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Chapitre 5 : Discours et identité

5.1 Discours à l’endroit des JHA

Cette section présente, à partir des expériences des joueuses, les perceptions qu’elles entretiennent à l’égard des discours véhiculés à l’intérieur du contexte social dans lequel leur trajectoire de jeu s’inscrit. On y aborde également la manière dont ces discours influencent le rapport au jeu de ces femmes joueuses.

Méconnaissance et perception négative

Certaines participantes disent percevoir les JHA comme une activité qui est valorisée et reconnue socialement et source de plaisir, alors que les difficultés qui lui sont associées demeurent méconnues en société.

La dépendance au jeu comparativement à toutes les autres dépendances est mal comprise et méconnue parce que les gens associent le jeu au plaisir tout simplement. (Marie-France)

Dans la société, c’est vu comme un plaisir. Ils font plein d’annonces pour les casinos que c’est trippant et que c’est le fun. Oui, c’est le fun, mais quand on est joueur compulsif, ce n’est pas le fun parce on ne peut pas se contrôler. (Linda)

Alors que certaines participantes soulignent la non-reconnaissance sociale des difficultés associées aux JHA, d’autres soulignent l’absence de compréhension à l’égard du phénomène de dépendance et de la souffrance qui lui est associée.

Les gens ne comprennent pas ce que c’est vraiment une dépendance. La majorité de la population ne comprend pas comment le jeu peut devenir une dépendance. (Marie- France)

J’ai l’impression qu’ils ne nous comprennent pas. Ils ne peuvent pas nous comprendre. Ils ne l’ont pas vécu et ils ne savent pas. […] Ils ne savent pas comment ça fonctionne un dépendant là. (Julie)

Les gens ne savent pas la souffrance qui a derrière tout ça. (Colette)

Julie raconte de son côté avoir été confrontée en milieu de travail à ce discours entourant la non- reconnaissance sociale du jeu. Elle affirme ne pas avoir pu bénéficier d’un congé payé puisque ses difficultés sur ce plan ne faisaient pas l’objet d’un motif reconnu.

Dans mon milieu de travail, j’ai une convention collective et dans la convention il parle d’arrêt de travail en cas de dépendance à l’alcool ou à la drogue. On ne mentionne jamais le mot jeu et ça va être quelque chose que je vais apporter à mon employeur. Il n’y a pas juste des gens qui boivent ou qui prennent de la drogue. Je trouve que le jeu est exclu. (Julie)

Certaines participantes mentionnent un discours différent dans l’espace social à l’égard des joueurs de façon générale, comparativement aux consommateurs d’alcool ou de drogue. Vanessa, Nadine et Caroline rapportent une perception plus négative du jeu en société contribuant ainsi à son inacceptabilité sociale.

C’est vu plus négativement le jeu que l’alcool et la drogue. Quand on te voit au bar, c’est « Tu es festif, c’est le fun ! Tu prends un verre. Tu es funny ! », mais quand tu joues, tu te caches pour aller jouer aux machines là. Par exemple, quand tu es assis au bar, c’est : « C’est le fun, viens t’asseoir. » (Vanessa)

On dirait que c’est plus facile quelqu’un qui est alcoolique ou drogué, que quelqu’un qui joue. (Nadine)

Dans mon optique, c’est plus négatif. C’est encore plus tabou que l’alcool et la drogue. (Caroline)

Des participantes attribuent cette différence dans les discours au fait que les signes et les manifestations reliés au jeu excessif seraient plus difficiles à cerner que les effets induits par la consommation d’alcool ou de drogues.

L’alcool ou la drogue, ça l’a des effets physiques. On dirait que c’est plus facile à voir ça qu’un problème de jeu. […] Tu vas peut-être avoir l’air mentalement moins là quand tu vas retourner travailler et que tu as passé deux heures à jouer et que tu as perdu 200 $, mais physiquement, tu vas avoir l’air de la même personne que d’habitude. (Vanessa) Le jeu comparativement à l’alcool ou la drogue, on ne l’a pas d’inscrit dans la face. Quelqu’un qui a pris une brosse ou qui s’est shooté à l’héroïne ça va paraître dans sa face tout de suite. Quand je sors du bar, il n’y a personne qui peut dire que je viens de jouer pendant trois heures et que j’ai perdu 300 $. (Linda)

Il semble que les discours dominants véhiculés à l’intérieur de la société dans laquelle les femmes joueuses évoluent ont influencé différentes trajectoires, dont la trajectoire de jeu des participantes dans la façon de percevoir leur problématique de jeu.

Stigmatisation du joueur

La méconnaissance du jeu en société en plus de l’image négative associée aux joueuses contribuerait en partie à la stigmatisation de ces dernières qui vivent des difficultés liées aux JHA. En effet, certaines mentionnent avoir fait l’objet d’attitudes ou de conduites stigmatisantes dans des situations ordinaires de la vie de tous les jours.

Colette rapporte le discours péjoratif associé au joueur lorsqu’elle était au téléphone avec son amie : « J’ai une tablette Apple et j’entendais dire en arrière : Est-ce qu’elle l’a pawné sa tablette ? » alors que Julie souligne l’incompréhension de ses parents « Voyons ! me semble que c’est facile arrêter. J’ai arrêté de fumer moi du jour au lendemain. » Pour Josée et Manon, la méconnaissance sociale des JHA se traduit dans leur cas par des signes d’intolérance ou des traits d’intelligence.

Quand je gratte mes billets, j’entends souvent : « Tu grattes des gratteux ? », « Qu’est- ce que ça te donne de gratter ça ? », « Tu ne dépenses pour rien », « Pourquoi tu achètes des billets ? » ou « Qu’est-ce que ça te donne d’acheter des billets ? » (Josée)

Le monde ne comprend pas. C’est : « Pourquoi tu joues ? tu es une personne intelligente » ou « Tu es intelligente, tu sais que tu ne gagneras jamais contre la machine. » (Manon)

Josée et Colette racontent de leur côté avoir été victimes d’attitudes discriminantes au moment de jouer ou d’acheter des billets de loterie dans un détaillant.

Au dépanneur, c’est choquant. Quand on veut acheter de la loterie, il y a des personnes en arrière et tu entends souvent : « [mot vulgaire] c’est bien long » ou des « Ah [soupire]. (Josée)

Les gens y disent : « Regarde, c’est une [mot vulgaire] de folle. » Ils ne peuvent pas comprendre sans t’insulter là. (Colette)

Intériorisation des discours

En réaction aux nombreux discours à l’endroit du jeu, certaines joueuses en viennent à montrer des signes d’intériorisation en se percevant elles-mêmes au centre de leurs difficultés de JHA et en s’attribuant l’entière responsabilité de celles-ci. Josée, Suzie et Vanessa expliquent leurs difficultés sur ce plan par des traits ou des caractéristiques personnelles.

Ce n’est pas tellement la faute de Loto-Québec. C’est moi qui en donne à Loto-Québec, fait que je suis la seule coupable. (Josée)

Si j’étais si forte, je serais capable d’arrêter par moi-même. Voyons donc ! me semble que c’est logique. Tu joues, mais tu n’as pas d’argent et tu n’as pas d’argent parce que tu joues. Pour moi, un plus un ça fait deux-là. Quand les conséquences sont là, tu arrêtes et c’est tout. (Suzie)

C’est sûr que c’est de ta discipline de ne pas y retourner. Si tu gagnes 1000 $ aujourd’hui et que tu y retournes demain, mais que tu perds 500 $ ça ne donne rien. (Vanessa)

Les discours au sujet du jeu imprègnent les conceptions de soi des femmes qui s’adonnent aux JHA qui viennent se juxtaposer les discours véhiculés à l’endroit spécifiquement de la femme joueuse.

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