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CHAPITRE  2   : RECENSION DES ÉCRITS ET TERMINOLOGIE 15

2.4   État des connaissances sur l’expérience de l’exploitation sexuelle à des fins

2.4.2   Modes de recrutement 48

Les jeunes peuvent être recrutés dans le commerce du sexe ou entrer par leurs propres moyens et initiative. Les modes de recrutement utilisés par les proxénètes et les trafiquants sont multiples,

et s’appuient sur les vulnérabilités mentionnées ci-dessus. Il y a autant de lieux possibles de recrutement que de lieux où se trouvent les personnes ciblées: par exemple aux arrêts de bus et stations de métro, par le biais d’invitation à des soirées privées (party), dans certains parcs, autour des écoles ou près des ressources d’hébergement pour jeunes en difficulté. Bref, il est à noter que les réseaux sociaux et Internet jouent désormais un rôle de plus en plus important dans le recrutement des adolescentes et jeunes femmes. En effet, le recrutement par le biais de Facebook ou d'autres médias sociaux a été identifié comme étant de plus en plus fréquent (BIDE, 2004; Dorais, 2006; Fleury & Fredette, 2002; GRC, 2010, 2014; SRCQ, 2013).

En outre, des études ont démontré un lien entre l’expérience des jeunes dans les agences de PJ et l’entrée dans la prostitution (Coy, 2008; Hopkins, O’Neill, & Goode, 1995; Melrose & Brodie, 1999; J. J. Pearce, Williams, & Galvin, 2003; Shaw & Butler, 1998). Certaines études – en Grande-Bretagne - ont montré la sur-représentation des jeunes femmes étant ou ayant été en PJ parmi leur échantillon de jeunes femmes dans la prostitution (J. J. Pearce et al., 2003; Scott & Skidmore, 2006), et que ce contexte pouvait faciliter l’entrée dans la prostitution (Coy, 2008; Hopkins et al., 1995; Melrose & Brodie, 1999)

Les jeunes peuvent être ciblés par les recruteurs, compte tenu de leurs vulnérabilités potentielles. Ainsi, le fait que le recrutement se déroule dans ou aux alentours des agences de PJ ou des organismes communautaires (hébergement ou non) où les jeunes reçoivent des services transforme des espaces sûrs en un environnement de risque. Lors de fugues, le fait d’offrir le logement pour une ou plusieurs nuits et d’offrir de l’assistance (nourriture, vêtements, protection, drogue), peut également être utilisé comme moyen de recrutement.

De plus, un processus qui a reçu beaucoup d’attention est celui par lequel un proxénète entraîne une jeune à se prostituer – en usant de manipulation, de séduction et de leurre – et qui est communément appelé le ‘grooming process’ (Barnados, 1998; Corriveau & Dorais, 2010; Dorais, 2006; Fournier, 2003; Melrose, 2010; Perrin, 2010; Ricci & Kurtzman, 2013; Scott & Skidmore, 2006) ou le ‘love bombing’ (Perrin, 2010). Le processus de grooming se décrit comme un processus en plusieurs étapes de prise de contrôle, par lequel le petit ami devient un proxénète. Ce dernier développe un lien de confiance et affectif avec la jeune femme avant de

progressivement la soumettre à la contrainte, psychologique et/ou physique, et la faire travailler dans l’industrie du sexe sans que cette dernière ne conserve les profits. (Melrose, 2010; Phoenix, 2002; Perrin, 2010; Barnados, 1998; Dorais, 2006). Le fait d’isoler progressivement la jeune de sa famille et de ses amis permet et facilite la prise de contrôle et la manipulation. Le 'petit ami' utilise souvent l'amour et l'affection en alternance avec violence, contraintes et coercition pour inciter l'adolescent à «travailler» dans la prostitution (Scott et Skidmore, 2006). Il y a des similarités entre ce type de relation et la violence conjugale (Pearce, 2009).

Ce processus de recrutement a également été documenté dans les recherches au Québec sur le contexte d’affiliation ou de liens avec les gangs de rue (Fleury & Fredette, 2002; CJM, 2012; Fournier, 2003; Fournier et al., 2004; Logan, Walker, & Hunt, 2009). Les résultats d’études sur l’exploitation sexuelle chez les mineures démontrent que les filles sont parfois soumises à une période dite de ‘préparation’. Après une période de lune de miel où le futur proxénète entretient une relation amoureuse, des violences physiques, sexuelles et psychologiques plus intenses (i.e. viols collectifs) peuvent être utilisées afin de désensibiliser la fille au fait de devenir impliquée dans la prostitution, et diminuer son estime personnelle (Dorais, 2006; Perrin, 2010; Melrose, 2010; Barnados, 1998).

La violence sexuelle, notamment le gang bang ou viol collectif, est également un moyen utilisé afin de de désinhiber et désensibiliser l’adolescente par rapport à sa sexualité – c’est-à-dire faire en sorte «qu’une sexualité non transitive, en général le lot des relations de prostitution, lui apparaisse comme normale.» (p.33) :

«Ce fameux gang bang, ou viol collectif destiné à «initier» la jeune fille à une sexualité non désirée, non transitive, et à lui enseigner la soumission au désir de tous les hommes, joue un rôle déterminant dans sa «mise en condition» finale pour la prostitution.»p. 33

De plus, comme mentionnée précédemment, l’influence des pairs a été identifiée comme pouvant jouer un rôle important dans le recrutement. D’autres adolescents (es) aussi bien que des adultes peuvent ici influencer la perception et la vision sur la prostitution de façon à amener les adolescentes à se prostituer. En outre, les adolescentes et jeunes femmes peuvent également être des recruteuses – ce ne sont pas que des hommes et des adolescents qui agissent comme recruteur. Toutefois, il y a peu de recherches les femmes qui agissent comme recruteuse et/ou

proxénète et encore moins ou pas sur la participation des adolescents filles dans le recrutement et le proxénétisme des autres jeunes (M. Dank et al., 2014). Or, fait assez troublant, alors qu’on dénombre encore un faible nombre d’affaires ayant impliqué des accusations pour traite de personnes, soit 132 affaires au total pour le Canada depuis 2007, déjà 19 mineurs ont été accusés de traite de personnes, dont 8 étaient des adolescentes.

Le peu de recherches existantes suggèrent que les femmes qui recrutent ont auparavant elles- mêmes déjà été impliquées dans la prostitution (Dank et al., 2014) et que c’est sous la contrainte ou les pressions exercées par leur propre proxénète ou un partenaire intime qu’elles finissent par recruter d’autres filles ou femmes (Raphael & Myers-Powell, 2010); ainsi, d’abord victime, elle devient celle qui recrute et exploite (Raphael & Myers-Powell, 2010). Pourtant, l’implication des femmes et jeunes filles dans la facilitation de la prostitution d’autrui peut être très variée. Elle peut faciliter la mise en contact entre une autre femme et un proxénète, ou elle peut être active à toutes les étapes du recrutement et du proxénétisme et en retirer profité.

En conclusion, la contrainte peut ou ne peut pas être utilisée lors du recrutement. Comme nous avons vu, la persuasion et l’incitation, de même que la séduction et le leurre sont des pratiques communes. Toutefois, il peut également arriver que la contrainte physique ou psychologique soit utilisée. Les contraintes psychologiques peuvent être de différent ordre, notamment dans le contexte du ‘grooming’ et de la relation amoureux où le partenaire exerce une pression psychologique, voire de la violence psychologique, afin de convaincre la jeune femme de se prostituer. Un scénario fréquemment décrit dans la littérature concerne une situation où l’homme demande à la jeune femme de se prostituer afin de l’aider à rembourser des dettes ou encore en leurrant la jeune femme sur le fait qu’elle se prostitue fait partie d’un projet de couple et que l’argent servira à leur projet d’avenir (ex. : achat de maison, de voiture, voyages, etc.) (Dorais, 2006; Fleury & Fredette, 2002; Ricci & Kurtzman, 2013; Williamson & Cluse-Tolar, 2002).