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2. Le développement de la légende selon les sources littéraires

2.1 Portrait de Julien

2.1.2 Apparence physique

Deux des auteurs dont nous traitons ont côtoyé Julien à un moment ou un autre de sa vie : Ammien Marcellin et Grégoire de Nazianze. Ils ont tous deux longuement décrit Julien, en plus de s’étendre sur ses qualités et ses défauts, que nous verrons par la suite. Cet aspect est d’autant plus intéressant que les points de vue des auteurs sont opposés. Selon ce que dit G. Sabbah, Ammien avait l’habitude de faire le portrait objectif des personnages dont il parlait. Ainsi, il ne décrivait le portrait des hommes que par les caractéristiques extérieures, l’habitus corporis229. Dans son article, E. C. Evans avait déjà établi la

physiognomonie de Julien et ce portrait est très riche et clair230. La physiognomonie

228 P. Célérier aborde d’ailleurs cet aspect de la littérature des deux siècles suivant la mort de Julien, sans toucher aux auteurs syriens. Cf. P. Célérier, L’ombre de l’empereur Julien.

229 Notre intention n’est pas d’expliciter en détail la manière d’Ammien de faire le portrait des grands hommes dont il a décrit les règnes. Sur cette question, cf. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin : tout le chapitre XIII et plus particulièrement p. 419-430. Sur l’origine, les caractéristiques, les différentes

techniques et formes du portrait dans l’historiographie romaine, cf. M. Rambaud, « Recherches sur le portrait dans l’historiographie romaine », LEC 38, 1970, p. 417-447.

230 Nous n’allons pas reproduire le tableau dressé par l’auteure ici puisqu’il ne nous semble pas pertinent d’entrer encore plus dans les détails pour le sujet que nous traitons maintenant. Ammien connaissait les trois applications principales de la physiognomonie : celle qui rend compte du caractère des peuples et des individus qui les composent (c’est la raison pour laquelle il croit important de préciser l’origine ethnique) ; celle qui établit des rapprochements systématiques avec le règne animal (au personnage qui présente des analogies physiques avec un type d’animal lui sont prêtés les caractères reconnus à cet animal) ; celle qui consiste à réduire l’homme à quelques traits physiques, voire à un seul, est de loin la plus commune. Cf. E. C. Evans, « Roman Description of Personal Appearance in History and Biography », HSPh 46, 1935, p. 46

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qu’Ammien présente invite à lire dans le portrait physique qu’il fit du prince, les traits du lion231. Cet animal, qui présente l’homme type dans sa forme la plus parfaite est,

évidemment, doté d’un corps remarquable. L’âme du lion est généreuse et tolérante, fière et ambitieuse, douce, juste et affectueuse envers ses camarades232. Julien était prédestiné à la

royauté puisqu’il possédait tous les traits, physiques et psychologiques, du lion : Pour l’aspect et la constitution physique voici : il était de taille moyenne, les cheveux lisses et comme passés au peigne, une barbe hirsute se terminant en pointe pour l’ornement ; la flamme de ses yeux scintillants avec charme, indiquait sa grande vivacité d’esprit ; il avait les sourcils bien dessinés, le nez très droit, la bouche un peu grande avec la lèvre du bas pendante, la nuque large et inclinée, les épaules larges et fortes et, de la tête jusqu’au bout de l’ongle, les articulations correctement agencées, ce qui lui donnait sa force pour courir233.

sq. L’auteure a d’ailleurs montré que le IVe siècle est synonyme de renouveau et de redécouverte de la physiognomonie, comme en témoigne l’apparition de nouveaux manuels, celui d’Adamantius en grec et la

Physiognomonia latina. Cf. Id., p. 79 sq. Au sujet de la physiognomonie chez Ammien, P. Somville nuance

les propos d’E. C. Evans et de J. Fontaine (Cf. Ammien, Res Gestae, t. I, p. 133 et t. IV, 2, p. 241, n. 596) et ne croit pas qu’Ammien ait pu avoir accès à des traités de physiognomonie parce que si ça avait été le cas, pourquoi n’a-t-il pas proposé des conclusions précises sur le sujet ? Cf. P. Somville, « Portrait physique de l’empereur Julien », AC 72, 2003, p. 163. Il semble que le ton de l’auteur dans l’article est par trop réducteur, pour reprendre sa propre expression, et que son jugement est rapide.

231 Notons que Julien lui-même, dans son Misopogon 339B, parle de la pilosité de sa poitrine en se comparant au lion et en insistant sur le fait que cet animal est le roi des animaux : Εἰ δὲ βούλεσθέ τι καὶ λάσιον ὥσπερ τῶν λεόντων, οἵπερ βασιλεύουσι τῶν θηρίων, οὐδὲ ἐποίησα λεῖον αὐτὸ πώποτε διὰ δυσκολίαν καὶ

μικροπρέπειαν. « Si vous voulez encore une particularité, mon poitrail est velu, comme celui des lions, ces rois des animaux : je ne l’ai jamais rendu lisse tant je suis d’humeur fâcheuse et d’esprit étroit. » (Traduction Ch. Lacombrade, modifiée)

232 Physiognomics, 809B : τὰ δὲ περὶ τὴν ψυχὴν δοτικὸν καὶ ἐλεύθεριον, μεγαλόψυχον καὶ φιλόνικον, καὶ πραῢ καὶ δίκαιον καὶ φιλόστοργον πρὸς ἃ ἂν ὁμιλήσῃ. Pour cette édition, nous avons utilisé le texte grec de la collection Loeb Classical Library, mais nous avons choisi l’adjectif ἐλεύθεριον qui apparaît dans l’édition de la Bibliotheca Teubneriana, plutôt que le nom ἐλεύθερον parce qu’il s’agit bien d’une épithète de ψυχὴν, au même titre que δοτικὸν. Cf. la bibliographie pour les références complètes.

233 Ammien, XXV, 4, 22 : Figura tali situque membrorum : mediocris erat staturae, capillis tamquam

pexisset mollibus, hirsuta barba in acutum desinente uestitus, uenustate oculorum micantium flagrans, qui mentis eius argustias indicabant, superciliis decoris, et naso rectissimo, ore paulo maiore, labro inferiore demisso, opima et incurua ceruice, umeris uastis et latis, ab ipso capite usque unguium summitates

liniamentorum recta conpage, unde uiribus ualebat et cursu. Cf. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin,

p. 427-428 : « Il remplissait pleinement les conditions de la majesté et “incarnait” son hellénisme. » Il n’était ni trop petit, ni trop grand ; il correspondait donc au type du lion et en possédait les vertus. À ce propos, pour le texte latin, nous avons préféré suivre l’édition de J. C. Rolfe dans la Loeb Classical Library, notamment pour les deux premiers mots – figura tali – qui nous semblent une meilleure lecture à l’ablatif, que le talis proposé par J. Fontaine dans son édition des Belles Lettres. Cet ablatif de description d’entrée de jeu lui semble « un peu dur », mais nous pouvons comparer cette formule avec le portrait que l’auteur fait de l’empereur Constance II (XXI, 16, 19 : « Son aspect et sa stature étaient les suivants » Figura tali situque

membrorum). Quelques lignes plus bas, nous choisissons aussi la lecture de J. C. Rofle pour le terme argutias

– sa vivacité d’esprit – plutôt que angustias – sa mobilité anxieuse – parce que ce dernier nous semblait plus dévalorisant et le sentiment général qui se dégage de la description de Julien n’est certes pas très élogieux, mais pas au point d’opter pour la lecture négative. Cf. J. den Boeft et al., Philological and Historical

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Au sujet des yeux de Julien, ils sont décrits de manière traditionnelle et correspondent à ceux de l’« homme divin », tels que Mamertin les a décrits dans son Panégyrique234. Au

IVe siècle, les auteurs portaient une attention particulière aux yeux de l’empereur235. L’éclat

qu’on perçoit dans ses yeux révèle la puissance divine qui anime l’homme. C’est aussi ce qui pousse Ammien à qualifier les yeux de Julien de « terribles et charmants » : ils inspirent à son entourage la crainte (terribiles) et l’attrait (cum uenustate) que l’homme éprouve, selon R. Otto, quand il se trouve en face du divin236. Les auteurs anciens sont avares de

commentaires pour expliquer comment ils représentaient cette force qui semble posséder l’empereur. Plusieurs hypothèses ont été émises et nous retenons celle de F. Heim qui explique que les liens du sang « jou[ent] un rôle déterminant dans la transmission de cette force ». L’apparence physique était un trait essentiel et un topos dans la laudatio. M. J. Kennedy a défini cette laudatio comme « a biography in brief, a detached passage of absolutely personal information concerning Julian, and could be removed in entirety without affecting in the slightest degree the record of historical events »237. Dans l’extrait

d’Ammien cité plus haut, il chercha surtout à marquer les traits physiques symboliques : rectitude, force et agilité. L’âme de Julien transparaissait à travers son corps et cette ébauche était près de l’idéalisation des effigies impériales que l’on retrouvait sur les monnaies de l’époque238. Ammien est resté dans la neutralité avec cette description afin que

son prince ne souffre pas de la mauvaise réputation qu’il avait de son physique et c’est la raison pour laquelle il a dressé un portrait qui semble, à première vue, assez commun. En outre, à la suite de l’analyse d’E. C. Evans, les traits physiques énumérés par Ammien ont montré chez le prince une grande acuité d’intelligence, une remarquable aptitude dans ses réalisations, un caractère bon et juste, une nature magnanime caractérisée par l’audace, la

234 Mamertin, Panégyrique, III, 6, 4 : micantia sidereis ignibus lumina : « ses yeux brillants comme des feux astraux »

235 G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin, p. 423-428.

236 Ammien, XV, 8, 16 : cuius oculos cum uenustate terribiles. Sur la notion de tremendum et de la puissance, cf. R. Otto, Le sacré : l’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, 1949, p. 27-43. Sur l’éclat des yeux de l’empereur, cf. P. Somville, « Portrait physique », p. 163 et F. Heim, Virtus : idéologie politique et croyances religieuses au IVe s., Berne, Lang, 1991, p. 191-193.

237 M. J. Kennedy, The Literary Work of Ammianus, Lancaster, New Era Printing Company, 1912, p. 56. 238 E. Babelon avait d’ailleurs montré que les effigies monétaires de Julien avaient été de moins en moins conventionnelles et de plus en plus ressemblantes : « L’iconographie monétaire », p. 130. Il faut tout de même garder en mémoire que les artisans qui frappaient la monnaie n’étaient pas des portraitistes, pas plus que les panégyristes.

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vigueur et la réflexion, le courage et l’ardeur du tempérament239. Ammien confirma donc

objectivement (!) les principales vertus (temperantia, prudentia, iustitia, fortitudo, felicitas,

liberalitas) qu’il avait présentées avant de dresser ce portrait bilan. La silhouette de Julien –

large et de taille moyenne – s’opposait à celle de son successeur, Jovien, qui allait être qualifié plus loin d’incuruus et longior, mais aussi à celle de son prédécesseur, Constance, qui était de petite taille240. Face à ces deux extrêmes, la taille de Julien constitue le juste

milieu241.

Si l’on peut reconnaître tous les efforts qu’Ammien mit en œuvre pour que son prince fût à la hauteur de ses attentes, on peut lire dans le Misopogon que Julien lui-même reconnaissait la négligence volontaire de sa toilette : « Encore cette touffe au menton ne m’a pas suffi : mais je suis aussi sale de la tête ; je coupe rarement mes cheveux ou mes ongles et mes doigts sont souvent noirs à cause du calame242. » Comme nous l’avons

brièvement évoqué, les développements ironiques de Julien envers lui-même et principalement au sujet de sa pilosité sont nombreux243.

239 E. C. Evans, « Roman Descriptions », p. 73.

240 Respectivement : Ammien, XXV, 5, 6 : « Mais quand ils (sc. les hommes de l’avant-garde) virent approcher cet homme voûté et de taille plus grande (sc. Jovien) » Verum cum incuruus ille uisus et longior

aduentaret ; XVI, 10, 10 : « Se baissant, tout petit qu’il était » nam et corpus perhumile curuabat.

241 On peut aussi noter : XXV, 4, 22 : mediocris erat staturae. Les traités de physiognomonie expliquent par la différence de taille le caractère et les réactions, mais Ammien n’a pas noté cette différence parce qu’il voulait montrer que seul son héros remplissait les conditions de la majesté, comme l’affirme G. Sabbah, La

méthode d’Ammien, p. 427. C’est de cette manière qu’Ammien expliqua les réactions brutales et irréfléchies

de Constance et la lourdeur d’esprit de Jovien ainsi que sa lenteur naturelle de réaction. Sur la taille, cf. Pseudo Aristote, 813B : Οἱ μικροὶ ἄγαν ὀξεῖς. τῆς γὰρ τοῦ αἵματος φορᾶς μικρὸν τόπον κατεχούσης καὶ αἱ κινήσεις ταχὺ ἄγαν ἀφικνοῦνται ἐπὶ τὸ φρονοῦν· οἱ δὲ ἄγαν μεγάλοι βραδεῖς· τῆς γὰρ τοῦ αἵματος φορᾶς μέγαν τόπον κατεχούσης, αἱ κινήσεις βραδέως ἀφικνοῦνται ἐπὶ τὸ φρονοῦν […] ἡ δὲ τούτων μέση φύσις πρὸς τὰς αἰσθήσεις κρατίστη καὶ τελεστικωτάτη. « Les hommes petits sont trop vifs. En effet, la circulation du sang ayant peu d’espace pour se faire, les mouvements aussi se transmettent trop vite à l’intellect. En

revanche, les hommes trop grands sont lents. En effet, la circulation du sang ayant trop d’espace pour se faire, les mouvements se transmettent lentement à l’intellect […] Mais la nature qui est placée entre les deux est la meilleure et la plus achevée. »

242 Julien, Misopogon, 339B : Ἐμοὶ δὲ οὐκ ἀπέχρησε μόνον ἡ βαθύτης τοῦ γενείου, ἀλλὰ καὶ τῇ κεφαλῇ πρόσεστιν αὐχμός, καὶ ὀλιγάκις κείρομαι καὶ ὀνυχίζομαι, καὶ τοὺς δακτύλους ὑπὸ τοῦ καλάμου τὰ πολλὰ ἔχω μέλανας.

243 Nous émettons l’hypothèse que par son ironie, Julien aurait pu vouloir faire la critique des empereurs trop coquets et ainsi faire l’éloge de la simplicité, donc de la barbe des philosophes. Nous ne développons pas le thème de l’ironie, mais l’article de J. Long, « Structures of Irony », p. 15-23 explore la question de manière concise et efficace.

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Même si Julien n’avait pas une grande estime de lui-même, particulièrement dans ce texte, il est un auteur que nous pouvons considérer comme encore plus implacable que lui. En comparant ce portrait à celui qu’a dressé Grégoire, qui avait connu Julien alors que ce dernier faisait ses études à Athènes, on pourra remarquer que le style change complètement. Grégoire a écrit deux Discours contre Julien et simplement par le titre, nous pouvons déduire que le ton est beaucoup plus virulent que chez Ammien. Le portrait que ces deux auteurs ont dressé de Julien doit être quelque peu fidèle à la réalité puisque l’historien a eu le loisir d’observer Julien lors de la campagne en Perse, tandis que Grégoire a pu l’étudier de près durant son séjour à Athènes en 355244. Ils ont donc été en contact directement avec

lui et en mesure de décrire son physique et son attitude. Grégoire a fait une véritable caricature du jeune homme qu’il avait alors apperçu :

Car rien de cela ne m’apparaissait être un signe de bonne qualité : un cou branlant, des épaules bondissantes et relevées d’un côté puis de l’autre, un œil égaré et roulant en tout sens, qui lui faisait un regard de fou, des pas mal assurés et jamais en équilibre, une narine soufflant l’insulte et le mépris et les ridicules contorsions du visage qui en faisait de même, des rires incontinents et spasmodiques, des mouvements de tête pour dire oui, pour dire non, sans aucune raison, un discours discontinu et frappé d’essoufflement, des questions sans ordre ni suite, des réponses qui ne valaient guère mieux se chevauchant l’une l’autre dans leur incohérence, émises sans la moindre logique qui aurait pu révéler un homme cultivé245.

Ce portrait, exposé ab irato, ressemble tout de même en quelques points à la description d’Ammien. En effet, nous avons le même regard ardent, la mention du cou incliné et de la langue prodigue. Cependant, les mots choisis par Grégoire font en sorte qu’il ne lui adresse aucune louange dans cette description246. Les traits physiques sont moins présents dans

244 Nous n’allons pas parler davantage du séjour de Julien à Athènes en détail puisqu’il a déjà été expliqué et analysé par plusieurs savants. Cf. entre autres J. Bidez, La Vie, p. 112-120.

245 Grégoire, V, 23 : Οὐδενος γὰρ ἐδόκει μοι σημεῖον εἶναι χρηστοῦ αὐχὴν ἀπαγής, ὦμοι παλλόμενοι καὶ ἀνασηκούμενοι, ὀφθαλμὸς σοβούμενος καὶ περιφερόμενος, καὶ μανικὸν βλέπων, πόδες ἀστατοῦντες καὶ μετοκλάζοντες, μυκτὴρ ὕβριν πνέων καὶ περιφρόνησιν, προσώπου σχηματισμοὶ καταγέλαστοι τὸ αὐτὸ φέροντες, γέλωτες ἀκρατεῖς τε καὶ βρασματώδεις, νεύσεις καὶ ἀνανεύσεις σὺν οὐδενι λόγῳ, λόγος ἱστάμενος καὶ κοπτόμενος πνεύματι, ἐρωτήσεις ἄτακτοι καὶ ἀσύνετοι, ἀποκρίσεις οὐδὲν τούτων ἀμείνους, ἀλλήλαις ἐπεμβαίνουσαι καὶ οὐκ εὐσταθεις, οὐδὲ τάξει προιοῦσαι παιδεύσεως.

Au sujet de la physiognomonie chez Grégoire, cf. R. Asmus, « Vergessene Physiognomonika », Philologus 65, 1906, p. 410-415 qui a bien montré que les traits physiques servaient à dénigrer le caractère de Julien. 246 Lorsque les gens d’Antioche parleront de Julien, ils l’appelleront, s’inspirant de Grégoire, « un petit homme, tendant ses épaules étroites, portant sa barbe comme un bouc, et avançant avec des grands pas, comme s’il avait été le frère d’Otos et d’Ephialte, dont Homère élève la haute taille à l’infini ». Homo breuis

umeros extentans angustos et barbam prae se ferens hircinam grandiaque incedens, tamquam Oti frater et Ephialtis, quorum proceritatem Homerus in inmensum tollit. Cf. Ammien, XXII, 14, 3.

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cette description que dans la précédente et ils servent surtout à noircir le caractère psychologique de Julien. Notons ici que Grégoire critique un Julien qui faisait, à l’époque, profession publique de christianisme : lorsque Grégoire l’a rencontré, Julien n’avait pas encore affirmé publiquement qu’il entendait restaurer la religion traditionnelle ancestrale. Cependant, l’œuvre ayant été écrite a posteriori, le théologien cherchait à se venger de l’apostasie de l’empereur. Selon J. Bidez, Grégoire « a touché juste. Les écrits de Julien se ressentent souvent de la précipitation avec laquelle il s’exprimait. À tout instant, ses développements s’encombrent de répétitions désordonnées » 247. Il est clair que lors de son

séjour à Athènes, Julien manquait d’expérience en public puisqu’il avait passé la plus grande partie de son enfance reclus et seul, mais, comme nous avons pu le lire, Grégoire s’est efforcé de dresser un portrait négatif du futur prince. D’autant plus que ses Discours ont été écrits après l’avènement de Julien, peut-être même après sa mort et, de ce fait, la description s’enchaîne parfaitement avec le ton des deux textes248.

Même Libanios, qui est sans aucun doute l’auteur ayant la plus grande admiration envers Julien, a noté que, devant ses nombreux amis placés en cercle autour de lui à Athènes, il ne prononçait pas une parole sans devenir rouge à cause de sa timidité :

Il était étonnant (sc. Julien), tant pour son éloquence que pour sa pudeur. En effet, il ne faisait jamais entendre un son sans rougir. Tous se réjouissaient donc de sa gentillesse, mais c’était seulement les meilleurs parmi ceux qui avaient sa confiance, et parmi eux il y avait notre meilleur citoyen, le seul des hommes qui était sans reproches et qui, par son excellence, se montrait supérieur au blâme249.

On note toutefois que le passage pourrait être plus explicite et que Libanios fait preuve d’un peu de retenue, comparé à Grégoire par exemple. Le rhéteur ne fait pas de description physique de Julien telle que l’ont faite Ammien et Grégoire. Comme le dit P. Petit dans son

247 J. Bidez, La vie, p. 119. On peut noter que J. Bouffartigue tient sensiblement le même discours dans « Julien par Julien », p. 28-29, mais il limite la confusion de Julien aux seuls discours Sur la Mère des dieux et

Sur Hélios-Roi. Le portrait qu’il dresse de l’empereur à travers ses écrits nous semble trop verser dans la

psychologie, mais le fond n’en demeure pas moins intéressant. Voir entre autres son article « L’état mental de l’empereur Julien », REG 102, 1989, p. 529-539 et ses références à la psychanalyse freudienne.

248 Sur la date et le contexte de composition des deux Discours de Grégoire, cf. l’introduction de Grégoire par J. Bernardi dans l’édition des Sources chrétiennes citée dans la bibliographie.

249 Libanios, Orat. XVIII, 30 : ὁ δὲ λέγων τε ἦν ὁμοίως θαυμαστὸς καὶ αἰδούμενος, οὐ γὰρ ἦν ὅ τι χωρὶς ἐρυθήματος ἐφθέγγετο. τῆς μὲν οὖν πραότητος ἅπαντες ἀπέλαυον, τοῦ πιστεύεσθαι δὲ οἱ βέλτιστοι, κἀν τούτοις αὐτοῖς πρῶτος ἦν ὁ παρ’ ἡμῶν, ὁ μόνος ἐν ἀνθρώποις ἄμεμπτος, ὁ τὸν μῶμον ἀρετῇ νενικηκώς.

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article « L’empereur Julien vu par le sophiste Libanios », il faut rassembler les traits physiques et de caractère qui se retrouvent dispersés dans son œuvre. Libanios misait plutôt sur la description des politiques de Julien et sur sa manière de penser, qui était très proche de la sienne, en ayant comme but de réhabiliter son prince250.

Au Ve siècle, les historiens ecclésiastiques, tout comme Libanios, ne peignirent pas

un portrait tout à fait semblable à ce que Grégoire et Ammien avaient fait. En effet, le portrait qu’on retrouve alors ne porte pas du tout sur l’apparence physique de l’empereur. On note aussi que les auteurs se sont plutôt concentrés sur les actions de Julien et leurs répercussions que sur son caractère. La différence de sujets entre les auteurs du IVe et du Ve

siècle est sans doute relative au genre littéraire et à la visée recherchée plutôt qu’à l’époque. Puisque Socrate, Sozomène et Théodoret ont tous trois narré la période allant de Constantin le Grand à Théodose le Jeune, ils n’ont pas pu éviter l’épisode du règne de Julien. L’objectif qu’ils se sont fixés, depuis la fin du IVe siècle, ne semble pas clair et c’est ce qui

explique, selon J.-R. Laurin, que leurs œuvres passèrent, et passent encore facilement aujourd’hui, pour n’être que des exercices scolaires251. Peu d’apologistes ont entrepris de

contester des œuvres de Julien l’Apostat et selon C. J. Neumann, c’est Jean Chrysostome qui se serait le premier opposé à ses livres. C. J. Neumann formule cependant quelques réserves au sujet de cette hypothèse252. Il a fallu attendre Cyrille d’Alexandrie et son Contre Julien pour avoir une réfutation systématique d’une œuvre perdue de Julien, le Contre les Galiléens. Par ailleurs, aucun des auteurs que nous venons d’évoquer ne parle de l’image

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