griffiths (2007), menée auprès de 50 joueurs (43 hommes; 7 femmes) ayant des habitudes de JHA problématiques, s’est penchée sur le jeu à titre de stratégie d’adaptation en utilisant une démarche méthodologique qualitative. Les résultats de l’étude montrent que les joueurs ayant des difficultés liées aux JHA auraient plus tendance à recourir à des stratégies d’évitement comportementales et émotionnelles que les non-joueurs, ceux-ci davantage orientés vers l’utilisation de stratégies d’adaptation centrées sur la résolution de problème (Wood et Griffiths, 2007).

Bien que certains événements soient plus probables de se produire avec l’avancement en âge (p. ex., la maladie, la retraite ou le décès du conjoint), Giroux, Boutin et Ferland (2008) indiquent que ces situations difficiles en termes de pertes et de deuils ont le potentiel de déclencher des habitudes de JHA. Selon Martin, Lichtengerg et Templin (2011), ces événements peuvent agir à titre de catalyseurs vers une pratique de JHA excessive en permettant aux joueurs d’éviter d’être en contact avec des affects douloureux. Le fait de s’adonner à des activités de JHA constitue un moyen pour certains joueurs de fuir, de contrer l’isolement ou encore de s’évader du quotidien (Ferland et coll., 2008, Southwell et coll., 2008; Nuske, Holdsworth et Breen, 2015). Les joueurs seraient donc plus enclins à développer des difficultés relatives aux JHA lorsqu’ils doivent composer avec des changements de vie ou des pertes significatives. L’étude de Giroux et ses collaborateurs (2016), menée auprès de joueurs âgés de 55 ans et plus ne présentant pas de difficultés apparentes avec les JHA, révèle que le passage à la retraite peut également constituer une transition importante vers l’adoption d’habitudes de JHA. Il semble que la plus grande disponibilité financière ainsi que la stabilité des ressources financières seraient des éléments qui contribuent à la participation accrue aux JHA afin de combler l’ennui et l’isolement (O'Brien Cousins et Witcher, 2004). Poupart (2013) montre, par ailleurs, le caractère subjectif des événements puisque le passage à la retraite peut, à l’inverse, être vécu positivement sans être associé à des comportements de jeu.

Plus spécifiquement liée à l’expérience des femmes joueuses, l’une des hypothèses émises dans les écrits scientifiques pour rendre compte du développement tardif de la pratique de JHA chez les femmes s’articule autour des changements dans les rôles sociaux. Lorsque les enfants grandissent (p.ex., la rentrée scolaire ou le départ du nid familial), le rôle de mère change et évolue. Ces changements

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peuvent entraîner une participation aux JHA chez les femmes. En effet, la diminution du rôle de mère avec l’avancement en âge serait associée chez certaines femmes à une hausse des habitudes de JHA afin de combler un sentiment de vide intérieur et de solitude (McMillen et coll., 2004). L’étude de Tavares et ses collaborateurs (2001) montre également comment l’avènement de la maternité dans la trajectoire des femmes serait un moment charnière, impliquant bien souvent un dévouement à la famille, ce qui peut engendrer du même coup une augmentation des comportements de jeu. À cet effet, Bicego (2002) démontre que le stress occasionné par le rôle de mère serait d’ailleurs soulagé via des comportements de jeu, alors que Piquette-Tomei et ses collaborateurs (2008) révèlent que les femmes auraient tendance à adopter des habitudes de JHA problématiques lorsqu’elles ne se percevraient pas à la hauteur des attentes associées à leur genre. L’étude de Casey (2006), menée auprès de femmes joueuses, démontre comment la pression vécue par les femmes, notamment en lien avec leurs tâches domestiques, peut mener vers des habitudes de JHA. Les sentiments de honte et de culpabilité seraient exacerbés lorsque ces dernières n’avaient pas l’impression d’agir en fonction des exigences liées aux rôles traditionnels de mère. La loterie constituait pour ces femmes une forme de loisir en réponse à leur vie domestique chargée (Casey, 2006).

Certains auteurs affirment d’ailleurs que la survenue d’événements stressants notamment sur le plan conjugal (p. ex., séparation et conflits) pourrait faciliter la progression ou le début de la pratique de JHA de façon à réduire les émotions désagréables vécues telles que la tristesse et l’ennui (Bazargan et coll., 2001, Patford, 2009; Nuske, Holdsworth et Breen, 2015). Le jeu représenterait pour certaines joueuses une stratégie d’adaptation pour faire face au stress lié à divers éléments contextuels et un moyen de réguler une humeur négative (Schull, 2002, Gupta et Derevensky, 2001; Getty et coll., 2000).

1.3.4 Stigmatisation et identité : des enjeux de genre

Concernant les réactions sociales envers les joueurs, plusieurs études mettent clairement en lumière la forte stigmatisation sociale que vivent les joueurs (Horch et Hodgins, 2008) et l’impact de cette stigmatisation sur les joueurs eux-mêmes, notamment le fort sentiment de honte et de culpabilité associées aux habitudes de JHA (Miller et Thomas, 2017). À cet effet, une étude qualitative menée auprès de non-joueurs révèle les fortes réactions sociales suscitées à l’endroit des joueurs vivant des difficultés en lien avec les JHA. Ces derniers seraient considérés dans l’espace public comme des personnes « faibles », « stupides » ou encore « incontrôlables » (Hing, Nuske, Gainsbury et Russell, 2015). Cette pratique excessive de JHA apparaît aux yeux d’autrui comme un manque de contrôle et

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de volonté attribuable à l’individu relevant ainsi de son entière responsabilité. Les joueurs ayant des comportements de jeu dits problématiques seraient perçus en non-conformité par rapport à ceux qui adoptent des comportements de jeu dits modérés ou à faible risque (Miller et coll., 2016, Carroll et coll., 2013). Ceux-ci seraient par conséquent victimes d’attitudes et de comportements discriminants contribuant ainsi à la création d’un stéréotype négatif du joueur (Palmer, Richardson, Heesacker et DePue, 2017; Corrigan et Shapiro, 2010). Les femmes joueuses seraient par ailleurs perçues encore plus négativement que les hommes joueurs rendant ce même comportement moins acceptable chez ces dernières (Grunfeld, Zangeneh et Grunfeld, 2004; Neal, Delfabbro et O’Neil, 2005). Cette réponse sociale négative envers les joueurs qui vivent des difficultés relatives aux JHA pourrait entraîner un processus d’auto-stigmatisation et mener à l’intériorisation de cette étiquette négative en se qualifiant eux-mêmes de personne « stupide » ou encore de « faible » (Caroll, Rodgers, Davidson et Sims, 2013; Miller et Thomas, 2018). Cette stigmatisation anticipée des joueurs ne semble toutefois pas intériorisée de la même façon selon le genre, les femmes ayant plus tendance que les hommes à se percevoir comme étant irresponsables, incompétentes et égoïstes.

Selon McMillen et ses collaborateurs (2004), le maintien des stéréotypes de genre en société (p. ex., la femme au foyer) influencerait fortement l’expérience de jeu chez les femmes joueuses. Celles-ci seraient perçues déviantes par rapport aux comportements attendus de la femme en société de « prendre soin » ou encore de « prendre ses responsabilités » reflétant ainsi une image dissonante du modèle féminin traditionnel (Lesieur et Blume, 1991; Holdsworth, Hing et Breen, 2012). Les femmes joueuses porteraient donc un double stigmate qui résulte de la non-conformité de leurs comportements de jeu en regard des attentes sociales associées à leur genre (Lesieur et Blume, 1991; Hing, Russell, Nuske et Gainsbury, 2015). Les mères ayant développé des difficultés en lien avec les JHA seraient alors perçues dans l’espace public comme « irresponsables » et « incapables » d’assurer leurs rôles traditionnels de mère accentuant ainsi leur sentiment de honte et de culpabilité (Mark et Lesieur, 1992; Schull, 2002). Certaines femmes qui s’adonnent à la loterie associeraient d’ailleurs le jeu excessif à l’incapacité d’être une mère « bonne » et « attentionnée » en charge de faire une gestion adéquate du budget et du ménage (Casey, 2006). Ce faisant, elles perdraient leur statut de femme « respectable » responsable de veiller à la vie familiale.

L’étude de Gavriel-Fried, Peled et Ajzenstadt (2015), menée auprès de femmes israéliennes ayant des habitudes de JHA problématiques, montre comment les femmes ayant intériorisé les normes sociales auraient tendance à se dissocier de cette image de déviante en renégociant leur identité. Les résultats

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montrent que certaines femmes joueuses s’identifieraient davantage à une identité dite « normale » en cohérence aux attentes sociales liées au genre féminin rejetant ainsi celle de joueuse. D’autres minimiseraient leur identité de joueuse par la présentation de leurs difficultés liées aux JHA comme un simple accident de parcours qui ne refléteraient pas leur vraie personne (Gavriel-Fried, Peled et Ajzenstadt, 2015). Des travaux de recherche menés auprès de femmes marginalisées montrent comment celles-ci auraient tendance à réconcilier leur image de déviante en misant sur des caractéristiques propres à leur identité de mère, une identité centrale et plus positive (Alarid et Vegas, 2010; Virokannas, 2011). Les joueuses semblent donc se définir et donner du sens à leurs habitudes de JHA en fonction des normes sociales si bien que certaines consacreraient des efforts considérables pour contrer l’image déviante qu’elles projettent. Le contexte socio-culturel dans lequel elles évoluent influence fortement leur rapport à l’identité de joueuse (Gavriel-Fried, Peled et Ajzenstadt, 2012, 2015). Selon Schull (2002), les activités de JHA auraient entraîné pour certaines joueuses aux prises avec des difficultés relatives aux JHA, une perte de sens du soi. L’étude de Casey (2006) montre, en revanche, comment les activités de JHA représentaient pour des femmes l’opportunité de développer, de présenter et de renégocier un sens de soi. En effet, certaines se définiraient par rapport aux autres joueuses qui adopteraient un conduite de jeu dite « déviante » par la création du « joueur irresponsable ». Ainsi, elles rendent plus acceptables et responsables leurs propres comportements de jeu en projetant le blâme d’un jeu dit « irresponsable » sur les autres sans compromettre leur identité (Casey, 2006).

1.3.5 Genre et demande d’aide : distinctions, obstacles et éléments facilitants

Bien que les hommes rapporteraient en plus grand nombre que les femmes vivre des difficultés relatives aux JHA (William, Volberg et Stevens 2012), seulement 6 % à 9 % des joueurs affectés par le jeu consultent des services d’aide psychosociaux (Slutske, 2006; Suurvali, Hodgins, Toneatto et Cunningham, 2008). Les femmes seraient toutefois plus nombreuses que les hommes à consulter des services d’aide psychosociaux pour des difficultés liées à la santé physique ou mentale, tendance qui s’observe également chez celles souffrant de difficultés liées aux JHA (McMillen et coll., 2004). L’étude de Légaré et ses collaborateurs (2014) montre que ces femmes joueuses auraient plus tendance à rechercher de l’aide sur ce plan une fois les premières difficultés apparues. Les femmes en traitement seraient d’ailleurs plus âgées que les hommes et auraient en plus grande proportion des enfants à leur charge (Crisp et coll., 2004). Cette propension à la recherche d’aide chez les femmes s’expliquerait

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par le fait qu’elles admettraient plus rapidement que les hommes leurs difficultés relatives aux JHA (Slutske, Blaszczynski et Martin, 2009) et réagiraient de façon différente face à ces problèmes (McMillen et coll., 2004).

Le processus de demande d’aide semble d’ailleurs influencé à la fois par les événements de vie qui marquent la trajectoire de vie des joueuses et par la stigmatisation dont elles peuvent être victimes et qui peut se dresser comme une barrière à la demande d’aide. À cet effet, une étude qualitative menée auprès de 45 femmes et 38 hommes qui vivent des difficultés en lien avec les JHA, s'est intéressée aux facteurs liés à la recherche d’aide. Les résultats montrent que les femmes seraient plus nombreuses que les hommes à solliciter des services d’aide en raison de difficultés relationnelles importantes telles que des difficultés avec un membre de l’entourage, le départ et la perte d’un proche ou encore à la suite d’un événement de violence (Beaulac, Andronicos, Lesage, Robert, Larochelle et Séguin, 2017). Par ailleurs, certaines études révèlent que les femmes peuvent vivre des sentiments de honte et de culpabilité importants en regard des attentes sociétales liées à leurs rôles traditionnels de femme, ce qui peut en dissuader certaines de consulter (Crisp et coll., 2004; McMillen et coll., 2004). Par exemple, celles ayant à leur charge des enfants auraient tendance à craindre d’être jugées ou mal perçues dans leur rôle de mère (Robert, Champion et Irving, 2017). Il est donc possible de distinguer des différences de genre quant aux raisons menant les femmes à consulter des services d’aide en raison de leurs habitudes de JHA.

L’ensemble des études recensées met globalement en lumière quatre constats : 1) il existe des différences liées au genre dans le rapport aux JHA, 2) la présence d’événements de vie stressants peut engendrer un rapport au jeu problématique, 3) le fait de vivre des difficultés avec les JHA est associé à une forte stigmatisation qui se répercute sur le rapport à l’identité et 4) à la fois les événements de vie stressants et la stigmatisation ont un impact sur la demande d’aide des joueuses. Bien que les études recensées permettent de tirer des constats généraux quant au rapport que les femmes entretiennent avec les JHA, sur ces quatre aspects, nous en savons encore très peu quant aux spécificités de leur expérience subjective. La littérature existante est basée en grande partie sur « les joueurs » de manière générale ou encore sur les différences hommes-femmes selon une perspective comparative. Malgré quelques études portant sur les spécificités de l’expérience féminine du jeu, les études demeurent peu nombreuses sur le sujet et majoritairement quantitatives. Or, le développement de ce type de connaissances est essentiel à l’amélioration des pratiques qui seront adaptées à la réalité des femmes joueuses touchées par des difficultés. C’est pourquoi ce projet

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propose de mieux comprendre 1) comment le parcours de vie des femmes joueuses et les événements de vie qui marquent chacune des trajectoires de ce parcours influencent leur trajectoire de jeu et 2) la manière dont ces femmes joueuses négocient leur rapport à l’identité de joueuse dans leur parcours de vie.

1.4 Limites des études recensées

Cette brève recension des écrits permet de soulever quelques limites venant appuyer la pertinence de l’étude. Bien que de nombreuses études quantitatives dans le domaine des JHA aient permis d’apporter des données intéressantes en termes de différences liées au genre (p.ex., les motivations, les préférences de jeux et les difficultés rencontrées), très peu d’études qualitatives donnent la parole aux joueurs concernés par le jeu et surtout aux joueuses. Les études recensées nous en disent très peu sur le vécu des joueuses aux prises avec des difficultés liées aux JHA si bien que leur rapport aux JHA demeure inexploré.

La compréhension actuelle du jeu chez les femmes est d’ailleurs limitée par une majorité de recherches effectuées auprès d’hommes joueurs. De ce fait, les résultats sont généralisés à l’ensemble des joueurs, incluant ainsi les femmes. Il s’avère nécessaire de s’intéresser à l’expérience des femmes touchées par des difficultés liées aux JHA, à partir de leur point de vue, afin de développer une compréhension plus juste de leur réalité et des caractéristiques qui distinguent les pratiques de JHA de ces femmes joueuses.

Bien que certaines études aient permis de documenter l’expérience des femmes avec les JHA, il est difficile de transposer ces constats au contexte du Québec. En effet, peu d’études portent sur les influences du contexte social et historique dans lequel s’inscrit la trajectoire de jeu de ces joueuses sur leurs comportements de jeu. Cette étude vise à répondre à ces lacunes en s’intéressant aux effets du contexte social dans lequel elles évoluent et s’opèrent les activités de JHA.

1.5 Pertinence scientifique

Dans un souci de prendre part au développement des connaissances scientifiques, cette étude contribuera à l’avancement des connaissances dans le domaine des JHA et plus particulièrement auprès d’une population encore trop souvent oubliée. Considérant l’absence de considération envers l’expérience subjective des femmes joueuses et des spécificités propres à celle-ci, ces dernières doivent faire l’objet d’une plus grande investigation de la part de la communauté scientifique. Cette

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recherche qualitative vise à mettre en lumière le vécu de ces femmes aux prises avec des difficultés liées aux JHA, via leur subjectivité.

Cette étude s’intéresse à la perspective de l’acteur, la façon dont ces femmes se construisent et donnent du sens à leurs habitudes de JHA à l’intérieur de leur parcours de vie. Cette étude propose d’explorer le parcours des joueuses, sous un angle constructiviste, axé sur les perceptions qu’elles ont de leur réalité telle qu’elles en font l’expérience. Cet apport de connaissances contribuera sans aucun doute à combler, en partie, ce vide dans les écrits scientifiques tout en mettant de l’avant une culture plus féminine de la pratique de JHA.

1.6 Pertinence sociale

Cette recherche pointe l’importance de s’intéresser à l’expérience des femmes dans le domaine du JHA, une population marginalisée et stigmatisée à travers leurs habitudes de JHA. Ces femmes joueuses présentent de toute évidence des particularités en termes d’expériences avec le JHA qui méritent qu’on s’y attarde plus attentivement. Cette recherche accorde donc une voix à ces joueuses qui souffrent de difficultés liées aux JHA. Elle met de l’avant une approche plus féministe du jeu en se penchant sur le parcours de ces joueuses dans une perspective plus large qui reconnaît les formes d’oppressions qu’elles sont susceptibles de vivre dans notre société et qui peuvent affecter leur rapport aux JHA. Ainsi, ce projet amène des réflexions quant à l’importance de considérer l’impact de la stigmatisation dont ces femmes joueuses sont victimes dans l’espace public et qui peut représenter également un frein important à la recherche d’aide. L’expérience des joueuses est donc comprise dans sa globalité à partir d’une vision holistique, une perspective encore trop souvent négligée en faveur d’une vision médicale.

1.7 Pertinence disciplinaire

L’exploration des expériences des femmes joueuses permettra une compréhension plus en profondeur de leur réalité et d’enrichir les réflexions sur les pratiques des travailleurs sociaux et autres intervenants. Cette recherche fournira des informations pertinentes afin de sensibiliser davantage les intervenants quant aux spécificités qui caractérisent les pratiques et les habitudes de JHA de ces femmes joueuses. Cette sensibilisation permettra aux intervenants d’intervenir adéquatement auprès de cette clientèle tout en portant une attention aux préjugés dont elles font particulièrement l’objet dans notre société et qui peuvent avoir un impact important sur leurs perceptions d’elles-mêmes.

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Comme le défend d’ailleurs très bien la discipline du travail social, cette étude soulève l’importance de s’intéresser aux interactions entre l’individu et son environnement dans la compréhension d’un phénomène. Ainsi, cette étude met également en lumière les interactions des joueuses avec les différents acteurs et éléments de leur environnement afin de bien comprendre leur rapport aux JHA. Cette dimension sociale est trop souvent mise de côté dans les études réalisées sur les JHA, au profit d’études axées essentiellement sur les dimensions individuelles de ce problème social.

1.8 Questions et objectifs de recherche

Ce projet de mémoire a pour but d’explorer l’expérience subjective des femmes qui vivent des difficultés en lien avec les JHA en s’intéressant aux événements et aux transitions ayant marqué les différentes trajectoires qui composent leur parcours de vie. L’exploration du vécu des joueuses vise à mieux comprendre comment les événements contribuent à façonner leur trajectoire de jeu et le rapport qu’elles entretiennent à leur propre identité de joueuse. Plus précisément, cette étude vise à répondre aux questions suivantes : 1) comment le parcours de vie des femmes joueuses façonne-t-il leur trajectoire de jeu ? et 2) comment les femmes joueuses négocient-elles leur rapport à l’identité de joueuse dans leurs parcours de vie ?

Pour ce faire, cette étude propose deux objectifs, soit de comprendre 1) comment les trajectoires du parcours de vie des femmes joueuses influencent ou ont été influencées par leur trajectoire de jeu et 2) la manière avec laquelle ces femmes négocient leur identité de joueuse à l’intérieur de leur parcours de vie. Ce projet de mémoire porte une attention particulière à la dynamique et aux inter-influences entre les différentes trajectoires et la trajectoire de jeu des joueuses ainsi que la manière avec laquelle ces femmes négocient leur identité de joueuse à l’intérieur de leur parcours de vie.

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Chapitre 2 – Cadre théorique

Ce chapitre présente brièvement le paradigme du constructivisme social dans lequel s’inscrit cette étude ainsi que les cadres théorique et conceptuel qui guident l’analyse des résultats. La théorie du parcours de vie ainsi que certains concepts clés du modèle de l’identité construite par le discours sont présentés.

2.1 Paradigme épistémologique

Cette étude s’inscrit dans le paradigme du constructivisme social. Comme elle vise à comprendre l’expérience des femmes joueuses dans leur parcours de vie ainsi que leur rapport à l’identité de joueuse, adopter une posture qui met de l’avant leur réalité subjective nous semble une approche appropriée. Les objectifs de la recherche s’inscrivent donc en cohérence avec le courant du constructivisme social qui sont de 1) comprendre le rapport au jeu des femmes joueuses dans leur parcours de vie et 2) comprendre comment les femmes négocient leur identité de joueuse dans leur parcours de vie. Selon la perspective constructiviste, la réalité d’un phénomène se situe dans la perception que l’individu en a et non pas dans sa nature. Autrement dit, ce paradigme ne postule pas l’existence d’une vérité objective, mais plutôt une variété de vérités subjectives propres à chaque individu (Guba et Lincoln, 1994; Dubar, 2007). L’individu joue donc un rôle actif et non pas passif dans la façon d’interagir, de définir et de construire sa propre réalité, ce qui constitue d’ailleurs un postulat de la construction sociale. La vie sociale se construit par ailleurs à travers les interactions avec autrui qui s’actualisent dans les rapports sociaux à l’intérieur d’un contexte social donné (Guba et Lincoln, 1994; Berger et Luckmann, 1967). Une attention particulière est portée au contexte social dans lequel se produisent les interactions avec autrui et se construit l’individu (Guichard, 2004). L’accès à l’expérience des femmes joueuses s’avère pertinent pour comprendre leur réalité subjective et le sens donné à celle-ci, en tenant compte du contexte dans lequel elles évoluent.

2.2 Théorie du parcours de vie

La théorie du parcours de vie, qui s’inscrit dans le courant du constructivisme social, s’appuie sur la contribution de différentes disciplines provenant des sciences sociales (p. ex., éducation, travail social, psychologie et sociologie) (Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Kuh, Ben-Shlomo, Lynch, Hallqvist, et Power, 2003). Depuis l’émergence de la théorie en 1960, le développement humain est reconnu comme étant un phénomène complexe étudié selon un ensemble de trajectoires associées aux

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différentes dimensions de la vie, notamment les dimensions familiale, éducationnelle, conjugale et professionnelle (Gherghel, 2013, Elder, Johnson et Crosnoe, 2003). En proposant une vision holistique et non fragmentaire du développement humain, la théorie du parcours de vie ne s’attarde pas à l’étude des parcours de vie individuels selon des périodes développementales de la vie circonscrites dans le temps comme l’enfance ou la vie adulte (Kok, 2007; Macmillan et Eliason, 2003). Elle s’intéresse plutôt au caractère dynamique, au processus multidirectionnel et multidimensionnel du parcours de vie d’un individu ainsi qu’aux inter-influences entre les différentes trajectoires qui le composent. Ce modèle favorise par ailleurs une compréhension plus écologique du développement humain, c’est-à-dire en contextualisant le parcours de vie d’un individu en fonction des événements et des changements socio-historiques dans lesquels il évolue (Daaleman et Elder, 2007; Elder, Johnson et Crosnoe, 2003, Kok, 2007). La théorie du parcours de vie est composée de cinq grands principes.

2.2.1 Principes de la théorie

Le premier principe de la théorie du parcours de vie conçoit le développement individuel comme étant un processus continu et complexe qui s’échelonne pendant toute la vie de l’individu (Elder et coll., 2003; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Le développement individuel est influencé par les changements sociaux, biologiques et psychologiques qui parsèment le parcours de vie d’un individu tout au long de sa vie. Ainsi, des changements et des événements peuvent survenir à différentes périodes dans la vie d’un individu et affecter de plusieurs façons son évolution (Gherghel et Saint-Jacques, 2013).

Le deuxième principe, l’intentionnalité des individus, stipule que l’individu a la capacité d’agir sur son parcours de vie grâce à ses actions et ses choix (Gherghel et Saint-Jacques, 2013). L’individu n’est pas considéré comme une victime passive, mais plutôt un sujet actif dans la construction de sa vie en fonction des contraintes données (Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Kok, 2007). Il a la capacité de faire des choix différents parmi les opportunités disponibles et d’avoir une influence sur son parcours de vie. Selon ce principe, l’individu n’est pas considéré comme l’unique responsable de son développement individuel. Le contexte socio-historique dans lequel l’individu évolue peut moduler ses actions, ses choix et influencer simultanément la suite de son parcours de vie (Gherghel et Saint-Jacques, 2013).

L’insertion des vies dans le temps et l’espace constitue le troisième principe de cette théorie. Selon

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évolue (Cohler et Hostetler, 2003; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). L’insertion des vies dans le temps et l’espace renvoie au concept de cohorte qui désigne un ensemble d’individus ayant vécu les mêmes changements historiques et sociaux dans un contexte donné. Le développement des individus varie donc dans le temps et en fonction de leurs différents contextes de vie (Gherghel et Saint-Jacques, 2013).

La temporalité des événements est le quatrième principe selon lequel l’ordre et le moment à partir

duquel surviennent les événements ont une influence sur le parcours d’un individu et son développement (Gherghel et Saint-Jacques, 2013, Hutchison, 2005). Bien que l’individu se développe tout au long de sa vie selon un ordre plus ou moins précis dans le temps, il peut être amené à vivre des événements en dehors de son stade développemental. Selon ce principe, les événements ne sont pas linéaires, c’est-à-dire qu’ils peuvent survenir de façon « décalée » ou « à temps » par rapport au stade développemental de l’individu (Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Elder, 2001). Par exemple, l’expérience de la parentalité à un âge précoce peut influencer la suite du parcours de vie de l’individu et avoir un impact négatif sur son développement. La temporalité des événements peut donc avoir un impact différent selon le moment où il se produit dans le parcours d’un individu.

Le cinquième principe stipule que les vies sont interreliées ce qui signifie que l’individu appartient à un réseau relationnel interdépendant qui s’influence mutuellement (Kok, 2007, Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Les actions de l’individu peuvent avoir des répercussions sur les membres de son réseau (ex., la famille) et à l’inverse les membres de son réseau peuvent affecter le développement de l’individu. Par exemple, la naissance d’un enfant peut impliquer des changements importants dans la trajectoire conjugale d’un individu et affecter de façon simultanée d’autres trajectoires de sa vie. Ce principe témoigne de l’interdépendance des trajectoires de vie sur le parcours de vie et le développement de l’individu (Gherghel et Saint-Jacques, 2013).

2.2.2 Définitions des concepts

Cette section définie spécifiquement les concepts utilisés issus de la théorie du parcours de vie. Le premier concept à l’étude est celui de parcours de vie. Le parcours de vie réfère à un ensemble d’événements interreliés et de transitions délimités en fonction de l’âge de l’individu et du contexte socio-historique (Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Ces dimensions temporelles peuvent influencer le parcours de vie d’un individu et avoir un impact sur son développement selon le contexte et le moment où survient l’événement dans sa vie. Les dimensions temporelles sont donc très importantes à

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considérer pour comprendre la signification attribuée aux événements dans le parcours de vie d’un individu. Le parcours de vie est d’ailleurs composé de plusieurs trajectoires associées aux différentes sphères de vie d’un individu (p. ex., familiale, éducationnelle, conjugale et professionnelle) qui s’influencent mutuellement (Gherghel, 2013; Gherghel et Saint-Jacques, 2013).

Le concept de trajectoire, au cœur du parcours de vie, conçoit le développement individuel comme un processus qui s’effectue tout au long de la vie. Les trajectoires de vie évoluent de façon non linéaire dans le temps, c’est-à-dire qu’elles connaîtront des périodes de stabilité, mais également d’instabilité. Ces périodes de bouleversement peuvent engendrer dans la vie d’un individu une série de changements sur le plan de ses comportements, ses rôles ou ses statuts (Hutchison, 2011; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Les trajectoires de vie sont interdépendantes ce qui signifie que les événements ou les changements survenant dans l’une des trajectoires, influencent la forme des autres trajectoires. Par exemple, un événement vécu dans la trajectoire éducationnelle peut influencer la façon dont sera vécu un événement dans la trajectoire professionnelle (Macmillan et Eliason, 2003). La notion de transition se définit comme un changement de période, de statut, de rôle ou de stade à un autre dans la vie de l’individu comme le passage à l’adolescence ou la vie adulte (Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Levy et coll., 2005). La progression de l’individu entre les différents stades de vie représente une opportunité de changements qui amène l’individu à adopter ou à délaisser au passage certains rôles et parfois à redéfinir des manières d’être ou de faire(Elder et coll., 2003). Au passage des transitions, des changements peuvent se produire à l’intérieur des différentes trajectoires de vie et avoir des répercussions simultanées sur d’autres trajectoires de vie (Elder, Johnson et Crosnoe, 2003; Gherghel et Saint-Jacques, 2013).

Le parcours de vie est également composé de points tournants. Les points tournants peuvent être de nature objective (p. ex., changement d’emploi, séparation ou mariage) ou subjective (p. ex., prise de conscience ou réalisation de soi) (Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Tout au long de sa vie, l’individu est amené à vivre des expériences de vie appelées « points tournants » entraînant des changements durables sur son parcours de vie (Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Les points tournants provoquent des changements majeurs à l’intérieur du parcours de vie d’un individu et qui peuvent influencer la suite de son parcours (p. ex., rôles, croyances et conception de soi), mais également la manière dont les événements subséquents seront vécus (Gaudet, 2013, Elder et coll., 2003; Hutchison, 2005; Sapin et coll., 2007; Levy et coll., 2005). Rutter (1996) souligne de son côté

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que les points tournants peuvent, à l’inverse, produire une stabilité et une continuité au sein du parcours de vie de l’individu, ce qui illustre le caractère subjectif des points tournants (Wheaton et Gotlib, 1997).

2.3 La théorie de l’identité construite par le discours 2.3.1 Définitions des concepts

Comme le projet de recherche vise à comprendre comment les femmes joueuses se développent dans leur parcours de vie et négocient leur identité de joueuse en fonction des différents discours véhiculés dans la société, les concepts du modèle de l’identité construite de Bamberg, De Fina et Schiffrin (2011) apparaissent pertinents à l’analyse des résultats de manière à mieux comprendre le rapport des femmes face à leur identité de joueuse. L’adoption d'un cadre conceptuel à la théorie du parcours de vie permettra d’analyser plus particulièrement la façon dont les femmes se construisent, se forgent et négocient leur identité de joueuse dans leur parcours de vie tel qu’elles en font l’expérience. En effet, les concepts utilisés serviront à mettre de l’avant le processus identitaire des femmes joueuses selon deux scénarios possibles : les discours dominants en société et les interactions avec autrui.

L’agentivité, premier concept de la théorie mis en évidence dans l’analyse des résultats, stipule que l’individu a la capacité d’avoir une influence sur les événements de son parcours de vie. Celui-ci joue un rôle actif dans la construction de sa réalité et détient une capacité d’action (Bamberg, De Fina et Schiffrin, 2011). La capacité d’action de l’individu est fortement influencée par les normes sociales, les traditions, ainsi que la culture dans lesquelles ce dernier évolue. Lorsque l’agentivité de l’individu est élevée, celui-ci est conscient des limites et des contraintes sociales auxquelles il fait face. Il s’attribue du pouvoir d’agir dans la façon de vivre et de surmonter les événements. Lorsque l’agentivité de l’individu est faible, celui-ci se considère en contrepartie comme un sujet passif qui subit le poids des différentes structures sociales de la société. Les possibilités d’actions de l’individu en sont donc réduites (Bamberg, De Fina et Schiffrin, 2011).

Le deuxième concept qui servira à l’analyse des résultats est celui de la construction d’un sens de soi

différencié ou intégré. Dans le concept de soi différencié, l’individu met de l’avant des composantes

de son individualité telles que des caractéristiques personnelles, des valeurs ou des comportements de façon à se différencier d’autrui (Bamberg, De Fina et Schiffrin 2011). L’individu peut, en contrepartie, définir un soi en conformité aux discours dominants de la société. Il s’agit du soi intégré que Bamberg,

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De Fina et Schiffrin (2011) nomment aussi « un sens de soi en communauté ». Dans le concept de soi intégré, les actions et les comportements de l’individu sont déterminés en fonction de son sentiment d’appartenance aux membres du groupe auquel il appartient. La construction intégrée ou différenciée du soi illustre donc comment un individu se définit dans son rapport à autrui et qui peut influencer sa capacité d’agir (Bamberg, De Fina et Schiffrin, 2011).

Le troisième concept mis de l’avant dans ce projet de recherche est celui de la construction de soi en

continuité ou en discontinuité. Ce concept stipule que l’individu peut se définir en continuité ou en

discontinuité sur le plan identitaire en regard des changements et des évènements qui surviennent dans son parcours de vie et qui peuvent influencer ce processus identitaire. En d’autres mots, l’individu peut maintenir ou pas une continuité sur le plan identitaire malgré les transitions et les changements de vie qu’il est amené à vivre dans sa vie. Lorsqu’il y a continuité de soi, les comportements et les attitudes de l’individu ont connu une certaine stabilité dans le temps sans entraîner de changement majeur ou de reconfiguration sur le plan identitaire. Lorsqu’il y a discontinuité de soi, les événements et les transitions survenus dans le parcours de l’individu ont entraîné de l’instabilité sur le plan identitaire amenant celui-ci à changer certains aspects de son identité. Cette construction de l’identité illustre comment l’individu parvient à construire et maintenir son identité en demeurant fidèle à sa personne (Bamberg, De Fina et Schiffrin, 2011).

La notion de discours est un concept central à l’étude qui renvoie au système de pensées acceptées

socialement par les membres d’une société et qui sont considérées comme vraies. Les discours s’appuient sur les normes sociales, les traditions et la culture (Dumora et Boy, 2008; Bamberg et coll., 2011). L’individu, considéré comme un sujet actif, développe son identité en fonction du répertoire de discours existants en société, mais également à partir d’échanges avec autrui qui s’inscrivent à l’intérieur d’un contexte socioculturel donné (Georgakopoulou, 2006; Bamberg et coll., 2011).

L’identité est un processus interactif entre l’individu et son environnement qui exige un engagement actif de la part de l’individu (Bamberg, De Fina et Schiffrin, 2011). Il s’agit d’un processus de négociation entre deux sujets qui interagissent à partir de situations ordinaires, concrètes ou spécifiques de la vie de tous les jours, qui se déroulent à l’intérieur d’un contexte donné. L’identité de l’individu reflète donc un processus relationnel et dynamique qui se construit à partir d’interactions sociales issues de contextes précis dans lesquels il s’inscrit (Bamberg, De Fina et Schiffrin, 2001).

Figure

Tableau 1. Caractéristiques sociodémographiques des participantes

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