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Tyran et magicien? : Représentation de la figure de l'empereur Julien dans les sources littéraires grecques, latines et syriaques de l'Antiquité tardive

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Tyran et magicien ? Représentation de la figure de

l’empereur Julien dans les sources littéraires grecques,

latines et syriaques de l’Antiquité tardive

Mémoire

Maryse Robert

Maîtrise en études anciennes

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Maryse Robert, 2016

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Tyran et magicien ? Représentation de la figure de

l’empereur Julien dans les sources littéraires grecques,

latines et syriaques de l’Antiquité tardive, notamment le

Roman syriaque

Mémoire

Maryse Robert

Sous la direction de :

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Résumé

Même si les Humanistes et les Lumières tentèrent de réhabiliter le personnage de Julien l’Apostat, leurs tentatives furent somme toute vaines. En effet, encore au début du siècle dernier on parlait de l’Apostat sans même qu’il soit nécessaire de nommer Julien. Systématiquement, il était qualifié de suppôt de Satan, de magicien, d’impie pratiquant des sacrifices humains. Le présent travail se propose d’analyser l’évolution de la figure de l’empereur Julien durant les deux siècles qui suivirent sa mort, en 363, et se divise en trois chapitres. Le premier se concentre sur les faits historiquement attestés dans les différentes sources (épigraphiques, numismatiques, littéraires) au sujet de l’homme et traite des épisodes principaux de sa vie – sa naissance, son césarat, sa proclamation – sous la forme d’une analyse historique. Le deuxième étudie l’évolution de son image à travers les sources littéraires païennes et chrétiennes du IVe au VIe siècle, en analysant, dans un premier lieu,

le portrait-bilan que les auteurs ont peint (portrait de Julien par lui-même ; portrait physique ; portrait psychologique). Le troisième chapitre est consacré au Roman syriaque

de Julien l’Apostat et à l’étude du personnage désormais légendaire, où des extraits

illustrant les thèmes du deuxième chapitre sont analysés. Le mémoire sert principalement à mettre en place le contexte des siècles précédant la mise par écrit du Roman.

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iv SOMMAIRE Résumé ... iii Sommaire ... iv Remerciements ... vi Introduction ... 1 Corpus et visée ... 2 État de la question ... 15 L’intérêt du sujet ... 18

Approche théorique et méthodologie ... 20

1. Flavius Claudius Iulianus ... 22

1.1 État de la question ... 23 2.1.1. Épigraphie ... 24 2.1.2. Numismatique ... 26 1.2 Naissance de Julien ... 28 1.3 Nobilissimus Caesar ... 32 1.4 Αὐτοκράτωρ Αὔγουστος ... 38 1.5 Damnatio memoriae ... 46

2. Le développement de la légende selon les sources littéraires ... 50

2.1 Portrait de Julien ... 51

2.1.1 Par Julien ... 52

2.1.2 Apparence physique ... 61

2.1.3 Traits de caractère ... 69

2.2 Démonisation de la figure de l’empereur ... 80

2.2.1 Politique religieuse ... 80

2.2.2 Association au diable ... 89

2.3 Mort de Julien ... 96

3. Julien, tyran et impie ... 110

3.1 Portrait de Julien ... 114

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Conclusion ... 127

Annexe I : Planches des monnaies ... 130

Annexe II : Inscriptions ... 136

Annexe III : Sources littéraires sur la mort et le meurtrier de Julien ... 138

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Remerciements

À M. Paul-Hubert Poirier, pour m’avoir d’abord fait découvrir le syriaque, puis le Roman sur Julien, entre autres choses. Merci pour votre grande disponibilité, pour votre patience et vos réponses toujours claires à mes innombrables questions, pour votre intérêt et vos conseils chaque fois très avisés. Merci aussi pour votre soutien et votre bienveillance au cours de ces dernières années, autant dans l’enseignement que dans la recherche. À M. Louis Painchaud, pour avoir voulu endosser le rôle de prélecteur, pour vos remarques pertinentes, éclairantes et judicieuses, pour vos interventions lors de mes présentations au GRECAT et pour votre implication. À Mme Valentina Calzolari Bouvier, pour avoir accepté d’être membre de ce jury, pour cette rencontre à Québec et pour votre enthousiasme contagieux. À Mme Anne-France Morand pour votre implication et vos idées, pour vos suggestions et pistes de réflexion, pour votre esprit rassembleur, pour tous ces courriels, cafés, vidéos, surnoms et pour Proust. À Alyssa pour avoir été un bébé qui s’endormait généralement tôt le soir et qui me laissait parfois travailler la nuit. À Jeff, pour avoir géré mon horaire toujours trop chargé et en conflit perpétuel, pour ta compréhension et ta patience infinies. À ma mère, pour m’avoir toujours encouragée, pour toute l’aide physique et psychologique, même de loin, pour m’avoir rassurée et pour avoir cru en moi. À mes « collègues », pour avoir écouté et enduré mon chialage et mes angoisses sur tous les sujets et à tout moment, pour avoir supporté mon humour noir et mon sarcasme, pour avoir embarqué dans mes projets, pour m’avoir divertie et changé les idées, pour toutes ces sorties, pour la complicité installée au fil du temps et surtout pour les amitiés devenues amour.

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Introduction

« M. de Voltaire […] ne peut […] s’empêcher de témoigner son indignation, sur ce qu’on désigne ce grand homme par le surnom injurieux d’Apostat ; mais il faut qu’il s’en console. Le monde parlera toujours de même. On dira toujours Louis le Bègue, Charles le Chauve et Julien l’Apostat1. » L’histoire de l’empereur Julien dans la pensée française, des

humanistes aux Lumières, demeure celle d’un lamentable échec. Que reste-il de Julien à ces époques si ce n’est ce surnom dégradant ? Les efforts que ces derniers entreprirent, même s’ils redonnèrent du prestige à son image, ne suffirent pas à renverser la pensée véhiculée pendant des siècles sur le prince et on ne parvint pas à substituer définitivement au qualificatif d’Apostat une épithète plus édifiante2.

Avec Voltaire, la réhabilitation de Julien fut portée à son apogée, mais c’est l’abbé Nonnotte qui eut raison sur ce dernier3 : malgré la tentative de Voltaire pour rétablir en

bonne et due forme l’image du défunt prince, il sera probablement toujours connu comme Julien l’Apostat, une survivance que l’on doit entre autres au fait que dans les siècles suivants, le christianisme devint la religion officielle et supplanta les cultes traditionnels en importance, victoire qui se produisit même avant le règne de Julien. Le personnage de Julien a souvent créé des tensions entre les adeptes de ces deux religions. Déjà au IVe siècle pC4, s’opposaient ceux qui, comme l’historien Ammien Marcellin, admiraient sa genuina lentitudo, douceur et bonté naturelle5, qui révélaient une âme supérieure, et ceux qui, à

1 Claude-François Nonnotte, Les Erreurs de Voltaire, Lyon, Reguilliat, 1770 [1762], p. 69.

2 Sur la réception de Julien, cf. J. Boch, Apostat ou philosophe ? La figure de l’empereur Julien dans la

pensée française de Montaigne à Voltaire, Paris, Honoré Champion, 2010, introduction.

3Nonnotte réfuta toutes les erreurs qu’il trouva à l’intérieur de l’œuvre de Voltaire dans un ouvrage publié anonymement, d’abord nommé tel qu’écrit dans la note précédente, puis réédité six fois entre 1762 et 1777 sous le titre suivant : Examen critique ou Réfutation du livre des mœurs. Exaspéré par les critiques de l’abbé, Voltaire répondit en rédigeant Les sottises de Nonnotte par un « jeu du sottisier ». Sur cette expression, cf. O. Ferret, « Note sur “Nonnote” », Revue Voltaire 7, 2007, p. 166. Sur la querelle entre Voltaire et Nonnotte,

cf. J. Boch, Apostat ou philosophe ?, p. 503 sq.

4 Sauf mention contraire, les dates s’entendent désormais pC.

5 Sur l’expression latine et son emploi chez Ammien Marcellin, cf. P. O’Brien, « Ammianus Marcellinus, the Caesar Julian and Rhetorical Failure », CEA 50, 2013, p. 139-160, principalement les pp. 16-20.

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l’instar de Grégoire de Nazianze, Père de l’Église, le comparaient à Nabuchodonosor II6 et

l’associaient au diable.

Corpus et visée

Le contraste entre la place de la figure de Julien à l’époque moderne et sa place dans l’histoire est étonnante : il mourut jeune, régna un peu moins de deux ans et il ne conquit aucun nouveau territoire. Il préserva, certes, les frontières de la Gaule lorsqu’il y fut envoyé, en 355, en tant que César. Sur ce qu’il a légué à la postérité, on ne compte aucun corpus de lois, aucun monument de taille ; il ne s’est pas montré l’auteur de grands crimes, comme ce fut le cas de Domitien par exemple, et ses vertus n’ont pas dépassé celles de Marc-Aurèle ou de Trajan. Peu s’en faut pour dire que les vestiges de son règne sont quasi inexistants. Avec un règne si court et dont il reste si peu de traces, qu’est-ce qui fit en sorte qu’il ait pu susciter une telle curiosité, non seulement chez les modernes, mais aussi chez les anciens ? « Car en dehors de Jules César, d’Alexandre le Grand et de Marc Aurèle, il est peu d’empereurs dont l’image posthume soit si riche et diverse, et aucun dont elle soit si controversée7. » Nous ne nous sommes pas attachée à éclaircir ce mystère, puisque J. Boch,

que nous avons déjà cité à quelques reprises, le fait d’une excellente manière dans son ouvrage. Pour notre part, nous chercherons plutôt à comprendre quelles circonstances firent en sorte que Julien reçut autant de considération et pourquoi, à toutes les époques, nous n’avons souvenir que de la légende noire qui entoura son histoire.

En effet, il devint rapidement un personnage légendaire. Environ deux siècles après sa mort, un ou des auteurs syriaques, dont le nom ne nous est pas connu, mirent par écrit un récit qui fit de lui un magicien pactisant avec Satan, ainsi que la légende qui montra saint Mercure en tant que son meurtrier. Ces légendes eurent une grande postérité, jusqu’au XIXe

siècle, et furent à l’origine de plusieurs œuvres. L’image de Julien qui domina jusqu’au

6 Roi de Babylone mentionné dans l’Ancien Testament, notamment en tant que destructeur du Temple de Salomon.

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XVIe siècle est celle de l’Apostat persécuteur des chrétiens, de l’Antichrist8, corrupteur de

la foi chrétienne. Depuis le Moyen Âge, elle est un stéréotype : on utilisait le nom de l’empereur comme élément de comparaison ou pour désigner, par antonomase, une personne ignoble. Nous nous proposons donc, non pas d’explorer la postérité de la légende de l’empereur après le VIe siècle, mais plutôt de voir comment, depuis sa mort, les auteurs

en sont venus à créer, parfois de toute pièce, une légende si terrible et noire autour du personnage. À cet effet, par une analyse chronologique de certains passages d’auteurs anciens, qui ont écrit sur lui pendant son règne ou depuis sa mort, nous chercherons à faire ressortir les éléments qui ont mis en place ce courant de pensée.

Après avoir étudié le Julien historique, en abordant différentes étapes de sa vie – sa naissance, sa nomination en tant que César en 355 et sa proclamation comme empereur en 361 –, nous analyserons quelques textes d’auteurs ayant vécu dans les deux siècles suivant sa mort. Notre corpus d’auteurs anciens, tant grecs que chrétiens, se compose des auteurs les plus importants de l’époque, ou qui eurent une place prépondérante dans la vie de Julien. Nous les avons sélectionnés en fonction de leur proximité avec l’empereur et de la popularité de leurs écrits à l’époque. Dans ce corpus, pour le IVe siècle, nous nous

pencherons entre autres sur la pensée d’Éphrem le Syrien, de Libanios, d’Ammien Marcellin et de Grégoire de Nazianze. Pour le siècle suivant, nous traiterons des historiens ecclésiastiques – Socrate de Constantinople, Hermias Sozomène, Théodoret de Cyr – et de Cyrille d’Alexandrie9. Cette analyse chronologique servira à comprendre comment l’image

de Julien a évolué pour en arriver au portrait dressé par la légende syriaque. Puisqu’on trouve plusieurs auteurs dans ce corpus, nous ne nous fonderons pas sur la perception générale qu’ils eurent de Julien, mais plutôt sur des extraits précis des œuvres qui évoquent directement les caractéristiques que nous nous proposons d’étudier. Ces auteurs seront utilisés principalement en traduction, mais aussi en langue originale. Nous comprendrons ainsi plus aisément certaines subtilités, étymologies ou emprunts, qui vont aider dans

8 Même si plusieurs écrits préfèrent utiliser le terme Antéchrist, nous utiliserons Antichrist. En effet, il apparaît plus clair de garder la préposition grecque anti qui signifie « contre, à la place de » et ainsi ne pas porter confusion, même si le rôle de Julien est clairement défini, avec la préposition latine ante qui signifie « avant, devant ».

9 Il s’agit là des auteurs principaux, en ordre chronologique. Au besoin, d’autres auteurs seront cités afin d’étayer notre propos tels que Mamertin, Jean Malalas, Zosime ou Jean Chrysostome, par exemple.

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l’avancement de l’analyse. Notre étude des sources se fera de manière chronologique, sans distinction entre l’appartenance à la religion chrétienne ou aux cultes ancestraux, afin de voir clairement l’évolution du personnage mythique dans le temps.

Les auteurs qui abordèrent les différents épisodes de la vie et du règne de Julien furent en général bien connus à leur époque, et encore aujourd’hui, et n’ont pas besoin d’une présentation développée. Cependant, il nous a semblé pertinent de faire une brève introduction aux auteurs cités parce que leurs objectifs sont assez hétéroclites. Nous n’allons pas faire un résumé de la vie et des œuvres de chacun, mais plutôt une description de la relation – tant professionnelle que personnelle ou idéologique – qu’ils entretenaient avec Julien, de leur position par rapport au culte traditionnel et de la finalité de leur œuvre10. En ayant en tête ces caractéristiques, il sera plus facile de comparer les points de

vue et les textes, et nous éviterons les répétitions. Nous noterons du même coup les éditions utilisées pour citer ces textes.

Éphrem le Syrien (306-373) est l’auteur le plus important dans la tradition de la

littérature chrétienne syriaque. Il est né à Nisibe11 au début du IVe siècle et a passé la

majeure partie de sa vie dans cette ville à écrire des hymnes et des homélies. Il composa quatre Hymnes contre Julien lorsqu’il fut exilé à Édesse, après la cession de Nisibe aux Perses, quelques années avant sa mort12. Dans ces hymnes, il réfléchit au sujet du sort de

10 Puisque la liste des auteurs ayant évoqué Julien, soit en quelques lignes, soit dans des discours entiers, est très longue, nous nous bornerons à citer ceux que nous avons qualifiés d’auteurs principaux. Nos critères pour trancher, à savoir si un auteur était principal ou secondaire, sont basés sur la longueur des textes faisant référence à Julien, la popularité de l’auteur à son époque et la relation qu’il a entretenue avec Julien au cours de sa vie. Les auteurs secondaires, cités de manière sporadique, seront présentés lors de la première mention. 11 Sur la naissance d’Éphrem à Nisibe, cf. Sozomène, HE, III, 16 : « Lui qui était de Nisibe, ou des environs. » ὃς ἐκ Νισίβεως ἢ τῶν τῇδε χωρίων. Tout le chapitre 16 est consacré à la vie d’Éphrem. Les autres historiens ecclésiastiques (Sozomène et Théodoret entre autres) ont aussi un chapitre consacré à Éphrem, mais ils ne nous apprennent guère davantage que ce qui a déjà été dit dans les sources qu’ils consultèrent. Les

informations les plus plausibles sont celles que nous retrouvons dans l’œuvre d’Éphrem (informations qui ont été réunies, par L. Leloir, Doctrines et méthodes de S. Éphrem d’après son Commentaire sur l’évangile

concordant (original syriaque et version arménienne) (CSCO 220), Subsidia, 18, Louvain, Secrétariat du

CorpusSCO, 1961, p. 53-67, mais Jacques de Saroug et Barḥadbšabba, auteurs syriens, sont deux sources externes auxquelles on peut aussi se référer. Cf. B. Outtier, « Saint Ephrem d’après ses biographies et ses œuvres », PdO 4, 1973, p. 25-26. En outre, nous n’aborderons pas le problème des vies d’Éphrem, qui nous éloignerait trop de notre sujet principal, mais il est somme toute bien traité dans cet article de B. Outtier. 12 Sur l’œuvre d’Éphrem le Syrien, nous utilisons l’édition en deux volumes de E. Beck, Des heiligen

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Nisibe et se présente lui-même comme un héritier véritable de la tradition prophétique juive, interprétant les événements historiques, inspiré par la Providence divine au sujet de l’accomplissement de la justice dans le monde13. Comme il le dit, il doit y avoir une raison

pour que Dieu ait permis la prise de Nisibe14. Pour lui, la cause est limpide : l’apostasie de

l’empereur et de ceux qui le suivirent dans sa restauration de la religion antique : « Qui a multiplié la création des autels ? / Qui a multiplié les honneurs à tous les mauvais esprits ? / Qui a multiplié les réconciliations de tous les démons ? / Il mit en colère seulement l’Unique et il fut anéanti / En lui, fut réfuté tout le parti de la gauche15 / une puissance

incapable de supporter ses fidèles16. »

Libanios (PLRE17, Libanius 1 ; 314-393), rhéteur du IVe siècle, fut quant à lui,

probablement le plus fidèle admirateur de Julien et fervent défenseur en vue du rétablissement des anciens cultes. Il a écrit beaucoup de discours adressés à Julien18. Les

deux hommes se rencontrèrent pour la première fois à Nicomédie lorsque Julien avait environ vingt ans. À partir de ce moment, ils restèrent en contact jusqu’à la mort de

Louvain, Secrétariat du CorpusSCO, 1957 et Des heiligen Ephraem des Syrers Hymnen de Paradiso und

Contra Julianum [édition] (CSCO, 175, Scriptores Syri 78),, Louvain, Secrétariat du CorpusSCO, 1957. Sur

la vie et l’œuvre d’Ephrem, nous référons aussi à l’introduction de K. E. McVey, Ephrem the Syrian, New York/Mahwah, Paulist Press, 1989 qui est bien synthétisée et qui comporte plusieurs notes infrapaginales explicatives. Il est dommage que les traductions de cet ouvrage ne soient pas accompagnées de l’édition du texte original surtout que l’auteure fait souvent référence au syriaque dans les notes. Nous comparons systématiquement sa traduction avec celle de E. Beck.

13 R. Contini, « Giuliano imperatore nella traduzione Siriaca », Da Costantino a Teodosio il Grande. Cultura,

società, diritto : atti del Convegno internazionale, Napoli 26-28 aprile 2001, Naples, M. D’Auria, 2003,

p. 120-121.

14 K. E. McVey, Ephrem, p. 23.

15 Cette phrase est constamment utilisée pour référer à un passage de Mathieu, 25, 33 sq. : ܠܐܡܤܖ ܐܒܔ 16 Sauf mention contraire, toutes les traductions d’auteurs anciens et modernes sont

de notre main. Éphrem le Syrien, Hymnes contre Julien, IV, 6 :

ܐܬܘܠܥ ܢܟܗ ܐܘܗ ܝܓܣܐܕ ܘܢܡ ܢܝܘܝܕ ܠܟܠ ܢܟܗ ܐܘܗ ܪܩܝܕ ܘܢܡ ܢܝܕܐܫ ܠܘܟܠ ܢܟܗ ܐܘܗ ܝܥܪܕ ܘܢܡ ܪܒܬܬܐܘ ܙܓܪܐ ܕܘܚܠ ܘܗ ܕܚܠ ܠܐܡܣܕ ܐܒܓ ܗܠܟ ܣܣܟܬܐ ܗܒ ܝܗܘܕܘܓܣܠ ܡܘܩܢܕ ܚܟܫܡ ܠܐܕ ܘܗ ܠܐܝܚܕ

17 A. H. M. Jones, J. R. Martindale, J. Morris, The Prosopography of the Later Roman Empire I, A.D.

260-395, Cambridge, Cambridge University Press, 1971, p. 505-507. Nous abrégeons PLRE pour la suite.

18 Les Discours julianiques écrits par Libanios ne sont pas publiés en français à ce jour. Nous utilisons l’édition de la collection Loeb Classical Library en la comparant avec l’édition de R. Foerster, Libanii Opera, Hildesheim, G. Olms, 1985 [1903-1927].

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l’empereur et Libanios est considéré, encore à ce jour, comme le meilleur ami de Julien19.

En effet, à plusieurs reprises, il utilise le vocable ἑταῖρος pour désigner Julien et chez lui, ce mot signifie à la fois l’élève et le « coreligionnaire païen20 ». Comme il n’avait pas le droit

de suivre les cours de Libanios, Julien se les faisait acheminer en secret21. Lors de son

passage à Antioche, Libanios se trouva pris entre son affection pour Julien et son amour pour sa patrie. En tant qu’empereur, Julien avait pris plusieurs mesures impopulaires parmi les chrétiens, tout en recevant des acclamations de ses partisans. Libanios était bien renseigné sur Julien ainsi que sur ses œuvres22.

Grégoire de Nazianze (329-390) connut Julien au moment où ce dernier séjournait

à Athènes, en 355, avant d’être nommé César. Pour faire contrepoids aux louanges qui abondaient chez les Grecs, il voulut montrer sous son vrai jour toute la cruauté hypocrite et perfide qui attisait le persécuteur. Dans son Discours IV, après une brève introduction dans laquelle il invite tous les chrétiens à la fête, il aborde l’hypocrisie des premières années de Julien – avant qu’il ne proclame ouvertement son adhésion aux cultes ancestraux –, puis sa vie en tant qu’empereur. Il s’agit d’un réquisitoire complet dans lequel il juge et condamne toutes les injustices du tyran, ses cruautés, ses calculs insensés, ses superstitions ridicules. Dans la seconde partie de son discours, le théologien raconte les prodiges par lesquels Dieu renversa les desseins de l’Apostat : le tremblement de terre qui empêcha la reconstruction du temple de Jérusalem, l’expédition contre les Perses, la mort de Julien et ses funérailles. Il lance contre son adversaire les sarcasmes les plus amers :

Voilà notre récit, à nous les Galiléens, nous les déshonorés, qui nous prosternons devant le crucifié, nous les disciples des pécheurs et des abrutis, comme ils disent. […] Où sont les prédictions merveilleuses et les “signes des ventriloques” ? Où sont la célèbre Babylone dont tout le monde parle et toutes les habitations considérées avec un peu de sang maudit ? Où sont les Perses et

19 J. Bidez, La vie de l’empereur Julien, p. 339. Au Moyen Âge, il était tenu pour son « séneschal ».

20 Libanios, Orat. XV, 13 ; XVI, 16 ; XVII, 36. Sur le sens du terme chez Libanios, cf. P. Petit, Les Étudiants

de Libanius, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1956, p. 36-42.

21 Libanios, Orat. XVIII, 13 : ὁ δὲ οὐ φοιτᾷ μὲν παρ’ ἐμὲ ποιούμενον [...] τοὺς λόγους δὲ ὠνούμενος ὁμιλῶν οὐκ ἀνίει. « Mais il (sc. Julien) ne fut pas insensé et n’étudia pas auprès de moi. […] Il se procura mes discours et ainsi ne révéla pas notre association. […]. »

22 Sur l’influence des oeuvres de Julien dans les discours de Libanios, cf. l’excellente thèse de P. Célérier,

L’ombre de l’empereur Julien. Le destin des écrits de Julien chez les auteurs païens et chrétiens du IVe au VIe siècle, Paris, Presses Universitaires de Paris-Ouest, 2013, p. 17-87 qui analyse chacun des discours de

Libanios pour trouver les référents directs au texte de Julien. Ses analyses sont pertinentes et ses conclusions convaincantes.

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les Mèdes retenus dans nos mains ? Où sont les dieux qui vous précédaient, qui vous accompagnaient, qui combattaient devant vous et avec vous ? Où sont les oracles contre les chrétiens, les menaces et la destruction imminente, même jusqu’à notre nom ? Tout cela a disparu, elles ont menti, elles se sont perdues, un rêve dit-on, les vantardises des impies23.

Dans cette réjouissance, il n’a pas oublié de dire aux chrétiens qu’ils ne devaient pas manifester leur joie par des signes de réjouissance extérieure, mais par des actes de religion24. Quelque qualité que Julien ait pu avoir, il n’en reste pas moins que la manière

dont Grégoire l’a dépeint – en hypocrite, superstitieux et cruel, « réactionnaire insensé25 »

qui a lamentablement échoué – a subjugué l’imaginaire collectif de son époque et des époques successives.

Ammien Marcellin (PLRE26, Ammianus Marcellinus 15 ; 330-395), historien grec

né à Antioche qui écrivit en latin, a, tout comme Libanios, grandement admiré Julien et une importante section de son œuvre est consacrée à cet homme qui l’a profondément marqué27.

Il est l’auteur des Res gestae, dont seuls les livres qui couvrent les années 353 à 378 ont été conservés, ce qui représente 17 des 31 livres de son histoire. Il s’agit de la partie la plus détaillée de l’œuvre puisque c’est l’époque à laquelle l’historien a vécu. Il y traite de la période où commencèrent les grandes invasions, alors que lui-même était soldat sous les règnes de Constance II et de Julien. Il a voulu raconter l’histoire de manière impartiale, faire une défense objective de l’homme (en dépit de ses défauts) et une défense de son

23 Grégoire, V, 25. Ταῦτα τῶν Γαλιλαίων ἡμῶν, ταῦτα τῶν ἀτίμων τὰ διηγήματα· ταῦτα οἱ τὸν ἐσταυρωμένον προσκυνοῦντες ἡμεῖς, ταῦτα οἱ τῶν ἁλιέων μαθηταὶ καὶ τῶν ἀπαιδεύτων, ὡς αὐτοὶ λέγουσι· […]Ποῦ τερατεία προγνώσεως καὶ “σημεῖα ἐγγαστριμύθων” ; Ποῦ Βαβυλὼν ἡ ἔνδοξος θρυλλουμένη καὶ οἰκουμένη πᾶσα περινοουμένη δι’ ὀλίγου καὶ ἐναγοῦς αἵματος ; Ποῦ δὲ οἱ ἐν τῇ χειρὶ κρατούμενοι Πέρσαι καὶ Μῆδοι ; Ποῦ δὲ οἱ προπεμπόμενοι καὶ παραπέμποντες καὶ προπολεμοῦντες καὶ συμπολεμοῦντες θεοί ; Ποῦ αἱ κατὰ χριστιανῶν μαντεῖαι καὶ ἀπειλαὶ καὶ ἡ κατὰ προθεσμίαν κατάλυσις ἡμῶν μέχρις ὀνόματος ; Οἴχεται πάντα, διέψευσται, διερρύηκεν, ὄναρ ἐφάνη τῶν ἀσεβῶν τὰ κομπάσματα.

24 Id., V, 37 : « Triomphons par notre bonté de ceux qui nous ont tyrannisés et que notre philanthropie soit plus grande que le fait de nous unir, et que la puissance du commandement nous donne en retour une philanthropie égale dans les choses dont nous avons besoin. Et si notre cœur est empreint d’amertume, laissons aller vers Dieu et vers le tribunal de l’au-delà ceux qui nous ont chagrinés, mais que nos actions ne retranchent rien à la colère à venir. » Νικήσωμεν ἐπιεικείᾳ τοὺς τυραννήσαντας καὶ μάλιστα μὲν φιλανθρωπία ἔστω τὸ συγχωροῦν καὶ ἡ τῆς ἐντολῆς δύναμις, τὴν ἴσην ἀντιδιδοῦσα φιλανθρωπίαν ἡμῖν ἐν οἷς αὐτοὶ χρῇζομεν· Εἰ δὲ καὶ λίαν τις πικρῶς ἔχει, ἀφῶμεν Θεῷ τοὺς λελυπηκότας καὶ τῷ ἐκεῖθεν δικαστηρίῳ· μηδὲν τῆς μελλούσης ὀργῆς διὰ τῆς ἡμετέρας χειρὸς ἐλαττώσωμεν.

25 B. Alphonse, Saint Grégoire de Nazianze ; sa vie, ses œuvres et son époque, Hildesheim, G. Olms, 1973, p. 174.

26 A. H. M. Jones et al., PLRE, p. 547-548.

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prestige militaire, donc de son armée : « Mais moi, quel que soit le récit, il ne sera pas agencé de faussetés dévoilées, mais de la confiance entière dégagée des événements, étayée par des faits historiques clairs, fondée sur des preuves évidentes, aboutira, à peu de choses près, au thème de l’éloge28. » Sa position est évidente : il juge sévèrement le règne de

Constance, mais démontre une grande ferveur envers celui de Julien29. En effet, pour

l’historien, Julien demeure le modèle de l’empereur idéal. À l’instar de K. Rosen, nous pensons que les dix livres qu’Ammien a consacrés à Julien constituent la clé de voûte de l’œuvre30. Outre Libanios, les auteurs ayant alloué autant de lignes à Julien ne sont pas si

nombreux.

A contrario, les historiens ecclésiastiques du Ve siècle discutèrent de l’époque de

Julien, mais leurs œuvres ne tournent pas autour de sa vie. L’histoire ecclésiastique est un genre littéraire en soi qui a été créé par Eusèbe de Césarée et qui a connu son apogée au milieu du Ve siècle principalement grâce aux œuvres de Socrate le Scholastique

(380/90-après 439), d’Hermias Sozomène (380-(380/90-après 446) et de Théodoret de Cyr (393-460/466)31.

Les trois ont narré la même période, allant de Constantin le Grand à Théodose le Jeune, et ainsi, ils n’ont pu passer à côté de l’épisode du règne de Juilen32. Ils construisent leurs récits

autour des empereurs qui se sont succédé et leurs jugements des événements sont somme toute similaires. Ils ont été classés et étudiés toujours l’un à la suite de l’autre, tant les ressemblances étaient frappantes, mais certains travaux plus modernes tendent à se concentrer sur leurs différences pour les reconnaître comme auteurs de manière

28 Sur l’œuvre d’Ammien, nous utilisons l’édition des Belles Lettres en six tomes, dont la référence complète se trouve dans la bibliographie. Nous avons parfois senti le besoin de modifier le texte en fonction des différentes lectures dans l’apparat critique. Ces changements seront signalés en note. Ammien, XVI, 1, 3 :

quicquid autem narrabitur, quod non falsitas arguta concinnat, sed fides integra rerum absoluit documentis euidentibus fulta, ad laudatiuam paene materiam pertinebit.

29 J. Fontaine, « Le Julien d’Ammien Marcellin », L’empereur Julien, p. 35-36.

30 K. Rosen, Julian. Kaiser, Gott und Christenhasser, Stuttgart, Klett-Cotta, p. 23 : « Julian muß den

Geschichtsschreiber so beeindruckt haben, daß er beschloß, ihn zur Zentralgestalt der Res gestae zu Machen. »

31 En ce qui concerne l’édition des œuvres des trois historiens, nous utilisons principalement celle publiée dans la collection des Sources chrétiennes. Cf. la bibliographie pour les références complètes des œuvres. Sur le texte de Socrate, nous comparons avec l’édition suivante, qui comprend seulement le texte grec : Sokrates

Kirchengeschichte, texte édité par G. C. Hansen et M. Širinjan, Berlin, Akademie Verlag, 1995. Sur le texte

de Sozomène, nous utilisons aussi Sozomenos Historia ecclesiastica Kirchengeschichte, texte édité et traduit par G. C. Hansen, Turnhout, Brepols Publishers, 1960.

32 I. Krivouchine, « L’empereur païen vu par l’historien ecclésiastique : Julien l’Apostat de Socrate », JÖB, 1997, p. 14.

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individuelle33. Les historiens ne basent pas leur réflexion sur le débat entre culte

traditionnel et christianisme, mais traitent particulièrement des débats qui subsistaient alors au sein même de l’Église34. Nous avons choisi ces trois historiens pour leur représentation

de Julien, qui diffère d’un auteur à l’autre, et dans laquelle on note une certaine évolution.

L’Histoire ecclésiastique de Socrate comprend sept livres en tout et le troisième est presque entièrement consacré à l’époque de Julien. Dans son œuvre, l’historien développe deux sujets : l’empire romain et l’affermissement de l’Église d’une part ; l’Église et les discordes religieuses d’autre part. Ces deux thèmes ne se croisent à peu près jamais dans le livre et selon I. Krivouchine, c’est parce que Socrate ne pensait pas que la politique antichrétienne de Julien ait pu influer sur le déroulement de la lutte au sein de l’Église35.

Selon lui, Julien Empereur n’aurait donc pas eu de rôle à jouer dans le fil des événements qui sont survenus durant son règne. Sozomène, dont le grand-père a souffert des persécutions sous Julien, s’est grandement inspiré de l’œuvre de Socrate. Son récit débute avec un mauvais présage, se poursuit avec la description de signes évoquant le mécontentement de Dieu et les mauvaises actions de Julien envers les chrétiens pour se terminer avec la mort de Julien et l’avènement de Jovien. La composition générale de son œuvre présente un certain déséquilibre puisque le court règne de Julien occupe le livre V au complet et déborde même sur le suivant, alors que le règne des Valentiniens – qui dura une quinzaine d’années en tout – occupe seulement le restant du sixième livre. Dans son introduction, G. Sabbah émet l’hypothèse que Sozomène aurait voulu se dissocier de Socrate qui, lui, avait clos son livre III avec la mort de Julien et n’avait pas empiété sur le livre suivant36. Théodoret a sans doute connu l’œuvre de Socrate, mais comme le note

J. Bouffartigue, il n’y a pas de coïncidences littéraires telles qu’on en retrouve chez

33 G. Sabbah, dans l’introduction à sa récente traduction de Sozomène, rappelle qu’il a utilisé Socrate, mais sans jamais le citer. Il a bien montré qu’il faut considérer la méthode et l’histoire de Sozomène comme une construction personnelle dans laquelle on peut noter une influence socratique. Cf. Sozomène, Histoire

Ecclésiastique. Livres V-VI, p. 59-65.

34 Nous faisons référence ici entre autres à la crise arienne, aux nombreux conciles qui eurent lieu (Antioche en 341 et 361, Constantinople en 360, Alexandrie en 362, etc.) Pour plus de détails, cf. les introductions des trois auteurs et sur les principaux conflits entre le christianisme et le paganisme, cf. A. Momigliano (éd.) The

Conflict between Paganism and Christianity in the Fourth Century, Oxford, Oxford Clarendon Press, 1963.

35 I. Krivouchine, « L’empereur païen vu par l’historien ecclésiastique : Julien l’Apostat de Socrate »,

Jahrbuch der österreichischen Byzantinistik 47, 1997, p. 16.

36 Sozomène, HE, texte établi par J. Bidez et G. C. Hansen, introduit et annoté par G. Sabbah et traduit par A.-J. Festugière et B. Grillet, Paris, Éditions du Cerf, p. 11.

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Sozomène. À l’instar de ce dernier, il adopte la vision négative de Julien, traditionnelle chez ceux qui adhéraient aux idéologies chrétiennes37. La grande différence, en opposition

aux deux autres historiens, c’est que chez Théodoret, nous avons vraiment l’impression de lire un Contre Julien dans lequel l’auteur juge sévèrement l’empereur impie. Il explique ainsi pourquoi il ne pouvait joindre le récit du règne de Jovien à la suite de celui de Julien : « Pour ma part, je mets fin à cet écrit (sc. le règne de Julien) avec des festivités au sujet de la mort du tyran, car je ne conçois pas qu’il serait juste de lier un règne pieux à une domination impie38. »

Cyrille d’Alexandrie, évêque et écrivain ecclésiastique né en 376, réfuta, dans son

Contre Julien, une œuvre de Julien, le Contre les Galiléens, qui ne subsiste plus qu’à

travers le texte de Cyrille39. Ce dernier se justifie à propos des raisons qui l’ont poussé à

contester l’écrit de Julien, quelque 70 ans après la mort de ce dernier :

“Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs”, comme dit le très sage Paul. Il faut, dis-je, que ceux qui souhaitent avoir un esprit solide, et la transmission de la vraie foi, comme une pierre bien gardée dans leur esprit, ne fournissent aucune occasion de s’introduire auprès d’eux, c’est-à-dire aucune matière à ceux qui craignent notre religion. […] Le très puissant Julien avait donc une heureuse disposition d’éloquence. Il l’utilisa contre le Christ, Sauveur de nous tous. Et il écrivit même trois livres contre les saints Évangiles et contre la très pure religion des chrétiens. Il les secoua tous et fit du tort sans mesure40.

Au Ve siècle à Alexandrie, les idées du défunt empereur étaient encore reçues

favorablement par l’élite non-chrétienne et les pratiques reliées au culte traditionnel – que

37 La raison pour laquelle Julien connut une mort prématurée et un règne peu glorieux, c’est parce que Dieu démontra sa colère envers lui et protégea les chrétiens en leur offrant Jovien comme successeur.

G. W. Bowersock, Julian the Apostate, p. 2-3 ; W. E. Kaegi, Byzantium and the Decline of Rome, Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 193-194.

38 Théodoret, III, 28, 3 : Ἐγὼ δὲ τὴν ἐπὶ τῇ τελευτῇ τοῦ τυραννοῦ χορείαν τέλος ἐπιθήσω τῇ συγγραφῇ· οὐ γὰρ ὅσιον ὑπέλαβον εὐσεβῆ συνάψαι βασιλείαν τῇ δυσσεβεῖ δυναστείᾳ. Socrate, même s’il jugea assez sévèrement Julien, mit le règne de Jovien directement à la suite : III, 22, 1-9.

39 Cyrille n’est certes pas le premier à réfuter Julien, mais il semble que ce soit le premier à avoir voulu s’attacher plus directement au Contre les Galiléens.

40 Cyrille, Contre Julien, Adresse, 4 : “φθείρουσι γὰρ ἤθη χρηστὰ ὁμιλίαι κακαί”, καθά φησιν ὁ πάνσοφος Παῦλος. Χρῆναι δέ φημι τοὺς ἑδραῖον ἔχειν ἐθέλοντας φρόνημα καὶ τῆς ὀρθῆς πίστεως τὴν παράδοσιν καθάπερ τινὰ μαργαρίτην τηροῦντας εἰς νοῦν μηδεμίαν διδόναι παρείσδυσιν ἤγουν παρρησίας τόπον τοῖς ἐθέλουσι δεισιδαιμονεῖν· […] Ἔχων τοίνυν εὐφυᾶ τὴν γλῶτταν ὁ κράτιστος Ἰουλιανὸς κατέθηξεν αὐτὴν τοῦ πάντων ἡμῶν Σωτῆρος Χριστοῦ· καὶ δὴ καὶ τρία συγγέγραφε βιβλία κατὰ τῶν ἁγίων εὐαγγελίων καὶ κατὰ τῆς εὐαγοῦς τῶν Χριστιανῶν θρησκείας, κατασείει δὲ δι’ αὐτῶν πολλούς, καὶ ἠδίκηκεν οὐ μετρίως. La citation de Cyrille au début de l’extrait provient de Paul, 1 Corinthiens, 15, 33 et est empruntée à Ménandre à l’origine. Cyrille se justifie à nouveau au livre II, 1 de la nécessité de réfuter le Contre les Galiléens.

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ce soit les sacrifices ou l’adoration d’idoles dans les temples – étaient encore populaires41.

Cyrille répond donc aux accusations portées par Julien une par une et se permet aussi d’exposer la doctrine chrétienne. On peut y voir s’affronter les idéaux de Julien et ceux de Cyrille. Selon P. Évieux, il y a une similitude entre les pensées des deux auteurs. En effet, la connaissance de la divinité est importante, mais le sage doit aussi être en mesure de l’imiter afin d’être un guide pour les autres. Le rôle du Christ – chez Cyrille – et d’Hélios – chez Julien – est analogue puisqu’ils sont un intermédiaire entre Dieu et la création. P. Évieux note cependant que les différences qui subsistent sont nombreuses, notamment la notion de Dieu faussement transcendant chez Julien (parce que d’autres divinités émanent de lui) et le Dieu personnel de Cyrille, sans cesse présent dans l’univers qu’il a créé. On note aussi chez Julien l’atteinte de la Vérité grâce à la philosophie grecque et aux mystères grecs et orientaux, tandis qu’avec Cyrille, même si les philosophes grecs ont partiellement atteint la vérité, c’est seulement dans la foi chrétienne que l’on peut connaître Dieu et l’imiter42.

Après avoir fait ressortir les caractéristiques principales de la relation que Julien a entretenue avec les auteurs principaux de notre corpus, nous pouvons dès lors nous pencher sur les textes afin de voir comment ces différents degrés de proximité avec l’empereur se répercutent dans les œuvres. Il faut débuter avec le portrait de Julien par lui-même avant de passer aux autres auteurs.

Nous terminerons cette analyse littéraire avec le point culminant de la légende de Julien, qui perdura jusqu’à l’époque moderne. Il s’agit des textes syriaques43 que leur

41 Voir la très bonne synthèse sur le contexte socio-religieux de l’époque dans l’introduction de P. Burguière et P. Évieux, Cyrille d’Alexandrie, Contre Julien I, p. 9-20. C’est d’ailleurs cette édition que nous utilisons pour le texte de Cyrille en la comparant à Giuliano Imperatore. Contra Galilaeos. Introduzione, testo critico e

traduzione, texte établi et traduit par E. Masaracchia, Rome, Edizioni dell’Ateneo, 1990. Il existe aussi des

fragments en syriaque des deuxième et troisième livres du Contre les Galiléens de Julien, aujourd’hui perdus. Nous les retrouvons dans K. J. Neumann, Iuliani Imperatoris librorum contra Christianos quae supersunt

(Scriptorum graecorum qui Christianam impugnaverunt religionem quae supersunt), Leipzig, B. G. Teubner

2010 [1880].

42 Pour plus de détails sur les différences et les ressemblances dans la pensée de Julien et de Cyrille, cf. Cyrille, Contre Julien, p. 77.

43 Les manuscrits de ces textes sont respectivement conservés sous les références Add. MS 14641 et BL Richmond 7192. Voir sous « Aplōrīs », col. 41 et « Noeldeke (Theodor) », col. 825, C. Moss, Catalogue of

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éditeur, J. G. E. Hoffmann, désigna sous le titre suivant : Julianos der Abtruennige.

Syrische Erzaehlungen, et qui furent traduits en anglais sour le titre de Syriac Julian Romance44. Le genre littéraire de ces textes est encore très discuté : nous préférons utiliser

le terme d’« Histoires » à l’instar de J G. E. Hoffmann (Erzaehlungen) parce qu’une classification précise de ces textes dans une catégorie ou l’autre – que ce soit roman, texte hagiographique ou propagande religieuse – pourrait porter à confusion. En effet, les caractéristiques littéraires de chacune des parties sont si distinctes que l’utilisation d’un terme en particulier ne nous semble pas appropriée45. Ces textes ont d’abord retenu

l’attention de Th. Nöldeke, orientaliste allemand. Dans un long article, il présenta un résumé exhaustif basé sur le premier manuscrit et discuta de plusieurs éléments tels la date d’élaboration, l’auteur, la langue originale, le lieu d’origine du texte. Durant la même année, il publia la traduction d’un texte, plus court que le précédent, le deuxième manuscrit trouvé, qui traitait de l’apostasie de Julien, de sa vénération des démons et de son goût pour la magie et la sorcellerie46. À l’instar de W. Wright dans son Catalogue of Syriac

Syriac Printed Books and Related Literature in the British Museum, Piscataway, Gorgias Press, 2008 [1962].

W. Wright, Catalogue of Syriac manuscripts in the British Museum acquired since the year 1838 III, Piscataway, Gorgias Press, 2002, p. 1042-1046, sous la référence DCCCCXVIII. La partie de l’introduction qui manque au début du premier manuscrit est partiellement préservée dans le palimpseste du MS Syr. 378, conservé à Paris. Sur ce dernier, cf. S. Brock, A. Muraviev, « The Fragments of the Syriac Julian Romance from the Manuscript Paris Syr 378 », Христианский Восток II (VIII), 2000, p. 14-34. Il faut aussi

mentionner l’existence d’un résumé arabe de la légende syriaque. Un manuscrit datant du Xe siècle représente probablement la traduction la plus ancienne en arabe du Roman. Pour plus d’information, cf. U. Ben-Horin, « An Unknown Old Arabic Translation of the Syriac Romance of Julian the Apostate », Scripta

Hierosolumitana 9, p. 1-10.

44 Nous utiliserons cette édition du texte syriaque, la seule qui existe à ce jour : Iulianos der Abtruennige.

Syrische Erzaehlungen, texte établi par J. G. E. Hoffmann, Leyde, E. J. Brill, 1923 (1880) et nous

comparerons notre traduction avec celle publiée en anglais au début du siècle dernier. Il faut cependant être prudent parce que cette traduction, souvent libre, ne comporte aucun commentaire, ni note et l’auteur n’a effectué aucune séparation en paragraphes ou en parties, si ce n’est celles qui se présentaient déjà dans l’édition d’Hoffmann. Ces détails rendent la traduction plus difficile d’approche et moins fiable : Julian the

Apostate. Now translated for the First Time from the Syriac Original (the only known MS. in the British Museum, Edited by Hoffman of Kiel), translated by H. Gollancz, Oxford University Press/Humphrey Milford,

London, 1928. Il faut aussi mentionner un glossaire basé sur les Histoires, qui devait servir, selon l’auteur, aux étudiants désireux d’apprendre le syriaque. Ce glossaire est très utile, notamment pour la traduction de mots ou de notions plus abstraites : A Selection from the Syriac Julian Romance Edited with a Complete

Glossary in English and German, translated by R. J. H. Gottheil, Leyde, E. J. Brill, 1969 (1906).

45 H. J. W. Drijvers, « Religious conflict in the Syriac Julian Romance », Christopher P. Jones (éd.), Pagan

and Christians in the Roman Empire (IVth-VIth Century A.D.). The Breaking of a Dialogue. Proceedings of the International Conference at the Monastery of Bose (October 2008), Cambridge/Londres, Harvard

University Press, 2014, p. 138-140.

46 Th. Nöldeke, « Üben den syrischen Roman von Kaiser Julian », ZDMG 28, 1874, p. 263-292 ; « Ein zweiter syrischer Julianusroman », ZDMG 28, 1874, p. 660-674.

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Manuscripts, Th. Nöldeke qualifia ces deux textes de « roman »47. Après l’édition de

J. G. E. Hoffmann, la légende de Julien ne reçut plus d’attention de la part des chercheurs durant environ soixante ans et, dans les années 1980, il y eut un regain d’intérêt, qui donna lieu à plusieurs publications scientifiques traitant de différents aspects du texte48.

La date d’élaboration des récits peut difficilement être fixée parce que les savants ne s’entendent pas. La composition a probablement eu lieu à l’École des Perses : les écrits et les idées d’Éphrem le Syrien, qui aurait été le premier directeur de cette école, semblent avoir influencé le contenu du Roman49. Selon H. J. W. Drijvers50, le but était de fournir au

lecteur une justification pour la perte de la ville de Nisibe au bénéfice des Perses, après la campagne en 36351. Pour la date de composition, ce dernier propose la période qui se situe

directement après la mort du roi des Perses, Shapur II. Dans ce cas, il faudrait placer l’œuvre à la fin du IVe siècle. En revanche, la date généralement retenue est celle de

Th. Nöldeke : les textes auraient été réunis dans les premières décennies du VIe siècle, soit

entre 500 et 530. Nous pouvons donc dire qu’ils furent rédigés quelque temps avant. Ce sont des éléments présents dans le texte, comme des dates ou des événements, ainsi que des tournures syntaxiques s’apparentant au grec qui permettent de dire que le texte a été écrit dans le courant du Ve siècle.

La première partie, incomplète, explique comment Julien l’impie52 reprit le

gouvernement à l’empereur Constantin : l’auteur porte une attention particulière à toutes les persécutions envers les chrétiens après la proclamation de Julien53. La seconde partie traite

47 W. Wright, Catalogue of Syriac manuscripts, p. 1042.

48 Il existe une poignée d’articles sur le sujet. Pour la bibliographie complète, cf. H. J. W. Drijvers, « Religious conflict », p. 5, n. 12.

49 Les Hymnes contre Julien écrites par Éphrem le Syrien, probablement l’année de la mort de Julien en 363, font une critique acerbe du personnage qu’il fut, principalement lors de son règne. Par la suite, la littérature syriaque fit régulièrement référence à Julien en des termes négatifs. Cf. R. Contini, « Giuliano Imperatore » p. 119-145.

50 H. J. W. Drijvers, « Julian the Apostate and the City of Rome : Pagan-Christian Polemics in the Syriac

Julian Romance », W. J. Van Bekkum, J. W. Drijvers, A. C. Klugkist (éds.), Syriac Polemics : Studies in Honour of Gerrit Jan Reinink, Louvain, Peeters Publishers and Department of Oriental Studies, 2007, p. 1-20.

51 Jovien, devenu empereur, avait conclu un traité de paix avec le roi des Perses et leur avait redonné la ville de Nisibe, dont Julien s’était précédemment emparée.

52 « Julian the Wicked », Julian the Apostate, p. 7 ; « ܣܘܙܝܠܘܝ ܐܥܝܫܪ », Iulianos der Abtruennige, p. 3. 53 Julian the Apostate, p. 7-9 ; Iulianos der Abtruennige, p. 3-5.

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principalement de la confrontation de l’empereur avec Eusèbe, évêque de Rome54. La

troisième partie est la plus longue de la légende : il s’agit de l’histoire du voyage de Julien à partir de Rome jusqu’à Constantinople. C’est lors de ce périple, sur le territoire des Araméens, selon le récit, qu’il sera tué par une flèche provenant de Dieu, alors que son armée et celle de Sapor se trouvent face à face55. Une dernière partie, lacunaire, présente

Julien en voleur et magicien, pratiquant des rituels. H. Gollancz a choisi de placer cette partie en annexe dans sa traduction parce qu’elle lui semble moins en rapport avec l’histoire de la vie de Julien56. Nous ne présenterons pas les choses ainsi puisqu’il est primordial de

considérer l’œuvre dans son entièreté. Même s’il semble y avoir des distinctions de style et de présentation dans les deux manuscrits, nous misons beaucoup sur le fait que les textes qui nous sont parvenus se présentaient ensemble. Nous ne négligeons toutefois pas l’analyse individuelle de chaque partie.

Ces récits furent très peu étudiés, mais ils sont d’une grande importance, tant pour la compréhension de la littérature syriaque que pour l’image chrétienne de Julien. Les manuscrits de ce texte sont conservés à la British Library ; le premier date de la première moitié du VIe siècle, le second, copié probablement du début du VIIe siècle, serait de la

main d’un autre scribe57. Puisque ces deux manuscrits existent en un seul exemplaire, nous

n’aurons pas à établir la tradition manuscrite du texte et utiliserons l’édition de 1880 par Hoffmann, la seule parue à ce jour58. Partant de ce que l’on connaît du contexte historique

et de la biographie de Julien, nous analyserons la manière dont l’ont successivement présenté les auteurs anciens, avant de considérer l’évolution et la transformation de son image, au fil du temps, jusqu’à la présentation dépréciative du Roman syriaque.

54 Julian the Apostate, p. 10-65 ; Iulianos der Abtruennige, p. 5-59.

55 Julian the Apostate, p. 66-255 ; Iulianos der Abtruennige, p. 59-242. Le récit de la mort en tant que telle se trouve dans Julian the Apostate, p. 197-201 ; Iulianos der Abtruennige, p. 185-189

56 Julian the Apostate, préface.

57 Pour les références complètes des manuscrits, cf. supra n. 36.

58 Dans le cadre du mémoire, il ne nous est pas paru pertinent de consulter directement les fac similés des manuscrits. En effet, comme il s’agit d’un texte assez tardif, l’écriture doit être bien lisible et ne devrait pas avoir causé tant de souci au chercheur à l’époque. Pour un travail de plus grande envergure, il conviendrait, non pas de refaire une édition complète, mais de corriger au besoin celle déjà existante.

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État de la question

La vie de Julien est un sujet sans cesse étudié et analysé depuis l’Antiquité. Ainsi, comme la cause exacte de sa mort lors de sa campagne en Perse n’a jamais été connue, bon nombre d’auteurs ont avancé différentes hypothèses, de la plus plausible à la plus fantaisiste. Sans parler des sources anciennes où l’on trouve des positions diverses, nous pouvons dire qu’à partir du Moyen Âge, l’image générale de l’empereur est négative, et ce, jusqu’aux XIXe et XXe siècles. Nous avons brièvement évoqué les humanistes et les

Lumières au début de l’introduction, donc nous passons directement au premier chercheur qui tenta de briser cette image terne qui persistait, au début du siècle dernier, J. Bidez, avec sa publication de La Vie de L’Empereur Julien en 193059. Contrairement à la pensée de

l’époque et en s’appuyant sur les sources, principalement sur les écrits de Julien, le chercheur exposa plusieurs éléments nouveaux. Il fut le premier à affirmer qu’il fallait voir en Julien un homme qui n’était peut-être pas aussi sombre que la tradition le laissait croire. Pratiquement tous les chercheurs qui travaillent sur le sujet l’ont cité puisque la biographie publiée dans la Collection des Universités de France est le pilier de la recherche sur le personnage. J. Bouffartigue60 est un autre auteur prolifique très important qui a écrit

nombre d’ouvrages sur Julien, mais aussi sur l’Antiquité tardive en général. En plus d’avoir rédigé la notice sur l’empereur dans le Dictionnaire des philosophes antiques61, ses

nombreux articles62 apportent des éclaircissements tant sur sa vie que sur ses écrits.

La littérature ancienne relative à Julien a aussi attiré l’attention des chercheurs modernes. De nombreux articles sont parus et paraissent encore chaque année, qui étudient la langue, la syntaxe, le style de ces auteurs afin de pouvoir déceler le moindre détail qui aurait pu échapper à leurs prédécesseurs et lever le voile sur les parties encore incertaines

59 J. Bidez, La Vie de l’Empereur Julien, Paris, Les Belles Lettres, 2012 (1930).

60 Son volume L’Empereur Julien et la culture de son temps, Paris, Éditions Brepols, 1992, étudie la culture telle qu’elle est dans la littérature que l’Empereur a laissée. C’est un ouvrage fréquemment cité parce que l’auteur y a noté toutes les références implicites ou explicites présentes dans l’œuvre de Julien et tente de découvrir leur origine.

61J. Bouffartigue, « Iulianus (Julien l’Empereur) », R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques,

III. D’Éccélos à Juvénal, Paris, CNRS Éditions, 2000, p. 961-978.

62 Voir entre autres « Julien entre biographie et analyse historique », AntTard 17, 2009, p. 79-89 ; « L’image politique de Julien chez Libanios », Pallas 60, 2002, p. 175-189 ; « Philosophie et antichristianisme chez l’Empereur Julien », Hellénisme et Christianisme, 2004, p. 111-131.

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de la vie du prince. Par exemple, la revue Antiquité tardive a consacré, il y a quelques années, un numéro complet à l’empereur63. Généralement, les articles sont écrits en

abordant un thème précis, une lettre ou encore une œuvre. Parfois il s’agit d’un article traitant du point de vue d’un autre auteur ancien en rapport avec l’empereur, comme ses agissements ou encore sa pensée64. On retrouve aussi des monographies plus générales,

telle que celle de G. Sabbah65, dans laquelle l’auteur ne parle pas directement de Julien,

mais puisqu’Ammien Marcellin en était très proche et que plusieurs livres de ses Res

Gestae parlent de l’empereur, il s’agit d’un passage obligé dans une étude sur l’historien.

Cette monographie nous a servi notamment pour orienter notre recherche et explorer différentes pistes grâce à la bibliographie très exhaustive. De plus, on ne peut passer sous silence le travail de R. Braun et J. Richer, qui ont rassemblé, dans un ouvrage, plus d’une vingtaine d’articles rédigés suite à un colloque, traitant tous de Julien. C’est une sorte de récapitulation de ce qui avait été publié jusqu’à ce moment-là (1978) sur le sujet. Les auteurs de ces contributions ont tenté d’apporter des réponses aux questions encore ouvertes, de manière très adroite66.

Julien fut un personnage controversé, du point de vue de la philosophie ou de la politique, mais surtout de la religion. Grégoire de Nazianze a fortement aidé à promouvoir l’image noire et macabre de l’empereur : sa grande influence fit en sorte que cette sombre légende prit le dessus sur le reste. Après le XXe siècle, les études devinrent plus nuancées.

R. Smith67 alla en ce sens parce qu’au lieu de dresser un portrait négatif et fondé sur les

63Antiquité Tardive 17, 2009.

64Pour ne citer que quelques exemples : G. Rochefort, « La démagogie de Saloustios et ses rapports avec celle de l’empereur Julien », BAGB 4, 1957, p. 53-61 ; S. H. Griffith, « Ephraem the Syrian’s Hymns “Against Julian”, Meditations on History and Imperial Power », VChr 41, 1987, p. 238-266 ; O. Lagacherie, « Libanios et Ammien Marcellin : les moyens de l’héroïsation de l’empereur Julien », REG 115, 2002, p. 792-802 ; B. Sidwell, « Ammianus Marcellinus and the Anger of Julian », Iris 21, 2008, p. 56-75.

65 G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin. Recherches sur la construction du discours historique dans

les Res Gestae, Paris, Les Belles Lettres, 1978.

66 R. Braun, J. Richer (éds.), l’Empereur Julien. De l’histoire à la légende (331-1715) I, Paris, Les Belles Lettres, 1978 ; De la légende au mythe (de Voltaire à nos jours) II, Paris, Les Belles Lettres, 1981. Nous déplorons le fait que cette publication, qui se veut savante, comporte un très (trop) grand nombre de coquilles et beaucoup d’erreurs dans les citations de passages. Citons par exemple « durait » au lieu de « aurait », p. 59 ; « Ammien Marsellin » au lieu de « Marcellin », p. 70 ; « Gtégoire » au lieu de « Grégoire », p. 91, etc. 67 R. Smith, Julian’s Gods ; Religion and Philosophy in the Thought and Action of Julian the Apostate, Londres, Routledge, 1995.

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agissements de l’empereur une fois proclamé, il ne fit que commenter les positions de Julien par rapport à ses choix religieux et à la philosophie, sans nécessairement prendre position. Cette étude objective ouvre aussi d’excellentes pistes de réflexion. Pour ce qui est de la légende à proprement parler, quantité d’auteurs modernes y sont allés de leurs hypothèses pour expliquer qui – ou ce qui – aurait tué l’empereur. La presque totalité des écrits sur Julien parlent de sa mort énigmatique ou du moins l’évoquent68.

Quant aux manuscrits syriaques, peu de chercheurs s’y sont intéressés. Th. Nöldeke est le premier à avoir porté attention à ce récit en publiant deux articles la même année69.

Par la suite, J. Hoffmann en a fait l’édition en 1880 comme nous l’avons dit et R. Gottheil a publié son lexique. Vingt ans plus tard, H. Gollancz70 a traduit le texte en anglais, seule

traduction complète que nous possédions à ce jour71. Puis, il se passa soixante ans avant

que M. van Esbroeck72 publia un article qui, plus tard, fut critiqué par les savants.

H. J. W. Drijvers et A. Muraviev sont les principaux chercheurs à avoir écrit sur le sujet73.

H. J. W. Drijvers s’est souvent opposé à M. van Esbroeck dans ses idées en réfutant, à l’aide d’arguments pertinents, les hypothèses qu’il avançait. Par exemple, M. van Esbroeck tenait ce récit pour un texte hagiographique en disant que « contrairement au roman d’invention, l’hagiographie interprète des événments qui ont eu lieu » et en vint à la conclusion que l’histoire avait originellement été composée en grec74. H. J. W. Drijvers y

voyait plutôt une propagande religieuse en faveur du christianisme initialement rédigée en

68 On pourra se référer entre autres aux ouvrages et aux bibliographies de J. Bidez, J. Bouffartigue ainsi qu’au collectif de R. Braun et J. Richer, afin d’avoir une vision détaillée sur le sujet.

69 Th. Nöldeke, « Über der syrischen Roman », p. 263-292 ; « Ein zweiter syrischer Julianusroman »,

Zeitschrift des Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 28, 1879, p. 660-674. À noter que ce second article

fait référence au deuxième manuscrit trouvé. 70 H. Gollancz, Julian the Apostate.

71 Il faut ajouter à cette traduction un résumé en français d’une trentaine de pages dans le collectif de R. Braun et J. Richer qui reprend la traduction en y ajoutant quelques notes, mais sans pousser plus la réflexion sur le texte. J. Richer, « Les romans syriaques (VIe et VIIe siècles) », R. Braun, J. Richer (éd.), p. 233-268. 72 M. van Esbroeck, « Le soi-disant roman de Julien l’Apostat », p. 191-202.

73 H. J. W. Drijvers, « The Syriac Romance of Julian. Its Function, Place of Origin and Original Language », R. Lavenant (éd.), VI Symposium Syriacum 1992 : University of Cambridge, Faculty of Divinity (30 August –

2 September 1992), Rome : Pontificio Instituto Orientale, 1994, p. 201-214 ; « Julian the Apostate and the

City of Rome », p. 1-20 ; A. Muraviev, « The Syriac Julian Romance and its Place in Literary History », Христианский Восток, 1/7, 1999, p. 194-206 ; « Les noms propres dans les résumés arabes du “roman ” syriaque sur Julien l’Apostat », PdO 24, 1999, p. 359-365.

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syriaque75. Au sujet de la langue de composition, H. J. W. Drijvers va dans le même sens

que Th. Nöldeke qui, lui, en faisant des recoupements avec le manuscrit arabe précédemment évoqué76, soutenait qu’il avait été écrit en syriaque et non en grec,

hypothèse qui sera aussi reprise par A. Muraviev. À la lumière de ces explications, nous analyserons le texte en nous référant aux hypothèses généralement retenues en ce qui concerne la forme du texte. Pour ce qui est de l’interprétation du fond de l’œuvre, nous ferons part de nos propres réflexions, tout en tenant compte des publications déjà parues.

L’intérêt du sujet

Aucune étude publiée à ce jour ne montre l’évolution du personnage de l’empereur et sa transformation à travers les siècles77. C’est là le côté novateur de l’ensemble de notre

mémoire. En effet, puisque dans la première partie, nous parlerons du contexte socio-historique et de ce que nous connaissons du Julien socio-historique, le lecteur aura en tête les événements attestés dans les sources et sera à même de faire des liens et des comparaisons lors de la lecture des deux autres parties. Plusieurs aspects de la légende syriaque peuvent surprendre lorsqu’ils sont lus hors contexte. Avec l’analyse chronologique que nous proposons, il sera plus aisé de comprendre ce qui a engendré une si grande transformation dans la perception que l’on a eue des actions et de la pensée de Julien. De plus, il n’existe pas de traduction française du texte syriaque. Nous ferons nos propres traductions et ce sera la première fois qu’une traduction de passages plus ou moins longs sera disponible en langue française.

Plusieurs articles, tels ceux de H. J. W. Drijvers et A. Muraviev portent sur la légende syriaque, mais ces chercheurs n’ont pas fait de rapprochements avec les écrits des autres auteurs de notre corpus : la légende est toujours étudiée seule. Dans le même ordre d’idée, les auteurs tels J. Bidez et J. Bouffartigue, qui ont écrit sur Julien et parlent de la

75 H. J. W. Drijvers, « The Syriac Romance of Julian », p. 202-203 et 214. 76 Cf. p. 11-12, n. 43.

77 Notons toutefois l’excellente thèse de P. Célérier qui étudie la place des écrits de Julien chez les auteurs païens et chrétiens du IVe au VIe siècle. Son approche constitue un bon point de départ pour notre étude, même si elle est totalement différente, mais n’est pas complète puisqu’il a laissé de côté les auteurs syriens.

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légende de sa mort, sans toutefois faire référence aux Histoires syriaques. Il en est de même par exemple pour G. Sabbah : il évoque la légende, mais pas le texte syriaque. Nous souhaitons, grâce à notre analyse chronologique, nous inscrire dans la lignée de ces chercheurs, tout en apportant une compréhension nouvelle du texte et nous pensons que c’est grâce à une analyse plus globale, qui porte sur les textes d’auteurs occidentaux et orientaux et qui se concentre vraiment à expliquer la légende selon ces sources, que nous y parviendrons.

Il eût été intéressant d’ajouter à ce plan une section traitant des théories de la réception, mais nous avons décidé de ne pas aborder cette question. En effet, vu la taille de notre corpus, ce travail de recherche pourrait, à lui seul, constituer une étude complète. Il est vrai que de traiter des auteurs et de leurs œuvres en étudiant aussi le « tiers état »78, le

lecteur, l’auditeur, ou le spectateur aurait ajouté à l’originalité du travail, surtout en tenant compte du fait que les auteurs proviennent de milieux différents, ne pratiquent pas la même religion et n’écrivent pas la même langue. Nous ferons une brève étude de la réception dans le dernier chapitre, puisque nous citerons principalement des extraits du Roman syriaque qui auraient pu subir une influence directe ou indirecte des auteurs qui avaient écrit au sujet de Julien deux siècles plus tôt. Le rapport avec les œuvres antécédentes aura donc un certain intérêt tout au long de notre travail.

Au sujet de l’empereur Julien, il existe déjà des études traitant de la réception de ses écrits et du personnage en tant que tel. D’abord, P. Célérier, dans la thèse L’ombre de

l’empereur Julien, traite de la réception et de l’utilisation des écrits de Julien chez les

auteurs chrétiens et païens du IVe au VIe siècle79. Dans cette étude, ceux qui lisent l’œuvre

de Julien sont ceux qui vont puiser de l’information, de l’inspiration et des tournures de phrases pour les inclure dans leurs propres textes. Sur la réception du personnage, l’excellente thèse de J. Boch dresse un portrait de la réception de Julien chez les auteurs

78 H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, traduit de l’allemand par C. Maillard, Paris, Gallimard, 1978, p. 11 (il s’agit de la préface de J. Starobinski).

79 P. Célérier, L’ombre de l’empereur Julien. Le destin des écrits de Julien chez les auteurs païens et chrétiens

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