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2. Le développement de la légende selon les sources littéraires

2.1 Portrait de Julien

2.1.1 Par Julien

Parmi tous les écrits que nous possédons à ce jour au sujet de Julien, que ce soit en sa qualité d’enfant, de César, d’empereur, quel que soit le support utilisé, monnaie, épitaphes, statues, il importe de tous les considérer. Il en est un que nous jugeons primordial et nous avons décidé de débuter l’analyse du portrait de Julien par ce qu’il dit lui-même à son sujet. Il s’agit d’une source que nous ne pouvons ignorer puisque les écrits de Julien, pour un empereur qui régna moins de deux ans, sont nombreux188. Son

témoignage est parfois irréfléchi ou inconscient, mais plusieurs éléments semblent avoir été insérés à dessein dans les textes. Comme le fait remarquer J. Bouffartigue, dans son article intitulé « Julien par Julien », Julien fut un homme « toujours poussé à se mettre en scène et dont la meilleure source d’inspiration est sa propre personne. Il n’est pas une de ses œuvres d’où le “je” soit absent189 ». En effet, dans le Misopogon, Julien se mit au premier plan afin

de justifier son amour du culte traditionnel et il répondit aux railleries lancées par les Antiochiens qui s’étaient moqués de son allure parce qu’il portait la barbe des philosophes lors de son arrivée dans la ville. Il fut le grand défenseur des pratiques ancestrales dans le

Contre Héracleios. Héracleios essaya de donner un nouveau souffle à un mythe ancien,

dans lequel il s’identifiait à Zeus et Julien à Pan, mais n’y parvint pas : « Je ne sais pas si ce récit est soit un mythe, soit la vérité. Et sur ce que tu as fait, qui veux-tu pour Pan et qui sera Zeus, si nous ne le sommes pas, moi et toi ? Tu es Zeus, je suis Pan ? Oh ! Le

187 Nous reprenons ici les trois thèmes étudiés par J. Bouffartigue dans son article « Julien par Julien », R. Braun, J. Richer (éds.), L’empereur Julien. De l’histoire à la légende I (331-1715), Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 15-30, puisqu’ils nous semblent tout à fait correspondre aux thèmes qui sont aussi illustrés dans la légenre syriaque et que ce sont trois points très importants dans la vie de Julien.

188 Il faut aussi noter qu’en général, peu d’œuvres d’empereurs nous sont parvenues pour les quelques princes qui ont écrit.

189 J. Bouffartigue, « Julien par Julien », L’Empereur Julien, p. 15 sq. Cet article est intéressant du point de vue des extraits cités, mais une critique qui revient régulièrement dans nos lectures de l’œuvre e

J. Bouffartigue est qu’il laisse beaucoup de place à une analyse psychologique moderne des sentiments et réactions. Nous ne pensons pas qu’il soit judicieux d’analyser, avec des notions modernes, la pensée d’un personnage antique.

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grotesque Pseudo-Pan190 ! » L’empereur fut donc, en quelque sorte, forcé de jouer le rôle de

mythographe pour donner l’exemple au Cynique et composa alors le mythe de sa propre vie, depuis la fin de l’empereur Constantin jusqu’au moment où il acceptera de revenir dans sa patrie, guidé par Hermès. C’est ainsi qu’il se porta au premier plan de cette œuvre191. Au

sujet de ses deux discours religieux192, il appuya son propos grâce aux liens qui

l’associaient aux divinités. En effet, sa célérité dans la composition ne lui laissa pas le temps de se livrer à des recherches et c’est donc en tant qu’être initié qu’il reçut la révélation afin de présenter ses doctrines : « Il me semble que je suis le seul parmi tous à savoir une reconnaissance infinie à tous les dieux tout-puissants, mais à la Mère des dieux plus qu’à tous les autres, de ne pas m’avoir laissé, entre autres faveurs, errer en quelque sorte dans les ténèbres193. » Il réussit aussi, fait intéressant, à faire une utilisation abusive du

pronom de la première personne, même dans les éloges qu’il proclama, adressés à d’autres194.

Ce par quoi Julien aspira le plus à se définir fut sa qualité d’adepte de la philosophie195. Dans sa Lettre à Thémistius, il dit qu’il n’était « épris que de

philosophie196 ». Même s’il faisait partie des fidèles de l’école de Jamblique, il a rendu

190 Julien, Contre Héracleios, 234C-D : Τοῦτο εἴτε μῦθος εἴτε ἀληθής ἐστι λόγος οὐκ οἶδα· τὸ παρὰ σοῦ δὲ πεποιημένον, τίνα βούλει τὸν Πᾶνα, τίυα δὲ εἶναι τὸν Δία, εἰ μή τοῦτον ὡς ἐσμὲν ἐγώ τε καὶ σύ, σύ μὲν ὁ Ζεύς, ἐγὼ δὲ ὁ Πάν ; Ὢ τοῦ γελοίου Ψευδόπανος.

191 Julien, Contre Héracleios, 226C-234C pour avoir le mythe dans son ensemble. 192 Il s’agit du discours Sur la mère des Dieux et du discours Sur Hélios-Roi.

193 Julien, Sur la Mère des Dieux, 174C : ἔοικα ἐγὼ μόνος ἐκ πάντων πολλὴν εἰδέναι τοῖς δεσπόταις θεοῖς μάλιστα μὲν ἅπασι, πρὸ τῶν ἂλλων δὲ τῇ Μητρὶ τῶν θεῶν, ὥσπερ ἐν τοῖς ἄλλοις ἅπασιν, οὕτω δὲ καὶ ἐν τούτῳ χάριν ὅτι με μὴ περιεῖδεν ὥσπερ ἐν σκότῳ πλανώμενον.

194 Julien, Éloge de Constance, 4B-C ; 22D-23A ; Éloge d’Eusébie, 13 ; etc.

195 Plusieurs savants ont débattu la question pertinente à savoir si Julien était réellement philosophe et quelle était sa philosophie. Nous avons décidé, pour la suite de l’analyse, de ne pas parler de Julien Philosophe parce que ce n’est pas une facette que nous retrouvons dans le Roman syriaque. Sur ces questions, nous renvoyons d’abord aux différentes biographies citées en introduction qui comportent toutes une section sur le Julien Philosophe, puis à ces travaux plus précis en ordre chronologique : J.-C. Foussard, « Julien Philosophe », R. Braun et J. Richer (dirs.), L’empereur Julien. De l’histoire à la légende (331-1715) I, Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 189-212 ; A. Marcone, « L’Imperatore Giuliano, Giamblico e il neoplatonismo. A proposito di alcuni studi recenti », Riv.Stor.It. 96, 1984, p. 1046-1052 ; J. Bouffartigue, « Philosophie et

antichristianisme chez l’empereur Julien », M. Narcy et É. Rebillard (éds.), Hellénisme et christianisme, Lille, Septentrion, 2001, p. 111-131 ; et à ces ouvrages généraux : Th. Whittaker, The Neoplatonists : a study in the

history of Hellenism, Hildesheim, G. Olms, 1961 ; R. Smith, Julian’s Gods ; Religion and Philosophy in the Thought and Action of Julian the Apostate, Londres, Routledge, 1995.

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hommage entre autres à Platon et Aristote à plusieurs reprises197. Il aurait sans doute aimé

être professeur de philosophie, comme on peut le comprendre dans son discours Sur Hélios-

Roi198, mais il n’a cessé de répéter qu’il n’atteignit jamais une connaissance suffisante de la

discipline. Par exemple, dans l’Éloge d’Eusébie, il confessait : « Je ne sais pourquoi cela (sc. le nom de philosophe) m’avait été imposé, mais en fait, j’étais tout à fait plein d’affection et terriblement passionné de cette activité (sc. la philosophie), mais encore loin d’y arriver, je ne sais pourquoi, ce nom se trouva associé à moi, mais en réalité, dépouillé de sens199. » Dans le Contre Héracleios, il révéla n’avoir atteint que « l’antichambre (τὰ

πρόθυρα) de la philosophie200 ». Du fait des nombreuses tâches qui lui avaient été imposées

en tant que militaire et chef d’état, il n’eut pas la possibilité de suivre tout l’enseignement philosophique dispensé à l’époque, comme il le dit dans cet extrait201. Nonobstant sa

modestie, nous notons un passage succinct où Julien s’est à la fois considéré philosophe et théologien202 et dans lequel il a exprimé l’importance pour lui de prendre soin de sa culture

et de son apparence physique. Ce comportement informe beaucoup sur l’image qu’il voulut laisser de lui-même et la manière dont il souhaitait être perçu de ses sujets. Ces détails se

197 Outre les philosophes néoplatoniciens qu’il faut classer dans une catégorie à part, vu la grande admiration que Julien leur portait, sur les grands philosophes qui figurent dans l’œuvre de Julien, Platon s’y trouve dix fois, Aristote neuf fois, Pythagore cinq fois, Socrate et les Stoïciens trois fois. Pour une étude détaillée et complète des savoirs théoriques et pratiques de Julien en matière de philosophie, cf. J. Bouffartigue,

L’empereur Julien et la culture, p. 547-578.

198 Julien, Hélios-Roi, 157D : Δοίη δὲ ὁ μέγας Ἥλιος μηθὲν ἔλαττόν με τὰ περὶ αὐτοῦ γνῶναι καὶ διδάξαι κοινῇ τε ἅπαντας, ἰδίᾳ δὲ τοὺς μανθάνειν ἀξίους : « Puisse le grand Hélios ne pas me faire moins connaissant de ce qui le concerne et d’en instruire tout le monde en public, mais en privé ceux qui sont dignes de

comprendre. » Peut-être pouvons-nous simplement considérer qu’il voulait profiter de la visibilité qui lui était offerte en tant qu’empereur pour promouvoir, en plus du culte traditionnel, sa philosophie.

199 Julien, Éloge d’Eusébie, 120B : Τοῦτο δέ, οὐκ οἶδα ὅντινά μοι τρόπον ἐπικείμενον, ἀγαπήσαντι μὲν εὖ μάλα τὸ ἔργον καὶ ἐρασθέντι δεινῶς τοῦ πράγματος, ἀπολειφθέντι δέ, οὐκ οἶδα ὅντινα τρόπον ὄνομα ἐτύγχανε μόνον καὶ λόγος ἔργου στερόμενος.

200 Julien, Contre Héracleios, 235A et C.

201 Cette métaphore est justifiée, s’il n’a pas complété les études, mais en philosophie, le terme antichambre a une signification particulière. En effet, il est utilisé dans l’expectative d’un enseignement débouchant sur des connaissances supérieures. Nous ne pensons pas que cette utilisation fut involontaire, mais il n’est pas possible de trancher sur la question. Sur le terme en tant que tel, on le retrouve aussi chez Proclus,

Commentaire sur l’Alcibiade 61, 6-17 : τοῖς τῆς φιλοσοφίας προθύροις et on peut le rapprocher du latin uestibulum, utilisé entre autres dans le Commentaire au songe de Scipion, I, 1, 6 et I, 2, 13 de Macrobe. Sur

l’enseignement philosophique et ses degrés, cf. H.-I. Marrou, Histoire de l’Éducation dans l’Antiquité, Paris, Éditions du Seuil, 1965, p. 310-313 et J. Bouffartigue, L’empereur Julien et la culture de son temps, Paris, Éditions Brepols, 1992, p. 563-567.

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trouvent aussi dans les différentes dédicaces d’autres auteurs qui le qualifièrent d’empereur le plus dévoué aux dieux et aux cultes ancestraux et qui régnait en philosophe203.

Malgré sa modestie, les connaissances de Julien en matière de philosophie étaient grandes et variées et il en va de même pour la littérature. Dans son ouvrage L’empereur

Julien et la culture de son temps, J. Bouffartigue fait une distinction importante, dès les

premiers chapitres, entre la culture que Julien croit posséder et celle qu’il possède en réalité. Cela l’a amené à constituer la « bibliothèque idéale » et la « bibliothèque réelle » de l’empereur et à dresser la liste exhaustive de chacune d’elles204. Il apparait dès lors dans les

conclusions de J. Bouffartigue que « la proportion des citations et des allusions littéraires dans les écrits de Julien est plus grande que chez Libanios ou Thémistios », qui ont écrit à la même époque. L’historien va jusqu’à parler d’« étalage d’érudition205 » notamment

lorsque, dans le second Éloge de Constance, Julien fait une analyse linguistique du nom des Vénètes :

Auparavant, ils étaient appelés, je crois, les Hénètes ; et à partir de maintenant, alors que les Romains occupent leurs cités, ils gardent leur nom d’origine avec une petite particule écrite au début du nom : la marque de ce symbole est unique. Ils l’appellent « ou » et ils s’en servent souvent à la place du bêta, à cause, je pense, d’une d’aspiration et d’une spécificité de la langue. C’est donc ainsi qu’on surnomme tout ce peuple206.

Il donne aussi l’exemple du cours de géographie gauloise donné aux Antiochiens dans le

Misopogon :

Les Celtes appelaient ainsi la petite ville des Parisiens (sc. Lutèce). L’île, située au milieu du fleuve, n’est pas grande et le rempart l’occupe en cercle tout autour. […] Là, l’hiver est aussi plus doux, soit à cause de la chaleur de l’océan (en effet, il n’en est pas éloigné de plus de 900 stades et parce qu’on y retrouve une légère brise de l’eau qui se répand d’un côté à l’autre ; la mer semblant être plus

203 Comme nous le verrons, Ammien Marcellin et Libanios, tous deux contemporains et admirateurs de l’empereur, ont tenté de faire perdurer cette image et les idées véhiculées par leur empereur.

204 Cf. respectivement chapitre II et III, p. 51-136. Il s’agit en fait de distinguer quels étaient, dans l’esprit de Julien, les auteurs les plus dignes d’être lus (ou réfutés) et ceux qu’il avait lui-même vraiment lus (ou entendus). C’est donc en cherchant les intertextualités dans l’œuvre de Julien que J. Bouffartigue a pu dresser ces listes.

205 Pour les deux citations, cf. J. Bouffartigue, « Julien par Julien », p. 18.

206 Julien, Constance ou De la royauté, 71D : Ἑνετοὶ δὲ οἶμαι τὸ πρόσθεν ὠνομάζοντο· νῦν δὲ ἤδη Ῥωμαίων τὰς πόλεις ἐχόντων τὸ μὲν ἐξ ἀρχῆς ὄνομα σώζουσι βραχείᾳ προσθήκῃ γράμματος ἐν ἀρχῇ τῆς ἐπωνυμίας· ἔστι δὲ αὐτοῦ σύμβολον χαρακτὴρ εἷς, ὀνομάζουσι δὲ αὐτὸν « οὐ », καὶ χρῶνται ἀντὶ τοῦ βῆτα πολλάκις προσπνεύσεως οἶμαι τινὸς ἕνεκα καὶ ἰδιότητος τῆς γλώττης. Τὸ μὲν δὴ ξύμπαν ἔθνος ὧδε ἐπονομάζεται·

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chaude que l’eau douce), soit donc à cause de cela, soit à cause d’une autre raison qui m’échappe, tel est le fait207.

Selon lui, ces passages n’ont pas de sens là où l’auteur a décidé de les insérer. Julien tenait à son image d’érudit et de lettré, mais il ne faut pas aller jusqu’à parler d’étalage d’érudition, puisque cette expression sert fréquemment pour expliquer la surutilisation des citations chez les auteurs anciens208. Certes, la modestie dont Julien fit preuve en ce qui a

trait à la philosophie et dont nous avons brièvement parlé, qu’elle soit vraie ou fausse, est absente ici. Sans dire que l’empereur se montre prétentieux, nous pensons plutôt qu’il s’agit du désir de communiquer le savoir acquis durant ses années d’étude, au cours de ses nombreuses lectures. Dans d’autres cas, cependant, le prince est présomptueux, comme dans le Misopogon où il affirme : « Et ainsi, je me persuade moi-même que, parmi les gens de mon âge, j’ai lu le plus de livres209. » Par contre, il ne s’agit pas d’étalage d’érudition.

En effet, il ne faut pas oublier de prendre en compte le contexte d’écriture de ce discours dans lequel Julien « se définit en s’opposant, par provocation en quelque sorte », pour reprendre les termes de Ch. Lacombrade dans son introduction au discours210.

L’empereur semblait considérer la culture littéraire tout à fait compatible avec la fonction d’empereur, contrairement à la philosophie. Il trouvait malheureux que le temps lui manque pour s’adonner à cette passion. Dans une lettre à son oncle homonyme, il lui confie ce regret : « J’invoque le témoignage des dieux de l’éloquence, à savoir qu’excepté Homère et Platon, aucun livre ne fait route avec moi, ni de philosophie, ni de rhétorique ni de grammaire, pas même un de ces livres d’histoire qu’on voit dans toutes les mains. Et encore, ceux-ci sont semblables à des amulettes ou des talismans, car ils sont toujours liés211. » À plusieurs reprises durant ses quelques mois de règne, l’homme de lettres prit le 207 Julien, Misopogon, 340D. : Ὀνομάζουσι δὲ οὕτως οἱ Κελτοὶ τῶν Παρισίων τὴν πολίχνην. Ἔστι δὲ οὐ μεγάλη νῆσος ἐγκειμένη τῷ ποταμῷ, καὶ αὐτὴν κύκλῳ πᾶσαν τὸ τεῖχος καταλαμβάνει. […] Γίνεται δὲ καὶ ὁ χειμὼν ἐκεῖ πρᾳότερος, εἴτε ὑπὸ τῆς θέρμης τοῦ ὠκεανοῦ (στάδια γὰρ ἀπέχει τῶν ἐννακοσίων οὐ πλείω, καὶ διαδίδοται τυχὸν λεπτή τις αὖρα τοῦ ὕδατος, εἶναι δὲ δοκεῖ θερμότερον τὸ θαλάττιον τοῦ γλυκέος), εἴτε οὖν ἐκ ταύτης εἴτε ἔκ τινος ἄλλης αἰτίας ἀφανοῦς ἐμοι, τὸ πρᾶγμά ἐστι τοιοῦτον·

208 J. Bouffartigue, « Julien par Julien », p. 18.

209 Julien, Misopogon, 347A : καὶ ταῦτα τῶν ἡλικιωτῶν τῶν ἐμῶν, ὡς ἐμαυτὸν πείθω, βιβλία ἀνελίξας οὐδενὸς ἀριθμὸν ἐλάττω.

210 Julien, Œuvres complètes, t. II, 2e partie, p. 152.

211 Julien, Lettre 80 : Μαρτύρομαι τοὺς λογίους θεοὺς ὅτι πλὴν Ὁμήρου καὶ Πλάτωνος οὐκ ἀκολουθεῖ μοι πυκτίον οὔτε φιλόσοφον οὔτε ῥητορικὸν οὔτε γραμματικόν, οὔθ’ ἱστορία τις τῶν ἐν κοινῇ χρείᾳ· καὶ ταῦτα δὲ αὐτὰ τοῖς περιάπτοις ἔοικε καὶ φυλακτηρίοις· δέδεται γὰρ ἀεί.

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dessus sur l’empereur. En effet, comme nous l’avons mentionné, il répondit à Héracleios par un discours au lieu de l’interrompre lorsqu’il prononça le sien, même s’il était scandalisé par les propos et les idées énoncés212. Il a su contenir sa colère et la libérer par la

suite sur papier, domaine dans lequel il avait vraiment l’impression d’exceller. Un autre exemple, alors qu’il dut punir un sénateur romain qui avait été trouvé coupable d’avoir refusé une fonction officielle, il écrivit : « Donc, il me suffisait, à ce sujet, pour te punir, de choisir une peine parmi tant213. » Il décida plutôt de rédiger contre cet homme une longue

diatribe pour le rappeler à l’ordre. Ces éléments sont aisés à retrouver dans l’œuvre de Julien. Il ne cache pas son amour de la philosophie, ni de la littérature.

Le troisième élément important dans l’image de Julien est la piété214. À la différence

de la philosophie et de la littérature, cette notion est cachée dans certains écrits, c’est-à-dire dans ceux qui ont été produits avant la séparation définitive d’avec Constance. Enfant, Julien fut élevé dans le christianisme. Il aurait reçu le baptême, mais lui-même ne confirme ce fait à aucun moment215. Dans son introduction à la traduction des deux Discours contre Julien de Grégoire, J. Bernardi mentionne que, d’une façon paradoxale, Julien aurait été le

premier vrai empereur chrétien, puisqu’il fut le premier à recevoir le baptême autrement que sur son lit de mort. Sur son baptême, Grégoire dit : « Et la première de ses audaces,

Notons au passage que les allusions homériques étaient comme une seconde nature pour l’empereur : les éditions citées en bibliographie les répertorient et commentent presque systématiquement.

212 Quelques mois après l’accession de Julien au trône, il fut convié (204A) à entendre une conférence d’un Cynique nommé Héracleios, dans laquelle ce dernier se moqua outrageusement de Diogène (Contre les

Chiens ignorants 181A) et ce fut en deux nuits (Contre Héracleios 203C) que Julien réfuta les arguments des

Cyniques ignorants. Cf. J. Bidez, La vie, p. 258

213 Julien, Lettre 82 : Οὐκοῦν ἐξήρκει μοι ὑπὲρ τούτου ζημιῶσαί σε παντοίαν ζημίαν· 214 J. Bouffartigue, « Julien par Julien », p. 19-20.

215 Qu’il ait été baptisé, ce fait semble certain : R. Braun remarque que sans cela, il n’aurait pas pu être lecteur à l’église. Cf. R. Braun, « Julien et le christianisme », L’empereur Julien, p. 162. De plus, Grégoire a conservé le souvenir de cérémonies expiatoires auxquelles il eut recourt pour effacer en lui la souillure du baptême. Plusieurs questionnements restent flous cependant. À quel âge, dans quelles circonstances et dans quelles dispositions ? Nous ne savons rien là-dessus. J. Bidez, La vie, p. 27-34 affirme, sans preuve, que c’est à Macellum et R. Browning, The Emperor Julian, p. 40 ainsi que G. Ricciotti, L’Imperatore Giuliano detto

l’Apostata, Milan, Mondadori, 1956, p. 19 disent la même chose, mais ce dernier spécifie en p. 26 qu’il ne

s’agit que d’une conjecture. Il aurait pu être baptisé dès son plus jeune âge, vers trois ans puisque le baptême des enfants de parents chrétiens était normal au IVe siècle. À ce sujet, cf. J. Jeremias, Die Kindertaufe in den

ersten vier Jahrhunderten, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1958, p. 114 qui indique que la pratique

normale en Orient a dû être de baptiser à trois ans, comme le recommandait Grégoire en 381 ; cf. aussi Jean Chrysostome, Catéchèse III, 6, 1, texte édité et traduit par A. Wenger, Paris, Éditions du Cerf, 1957 ; J. N. D. Kelly, Initiation à la doctrine des Pères de l’Église, Paris, Éditions du Cerf, 1968, p. 439 et l’article « Baptême », DTC, Paris, Declée, 1990, en particulier col. 193.

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selon ceux qui se glorifient d’avoir été dans ses horribles secrets […] est de se nettoyer au bain avec du sang qui n’est pas pur, opposant cette initiation de souillure à notre initiation, comme un porc roulant dans son bourbier216. » Grégoire a aussi évoqué la première fois où

l’empereur nouvellement nommé parla ouvertement de la religion de ses ancêtres, celle à laquelle il entendait redonner sa puissance d’autrefois. C’est dans une lettre adressée à son ancien professeur de philosophie, Maxime d’Éphèse, que Julien a déclaré : « Nous rendons ouvertement des honneurs aux dieux et la majorité de la troupe armée qui revient avec moi est pieuse. Nous sacrifions des bœufs au vu et au su de tous ; nous témoignons notre reconnaissance aux dieux avec de nombreuses hécatombes. Les dieux m’ordonnent de tout purifier, le plus possible, et je leur obéis avec ardeur217. » À la suite de sa première annonce

publique de son amour du culte traditionnel, ses professions de foi se firent de plus en plus nombreuses et sans équivoque : « Mais cependant désormais, je tremble devant les dieux, je les aime, les vénère et les crains218. » Il consultait les dieux à tous moments et les augures

de façon quotidienne : ses écrits et ceux de ses contemporains fournissent bon nombre d’exemples et de récits à ce sujet. Il accordait une très grande importance à sa fonction de Grand Pontife, qui allait de pair avec le Dominat, puisqu’elle se rattachait, conformément aux traditions de ses ancêtres, à la religion païenne219 : « Donc, en sachant que les dieux

donnent en retour de grandes récompenses à leurs prêtres, […] il convient alors en effet que nous servions les dieux […] comme lorsque nous demeurons dans les temples, il convient d’observer ce que la loi de nos pères établit et […] il faut que nous imitions leur essence220. » En utilisant ainsi à profusion la première personne du pluriel, nous notons que

Julien se considérait vraiment comme un prêtre et faisait la promotion de cette charge. Cette association fut manifeste dans une lettre qu’il écrivit au Grand prêtre Théodore alors

216 C’est son oncle, l’empereur Constantin, qui fut baptisé sur son lit de mort afin de se purifier de ses péchés.

Cf. Grégoire, p. 18 et IV, 52 : Καὶ τὸ μὲν πρῶτον αὐτῷ τῶν τολμημάτων, ὡς οἱ τοῖς ἀπορρήτοις ἐκείνου καλλωπιζόμενοι […] αἵματι μὲν οὐχ ὁσίῳ τὸ λουτρὸν ἀπορρύπτεται, τῇ καθ’ ἡμᾶς τελειώσει τὴν τελείωσιν τοῦ μύσους ἀντιτιθείς, ὗς ἐν βορβόρῳ κυλισθείς. 217 Julien, Lettre 26 : Θρησκεύομεν τοὺς θεοὺς ἀναφανδὸν καὶ τὸ πλῆθος τοῦ συγκατελθόντος μοι στρατοπέδου θεοσεβές ἐστιν· ἡμεῖς φανερῶς βουθυτοῦμεν· ἀπεδώκαμεν τοῖς θεοῖς χαριστήρια περὶ ἡμῶν ἑκατόμβας πολλάς· ἐμέ κελεύουσιν οἱ θεοὶ τὰ πάντα ἁγνεύειν εἰς δύναμιν, καὶ πείθομαί γε προθύμως αὐτοῖς· 218 Julien, Contre Héracleios, 212B : Ἀλλ’ ὅμως οὕτω δή τι τοὺς θεοὺς πέφρικα καὶ φιλῶ καὶ σέβω καὶ ἅζομαι.

219 J. Bouffartigue, « Julien par Julien », p. 20.

220 Cf. entre autres Julien, Lettre 89b, 299B, 301B, 302B : Εἰδότες οὖν ὅτι μεγάλας ἔχειν ἔδοσαν οἱ θεοὶ τοῖς ἱερεῦσι τὰς ἀμοιβάς. […] Οὕτω γὰρ ἡμᾶς πρέπει τοῖς θεοῖς λειτουργεῖν. […] ὡς τά γε ἐν τοῖς ἱεροῖς, ὅσα πάτριος διαγορεύει νόμος φυλάττειν πρέπει […] ὥστε καὶ ἡμᾶς χρὴ μιμεῖσθαι τὴν οὐσίαν αὐτῶν.

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qu’il était César et qu’il s’assurait que les fonctions du clergé païen221 seraient claires et

précises. G. Dorival, dans son article « Julien et le christianisme d’après ses Lettres : entre haine, compassion et fascination », montre très bien la fascination que Julien avait pour le christianisme et à quel point il s’est inspiré de cette religion pour tenter de mener à bien son

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