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Chapitre 4 : Parcours de vie

4.3 Contextes de jeu

Avant d’aborder en détail les trajectoires qui composent les parcours de vie des participantes, il est important de situer les éléments contextuels qui les paramètrent et à travers lesquels l’offre de jeu se déploie. Les parcours de vie des participantes s’inscrivent dans un contexte plus large à partir duquel surviennent des transformations socio-historiques propres au secteur des JHA. Un des principes de la théorie du parcours de vie est d’ailleurs que la dimension temporelle des contextes a une influence sur le parcours des individus. Ainsi, ces éléments de contexte permettront d’apporter un éclairage sur la manière dont la trajectoire de jeu des femmes fluctue dans le temps et se transforme à travers les

interactions avec leur environnement. La prochaine section présente donc comment le contexte socio- historique des JHA a pu avoir une influence sur la trajectoire de jeu de ces joueuses.

4.3.1 Contextes historique et social

Le contexte socio-historique dans lequel se déploie l’offre de jeu et dans lequel gravitent les femmes joueuses marque les activités de JHA des participantes. Cette section présente comment les changements structurels et législatifs liés à l’histoire des jeux de hasard et d’argent au Québec ont eu un impact sur le rapport aux JHA des participantes. Ces changements concernent principalement deux points : la transformation de l’offre de jeu qui résulte en une plus grande disponibilité et accessibilité des JHA.

Offre de jeu : une plus grande disponibilité

Au Québec, Loto-Québec a déployé en 1994 le tout premier réseau d’ALV dans les établissements tels que les bars, brasseries et restaurants détenant une licence d’exploitation. Marie-France, qui occupait à l’époque un emploi de serveuse dans un restaurant-bar, dit avoir commencé à jouer à ce moment.

J’ai travaillé dans un motel restaurant de 1993 à 1998. Puis, au bout d’un an ou deux que j’étais là, ils ont installé des appareils de loterie vidéo dans le bar. La première fois que Loto-Québec a installé les appareils de loterie vidéo dans le bar, bien je travaillais. Puis, ma patronne était là. Elle a dit : « Il faudrait bien qu’on essaie ça pour être capable de les expliquer et voir comment ça marche. » C’est là que ç’a commencé. (Marie-France)

Un autre moment marquant lié à l’histoire des JHA, au Québec, est assurément le virage numérique de l’industrie du jeu. En 2010, Loto-Québec déploie son site de jeux en ligne : espacejeu.com sur lequel les internautes ont accès à un éventail d’activités de JHA. Lucie rapporte être l’une des premières à avoir joué à la suite de l’ouverture du site de jeux en ligne, habitude qu’elle a conservée pendant plusieurs années.

Je pense que j’ai été l’une des premières à m’abonner en ligne. Tu sais, je n’ai même pas de chiffres à côté de mon nom. C’est comme si j’avais une adresse courriel qui disait : [Nom de la participante] @. C’est juste pour vous dire que je suis dans les premières là. […] Ça l’a eu plus de place que le hors-ligne. Je jouais plus souvent que le hors-ligne. (Lucie)

Accessibilité des JHA

Des changements importants quant à l’offre de jeu ont engendré une plus grande accessibilité du jeu et contribué à modifier le rapport que les femmes entretiennent envers les JHA. Un des facteurs ayant ressorti du discours des participantes est d’ailleurs l’accessibilité des environnements de jeu des différents milieux de vie fréquentés par celles-ci (p. ex., lieu résidentiel, milieu de travail et lieux publics) de même que la facilité d’accès aux jeux en ligne. Les extraits qui suivent présentent comment l’accessibilité du jeu a pu influencer la trajectoire de jeu des participantes.

Caroline mentionne comment le fait d’avoir eu un emploi dans le domaine de la restauration durant son retour aux études a eu un impact important sur le début de sa trajectoire de jeu : « Je suis devenue plus accro quand j’ai commencé à travailler dans deux bars où il y avait des appareils de loterie vidéo là. Quand il y avait des soirées tranquilles, je jouais. J’ai commencé comme ça. » Manon rapporte, quant à elle, que c’est à la suite de l’ouverture d’un restaurant-bar avec des appareils de loterie vidéo près de son milieu de travail que ses habitudes de JHA ont augmenté.

La dernière année, j’ai augmenté la cadence. Au travail, ça fait 10 ans que je suis au même endroit. Puis, un [nom du restaurant] a ouvert et il y avait un bar avec des machines. C’était accessible à toutes les heures de dîner. Quand j’ai découvert ça, ça m’a comme incitée à jouer pendant mes pauses. Parfois, je finissais plus tôt et j’y allais. (Manon)

Des participantes racontent de leur côté, avoir commencé à jouer lorsqu’elles ont commencé un nouvel emploi près duquel se trouvaient des espaces de jeu. Vanessa dit avoir commencé à jouer pendant ses heures de dîner aux ALV dans un bar « C’était nouveau et je ne connaissais pas les gens non plus. Tu sais, j’allais là un peu pour tuer le temps. » Caroline mentionne de son côté que le fait de travailler dans plusieurs régions du Québec où il y avait un casino, l’a incité à jouer.

Le plus fort du jeu, c’est quand j’allais travailler à l’extérieur. Je suis allée travailler à [nom de ville] et à chaque soir en arrivant, j’allais jouer au casino. Et puis, ç’a commencé de même tranquillement pas vite. (Caroline)

Certaines participantes soulignent par ailleurs que la proximité des espaces de jeu, du lieu de résidence, constitue un élément facilitateur au jeu, alors que pour d’autres la distance constitue une barrière au jeu.

Il y a aussi le facteur proximité. Tu sais, rester à [nom de ville] puis aller jouer au casino de [lieu du casino], tu ne fais pas ça à tous les jours. Tandis qu’à [nom de ville], tu es proche de tout. La proximité est là. (Suzie)

Le casino, ce n’est pas si accessible que ça. Et puis le salon de jeux, bien il faut que tu y ailles quand même là. Tu en n’as pas à tous les coins de rue là. Tu sais, c’est plus limité. (Manon)

Je vais te le dire, [lieu du casino] on n’y va plus. On a touché au salon de jeux, on n’aurait jamais dû aller là. [lieu du casino], ça nous arrêtait à cause de la distance. On a été touché par le salon de jeux. […] Je trouve ça le fun parce que c’est plus proche. (Monique)

Certaines participantes rapportent que le fait de fréquenter des lieux publics à proximité des détaillants de loterie, a pu susciter une envie de jouer et favoriser une plus grande dépense au jeu.

Je suis en train de me dire qu’il ne me reste plus rien que le Dollarama puis le Wal-Mart à aller ou quelques magasins. La plupart des places où je vais, il y en a. C’est très accessible. […] Moi, ça allume mon désir de jouer. (Nadine)

Parfois, je fais un dépanneur et en revenant j’en fais un autre. Puis, j’en fais un autre jusqu’à temps que j’arrive chez nous. Parfois, je vais chercher ma sœur puis quand j’y retourne, bien il y a plein de dépanneurs. Bien là si j’ai dépensé 50 $, je vais aller à l’autre. Je vais dépenser 40 $ et je vais aller à l’autre puis je vais dépenser 20 $. (Josée)

Si la majorité des participantes de l’échantillon déclare avoir joué hors ligne, dans des environnements de jeu physiques, l’accès aux jeux en ligne, semble avoir entraîné des habitudes de JHA plus fréquentes pour Lucie.

C’est sûr qu’en ligne, c’est facile d’accès. Fait que ça peut arriver que quand mon chum est couché, je suis dans le lit en train de jouer pendant qu’il dort. Tu sais, c’est comme plus facile. […] À un moment donné, Loto-Québec m’a envoyé des 10 $ ou des 15 $ par courriel. Je voyais ça arriver dans ma boîte de courriel et j’étais « Hein ! » fait que je l’activais. J’étais au travail et je jouais. (Lucie)

Il semble que les changements et les transformations de l’offre de jeu au Québec ont eu une influence sur la trajectoire de jeu des participantes. La plus grande disponibilité de l’offre de jeu à la suite de l’exploitation du jeu en ligne ainsi que le déploiement de l’offre de jeu près des contextes de vie côtoyés par les joueuses semblent avoir été, dans certains cas, des éléments facilitateurs aux JHA.

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