Exploitation sexuelle d’adolescentes et jeunes femmes
au Québec : perceptions et interventions. De
l’ambivalence des sujets aux dilemmes d’intervention.
Alexandra Ricard-Guay
School of Social Work
McGill University, Montreal
April 2015
A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the
requirements of the degree of
Ph.D. in Social Work
Table des matières
Exploitation sexuelle d’adolescentes et jeunes femmes au Québec : perceptions et
interventions. De l’ambivalence des sujets aux dilemmes d’intervention...i
Liste des tableaux ...viii
RÉSUMÉ ... ix
ABSTRACT ...x
REMERCIEMENTS ... xi
PRÉFACE...xiii
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION...1
1.1 Objectifs et problématique...1
Objectifs de la thèse...1
La problématique...2
La méthodologie et le cadre conceptuel choisi ...4
1.2 Contexte de la recherche...4
Changement de perspective : de la prostitution juvénile à l’exploitation sexuelle...6
Changements dans l’intervention et la pratique?...8
État des connaissances et contexte de la recherche...9
1.3 Arguments et contributions de la thèse ...10
1.4 Structure de la thèse...12
CHAPITRE 2 : RECENSION DES ÉCRITS ET TERMINOLOGIE ...15
Introduction...15
2.1 Terminologie et concepts clés de la thèse...15
2.1.1 Distinction entre enfant, adolescent et adulte ... 15
2.1.2 Prostitution des personnes mineures et proxénétisme... 16
2.1.3. Exploitation sexuelle des mineurs et sa dimension ‘commerciale’... 17
2.1.4. Traite aux fins d’exploitation sexuelle... 19
2.2 L’évolution du contexte politique et social au Canada et au Québec : l’exploitation
comme pièce maîtresse ...21
2.2.1 Un changement de perspective majeur : la prostitution juvénile comprise comme étant une forme intrinsèque d’exploitation et d’abus envers les enfants ... 22
a. Contexte international... 22
b. Contexte canadien : l’émergence d’une problématique sociale ... 23
2.2.2 L’émergence de l’intérêt envers les gangs de rue et leur rôle dans la prostitution juvénile ... 25
2.2.3 Résurgence de la problématique de traite de personnes : un retour vers la traite des blanches?... 27
a. À l’origine du concept de traite de personnes : la prostitution forcée de femmes et de filles «blanches»... 28
b. Conceptualisation actuelle de la traite : un retour aux sources? De la «Natasha» venue d’Europe de l’Est à la «fille d’à côté»?... 29
2.3 Contexte actuel et réponses gouvernementales ...31
2.3.1 Portrait partiel du problème de l’ESC et difficultés à recueillir des données... 32
2.3.2 Cadre légal relatif à l’exploitation sexuelle des mineurs... 34
a. Cadre légal fédéral : le Code criminel... 35
b. Cadre provincial : Loi de la Protection de la jeunesse... 37
2.3.3 Réponse à la traite de personnes ... 39
2.3.4 Contexte québécois : spécificité québécoise? ... 40
2.4 État des connaissances sur l’expérience de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales chez les jeunes...44
2.4.1 Facteurs de risque et de vulnérabilité et modes de recrutement : comprendre le parcours d’entrée dans la prostitution et l’ESC. ... 44
2.4.2 Modes de recrutement... 48
2.4.3 Expériences liées à l’ESC et les modes de coercition ... 51
2.4.4 Processus de sortie de l’ESC et séquelles... 53
2.5 Réalités d’intervention en matière d’exploitation sexuelle...55
3.1 Analyse critique des notions d’exploitation sexuelle à des fins commerciales et de
traite sexuelle : au-delà des dichotomies ...58
3.1.1 L’analyse critique de la notion de traite de personnes... 59
3.1.2 L’analyse critique de la notion d’exploitation sexuelle des mineurs... 61
3.2 Comment aborder l’expérience subjective de l’exploitation ...63
3.2.1 Approche basée sur la notion de continuum d’exploitation... 63
3.2.2. La notion d’agentivité ... 67
3.2.3 Le discours manquant : la notion d’ambivalence ... 69
3.3 Proposition de cadre conceptuel pour cette thèse...73
CHAPITRE 4...75
MÉTHODOLOGIE ET CADRE ÉPISTÉMOLOGIQUE ...75
4.1 Épistémologie et cadre théorique ...75
4.2 Description de la méthodologie: terrain de recherche...76
4.2.1 Les sources de données ... 77
4.2.2 Terrain de recherche ... 77
4.2.3 Présentation des participants... 79
Groupe de participants 1 : intervenants et prestataires de services (n=30) ... 79
Groupe de participants 2 : Adolescentes et jeunes femmes ayant vécu d’ESC... 81
4.3 Analyse des données...85
4.4 Confidentialité et protocole d’éthique...87
4.5 Considérations éthiques et défis méthodologiques...88
4.5.1 La définition des catégories de recherche et échantillonnage... 90
4.5.2 L’accès et le recrutement : populations vulnérables et personnes mineures : ... 91
4.5.3 Interprétation des données et dissémination des résultats... 93
4.6 Limites de la recherche...94
Introduction au premier article...96
CHAPITRE 5 (Article 1) ...97
Words matter ...99
Background literature on young people into sex trade and CSE ... 101
Risk and vulnerability factors...101
Tactics and modes of recruitment...102
Beyond risk factors and victimhood...103
Conceptual framework. The missing element: ambivalence ... 103
Overview of study and methodology... 105
FINDINGS... 108
1. Plural and contrasting experiences in the sex trade ...108
Plurality of pathways...108
Contrasting role: Girls’ involvement in the recruitment of others ...109
2. Pathways into CSE: how the sex trade is construed as an option...110
3. Ambivalence: a common narrative...114
a. Coping with violence and coercion ...116
b. Experiences of difference and changes in themselves...119
c. Recruiting other girls...121
Discussions and analysis of data... 122
Conclusions ... 124
INTRODUCTION À L’ARTICLE 2 ... 132
CHAPITRE 6 (ARTICLE 2): Travailler avec l’ambivalence des jeunes : obstacle ou opportunité d’intervention? ... 133
Introduction... 133
Contexte et problématique ...134
Méthodologie et approche théorique... 136
Approche théorique et conceptuelle ...136
Participants...137
Recension des écrits... 139
Contexte d’intervention au Québec...139
L’état des connaissances sur les réalités d’intervention ...141
Présentation et discussions des résultats ... 143
1. Engagement du jeune dans les services : faire face à l’ambivalence dans la création du lien...144
L’importance des mots et la perception des intervenants ...145
2. Double mandat en contexte spécifique de la Protection de la jeunesse ...151
3. Entre soutien à la dénonciation des abuseurs et la protection : Défis et dilemmes ...152
3.1 Opportunité d’intervention? ‘Défaire la bulle de Cendrillon’ ...153
3.2. Perspectives des adolescentes sur l’expérience des procédures judiciaires...154
4. Les filles victimes et recruteuses : double rôle. Quand s’arrête la protection?...156
5. De l’ambivalence au désengagement de l’ESC...159
Conclusions ... 161
INTRODUCTION DE L’ARTICLE 3... 169
Chapitre 7 : ... 170
Article 3 : L’approche de collaboration mise en pratique : expériences québécoises en contexte de Protection de la jeunesse... 170
Introduction... 170
Exploitation sexuelle au Québec... 172
De quoi parle-t-on? ...172
Définition de l’ESC...173
La collaboration intersectorielle au Québec ... 174
Définition et concept : Que signifie l’action intersectorielle ?... 175
Méthodologie et présentation des participants ... 176
Résultats et analyse... 177
1. État des lieux : Les mécanismes et structures de collaboration existants ...177
2. L’expérience terrain de la collaboration : propos d’intervenants ...181
2.1 Les intervenants ressource en exploitation sexuelle en Centre Jeunesse : premier jalon de collaboration ...181
2.3 Alliances avec les ressources communautaires : le maillon faible de l’approche
intersectorielle en Centre jeunesse...193
3. Écueils et conditions gagnantes à la collaboration intersectorielle...196
4. Le point de vue des jeunes...198
Conclusions ... 199
CHAPITRE 8 : DISCUSSION ET CONCLUSIONS ... 204
8.1 Faits saillants des résultats et arguments de cette thèse... 205
8.1.1. L’introduction de la traite dans les discussions entourant l’ESC : opportunités et écueils dans le contexte actuel ...205
8.1.2 Quand les propos des adolescentes défient le langage utilisé ...210
8.1.3 Contributions de l’analyse de l’ambivalence : des expériences et perceptions des jeunes aux dilemmes d’intervention ...212
8.1.4 Dilemmes d’intervention et implications pour la pratique ...214
a. Recrutement d’adolescentes dans les centres jeunesse : des loups dans la bergerie...214
b. Soutien à la dénonciation des abuseurs lorsque les victimes sont des mineurs ...215
8.1.5. La collaboration intersectorielle...216
8.2 Implications dans les pratiques et recommandations... 218
8.3 Pistes pour recherches futures ... 223
La dimension manquante : les garçons et les rapports de genre...224
Explorer les questions d’ESC sans proxénète ...224
Développement de ressources spécifiques et dédiées à l’ESC ...224
Le rôle de la Protection de la jeunesse : au-‐delà de l’abus intrafamilial et des problèmes de comportements...225
8.4 Réflexions sur le processus et la réalisation de la recherche... 226
ANNEXE 1 ... 228
Résumé des infractions introduites dans les années 1980 au Canada concernant l’exploitation sexuelle des mineurs... 228
RÉFÉRENCES ... 230
Liste des tableaux
Tableau 1 : Nombre de participants par organisme participant à l’étude p. 79
Tableau 2: Profil sociodémographique des jeunes participantes p. 84
Tableau 3: Liens avec les Centres de Protection de la Jeunesse p. 84
RÉSUMÉ
Cette thèse de doctorat aborde la problématique de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales (ESC) des adolescentes et jeunes femmes au Québec (région métropolitaine de Montréal et Longueuil) et examine le regard croisé entre adolescentes et jeunes femmes et intervenants sur leurs perceptions quant au vécu d’ESC, d’une part, et de l’expérience des services du soutien pour ces jeunes, d’autre part. Trois objectifs étaient visés par cette recherche : 1) explorer le parcours des adolescentes et jeunes femmes (entre 16 et 25 ans) ayant vécu l’ESC et leur expérience subjective afin de mieux comprendre comment les jeunes conçoivent, perçoivent et comprennent leurs expériences et vécu, et 2) documenter les expériences et perceptions des intervenants issus principalement du secteur de la Protection de la jeunesse, mais également des secteurs communautaire et policier, quant à leur expérience de travail auprès de ces jeunes, 3) documenter les pratiques actuelles visant une approche de collaboration intersectorielle, et leurs implications dans le travail des intervenants. Sous-jacent et reliant ces trois objectifs, les propos des participants sont mis en dialogue avec le contexte politico-social actuel. En effet, loin d’être nouvelle, cette problématique fait l’objet d’un regain d’intérêt au Québec et au Canada, alors que s’effectue un rapprochement de plus en plus fréquent entre cette problématique et la traite sexuelle. C’est donc dans ce nouveau contexte que s’insère cette recherche. Cette recherche de nature qualitative et exploratoire s’inscrit dans une approche de théorie ancrée et s’appuie sur les résultats d’entrevues avec des adolescentes (n=8) et des intervenants de différents secteurs (n=30).
Cette recherche a permis de combler quelques-unes des lacunes identifiées dans le corpus de connaissances existant : notamment, l’absence de la parole donnée aux jeunes, le peu de recherches sur les réalités d’intervention et le point de vue des jeunes quant à leurs expériences des services, de même que l’absence de lecture critique du contexte actuel et émergent dans lequel s’inscrit la préoccupation envers l’ESC. De plus, cette thèse explore quelques-uns des thèmes ressortis des propos des participants et qui ont encore peu été étudiés. D’abord, l’ambivalence des jeunes quant à leur expérience d’ESC sera examinée, alors qu’elles vivent souvent des émotions contradictoires, ainsi que l’ambivalence dans l’intervention afin de favoriser le désengagement du milieu d’ESC. Ensuite, les enjeux liés à l’intervention que sont le soutien des adolescentes à dénoncer leur abuseur (recruteur ou proxénète) et le phénomène du recrutement au féminin, soit lorsque des adolescentes ont le double rôle de victimes d’ESC et recruteuse d’autres adolescentes.
ABSTRACT
This thesis addresses the problem of commercial sexual exploitation (ESC) of adolescent girls and young women in Quebec (greater region of Montreal, including Longueuil) and examines and contrasts the perspectives of both adolescents and practitioners about the experiences of ESC, on the one hand, and about the youth’s experience of the services, on the other hand. Three objectives were covered by this research: 1) to explore the trajectory and lived experiences of adolescent girls and young women (between 16 and 25 years) who lived ESC in order to better understand how young people conceive, perceive and understand these experiences of ESC 2) to document the experiences and perceptions of practitioners, mainly from the Youth Protection sector, but also the community and police sectors about their experience working with these young people, and 3) to document current practices with regard to intersectoral collaboration, and its implications for the work of practitioners. Underlying and linking these three objectives, the participants’ narratives are put into dialogue with the current socio-political context. Indeed, the current research takes place in a context of resurgence of interest for the issue of ESC, which is strongly linked with an increased association with sexual trafficking issue.
This research is qualitative and exploratory, based on a grounded theory approach, an which draws on in-depth interviews with adolescents (n = 8) and practitioners from different sectors (n = 30). This research has contributed to filling some of the gaps identified in the existing body of knowledge: in particular the absence of the voices of the young people, the lack of research on the challenges and realities of social intervention with those youth, as well as the perspectives of the young people on these services/practices, and finally this study brings a new stance with regard to the absence of a critical reading of current and emerging concern for CSE – which is reformulated in close relation to sex trafficking. In addition, this thesis explores certain themes that emerged from participants’ narratives and which are still under-studied. First, the concept of ambivalence will be central in our analysis, in order to explore the youth’ ambivalence about their CSE experience – given that they often experience conflicting emotions - as well as the inclusion of ambivalence in the intervention in order to foster youth’s disengagement from CSE. Then, the issue of providing support for reporting and laying accusation against the adolescents’ abuser (recruiter or pimp), and the phenomenon of adolescent females who recruit other minors into CSE. The dilemmas of interventions are raised and discussed in relation to these themes.
REMERCIEMENTS
La réalisation de cette thèse n’aurait jamais été possible sans la collaboration étroite des organismes et intervenants ayant facilité la collaboration et la rencontre avec des adolescentes et jeunes femmes. Je tiens à remercier tout spécialement les trois centres jeunes ayant collaboré étroitement au projet : soit le Centre jeunesse de la Montérégie, le Centre Jeunesse de Montréal – Institut universitaire et le Centre de la jeunesse et de la famille Batshaw. Merci à Pascale Philibert et Carole Demers du Programme Mobilis, Lyne Dion du Centre Batshaw et Martin Pelletier du Centre jeunesse de Montréal pour leur énorme soutien. De plus, tout au long de la réalisation de mon terrain de recherche, j’ai assumé également les fonctions de coordonnatrice de la Coalition québécoise contre la traite de personnes, chapeauté par le CATHII. Dans ce contexte, j’ai eu le privilège de côtoyer des intervenants et acteurs de divers secteurs passionnés et engagés. Ce fut un environnement d’échanges très riche, qui m’a grandement appris sur les pratiques et les défis rencontrés dans l’intervention. Je tiens à remercier chacune des personnes participant à cette coalition et qui, grâce à leur esprit de collaboration et le dévouement à faire changer les mentalités et à améliorer les ressources d’aide et de protection, tout autant qu’en prévention, font avancer la lutte contre la traite de personnes, dont les adolescentes et jeunes adultes sont les principales victimes.
Surtout, j’aimerais remercier les adolescentes et jeunes femmes qui ont accepté de partager leurs histoires. Merci de m’avoir fait confiance. Ces jeunes femmes m’ont offert le plus grand enseignement qu’il soit; bien au-devant de l’académie et l’université, l’enseignement des expériences de vie, et la résilience et la force avec laquelle elles construisent chacune leur avenir. Non seulement sans vous cette recherche n’aurait pas pu se réaliser, mais votre participation constitue en soi une des principales contributions de cette thèse. J’espère avoir rendu avec respect et transparence vos propos et vécus. Par votre participation, vous avez joué un rôle central dans cette recherche.
Mes prochains remerciements vont à mes directrices de thèse, Jill Hanley et Myriam Denov, ainsi qu’à Cécile Rousseau, membre de mon comité, qui ont su m’appuyer, croire en mon projet, et me pousser toujours un peu plus loin. Merci pour vos conseils et votre constante disponibilité. Merci Jill Hanley, professeure à l’École de service social de McGill, de m’avoir accompagnée non seulement dans la réalisation de ma recherche de thèse, mais également dans nos autres projets conjoints de recherche sur l’enjeu de la traite des personnes. Merci d’avoir été une source d’inspiration tant au plan de mes projets académiques que communautaires. Merci pour les échanges et discussions qui ont nourri mes réflexions et ma compréhension des multiples facettes entourant l’enjeu de la traite. Merci, enfin, pour tes lectures minutieuses de ma thèse et tes commentaires et questions toujours justes.
Merci Myriam Denov, professeure à l’École de service social de McGill, pour tes précieux conseils qui m’ont poussé à aller davantage plus en profondeur dans mon analyse. Merci pour nos échanges sur les difficultés en tant que chercheure d’analyser les propos et les récits d’expériences douloureuses, et ce dans un profond respect et un souci d’inclure le point de vue
des jeunes au cœur de la recherche. J’ai grandement appris et bénéficié de ton expertise et ton approche en recherche qualitative auprès d’adolescents et adolescentes ayant vécu des violences. Cécile Rousseau, un grand merci pour la constance de ta disponibilité, et les échanges fréquents tout au long de la réalisation de mon terrain. Nos discussions sur les questions éthiques et les difficultés de réaliser des terrains de recherche, sur les liens entre le politique et l’intervention sociale ont grandement alimenté mes réflexions et ma lecture critique.
J’ai été choyée de pouvoir compter sur un tel comité constitué de femmes inspirantes.
Je voudrais également remercier ma famille et mes amis, surtout mon père, Jérôme Guay, qui a été très présent pour moi et m’a offert beaucoup de conseils et commentaires qui ont été très utiles dans la rédaction de ma thèse. Nous avons eu des échanges passionnants sur l’intervention sociale, et nos partages d’expériences m’ont grandement apporté. Merci d’avoir été là, et de m’avoir soutenue. Merci aux amis et à ma sœur pour m’avoir soutenu pendant toutes ces années où j’ai beaucoup sacrifié le temps passé avec vous.
Je ne pourrais compléter ces remerciements sans souligner l’appui de Anna Triandafyllidou, professeure à l’Institut Universitaire Européen, où j’ai la chance de travailler actuellement sur un projet européen concernant la traite de personnes. Merci Anna pour ton soutien dans ces derniers mois où j’ai complété la rédaction de ma thèse parmi ma nouvelle équipe de travail.
Enfin, je remercie les organismes suivants pour leur soutien financier : la Bourse d’études supérieures du Canada Vanier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (2010-2013), ainsi que l’École de service social de l’Université McGill grâce à la bourse Principal’s Graduate Fellowship. Cet appui financier constitue un soutien inestimable pour la réalisation d’une recherche doctorale. Ce fut un privilège et un honneur, et j’ai eu à l’esprit tout au long de mon doctorat (de même que pour les quelques années à venir) un grand souci pour la dissémination des résultats. En d’autres mots de m’assurer des retombées de la recherche dans la communauté et collectivité.
PRÉFACE
Cette thèse s’articule autour de trois articles qui seront soumis à des journaux scientifiques, chacun des articles aborde une des questions et objectifs de cette recherche. La candidate au doctorat, Alexandra Ricard-Guay, sera l’unique auteure des trois articles.
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
Là, le monde s'intéresse à la cause du trafic humain. L’image qu’on a c’est qu’elles sont séquestrées puis enlevées. C'est pas ça la traite. Mais […] parce que si on dit traite, au moins, les gens réalisent puis ils veulent s'intéresser. Mais j'espère qu'on ne perdra pas le momentum quand on va expliquer que, oui, elle a commencé volontaire, mais ça finit avec la traite. (Entrevue 7, CJ3)
Cette thèse de doctorat aborde la problématique de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales (ESC) des adolescentes et jeunes femmes au Québec et examine le regard croisé entre intervenants et jeunes sur leurs expériences et perceptions quant au vécu d’ESC, d’une part, et de l’expérience des services du soutien pour ces jeunes1, d’autre part. Ce premier chapitre introduit les objectifs de la thèse, de même que le contexte dans lequel s’inscrit la problématique de recherche. Enfin, la structure de la thèse sera présentée.
1.1 Objectifs et problématique
Objectifs de la thèse
Cette recherche vise à contribuer au développement de connaissances sur la problématique d’ESC au Québec. Trois objectifs étaient visés par cette recherche : 1) explorer le parcours des adolescentes et jeunes femmes (entre 16 et 25 ans) ayant vécu l’ESC et leur expérience subjective afin de mieux comprendre comment les jeunes conçoivent, perçoivent et comprennent leurs expériences et vécu, et 2) documenter les expériences et perceptions des intervenants issus principalement du secteur de la Protection de la jeunesse (PJ), mais également des secteurs communautaire et policier, quant à leur expérience de travail auprès de ces jeunes, 3) documenter les pratiques actuelles visant une approche de collaboration intersectorielle, et leurs implications dans le travail des intervenants. Ces trois objectifs impliquent une analyse à trois niveaux : le vécu expérientiel des jeunes, l’intervention ainsi que l’approche de collaboration intersectorielle dans l’intervention entourant cet enjeu. Cette approche collaborative émerge comme étant un axe important des réponses déployées pour faire face à l’ESC et sera examinée à travers une expérience locale, soit l’expérience de trois Centres jeunesse dans la grande région de Montréal.
1 Ici le terme jeune est utilisé par souci de concision afin de se référer à la population ciblée par cette recherche, soit
Cette recherche est de nature qualitative et exploratoire et s’appuie sur les résultats d’entrevues avec deux groupes de participants déjà mentionnés : 1) les adolescentes et jeunes femmes ayant vécu une forme d’ESC2, 2) les intervenants travaillant auprès d’elle.
Sous-jacent et reliant ces trois objectifs, les propos des participants sont mis en dialogue avec le contexte politico-social actuel et la façon dont la problématique est abordée, comprise et construite socialement – tant dans les politiques sociales, les programmes que la couverture publique et médiatique. Enfin, une retombée attendue est qu’à travers l’analyse des regards croisés des jeunes et des intervenants, cette recherche ait des implications dans les pratiques et interventions sociales sur cet enjeu, notamment dans le domaine du service social.
La problématique
Cette recherche s’inscrit dans un contexte de résurgence d’intérêt pour cette problématique et de sa reformulation en termes ‘d’exploitation’ plutôt que prostitution juvénile, de même que des rapprochements avec le phénomène de la traite de personnes. Un contexte également de mobilisation des efforts et de mise sur pied de nouvelles initiatives. Comme souligné dans l’extrait d’entrevue, l’introduction de la traite dans les discussions et les représentations entourant la ‘prostitution juvénile’ facilite une plus grande préoccupation et mobilisation envers cet enjeu – au risque toutefois que cette mobilisation autour de victimes ‘légitimes’, puisque forcées et contraintes, aie un effet de démobilisation lorsque les jeunes femmes et adolescentes ne correspondent pas à cette image.
La notion centrale de cette recherche est celle d’exploitation sexuelle à des fins commerciales dont la conceptualisation fait l’objet de discussions. Cette notion se distingue de l’abus sexuel, ou l’exploitation sexuelle, dans la mesure où sa dimension ‘commerciale’ se réfère au fait qu’il y a échange d’actes sexuels pour un bénéfice (financier, matériel ou non matériel), ce qui recoupe généralement toutes les activités liées à l’industrie du sexe (p. ex. prostitution, pornographie) (OIT, 2008). Cette recherche explore également les liens entre l’ESC et la traite sexuelle, ainsi il est important de clarifier ce qui distingue ces deux notions. Sur la base du Code criminel
2 Par souci de concision, au lieu d’utiliser les termes ‘adolescentes et jeunes femmes’, le terme ‘jeunes’ ou
‘adolescentes’ seront privilégiés. Mais il est à noter que deux des participantes avaient plus de 18 ans au moment de l’entrevue.
canadien, les éléments distinctifs de la traite sont liés à la sévérité de l’élément de contrôle, violence, ou coercition exercés contre la victime qui amène la victime à avoir une crainte raisonnable qu’un refus de sa part à fournir le service ou travail demandé mettrait en danger sa sécurité ou celle d’un proche (Code criminel, art. 279.01).
Aux fins de cette recherche, l’expérience d’ESC est définie dans un sens large, c’est-à-dire que l’expérience peut avoir été un seul épisode ou peut s’être échelonnée sur plusieurs mois, et il peut s’agir de prostitution impliquant un proxénète ou non. De plus, l’ESC est envisagée comme s’inscrivant dans un continuum au sein duquel les distinctions entre les différentes formes d’exploitation sexuelle ou de violences sexuelles ne sont pas toujours clairement vécues par les jeunes dans la réalité. Cette recherche s’intéresse à l’expérience vécue pendant l’adolescence. La majorité des participantes avaient 16 et 17 ans au moment de l’entrevue, seulement deux participants avaient plus de 18 ans.
Cette recherche vient combler quelques-unes des lacunes identifiées dans le corpus de connaissances existant : notamment l’absence de la parole donnée aux jeunes, le peu de recherches sur les réalités d’intervention et le point de vue des jeunes quant à leurs expériences des services, de même que l’absence de lecture critique du contexte actuel et émergent dans lequel s’inscrit la préoccupation envers l’ESC. Bien que l’importance d’accorder place aux jeunes dans la recherche soit reconnue, encore peu de recherche l’ont fait, notamment lorsqu’il s’agit de leur donner voix au chapitre quant aux programmes et interventions leur étant destinés (Gilligan, 2015; Pearce, 2009; Warrington, 2013).
De plus, les connaissances sur la problématique sont à la fois fragmentées et concentrées entre différents parcours types de l’ESC : principalement les jeunes de la rue (avec un accent mis sur la dépendance aux drogues et le contexte de fugue) et les liens avec les gangs de rue, et plus récemment la traite sexuelle. En d’autres mots dans la littérature, l’accent a été mis sur certaines dimensions ou parcours particuliers. La problématique de l’ESC est rarement abordée à partir des perceptions et compréhensions des jeunes elles-mêmes plutôt qu’en prenant pour point de départ des catégories de recherche et parcours préidentifiés. De surcroît, la perspective privilégiée dans les recherches réalisées s’est beaucoup concentrée sur les facteurs de risques et de vulnérabilité
contribuant à l’engagement des jeunes dans des activités liées à l’ESC. Ces connaissances sont cruciales, mais ce corpus doit être complété par l’inclusion de la perspective des jeunes, leurs forces, résiliences et capacités à prendre des décisions – même lorsque celles-ci sont jugées comme étant des comportements à risque.
La méthodologie et le cadre conceptuel choisi
Cette recherche s’appuie sur une approche de théorie ancrée, afin de laisser une place centrale aux propos des participants, et d’analyser le contenu des entrevues dans une perspective inductive. De plus, en concordance avec les bases épistémologiques de cette approche qui favorise l’analyse des données sans hypothèses ou variables fixes préétablies, nous avons opté pour un cadre conceptuel basé sur une notion qui a émergé de l’analyse des résultats : celle de l’ambivalence. Un cadre conceptuel basé sur l’ambivalence permet de dépasser une vision binaire ou dichotomique, de dépasser la catégorisation des comportements des jeunes (p. ex. à risque, délinquant) afin d’explorer le continuum et la complexité avec laquelle les jeunes définissent et comprennent leur expérience (Muehlenhard & Peterson, 2005; Peterson & Muehlenhard, 2007). La perception de leur vécu n’est pas fixe, mais évolue dans le temps et sera influencée par une multiplicité de facteurs et d’interactions sociales (Connidis, 2015; Kelly, 1988; Weiss, 2013). L’ambivalence est un concept qui facilite et invite à l’analyse à multiples niveaux (Connidis, 2015), et la prise en compte du contexte (Smelser, 1998). Le concept d’ambivalence est également pertinent afin d’examiner les réalités d’intervention, puisque la relation d’aide peut influencer et agir sur cette ambivalence (Weingardt, 2000). De même, comme il sera discuté dans le chapitre 6, l’ambivalence n’est pas exclusive à la perception des jeunes sur leur vécu. Certaines contradictions – messages contradictoires - et certains dilemmes qui surgissent dans l’intervention peuvent venir renforcer cette ambivalence.
1.2 Contexte de la recherche
[L]a problématique qu’on vit aujourd’hui avec les jeunes dans la prostitution, elle n’est pas nouvelle. Elle est là depuis toujours. Ça n’a pas changé. C’est la conscientisation qui commence à avancer. Avec la traite de personne, d’associer tout ça ensemble, ça a ouvert la porte à une conscience collective. Ça a éveillé la société. Ça a touché l’imaginaire des gens. Ça a fait évoluer notre conscience. (Entrevue 24, Policier, Enquêteur)
La problématique de l’ESC des mineurs est loin d’être nouvelle. Cet enjeu devient une préoccupation sociale d’importance dans les années 1980, au Canada, comme à l’international. Depuis, l’enjeu a fait l’objet de différentes vagues d’intérêt dans le débat public et politique, souvent accompagnées d’une couverture médiatique. Pensons par exemple, il y a plus de dix ans déjà, au démantèlement d’un réseau de prostitution juvénile dans la ville de Québec ayant résulté de l’opération Scorpion en 2002. Cette enquête policière avait alors ébranlé la communauté en dévoilant un réseau orchestré par un gang de rue – Wolf Pack – et l’implication d’hommes publics accusés d’avoir été des clients de ce réseau. Jusqu’alors invisible, sous silence, ignorée; la mise au jour de la prostitution juvénile dans la capitale a soulevé l’indignation et le procès sera fortement médiatisé. Dans les suites de cet événement, des recherches seront réalisées et le rôle des gangs de rue dans la prostitution y sera examiné (Dorais, 2006; Corriveau & Dorais, 2010; Cousineau, Fournier, & Hamel, 2006; Dorais, 2006; Fleury, 2004; Fournier, Cousineau, & Hamel, 2004; Fredette, 2010). On constate alors un manque d’outils et de connaissances pour intervenir auprès des jeunes dans la prostitution (Quinty, 2013). Un guide d’intervention en Centre Jeunesse sera même développé, le Silence de Cendrillon (Fleury & Fredette, 2002). Une table régionale sur la prostitution juvénile sera mise sur pied en 2007 dans la capitale du Québec – afin de renforcer le partenariat des divers acteurs impliqués (Quinty, 2013).
Plus récemment, au courant des cinq dernières années, l’enjeu a de nouveau fait surface, notamment dans la grande région Montréal. La couverture médiatique des dernières années est marquée par des situations de démantèlement de réseaux, d’arrestations et de procès pour proxénétisme ou traite pour traite de personnes au Québec (Desjardins, 2013a, 2013b, 2013c, 2013d; Ebacher, 2012, 2014; Hachey, 2013a, 2013b, 2013c, 2013d, 2013e; Nicoud, 2013). Notons également la présence dans les médias des représentants de nouvelles initiatives (pensons ici au Projet Les Survivantes et au projet Mobilis) (Montpetit, 2012; Nicoud, 2013), de même que la parution de livres autobiographiques de jeunes femmes s’étant sorties du milieu de l’ESC (Bélice, 2014; Carpentier, 2013; Corbeil, Mensales, & Veillette, 2015; Montpetit, 2014). En somme, il y a une plus grande visibilité accordée à cet enjeu.
La ré-émergence de cette problématique est cette fois caractérisée par le fait d’appréhender cet enjeu en termes d’exploitation sexuelle plutôt que ‘prostitution juvénile’ ainsi que ses
rapprochements avec la traite de personnes. La traite sexuelle, à l’origine conçue comme étant de nature internationale est désormais de plus en plus envisagée comme étant un enjeu ‘local’ qui affecte les jeunes filles d’ici. En effet, au Canada, il y a dix ans, la traite de personnes était perçue comme impliquant avant tout des femmes migrantes exploitées dans la prostitution – et majoritairement des femmes venues de pays de l’Europe de l’Est. Désormais, la traite sexuelle au Canada, et au Québec est davantage associée à l’exploitation dans la prostitution de la ‘fille d’à côté’ (Ricci & Kurtzman, 2013).
Comme mentionné par l’intervenant dans l’extrait d’entrevue, l’association entre traite sexuelle et exploitation sexuelle des mineurs dans la prostitution a été un vecteur de la mobilisation entourant l’enjeu d’ESC, et a contribué à éveiller les consciences sur la gravité de cette problématique. Ceci permet de briser le silence et l’invisibilité entourant l’enjeu et la violence vécue par les adolescentes et jeunes femmes se trouvant dans ce type de situations, et permet de reconnaître l’importance de tenir responsables ceux qui exploitent et de protéger les victimes.
C’est dans ce contexte de résurgence d’intérêt – au Québec, au Canada, de même qu’à l’international – que s’inscrit cette recherche.
Changement de perspective : de la prostitution juvénile à l’exploitation sexuelle. Dès les années 1980 s’amorce un changement de perspective quant à la façon d’aborder la problématique des jeunes dans la prostitution, au Canada (Bittle, 2001) comme à l’échelle internationale. On note alors la convergence de deux préoccupations : les violences sexuelles envers les enfants d’une part et la prostitution d’autre part. À la suite de deux rapports Badgley (1984) et Fraser (1985)3 commandés par le gouvernement canadien, plusieurs recommandations seront formulées et s’en suivront certains changements législatifs – dont la création et introduction de l’infraction criminelle d’exploitation sexuelle dans le Code criminel canadien. Parallèlement, un changement d’approche s’opère, les termes ‘prostitution juvénile’ sont progressivement remplacés au profit plutôt d’exploitation sexuelle des mineurs. Ceci reflète un
3 Le Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes (Comité Badgley, 1984) et le Comité
changement dans la façon de comprendre et d’appréhender la prostitution juvénile qui est dès lors comprise comme étant intrinsèquement une forme d’abus sexuel et un crime dont il faut protéger les mineurs (Bittle, 2001; Standing Senate Committee on Human Rights, 2011).
Ce changement d’approche constitue une avancée importante dans la reconnaissance et la défense des droits des enfants, qu’il faut saluer et poursuivre. Ceci a permis de dépasser une approche qui incrimine les jeunes et qui comprend la prostitution juvénile comme faisant partie du spectre de la délinquance vers une approche qui reconnaît les facteurs de vulnérabilité menant à la prostitution, les violences vécues et les impacts négatifs sur la santé et le bien-être des jeunes. Toutefois, certains auteurs, tout en reconnaissant l’importance de mieux comprendre cette dimension et ne niant pas les violences subies, appellent à la prudence. Cette approche qui place le ou la jeune comme étant avant tout, et seulement, victime, porte le risque de voiler la pluralité des parcours et expériences, en plus de nier ou limiter grandement la prise en compte du sens que donnent les jeunes à leur expérience, qui s’exprime parfois en termes d’indépendance, plutôt qu’en des termes de victimisation. De plus, ce type d’approche pose le risque de considérer cette problématique comme un épiphénomène, abordant les symptômes (i.e. facteurs de vulnérabilité) ou les tactiques des agresseurs ; laissant de côté la prise en compte de facteurs structurels tels que la précarité économique (Bittle, 2002a; Brock, 1998; Greene, Ennett, & Ringwalt, 1999; Maggie O’Neill, 2001). Il s’agit de ne pas décontextualiser les conditions d’entrée, c’est-à-dire ne pas omettre de considérer les conditions et contextes qui peuvent influencer les parcours d’entrée.
Lorsque s’ajoute à cette vision la nouvelle composante ou référence à la traite sexuelle dans le discours politique et médiatique, cette vision est susceptible d’offrir une représentation simplifiée (Pearce, 2009). Ce type d’image forte soulève l’indignation et suscite des réponses émotives (Pearce, 2009). Si la représentation axée sur la traite a permis «d’éveiller» les consciences ou d’attirer l’attention sur la prostitution juvénile – et, de ce fait, peut contribuer à l’avancée pour la promotion et la défense des droits des enfants - il en résulte néanmoins une compréhension parfois incomplète et peu nuancée quant à la multiplicité des parcours menant à l’exploitation sexuelle. Comme le souligne cette auteure britannique, se questionner sur les liens entre ESC et traite de personnes ne signifie pas remettre en question l’existence des abus commis contre les
jeunes, ni de nier l’existence de la traite; mais plutôt vise à soulever la question centrale à savoir comment les jeunes comprennent leurs expériences et à savoir si ce changement d’approche peut nuire à la compréhension de leurs besoins :
[this is not to]challenge the view that the Young person is a victim of abuse […] but rather to ask how the Young person themselves might understand the processes involved. It is important to raise these questiosn as I have a concern that the needs of trafficked Young people might be miscronstrued in discourses of ‘slavery’. (Pearce, 2009 : 46)
Ainsi, l’introduction de la traite dans le langage et la façon de comprendre l’ESC renouvelle la visibilité, et participe à ce même changement de paradigme qui reconnaît l’implication des mineurs dans la prostitution comme étant une forme d’exploitation. Ceci peut être synonyme d’opportunités, mais aussi d’écueils, donc peut résulter sur un effet à double tranchant. D’une part, comme nous le verrons dans l’analyse de nos résultats, la traite mobilise et pousse à donner visibilité à des formes de violences – tout particulièrement de la part de proxénètes qui sont aussi l’amoureux de la jeune femme – afin de cesser l’actuelle banalisation de cette violence. Il y a un changement de mentalité qui s’opère, ce type de violence devient collectivement inacceptable. L’autre effet, non souhaité et souhaitable, est que l’accent mis sur ce type de parcours mette de côté les adolescentes qui ne sont pas sous l’emprise d’un proxénète ou d’un trafiquant. Ou encore, comme il sera abordé dans cette thèse, ce type d’approche peut ne pas être adapté afin de prendre en compte les situations où des adolescentes sont elles-mêmes les recruteuses, ou implique du recrutement par les pairs (l’agresseur n’est pas toujours un adulte) (Melrose 2013a).
Dans ce contexte, il devient important d’étudier les différentes facettes et les enjeux particuliers des réalités d’exploitation sexuelle vécues par les jeunes afin que les interventions sociales puissent prendre en compte et répondre à ces différentes réalités.
Changements dans l’intervention et la pratique?
Au Canada, et au Québec, dans la foulée de ce regain d’intérêt pour la problématique, nous assistons à une plus forte mobilisation d’acteurs de différents secteurs – communautaire et non gouvernemental, institutionnel et gouvernemental – dans la lutte contre l’ESC des mineurs et la traite de personnes. Il en résulte une multiplication d’initiatives à travers le pays, tant au niveau local, régional que national, gouvernementale ou communautaire. Or, malgré cette mobilisation
d’efforts, encore peu de ressources sont spécifiques aux personnes se sortant de situation de traite sexuelle ou d’ESC (Ricard-Guay & Hanley, 2015).
Les intervenants font toujours face à de nombreuses difficultés dans leur travail auprès de cette population. Très peu d’études au Québec et au Canada se sont penchées sur les réalités d’intervention et l’expérience des services des jeunes ayant vécu l’exploitation sexuelle – que ce soit en contexte de PJ ou en contexte volontaire dans le secteur communautaire. De plus, très peu d’études donnent parole aux adolescentes ayant un vécu dans la prostitution afin de mieux comprendre leurs perceptions sur leur vécu, et leurs expériences de services. La présente recherche vise à contribuer à ces deux égards.
État des connaissances et contexte de la recherche
La problématique de l’ESC se situe au carrefour entre plusieurs enjeux: les agressions sexuelles, l’affiliation aux gangs de rue, les jeunes de la rue et la toxicomanie, la criminalité, le milieu de la prostitution (adulte et adolescents), la violence conjugale (puisque plusieurs jeunes femmes et adolescentes sont aux prises avec une relation ‘amoureuse’ avec leur proxénète qui partage plusieurs similarités avec les expériences de violence conjugale). Dans la littérature existante, on privilégie souvent un angle d’approche (soit la prostitution de rue, la prostitution en contexte de gangs de rue, les liens avec la toxicomanie, etc.)
Au Québec et au Canada, on distingue deux corpus principaux de recherches et de littérature : i) les études qui s’intéressent à la prostitution juvénile en contexte de rue (Damant et al., 2006; Edinburgh & Saewyc, 2009; Provencher, Côté, Blais, & Manseau, 2013; Seshia, 2005; Tyler & Johnson, 2006; Webber, 1991; Weber, Boivin, Blais, Haley, & Roy, 2004; Williamson & Folaron, 2003), ii) les études sur la prostitution en contexte de gangs de rue (Corriveau & Dorais, 2010; Dorais, 2006, 2006; Fleury & Fredette, 2002; Hamel, Cousineau, & Desmarais, 2003; Hamel, Cousineau, & Vézina, 2008). La littérature sur ces deux contextes de prostitution a documenté les facteurs d’entrée ou la prévalence de certains précurseurs de la prostitution, ainsi que des éléments communs de vulnérabilité (telle que l’instabilité familiale, les abus sexuels et/ou la maltraitance dans l’enfance, la dépendance aux drogues, le manque d’estime de soi, etc.).
En ce qui concerne la prostitution en contexte de rue, les besoins matériels immédiats, de survie et de protection liés à la précarité d’être en contexte de rue peuvent mener les jeunes vers la prostitution – et les motifs poussant à fuguer et aller dans la rue peuvent s’y imbriquer (Cimino, 2012; Cobbina & Oselin, 2011; Gaetz & O’Grady, 2002; Melrose & Brodie, 1999; Provencher et al., 2013). En situation de gangs de rue, les facteurs de séduction, de désir de plaire et besoin de reconnaissance sociale jouent souvent un rôle important, auxquels s’ajoutent la coercition et la violence lorsque le recrutement des adolescentes s’exerce sur la base de la violence, l’intimidation et la peur (Cousineau et al., 2006; Dorais, 2006; Fleury & Fredette, 2002; Fournier, 2003; Fournier et al., 2004). En effet, les recherches sur l’ESC en contexte de gangs de rue a permis de documenter le processus de ‘grooming’ et de séduction par lequel un proxénète membre d’un gang de rue manipule et incite par le leurre et une fausse relation amoureuse une adolescente à se prostituer pour son propre profit. Ce type de tactique de recrutement a été étudié dans d’autres contextes également, notamment en situation de traite sexuelle. Certains auteurs affirment même que le processus de grooming est devenu le principal modèle explicatif d’engagement des adolescents dans des situations d’ESC (Melrose, 2013a; Melrose & Pearce, 2013). Or, ce parcours ne constitue qu’un parcours parmi d’autres.
Pour cette recherche, nous nous baserons sur ces corpus de connaissances, tout en visant à compléter les facteurs d’entrée déjà documentés, à partir des propos des jeunes.
1.3 Arguments et contributions de la thèse
En dépit du grand intérêt, passé et actuel, sur la problématique, encore trop peu d’études laissent la place aux jeunes et explorent leurs façons de comprendre et définir leurs expériences d’ESC. Cette recherche s’inscrit en complémentarité avec le corpus de connaissances déjà existant (i.e. facteurs de risque et de vulnérabilité) et explore davantage la façon avec laquelle les jeunes vivent et comprennent leur expérience d’ESC – ce qui inclut leur sentiment de contrôle, d’indépendance et leurs stratégies de protection. De plus, cette recherche met en évidence la pluralité et la complexité de leurs expériences. Dans cette même perspective, les propos des jeunes défient et contrastent avec le langage utilisé axé sur l’exploitation et leur victimisation.
De plus, cette thèse offre une lecture critique du discours ambiant et soulève les préoccupations liées au fait d’introduire la notion de traite sexuelle dans la façon de se représenter l’ESC. À notre connaissance, il n’y a pas eu encore de recul et de réflexion critique au Canada et au Québec relativement à l’effervescence entourant la traite et ses implications dans le domaine précis de l’ESC des mineurs. Bien que cette thèse contribue à porter un regard critique et nuancé sur la façon de concevoir l’ESC des mineurs, cette recherche ne vise en aucun cas à faire l’apologie ou à favoriser une complaisance envers l’engagement de mineurs dans la prostitution. Ceci est illégal, les personnes incitant des personnes mineures à offrir des services sexuels commettent un crime, et l’engagement de jeunes dans la prostitution laisse des séquelles importantes : tant au niveau psychologique que parfois physiques. De plus, cette analyse critique du langage ne constitue qu’une composante préliminaire de l’analyse.
Du point de vue des implications dans la pratique, le choix du langage et des mots est primordial dans l’intervention sociale, surtout lorsqu’il s’agit de problématiques taboues, jugées à risque ou victimisantes. Or, l’approche actuelle et prédominante se double d’un risque d’exclusion des jeunes qu’on tente de protéger.
Enfin, cette thèse constitue une rare opportunité de croiser les regards des intervenants et des jeunes quant à leurs expériences et perceptions (Gilligan, 2015; Melrose, 2009; Warrington, 2013). Ce faisant, le thème transversal de l’ambivalence articulera l’analyse des résultats, dimension qui caractérise à la fois le vécu et la perception des jeunes de même que certains dilemmes liés à l’intervention entourant cette problématique. Introduire comme axe central d’analyse le cadre conceptuel basé sur l’ambivalence constitue un potentiel de contributions aux développements de connaissances de même qu’en termes d’implications pour les pratiques et interventions sociales. Ce cadre conceptuel permet de dépasser une vision dualiste et d’envisager le parcours et la perception des jeunes sur la base d’un continuum qui évolue dans le temps et en fonction des circonstances, conditions, interactions et relations. Cette approche permet d’explorer le contenu et le contexte de cette ambivalence et peut devenir un levier d’intervention.
Les résultats ont permis de mettre en évidence deux enjeux émergents qui sont peu documentés dans la documentation scientifique : soit l’expérience du soutien à la dénonciation du proxénète et recruteur, de même que la problématique du recrutement dans l’ESC par des adolescentes.
1.4 Structure de la thèse
Cette thèse s’articulera autour de huit chapitres, dont trois sont des articles qui seront soumis à des journaux scientifiques. Les trois articles présentent l’analyse des résultats de la recherche et chacun des objectifs mentionnés fera l’objet d’un de ces articles. Chaque article sera suivi d’une brève présentation de ses apports à la thèse, et fera le lien avec l’article suivant.
Dans le deuxième chapitre, nous présenterons, d’abord, les définitions des principaux termes et catégories de recherche – soit exploitation sexuelle, la composante dite à des fins commerciales, la prostitution, et la traite sexuelle. Ce qui sera suivi d’une recension des écrits afin de présenter l’évolution du contexte au Canada et au Québec, une évolution de la réponse politique et légale, de même que des connaissances sur ce phénomène.
Le troisième chapitre discutera des concepts clés utilisés dans cette thèse et autour desquels s’articulera l’analyse des résultats de notre recherche. Le cadre conceptuel choisi pour cette thèse s’appuie sur l’analyse inductive des résultats, qui a permis d’identifier les notions importantes dans les propos des participants. Les concepts d’ambivalence et de continuum de la violence et des différentes formes d’exploitation seront utiles afin de répondre aux différents objectifs de cette thèse, et effectuer l’analyse aussi bien au niveau du vécu expérientiel des jeunes que celui de l’intervention.
Dans le quatrième chapitre, nous présenterons les choix et la démarche méthodologiques. Il nous est apparu important de choisir une approche méthodologique, soit la théorie ancrée, qui nous permette de placer au cœur de notre démarche la perspective et les propos des participants. Étant donné que cette recherche porte sur un sujet sensible et auprès d’une population vulnérable et auprès de personnes mineures composée de mineurs, les considérations éthiques, et méthodologiques, seront discutées.
Le cinquième chapitre constitue le premier article de cette thèse et se consacre à l’analyse des propos des adolescentes et jeunes femmes. Sur la base d’une approche de théorie ancrée, les résultats ont mis en évidence une dimension centrale dans les discussions entourant l’ESC : soit l’ambivalence quant à leurs perceptions de leurs expériences. L’expérience des jeunes défie les modèles et parcours étudiés dans la littérature, de par la pluralité des parcours d’ESC et la complexité et continuum qui caractérise leurs perceptions et leurs rôles (à la fois recruteuse et abusée), et appelle à dépasser le corpus de connaissances déjà développé et axé sur les facteurs de risque et de vulnérabilité. Plusieurs facteurs influenceront l’ambivalence qui évolue en fonction des contextes et des interactions sociales. Dès leur engagement initial dans l’ESC, une complexe interaction entre attraction et répulsion de la prostitution forge leur ambivalence; notamment l’influence des pairs et de l’environnement social et culturel véhiculant certaines normes et valeurs quant aux femmes et leur sexualité. Ensuite, quant à leur vécu d’ESC, trois principaux thèmes au sein desquels s’articule leur ambivalence seront explorés : le changement qu’induit l’ESC en termes de différence et d’éloignement de la ‘normalité’ (terme utilisé par les participantes), leur façon de faire face aux risques, abus et violence et, enfin, à travers le complexe double rôle de recruteure/abuseuse et victime.
Le sixième chapitre sera le deuxième article de cette thèse et vise à discuter quelques-uns des défis que pose l’intervention auprès des jeunes ayant vécu l’ESC, en croisant les regards d’intervenants de différents secteurs, de même qu’en incluant les voix des jeunes elles-mêmes. Cet article examine non seulement l’ambivalence dans le vécu des jeunes, mais également l’ambivalence ou les contradictions qui émergent des pratiques et interventions sociales. Bien que cette clientèle peut être particulièrement récalcitrante à recevoir de l’aide, les intervenants peuvent exercer une influence sur leur parcours et leurs perceptions (Côté, 2013) et leur ambivalence. Deux défis particuliers seront discutés : les jeunes qui agissent comme recruteuses et l’accompagnement des jeunes dans des procédures judiciaires.
Le chapitre 7 sera consacré au troisième et dernier article qui vise à se pencher sur une dimension spécifique de l’intervention en matière d’exploitation sexuelle et traite sexuelle : l’approche de collaboration intersectorielle. L’approche de collaboration intersectorielle est reconnue comme étant la voie de solution au besoin de continuité auprès des jeunes en difficulté
(Goyette, Martin, 2012; Goyette, Martin, Bouffard, & Larivière, 2000; Poirier, Chanteau, Marcil, & Guay, 2007; Turcotte & Drapeau, 2011). Face à l’ESC de même que la traite de personnes, la collaboration est également identifiée comme essentielle, permettant d’agir à la fois en prévention, protection et soutien de même que répression (Durocher, Fleury, Berthiaume, & Moïse, 2002; Gouvernement du Canada, 2012, 2013; GRC, 2012; Clawson & Dutch, 2008b; Lebloch & King, 2006; Ricard-Guay & Hanley, 2015). Or, il n’y a pas de recherche qui se soit penchée sur les implications d’une telle collaboration dans le secteur spécifique de l’ESC. Cet article vise à examiner les écueils, les conditions facilitantes ainsi que les retombées d’une approche de collaboration dans la pratique pour les intervenants dans le secteur de la PJ.
Enfin, le chapitre 8 offre une discussion des résultats présentés dans les trois articles. Les faits saillants seront discutés afin d’établir les liens entre les trois niveaux d’analyse de cette thèse : le vécu expérientiel des jeunes, les perceptions et expériences d’intervention des intervenants, de même que l’intervention dans un cadre de collaboration intersectorielle. Les résultats de cette recherche seront mis en perspective avec le contexte actuel de reformulation de la problématique et des préoccupations politiques l’entourant. De surcroît, les retombées et implications de cette recherche pour le service social seront soulignées. Enfin, les limites de l’étude seront abordées, avant de conclure en exposant quelques pistes de recherche pour l’avenir.
CHAPITRE 2 : RECENSION DES ÉCRITS ET TERMINOLOGIE
Introduction
Ce chapitre présentera la recension des écrits sur la problématique de l’ESC des mineurs en s’articulant autour de trois principaux blocs. D’abord, les définitions des principaux termes et notions reliées à la problématique à l’étude seront présentées. Ensuite seront abordés l’évolution de la compréhension du phénomène et le contexte politique et légal canadien et québécois. Enfin, la dernière partie sera consacrée aux connaisses sur réalités d’ESC. Cette recension des écrits s’intéresse à la jonction entre traite sexuelle et ESC des mineurs. Bien que la traite sexuelle et l’ESC fassent partie d’un même continuum et spectre de situations; ce sont deux domaines d’études qui se sont développés séparément. Alors qu’il y a depuis quelques années des rapprochements entre traite et l’ESC, il y a encore peu de tentatives de croiser les corpus de connaissance issus de ces deux domaines (Arocha, 2013). Ce chapitre, ainsi que le chapitre trois, tenteront de faire une recension des écrits qui inclut ces deux champs d’études
2.1 Terminologie et concepts clés de la thèse
Les termes utilisés en lien avec l’ESC des personnes mineures sont nombreux et souvent utilisés de façon interchangeable, ce qui peut porter à confusion : prostitution juvénile, exploitation sexuelle, ESC, traite sexuelle ou engagement des jeunes dans la prostitution (Chase & Statham, 2005; IOM & NRC, 2013). Cette section présentera tour à tour ces différentes notions. Au préalable, il apparaît important de clarifier la distinction entre la notion d’enfant et d’adolescent, alors que cette recherche se concentre sur les adolescentes.
2.1.1 Distinction entre enfant, adolescent et adulte
Cette recherche s’intéresse à la problématique touchant les adolescentes de plus de 16 ans. Dans la littérature sur l’ESC, il est fréquent qu’aucune distinction ne soit faite entre les différents groupes d’âge, l’adolescence étant alors incluse dans la notion d’enfance. La problématique est souvent référée comme étant l’ESC des enfants, le terme enfant regroupant alors tous les groupes
d’âge précédant 18 ans. Ceci correspond à la définition de personnes mineures ou d’enfant tel qu’établi par la Convention des Nations Unies relative aux droits des enfants (1989).
Dans le cadre de cette recherche, nous privilégions l’emploi du terme adolescent plutôt qu’enfant. Les Nations Unies (UNICEF et OMS) établit le groupe d’âge correspondant à l’adolescence comme étant celui qui s’étend entre 10 et 19 ans, le début de l’adolescence se situant entre 10 et 14 ans et l’adolescence plus avancée entre 15 et 19 ans (UNICEF, 2011). L’adolescence est définie comme étant une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte (UNICEF), marquée par des changements biologiques et physiques liés à la puberté, de même que des changements du point de vue des capacités émotionnelles et mentales. Il peut être difficile de définir l’adolescence et surtout de situer chaque personne mineure sur le continuum de transition et de changements. De façon générale, cette période de transition est marquée à la fois par une tension entre un gain d’autonomie et de dépendance (besoin de protection). L’adolescence est donc marquée par beaucoup de changements tant physiques que liés à l’acquisition de l’indépendance (socio-économique), le développement de l’identité et des compétences en vue de devenir adulte (OMS).
De façon générale, la définition de l’enfance et l’adolescence résulte d’une construction sociale et culturelle qui évolue dans le temps. Cette recherche s’inscrit dans un courant critique s’étant développé au courant des deux dernières décennies dans les disciplines de la sociologie, l’anthropologie et la géographie (Christensen & James, 2008; Holloway & Valentine, 2000; Morrow & Richards, 1996) et qui base la définition de l’enfant et l’adolescent comme étant des agents sociaux capables d’influer sur leur contexte immédiat (Christensen and James 2000; Morrow and Richards 1996; Holloway and Valentine 2000). Cette perspective fait contrepoids à une approche plus traditionnelle basée sur des modèles de développement cognitif de l’âge en psychologie, où l’enfant est perçu comme un agent passif.
2.1.2 Prostitution des personnes mineures et proxénétisme
La définition de ce que constitue la prostitution – aussi bien adulte que juvénile - peut varier et ne fait pas consensus. L’auteure O’Connell-Davidson souligne l’importance de conceptualiser la
prostitution comme une institution fondée sur un ensemble particulier de relations sociales permettant qu’une personne puisse exercer un pouvoir sur une autre : «[…] although prostitution is popularly defined as the exchange of sex or sexual services for money and/or other material benefits, it is better conceptualized as an institution which allows certain powers of command over one person’s body to be exercised by another.» (1998: 9). Cette auteure souligne également qu’il peut être difficile de dissocier dans la recherche la prostitution adulte de celle impliquant des mineurs (1998, 2005) – puisqu’elles font partie d’une même institution et au sein d’une société qui accorde une valeur sexuelle à la jeunesse (p. 12).
Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, définit la prostitution des enfants comme étant : «le fait d'utiliser un enfant aux fins d'activités sexuelles contre rémunération ou toute autre forme d'avantage.» (art. 2b). Il s’agit donc de pratique d’activités à caractère sexuel en échange aussi bien d’argent, que d’autres besoins matériels (drogue, nourriture, un endroit où rester, cadeaux) ou bénéfices non matériels, services et motifs affectifs (affection, protection, sécurité) (Durocher et al., 2002).
La prostitution peut impliquer un proxénète ou se faire de façon ‘indépendante’, et ce même lorsqu’il s’agit d’adolescent(e)s (Estes & Weiner, 2001). Toutefois, l’absence de proxénète ne signifie pas l’absence d’abus, puisque les contraintes et les abus peuvent également provenir des clients et d’autres personnes tierces impliquées dans l’industrie du sexe, tels que les tenanciers de salons de massage (O’Connell Davidson, 1998). Dans le Code criminel canadien, à l’article 286.3.1, le proxénétisme est défini entre autres par le fait d’amener
[…] une personne à offrir ou à rendre des services sexuels moyennant rétribution […] recrute, détient, cache ou héberge une personne qui offre ou rend de tels services moyennant rétribution, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une telle personne. 2.1.3. Exploitation sexuelle des mineurs et sa dimension ‘commerciale’
La nature dite ‘commerciale’ de l’exploitation implique qu'il y a un échange d'actes sexuels pour un avantage ou bénéfice (pécuniaire, matériel ou non) ; que ce soit un bénéfice pour le jeune ou un bénéfice pour une tierce partie (Chase & Statham, 2005; IOM & NRC, 2013), ce qui le