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CHAPITRE  2   : RECENSION DES ÉCRITS ET TERMINOLOGIE 15

2.3   Contexte actuel et réponses gouvernementales 31

2.3.2   Cadre légal relatif à l’exploitation sexuelle des mineurs 34

Comme mentionné précédemment, l’exploitation sexuelle à des fins commerciales ne fait pas l’objet d’une disposition légale ou une législation spécifique, et ce terme n’existe pas dans le cadre criminel canadien. La problématique de l’ESC y est plutôt abordée en recouvrant l’ensemble des infractions concernant l’implication de mineurs dans des activités à caractère sexuel : que ce soit dans la prostitution, la pornographie, ou encore l’exploitation sexuelle mais qui ne concerne pas l’industrie du sexe. En plus du cadre pénal, l’autre principal cadre légal utilisé touche la PJ, qui est de compétence provinciale. Ces deux cadres légaux (fédéral et provincial) sont présentés succinctement.

a.  Cadre  légal  fédéral  :  le  Code  criminel  

Différentes dispositions du Code criminel canadien peuvent s’appliquer en situation d’ESC. Notamment, Traite des personnes (article 279.01), Exploitation sexuelle (article 153),

Pornographie juvénile (article 163.1), Tourisme sexuel impliquant des enfants

(paragraphes 7(4.1) à 7(4.3)). Il est à noter qu’il existe une infraction criminelle concernant le leurre par Internet (ou ordinateur) afin, entre autres, de communiquer avec une jeune personne pour faciliter la perpétration à son égard d’une infraction d’ordre sexuel (article 172.1). Les infractions liées aux agressions à caractère sexuel peuvent également être utilisées (art.271-273).

Prostitution  juvénile9

Dans le cadre légal actuel, la prostitution juvénile est illégale: «Il est interdit à quiconque d’offrir ou d’obtenir les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans, de bénéficier d’un avantage matériel provenant de la prostitution juvénile ou d’amener une personne âgée de moins de dix-huit ans à se livrer à la prostitution.» (Ministère de la Justice du Canada, 2015)10 (par. 286.1(2), 286.2(2) et 286.3(2))

Deux principales infractions sont rattachées à la question de la prostitution juvénile :

286.1 (2) Obtention de services sexuels moyennant rétribution — personne âgée de moins de dix- huit ans

(2) Quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d’obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une telle personne est coupable d’un acte criminel

286.2 (2) Avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans

(2) Quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’il sait provenir ou avoir été obtenu, directement ou indirectement, de la perpétration de l’infraction visée au paragraphe 286.1(2) est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de deux ans.

Au courant de la rédaction de la thèse, les dispositions du Code criminel relatives à la prostitution et au proxénétisme ont été abrogées avec l’adoption la Loi sur la protection des

9 Également aux articles 170 et 171 du Code criminel, Proxénétisme (articles 170 et 171) – Il est interdit au père, à

la mère et au tuteur d’amener son enfant ou son pupille âgé de moins de dix-huit ans à commettre des actes sexuels illégaux, ou au propriétaire, à l’occupant ou au gérant d’un lieu de permettre à une personne âgée de moins de dix- huit ans de se trouver dans ce lieu pour commettre des actes sexuels illégaux.

10 Source : Ministère de la Justice du Canada : http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/autre-other/clp/faq.html. Consulté

collectivités et des personnes victimes d’exploitation (LC 2014, c 25), en vigueur à partir du 6

décembre 201411. Les principaux changements apportés consistent à rendre clairement illégal le

fait d’acheter des services sexuels ou de communiquer à cette fin (286.1), et ainsi visent à criminaliser les clients. Des modifications sont également apportées aux infractions liées au proxénétisme (article 286.2) : «le projet de loi C-36 interdit de façon générale tout comportement lié au fait d'amener autrui à se prostituer.» (Gouvernement du Canada, 2014).

Âge  de  consentement  

L’âge de consentement (âge auquel un ou une jeune peut légalement donner son consentement) pour toute activité à caractère sexuel est évidemment un élément crucial en prendre en considération lorsqu’il est question d’ESC. Au Canada, l’âge de consentement est de 16 ans, et ce depuis 2008 où l’âge de consentement a été modifié et est passé de 14 à 16 ans en vertu de la

Loi sur la lutte contre les crimes violents. La loi prévoit également des exceptions pour les

jeunes âgées de 14 ou 15 ans, relatives au groupe d’âge, c’est-à-dire lorsque le partenaire est de moins de cinq ans son aîné. Toutefois, même lorsque cette exception s’applique ou que les jeunes ont 16 ou plus, toute relation sexuelle peut être considérée de l’exploitation sexuelle si l'activité sexuelle se produit dans le cadre de l’abus d'une relation de confiance, d'autorité ou de dépendance ou lorsqu'il existe une autre forme d'exploitation (art. 153 du Code criminel)12. Enfin, comme déjà mentionné, tout jeune âgé de 16 ou 17 ans ne peut consentir légalement à des activités sexuelles qui constituent de la prostitution ou de la pornographie. Le consentement ne peut être utilisé dans la défense en matière d’exploitation sexuelle.

11 Historiquement au Canada, la prostitution comme telle n’était pas illégale, mais l’ensemble des activités entourant

la prostitution était illégales. Ce qui rend pratiquement impossible la pratique de la prostitution en toute légalité. De plus, le cadre légal était grandement discriminatoire à l’endroit des personnes dans la prostitution. En effet, indépendamment de leur âge, les personnes prostituées - en majorité des femmes - ont historiquement fait face, d’une part, à des lois discriminatoires à leur endroit et, d’autre part, malgré les changements législatifs apportées au courant des années, à une application de la loi jugée discriminatoire. Les personnes dans la prostitution se faisaient davantage arrêtées et interpelées par la police que les clients et proxénètes, sur la base des dispositions interdisant la sollicitation et communication dans un endroit public (voir au sujet de l’histoire de la prostitution au Canada, Sullivan, 1986, Lowman, 1997)

12 Afin de déterminer la nature de la relation et savoir si elle est considérée comme de l’exploitation, la nature et les

circonstances de la relation seront pris en considération, notamment l’âge de l’adolescent, la différence d'âge entre la jeune personne et son partenaire, l'évolution de la relation et la façon dont le partenaire a contrôlé ou influencé la jeune personne (article 153 1.2, a-b-c).

b.  Cadre  provincial  :  Loi  de  la  Protection  de  la  jeunesse  

Travailler avec des mineurs implique évidemment des cadres d’intervention juridiques et institutionnels distincts, à savoir la Loi sur la protection de la jeunesse – qui est de compétence provinciale. Les cadres légaux et la façon d’aborder et répondre à l’ESC diffèrent donc d’une province à l’autre. Certains gouvernements provinciaux ont mis en place des dispositions légales spécifiques afin de combattre et répondre à la problématique de l’exploitation sexuelle des mineurs. À titre d’exemple, dès 1999, le gouvernement albertain adopte la loi Protection of

Children Involved in Prostitution Act (PChIP), qui sera amendé en 2007. La loi en vigueur - Protection of Sexually Exploited Children Act (PSECA) - confère à la police et aux responsables

des organismes de protection de la jeunesse le pouvoir d’appréhender un jeune à risque de ou en situation d’exploitation sexuelle. Le jeune peut être placé en services résidentiels sécurisés, entre 5 et 47 jours. Certains centres résidentiels sont spécialisés en matière d’exploitation sexuelle. La loi prévoit l’accès à certains services pour les enfants et leur famille (Government of Alberta, 2010). Ainsi, déterminer les circonstances suffisantes pour établir si un jeune est à risque d’exploitation sexuelle est un élément important. Il est à noter que certains chercheurs canadiens ont exposé une analyse critique de cette approche en protection de la jeunesse, en soutenant l’argument que derrière les mesures dites de protection, ce sont des modes de contrôle et de répression qui limitent l’autodétermination (Pheterson, 1996; Bittle, 2001, 2002).

En Colombie-Britannique, le Child, Family and Community Service Act prévoit deux façons d’intervenir de façon spécifique, soit une intervention en protection par rapport à toute personne qui porterait un risque à la sécurité ou au bien-être (art.28) de la personne mineure, ou encore demander une ordonnance de non-communication (restraining orders), notamment pour toute personne impliquée dans l’engagement du ou de la jeune dans la prostitution. Enfin, au Manitoba, le gouvernement provincial a mis en place une stratégie provinciale dès 2002 (Manitoba Strategy Responding to Children and Youth at Risk of, or Survivors of, Sexual

Exploitation). La stratégie manitobaine a connu trois phases. Dans sa phase initiale, la stratégie

visait principalement l’exploitation sexuelle des mineurs dans la prostitution. Puis en 2008 est lancée la Phase II – ‘Tracia’s Trust’ qui étend sa portée pour désormais englober toutes les formes d’exploitation sexuelle, dont la traite, ainsi que les personnes de tous les âges. Puis, dans sa forme actuelle, mise en place en 2011, une attention particulière est accordée à la traite de

personnes, et tout spécialement la traite interne touchant les femmes et les filles autochtones. (Site du gouvernement du Manitoba, 2014). L’aspect intéressant de la stratégie manitobaine est que le gouvernement, non seulement traduit son engagement en financement substantiel, mais l’action du gouvernement touche aussi bien le domaine légal et juridique, que la prévention, la coordination des services et la collaboration. À titre d’exemple, en 2005, le gouvernement du Manitoba apporte des modifications à sa loi sur la protection de la jeunesse Child and Family

Act, afin d’accroître les peines liées à l’exploitation sexuelle de mineurs, puis en 2012 est adopté

le The Child Sexual Exploitation and Human Trafficking Act.

Au Québec, il n’existe pas de telles politiques qui visent spécifiquement l’ESC. Dans le cadre de la Loi de la protection de la jeunesse (LPJ), en lien avec l’ESC, le motif pour troubles de comportement sérieux peut être utilisé (art. 38f LPJ, 2007). Ainsi, le motif de protection invoqué concerne le comportement du jeune. Ce motif se réfère aux situations «lorsque l'enfant, de façon grave ou continue, se comporte de manière à porter atteinte à son intégrité physique ou psychologique ou à celle d'autrui et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation ou que l'enfant de 14 ans et plus s'y oppose» (art. 38f LPJ, 2007). Le motif pour troubles de comportement sérieux est unique au Québec. Parmi les indices de troubles de comportements sérieux identifiés dans un document préparé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec en 2008, on retrouve les comportements sexuels non appropriés ou à risque, la fugue à répétition, et le fait que les fréquentations influencent négativement ou accentuent les problèmes de comportements, etc. (Gouvernement du Québec, 2008). Il est assez fréquent que les situations d’ESC soient dévoilées en retour de fugue alors qu’il peut y avoir des déclarations spontanées auprès du policier ou de l’intervenant (Philibert & Demers, 2013).

De plus dans le Manuel de référence sur la protection de la jeunesse (Gouvernement du Québec, 2010), certains des comportements de l’enfant qui peuvent motiver un hébergement dans une unité d’encadrement intensif concernent les situations d’ESC, soit :

-­‐ des fugues répétitives au cours desquelles il se met en danger, par exemple, en s’engageant dans l’itinérance ou la prostitution;»

-­‐ des désordres de la conduite sexuelle qui mettent en danger l’enfant ou autrui; -­‐ l’appartenance à un gang ou la fréquentation assidue de pairs marginaux qui entraîne -­‐ des comportements délinquants. ( Section 9 – Fiche 9.1 : p. 764-765)

Lorsqu’il y a eu agression sexuelle, il peut arriver, plus rarement, que le motif 38d d’abus sexuel soit utilisé pour le signalement, ou encore pour un re-signalement. Le re-signalement se produit si une jeune était déjà en placement en CJ et qu’elle fugue, et qu’à son retour de fugue il y a dévoilement de l’agression sexuelle. Cet article concerne à la fois des situations d’abus sexuels vécus et/ou lorsque l’enfant a un risque sérieux de subir des gestes à caractère sexuel. L’article s’applique lorsque les parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour assurer la protection de l’enfant à la suite de l’incident. En fait, certaines voix s’élèvent (CQTP, 2011, 2012, 2013a; Ricard-Guay & Hanley, 2015) afin de favoriser le signalement ou le re-signalement sur la base de ce motif – lorsqu’une agression à caractère sexuel, souvent un viol collectif, s’inscrit dans un contexte de risque d’ESC - afin de permettre le déclenchement de l’Entente multisectorielle

relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique. Cette entente a été établie en 2001 et regroupe plusieurs

ministères et institutions13.