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Chapitre 6 : Discussion

6.3 Rapport à soi et l’identité de joueuse

Considérant que l’identité des femmes est un processus qui s’actualise tout au long de leur vie et dans un contexte social donné, celles-ci évoluent et se construisent à travers les interactions avec autrui et les discours ambiants qui s’inscrivent à l’intérieur de leur contexte social. Cette section aborde comment les habitudes de JHA des joueuses affectent leur image de soi et comment ces dernières négocient leur identité de joueuse dans leur parcours de vie.

6.3.1 Genre et discours : image négative des joueuses

Le contexte social dans lequel gravitent les joueuses semble jouer un rôle important dans les pratiques de JHA de celles-ci. Il ressort des propos des joueuses de nombreux discours péjoratifs portés à leur attention, notamment concernant la place de la femme dans le domaine du JHA. En effet, certaines évoquent comment les femmes qui s’adonnent aux JHA seraient perçues encore plus négativement comparativement aux hommes. En contrepartie, la pratique masculine de JHA serait plus valorisée et acceptée socialement. Cette divergence de discours en fonction du sexe du joueur renvoie aux normes sociales entourant le rôle de la femme en société (McMillen et coll., 2004). Les femmes ayant des

habitudes de JHA illustreraient donc une image dissonante du modèle féminin traditionnel et non conforme aux attentes sociales liées à leur genre.

Comme le démontrent McMillen et ses collaborateurs (2004), les stéréotypes de genre influenceraient l’expérience de la femme avec les JHA. Les résultats de l’étude montrent d’ailleurs comment le maintien des stéréotypes de genre en société (p. ex., la femme au foyer et en charge de s’occuper des enfants) influencerait le regard porté sur les joueuses, discriminant ainsi leur expérience avec les JHA en raison de leur non-conformité aux normes sociales. Considérées déviantes, ces mères joueuses semblent avoir vécu à travers le jeu un sentiment d’échec quant à leur rôle de mère. Celles-ci se percevraient donc comme des mères inadéquates et incapables d’assumer leur rôle de mère. Ce constat fait écho aux travaux de Shull (2002) qui a démontré que les femmes ayant des habitudes de JHA problématiques sont décrites selon un ensemble de traits à l’opposé de ceux attribués normalement à une « bonne mère ».

Bien plus, certaines joueuses rencontrées semblent avoir internalisé ces discours dominants véhiculés en société et vivre conséquemment des sentiments de honte et de culpabilité par rapport à leurs habitudes de JHA. Ce constat va dans le même sens que l’étude de McMillen et ses collaborateurs (2004) qui a démontré que les stéréotypes de genre accentueraient les sentiments de honte vécus par les joueuses. Il est donc évident que le contexte socio-culturel dans lequel ces femmes évoluent influence leur expérience avec les JHA, mais contribue également à la non-acceptabilité sociale du jeu chez ces dernières.

6.3.2 Rejet de l’identité de joueuse

Il semble que l’image négative et l’incongruence entre la pratique de JHA et les attentes sociales de la femme en société auraient influencé de différentes façons le rapport de ces femmes à leur propre identité de joueuse. En effet, l’internalisation des normes sociales et des discours péjoratifs tenus à l’endroit des femmes joueuses a entraîné pour la plupart des participantes un rejet de leur identité de joueuse au sein de leur parcours de vie. Certaines femmes ont refusé catégoriquement de s’identifier en tant que joueuses considérant les caractéristiques et préjugés négatifs qui entourent les joueurs. D’autres, ont mis de l’avant des composantes de leur individualité (caractéristiques personnelles, valeurs et forces) pour se dissocier de cette image déviante. À cet effet, l’étude de Gavriel-Fried, Peled et Ajzenstadt (2015) a démontré que les femmes joueuses auraient tendance à rejeter l’identité de

joueuse par la présentation d’une identité positive et socialement acceptable aux yeux d’autrui. Par ailleurs, une participante se présentait par une identité sociale positive (p. ex., grand-mère) non menaçante pour soi et valorisée socialement. De cette façon, elle se distinguait des autres joueuses auxquelles elle ne voulait pas être identifiée, créant ainsi une distance par rapport à son identité de joueuse. Il est donc évident que l’identité de ces joueuses est fortement influencée par les normes sociales et les différents discours dominants véhiculés en société.

6.3.3 Entre discontinuité et confusion

Les propos des joueuses montrent également comment les femmes ayant des difficultés en lien avec les JHA peuvent présenter une certaine discontinuité ou une confusion sur le plan de leurs différentes dimensions identitaires. En effet, certaines joueuses évoquent comment le fait d’adopter des comportements tels que mentir, manipuler ou commettre de la fraude pour financer leurs activités de JHA ou pour rembourser leurs dettes, était contraires à leur perception d’elles-mêmes. Cette présentation de soi inauthentique semble se traduire pour certaines joueuses par une discontinuité avec elles-mêmes. Celles-ci, n’avaient plus l’impression d’être fidèles à leur vraie personne pour qui l’argent, le respect et l’honnêteté étaient des valeurs fondamentales. Les habitudes de JHA de certaines joueuses semblent conséquemment avoir influencé l’agentivité de celles-ci en agissant d’une façon qui ne s’inscrivait pas en continuité avec leurs valeurs ou avec leurs perceptions d’elles-mêmes. Il ressort également de l’expérience des joueuses comment leurs difficultés en lien avec le JHA ont entraîné une confusion au sein de leurs différentes identités. Celles-ci, évoquent avoir perdu en quelque sorte la notion de qui elles étaient et ne plus se reconnaître.

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