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CHAPITRE  2   : RECENSION DES ÉCRITS ET TERMINOLOGIE 15

2.3   Contexte actuel et réponses gouvernementales 31

2.3.1   Portrait partiel du problème de l’ESC et difficultés à recueillir des données 32

Nous ne disposons pas de données fiables permettant de mesurer l’incidence et l’ampleur du problème d’ESC au Québec et au Canada. La nature clandestine et illégale de cette problématique, de même que la grande réticence des jeunes à dévoiler leur engagement dans la prostitution (par honte, peur du jugement ou peur d’être signalé à la PJ ) expliquent le fait qu’il soit difficile d’obtenir des données. Un autre défi important concerne les questions et débats définitionnels, entre ce qui est identifié comme étant de la prostitution juvénile et/ou ESC et la traite sexuelle. Il n’y a pas consensus sur la ligne à tracer pour déterminer quand une situation d’ESC devient une situation de traite. L’application dans la pratique de ces catégories peut varier d’un organisme à un autre. Ainsi, une même situation peut être définie par un intervenant donné comme étant de la traite, et par un autre, comme étant de la prostitution juvénile ou ESC. Puisque cette recherche porte sur l’ESC dans le contexte de rapprochements avec la traite sexuelle, les données statistiques pour ces deux catégories seront présentées.

En 2002, un organisme communautaire travaillant auprès des jeunes dans la prostitution offrait une estimation conservatrice d’environ 4000 jeunes dans la prostitution à Montréal (Durocher, Fleury, Berthiaume, & Moïse, 2002: 23). Selon une étude sur le portrait de l’industrie du sexe au Québec, 37% des femmes ayant un vécu dans la prostitution (n= 209) étaient mineures au moment de leur entrée dans la prostitution, et l’âge moyen d’entrée de ces dernières était de 14,7 ans (Szczepanik, Ismé, & Boulebsol, 2014b).

Malgré la difficulté de collecter des données, la ville de Montréal est connue pour le dynamisme de l’industrie du sexe sur son territoire. Étant donné l’offre importante de services sexuels, la ville est une destination pour les ‘touristes sexuels’, notamment américains, voire une plaque tournante de l’industrie du sexe (SPVM(Durocher et al., 2002; Moïse, 2002; SPVM & Service de police de la ville de Montréal, 2014). En 2013, une étude réalisée par un organisme de lutte contre l’exploitation sexuelle à Montréal, la CLES (Concertation des Luttes contre l’Exploitation Sexuelle), dénombrait plus de 420 lieux ‘physiques’ de prostitution – dont 303 salons de massage - sur le territoire du Grand Montréal (Szczepanik, Ismé, & Boulebsol, 2014a). Ceci n’inclut pas tout le marché virtuel de la prostitution - notamment les agences d’escortes virtuelles

ou sans adresse connue - qui correspond à 61% de tous les sites, soit sur un total de 1077 lieux de prostitution répertoriés par cette étude (Szczepanik et al., 2014b). Ce portrait de l’industrie du sexe permet de constater le caractère invisible de la prostitution ; invisibilité qui a été amplifiée et renforcée par la montée de l’utilisation de l’Internet et des médias sociaux. Les lieux de prostitution, et de traite sexuelle, sont principalement les lieux privés (i.e. appartement, condos) et les hôtels et motels (GRC, 2014).

Concernant la traite de personnes de façon spécifique, à l’heure actuelle, les principales données sur la traite proviennent des corps policiers ou services de renseignement criminel (SRCQ, 2013; GRC, 2010, 2013). Ces données nous renseignent sur l’exploitation sexuelle des mineurs et jeunes adultes puisque ces dernières constituent le principal groupe de victimes de traite au Canada. En effet, les données provenant de l’analyse des enquêtes criminelles au Canada révèlent que 90% des cas rapportés aux forces de l’ordre concernent la traite nationale (donc s’étant produit à l’intérieur des frontières) et l’exploitation sexuelle et les principales victimes sont de jeunes femmes âgées de 14 à 22/25 ans (GRC, 2010; GRC, 2014).

En 2010, la GRC réalisait une analyse des enquêtes criminelles entre 2005 et 2009 comportant des éléments de traite (GRC, 2010), ce qui constituait une première tentative d’offrir un portrait national sur la traite. Selon ce rapport, 90% des cas rapportés aux forces de l’ordre concernent la traite nationale et l’exploitation sexuelle et les principales victimes sont de jeunes femmes âgées de 14 à 25 ans (GRC, 2010). Faisant suite à ce rapport, la GRC publie en 2014 son second rapport portant cette fois exclusivement sur la traite interne (donc n’impliquant pas de déplacement transfrontalier) à des fins d’exploitation sexuelle. Ce rapport vient réitérer les résultats de l’étude précédente : la majorité des victimes sont des Canadiennes âgées entre 14 et 22 ans et de race caucasienne et près 40% sont des mineures (GRC, 2014). Ainsi, ces données illustrent que les jeunes, adolescentes et jeunes adultes, confondus sont les principales victimes. Montréal fait partie des villes et des régions au Canada où le plus d’enquêtes et de mises en accusation pour traite aux fins d’exploitation sexuelle ont été portées. En effet, sur un total de 132 affaires de traite de personnes au Canada, 40 se sont déroulées au Québec et, de ce nombre, 75% ont été déposées par le SPVM. (GRC, 2014 : p. 27)

La traite de personnes et l’ESC des mineures sont souvent associées au crime organisé, et notamment les gangs de rue. Toutefois, dans un rapport de la GRC sur la traite pour exploitation sexuelle (2013), les données sur les cas identifiés suggèrent que près de la moitié des cas de traite interne à des fins d’exploitation sexuelle impliquaient des trafiquants associés à des gangs de rue. Au Québec, les affaires de traite de personnes seraient plus étroitement liées aux gangs de rue, soit 70% des affaires documentées par la GRC. De plus, une autre nuance est apportée. Malgré la forte implication et présence des gangs de rue dans l’industrie du sexe – compte tenu des profits importants générés - «la traite de personnes n’est pas considérée comme une activité de gang de rue» (p. 12) puisque les trafiquants conservent les profits pour eux-mêmes et n’en font pas profiter le gang. L’activité de prostitution demeure donc une activité qui génère des profits sur le plan individuel et non une activité lucrative pour le gang. Quant aux profits générés par la traite aux fins d’exploitation sexuelle, il est estimé que les trafiquants et proxénètes peuvent engranger entre 500$ et 1000$ par jour pour 1 personne forcée de fournir des services sexuels, soit de 168 000$ à 336 000$ par année (GRC, 2013 : 10). Il est fréquent qu’un proxénète ait plusieurs filles ou femmes qui travaillent pour lui ou elle.

Ces données n’établissent qu’un portrait partiel de la situation basé sur les cas signalés aux corps policiers. Les situations rencontrées par des organismes communautaires, par exemple, ne sont pas documentées de façon systématique à l’échelle du pays.