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2. Le développement de la légende selon les sources littéraires

2.1 Portrait de Julien

2.1.3 Traits de caractère

La question de l’apparence de Julien a été abondamment traitée, principalement chez les auteurs contemporains ou de peu postérieurs à son règne. L’allure générale du prince a été aussi étudiée, et, non seulement les auteurs étaient loquaces à ce sujet, mais aussi lorsque vint le temps de décrire sa personnalité et ses habitudes. Il faut dire que la personnalité de Julien, aussi controversée fut-elle, les a amenés à peindre un portrait très

l’empereur Julien, un homme cultivé […] » Ἐπειδὴ δὲ περὶ Ἰουλιανοῦ τοῦ βασιλέως, ἐλλογίμου ἀνδρός, ὀλίγα διεξελθεῖν πρόκειται.

257 Nous n’avons pas cité Éphrem le Syrien, qui ne fait pas de commentaire direct au sujet de l’apparence physique de Julien. Puisque nous voulons brosser un portrait assez large de l’évolution au cours des deux siècles suivant sa mort, nous avons fait le choix de cibler les principaux extraits qui se rattachaient à la légende syriaque.

258 E. C. Evans, « Roman Description of Personal Appearance ». L’auteure fait une histoire de la

physiognomonie très intéressante à partir des textes et cherche à expliquer la possible origine du terme. Elle se concentre sur l’analyse faite par les anciens, principalement par le Pseudo-Aristote dans son livre intitulé Φυσιογνωμονικά. Cf. p. 48.

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coloré, dont il fit lui-même ressortir certains aspects dans ses écrits. En tant que dernier empereur qui entreprit de restaurer la religion de ses ancêtres, il n’eut d’autre choix que de se démarquer s’il voulait faire avancer sa cause. Presque tous les auteurs susmentionnés ont décrit les qualités et défauts de Julien et plusieurs d’entre eux ont évoqué, dans une description d’ensemble, le caractère du prince.

En plus d’avoir tous deux décrit Julien physiquement, Ammien et Grégoire se sont longuement étendus sur ses qualités, pour Ammien, et sur ses défauts, pour Grégoire. Dans son livre XXV, Ammien consacre quinze chapitres aux qualités du prince et seulement un aux défauts. Il illustre les quatre vertus principales qui qualifient le sage, c’est-à-dire la tempérance (temperentia), la prudence (prudentia), la justice (iustitia) et la force (fortitudo)260. Ammien a vanté à bien des reprises cette sobriété tout au long des Res Gestae. Ammien a présenté tous les empereurs, que ce soit Constance, avant Julien, ou

Jovien, ainsi que Valentinien et son frère Valens, après Julien, comme des anti-Julien. Ce dernier était, selon Ammien, le seul empereur digne de ce nom. Il va sans dire que son œuvre s’est orientée en faveur des faits et gestes de celui qu’il vénérait, « le dernier des Romains, le dernier des Grecs »261. Dès sa première apparition dans l’œuvre, lors de

l’épisode de la mort de son frère, Julien est immédiatement classé parmi les bons empereurs. Il possédait la sagesse de Titus, la clémence d’Antonin, le goût du bien et de la perfection de Marc-Aurèle262. En tant que soldat lui-même, Ammien était grandement

impressionné, tout comme Libanios, par les victoires de Julien en Gaule et en Germanie, et ses qualités d’homme de guerre ont été mises en valeur à de nombreuses reprises. Il s’est efforcé de masquer ou d’éviter de mentionner les échecs et faiblesses de son héros.

260 Cf. le chapitre quatre : Ammien, XXV, 4, 1-15. Ici, l’éloge de Julien se dispose d’abord selon le canon des vertus traditionnelles dans l’ordre établi par Cicéron, De inuentione II, 53, 159 (prudentia, iustitia, fortitudo,

temperentia) à la seule différence que la dernière vertu est passée en première position. Dans son

commentaire, J. Fontaine explique ce changement par l’insistance d’Ammien sur cette notice, dédoublée entre chasteté et tempérance. Pour l’explication complète, cf. Ammien, Histoire, t. IV, livres XXIII-XXV,

Commentaire, p. 227, n. 563.

261 J. Fontaine, « Le Julien d’Ammien Marcellin », L’empereur Julien, p. 32-35.

262 Ammien, XVI, 1, 4 : Namque incrementis uelocibus ita domi forisque conluxit, ut prudentia Vespasiani

filiusTitus alter aestimaretur, bellorum gloriosis cursibus Traiani simillimus,clemens ut Antoninus, rectae perfectaeque rationis indagine congruens Marco, ad cuius aemulationem actus suos effingebat et mores. « Et

en effet, par une augmentation rapide, ses vertus privées et publiques resplendissaient de sorte qu’avec sa sagesse, il était apprécié comme Titus, le fils de Vespasien, et avec la course de ses guerres glorieuses, il était semblable à Trajan, clément comme Antonin, par sa recherche de la perfection et de la raison il était

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Puisqu’Ammien a écrit ses Res Gestae quelques années après la mort de Julien, il s’est fié à la tradition orale, aux témoins qui se trouvaient dans l’entourage de l’empereur et qui étaient encore vivants entre 385 et 392 environ et bien sûr, à sa propre expérience sur le terrain aux côtés de Julien. Le témoin qu’il a le plus privilégié est Euthère, grand chambellan de Julien, parce que ce dernier vécut auprès du prince pendant plusieurs années. Il pouvait donc être un informateur assez sûr, duquel Ammien tirait des renseignements qui peuvent souvent être qualifiés de véridiques263. Ammien s’est tout de même laissé emporter

par sa passion et son admiration pour Julien, et on remarque que l’idéalisation de la personnalité du prince a influencé son œuvre et c’est pour cela que G. Sabbah nous dit qu’elle atteignit son point culminant avec la mort de l’empereur264.

Sur les quatre vertus qui qualifient le sage, Grégoire s’entendait avec Ammien au moins pour dire que Julien était un homme sobre, qui ne penchait jamais vers le vice : « Mais toi, si tu ne le fais pas avec ces hommes illustres (sc. les martyrs d’autrefois), admire ce qui se passe aujourd’hui, toi qui es le plus sage et le plus noble, jette constamment un regard sur ces Épaminondas et ces Scipions, toi qui partages les marches de ton armée, qui te contentes d’une nourriture frugale et qui vantes l’exercice personnel du commandement265. » Grégoire ne put s’empêcher d’avoir une pointe d’admiration pour

cette façon de vivre à la dure que Julien adoptait. Son discours a tout de même versé dans l’ironie et la moquerie puisque dans cet extrait, il décrit l’ascétisme des moines que Julien détestait au plus haut point et il l’y associe266. Selon J. Bernardi, lorsque Grégoire utilise les

263 Ammien, XVI, 7 parle d’Euthère, de ses relations d’abord avec Constance, puis avec Julien et raconte quelques éléments biographiques. Il s’agit d’un bref aparté, mais le lecteur saisit l’importance qu’a eue Euthère dans la vie de ces deux empereurs et en tant que source d’Ammien. Cf. l’introduction de J. Fontaine dans Histoire, t. III, livres XX-XXII, texte établi et traduit par J. Fontaine, p. 33 sq.

264 G. Sabbah, La méthode, p. 234-237.

265 Grégoire, IV, 71 : Σὺ δέ, εἰ μὴ ἐκεῖνα, τὰ γε παρόντα θαύμασον, ὦ φιλοσοφώτατε σὺ καὶ γενναιότατε καὶ τοὺς Ἐπαμινώδας ἐκείνους καὶ τοὺς Σκιπίωνας τῇ καρτερίᾳ βλέπων, ὁ συμβαδίζων τῷ στρατῷ καὶ σῖτα αἱρούμενος σχέδια καὶ τὴν αὐτουργὸν ἐπαινῶν στραθγίαν.

266 Grégoire, IV, 70. Dans le Contre Héracleios, Julien discrédite les cyniques en les assimilant aux hommes, principalement chrétiens, qui renoncent au monde pour vivre la vie monastique. Cf. Julien, Contre Héracleios, 224B-C : Πάλαι μὲν οὖν ὑμῖν ἐθέμην ἐγὼ τοῦτο τὸ ὄνομα, νυνὶ δὲ αὐτὸ ἔοικα καὶ γράψειν· ἀποτακτίτας τινὰς ὀνομάζουσιν οἱ δυσσεβεῖς Γαλιλαῖοι· τούτων οἱ πλείους μικρὰ προέμενοι πολλὰ πάνυ, μᾶλλον δὲ τὰ πάντα πανταχόθεν ξυγκομίζουσι, καὶ προσκτῶνται τὸ τιμᾶσθαι καὶ δορυφορεῖσθαι καὶ θεραπεύερθαι. […] Καταλελοίπατε τὴν πατρίδα ὥσπερ ἐκεῖνοι, περιφοιτᾶτε πάντη καὶ τὸ στρατόπεδον διωχλήσατε μᾶλλον ἐκείνων καὶ ἰταμώτερον· οἱ μὲν γὰρ καλούμενοι, ὑμεῖς δὲ καὶ ἀπελαυνόμενοι. « Depuis longtemps, en réalité, je vous ai donné ce nom, mais maintenant, il me semble que je vais l’écrire : les Galiléens impies appellent certains des leurs Apotactites. La majeure partie des gens n’abandonnent pas grand-chose, mais ils recueillent

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superlatifs φιλοσοφώτατε et γενναιότατε dans l’extrait précédent, il fait une allusion directe au Misopogon dans lequel Julien se qualifia lui-même de συνετός : « tous me proclamaient brave, intelligent, juste267. » Ce n’est pas chez Grégoire qu’il faut chercher à s’informer au

sujet des qualités du prince, et, avec le ton qu’il utilise dans ses deux discours, même s’il y a de l’ironie, c’est principalement de la haine que nous pouvons déceler. Il eut bien quelques élans de compassion, mais a pris soin de préciser qu’il ne faisait cela que pour obéir à la loi de la charité268.

Il est un auteur qui compatit avec Julien durant tout son règne, sans jamais douter de son allégeance. Chez Libanios, nous avons vu que la description physique de Julien n’est pas très présente, mais il fut bavard au sujet de son caractère, de ses qualités d’empereur, et de sa prodigieuse activité : Julien était à lui seul prêtre, écrivain, devin, juge et soldat. Il souligna aussi les qualités de son héros chez qui les mœurs étaient pures et simples. De ce point de vue, Libanios rejoint Ammien et Grégoire. Julien négligeait son corps, se nourrissait comme une cigale et la frugalité de sa table lui permettait de supporter, durant ses campagnes, le même régime que ses soldats269. Libanios a décrit la chasteté de Julien,

ainsi que son mépris des distractions matérielles : entre autres les banquets et les jeux270.

Selon P. Petit, cette pureté du prince correspondait à une modeste simplicité : dès sa jeunesse, il était discret et dénué d’affectation. Il eut un tel aplomb en dissimulant sa conversion et en se montrant d’une prudence extrême lors de la mort de Gallus, qui le plaçait dans une situation très délicate : il lui fallait pleurer son frère sans toutefois irriter

tout, de tous côtés, et ils ajoutent le fait d’être honorés, d’être escortés et d’être bien traités. […] Comme eux, vous avez déserté votre patrie, vous rôdez partout et vous mettez le trouble dans le camp, plus qu’eux et avec plus d’impudence : en effet, eux sont appelés et vous, vous êtes chassés. »

267 Julien, Misopogon, 360C : καὶ ἐβόων πάντες ἀνδρεῖον, συνετόν, δίκαιον. 268 Grégoire, IV, 49-51 ; V, 28-29 ; 36-37.

269 Cf. entre autres Libanios, Orat. XVIII, 61 ; XVI, 29 ; XVIII, 128, 179.

270 Libanios, Orat. XVIII, 170-171 : » ὧν οὐδὲν ἐπεσπάσατο τὸν ἄνδρα τοῦτον ὅς γε καὶ καθιζούσης αὐτὸν ἀνάγκης ἐν ἱπποδρόμῳ πρὸς ἄλλοις εἶχε τὰ ὄμματα τιμῶν ὁμοῦ τήν τε ἡμέραν καὶ τὰ αὑτοῦ, τὴν μὲν τῷ παρεῖναι, τὰ δὲ τῷ μένειν ἐπ’ αὐτῶν. οὐδεμία γὰρ ἔρις οὐδὲ ἅμιλλα οὐδὲ κραυγὴ τὴν γνώμην μετέστησεν ἀπὸ τῶν φροντισμάτων, ἐπεὶ καὶ ἑστιῶν ὄχλον σύμμικτον κατὰ τὸν νόμον πίνειν ἄλλοις ἐπιτρέπων αὐτὸς λόγους ἀνεμίγνυ τῷ πότῳ τοσοῦτον τῆς θοίνης μετέχων ὅσον μὴ δοκεῖν ἀπεσχῆσθαι. « Rien de cela n’attirait cet homme (sc. Julien) qui, lorsqu’il avait l’occasion de s’asseoir dans l’hippodrome, il posait les yeux en honorant en même temps le jour et les autres choses le concernant par sa concentration sur celles-ci. Car aucune lutte, ni aucun combat, ni aucun cri ne peut détourner sa pensée loin de ses méditations. Lorsqu’il distrayait une foule assemblée selon la loi, les autres buvaient alors que lui alternait son boireet des discussions rhétoriques, participant au banquet seulement pour ne pas avoir l’air de l’éviter. »

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Constance, le meurtrier271. En outre, le sophiste a beaucoup parlé de la philanthropie de

l’empereur. Sa grandeur d’âme lui faisait oublier les injures reçues, lui inspirait une bonté et une générosité qui touchaient parfois à la prodigalité et il fut si bon qu’il n’était pas capable de se séparer de familiers insatiables qui l’entouraient. P. Petit note qu’on peut interpréter cette remarque de Libanios comme une critique voilée parce que Julien était si aimable qu’il ne pouvait même pas se défaire de l’emprise des fréquentations avides et peu recommandables : « [avec ses amis trop avides,] il cessait de les considérer comme des gens de bien mais il pensait qu’il valait mieux paraître constant dans l’amitié que de se débarrasser de personnages de cette espèce272. » Dans l’entièreté de l’œuvre, les critiques

de Julien formulées par le sophiste sont quasi inexistantes ou aussi subtiles que celle que nous venons d’évoquer.

De manière générale, les auteurs ont mis l’accent sur l’impatience et l’impulsivité de l’empereur et cela vaut aussi pour les écrits des admirateurs. Ses impulsions étaient toujours liées à des accès de rage et ce trait de caractère se retrouve décrit dans toutes les œuvres qui évoquent Julien. Même Ammien, qui savait user de subtilité lorsqu’il s’agissait de situations délicates provoquées par l’empereur, avait du mal à excuser tous les actes de colère qu’il voyait ou entendait. Ce qu’Ammien cherchait, c’était un empereur qui était un bon général d’armée, à l’opposé de Constance, et qui avait fière allure. Peut-être

critique-t-il ainsi ce dernier pour creuser le fossé entre les deux hommes et renforcer le modèle de son héros, la figure parfaite que les citoyens voulaient voir à la tête de l’empire. L’historien se voyait lui-même comme faisant partie de l’élite militaire et cette ressemblance, qu’il sentait entre lui et Julien, le ravissait. Lorsque le prince adoptait le comportement qui plaisait à Ammien, il en recevait éloges et support. Cependant, alors que les émotions de l’empereur altéraient son jugement et que ses décisions semblaient imprudentes et impétueuses, l’attitude d’Ammien changeait complètement. C’est ce que propose d’étudier B. Sidwell dans son article traitant de la colère de Julien chez Ammien273.

En effet, ce dernier avait du mal à rester neutre face à la folie qui s’emparait parfois de son

271 Libanios, Orat. XVIII, 19, 26 ; I, 120 : « Il domina d’une belle manière avec sa langue. » οὕτω γὰρ εὖ καὶ καλῶς ἐκράτησε τῆς γλώττης. Cf. P. Petit, « Julien vu par Libanios », p. 71-72.

272 P. Petit, Id., p. 72. Libanios, Orat. XVIII, 202 : ἀλλ’ ἠπατημένος μὲν ἤλγει, τὸν χρόνον δὲ αἰσχυνόμενος ἠνείχετο καὶ τὸ δοκεῖν εἶναι βέβαιος εἰς φιλίαν τοῦ τοιούτων ὄντων ἀπηλλάχθαι κρεῖττον ἡγεῖτο.

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prince. Le champ lexical de la colère trouve d’ailleurs plusieurs occurrences dans les Res

Gestae : frendo (XXIV, 5, 6) ; indignatio (XXIV, 3, 3 ; XXV, 1, 8) ; indignor (XX, 4, 15 ;

XXIV, 6, 17) ; ira (XXII, 13, 2 ; XXIV, 3, 2) ; irascor (XXIV, 5, 6) ; percieo (XVI, 11, 8) ;

saeuio (XXIX, 1, 27)274. Selon Ammien, la colère de Julien aurait pu venir de sa désillusion

lorsqu’il s’est rendu compte que sa politique de restauration des cultes traditionnels n’était pas soutenue par la majorité de la population. La description des actes de colère de Julien chez Ammien était toujours accompagnée d’une justification275.

Chez Grégoire, nulle justification n’est nécessaire pour excuser, en quelque sorte, les actes de colère de Julien et comme les épisodes sont très nombreux, il n’a aucune difficulté à les faire ressortir. En effet, dans ses Discours, il avait comme but principal, à travers les mauvaises actions du personnage de Julien, de donner un exemple à ceux qui seraient tentés, à l’avenir, de faire la même chose que l’empereur : toute action en ce sens serait vaine et punie par une mort atroce et prématurée, comme on le constatait en observant le destin de l’empereur impie. Grégoire représente le règne de Julien comme une stèle qui « apprend à tous les autres hommes à ne pas se soulever avec une telle audace contre Dieu, de peur de s’exposer aux mêmes châtiments en commettant les mêmes crimes » 276. Ce sont là les derniers mots du deuxième Discours contre Julien. Comme le

christianisme augmentait toujours en popularité à l’époque, tous saisissaient la portée du message : il ne fallait pas suivre l’exemple de cet ennemi du peuple. L’influence de Grégoire dans la vie socio-politico-religieuse était assez importante et ses Discours avaient une influence significative sur le peuple. Il clôt ainsi ses discours, mais les premières lignes montrent exactement la même image puisque Grégoire précise que « le tyran qui s’est

274 Ce ne sont là que quelques exemples pour appuyer notre propos : les occurrences sont beaucoup plus nombreuses. En général, les chercheurs se sont surtout intéressés au portrait positif de Julien que fit Ammien. Par exemple, A. Brandt montre qu’Ammien a régulièrement utilisé des termes tels que prudentia et

temperentia pour décrire les actions de Julien. Cf. A. Brandt, Moralische Werte in den Res Gestae des Ammianus Marcellinus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, chapitre 3 pour la liste complète des

termes. R. Blockley analyse les exempla employés par l’historien et montre que 29 d’entre eux ont servi à parler de Julien positivement, contre seulement deux, qui le représentèrent de manière négative : R. Blockley, « Ammianus Marcellinus’s Use of Exempla », Florilegium 13, 1994, p. 53-64. L’article de B. Sidwell insiste sur l’instabilité chez Julien et discute de l’effet que cela put avoir sur le portrait que l’historien dressa de son prince : B. Sidwell, « Ammianus Marcellinus ».

275 B. Sidwell, « Ammianus Marcellinus » p. 73.

276 Grégoire, V, 42 : καὶ τοὺς λοιποὺς πάντας παιδεύουσαν μή τινα τοιαύτη κατὰ Θεοῦ τολμᾶν ἐπανάστασιν, ἵνα μὴ τὰ ὅμοια δράσαντες τῶν ἴσων καὶ ἀντιτύχωσιν.

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révolté a fait une chute digne de son impiété277 ». D’ailleurs, le thème de la chute de Julien,

qui ouvre et ferme ces deux textes, revient fréquemment tout au long de l’œuvre, toujours avec la volonté de montrer la voie à ne pas suivre.

Même si les historiens ecclésiastiques n’ont pas traité Julien de la même manière que Grégoire, qui élabora d’une certaine façon les prémices de la légende noire, ils ont évoqué quelques traits de caractère. L’élément qui transparaît le plus dans leurs œuvres tourne autour de la religion, des pratiques sacrificielles et des persécutions. C’est à travers ces descriptions que le caractère de Julien sera analysé. Même si nous avons décidé de traiter de ces trois auteurs en un seul bloc, nous les analysons de manière indépendante en faisant des rapprochements. En effet, les recherches modernes tendent de plus en plus à étudier chaque auteur de manière individuelle plutôt qu’en rapport les uns avec les autres. En leur donnant une identité propre, l’analyse de l’évolution de la pensée ressortira plus facilement des écrits.

Contrairement à ce que nous venons de voir, au Ve siècle, notamment chez

l’historien ecclésiastique Socrate, on ne retrouve jamais le portrait d’un roi démon, mais plutôt celui d’un roi malchanceux, pour reprendre les termes d’I. Krivouchine, dont toutes les tentatives et entreprises, politiques et militaires, furent vaines278. Socrate se détachait de

l’image complètement négative de Julien qui était en vogue à l’époque, mais la raison de cette distanciation n’est pas explicite dans son œuvre279. Il critiqua quand même des actions

et des pensées de Julien. Ce dernier rêvait de surpasser Alexandre le Grand, mais il

277 Grégoire, IV, 2 : ἐγὼ δὲ ἐπὶ τυράνῳ καὶ ἀθετήσαντι καὶ πεσόντι πτῶμα τῆς ἀσεβείας ἄξιον. 278 I. Krivuchine, « L’empereur païen vu par l’historien ecclésiastique », p. 15.

279 Quelques savants modernes ignorent cette position particulière de Socrate. Cf. par exemple G. Bowersock,

Julian the Apostate, p. 2-3 : « The extant ecclesiastical historians of the fifth century A.D. were heirs to the

invective of two eloquent fathers of the Church, Gregory of Nazianzus (a contemporary of Julian) and John Chrysostom (of the following generation). What they recorded or surmised was normally reproduced by the historians of the next century, and what they omitted was likely to be omitted. » Par des rapprochements de vocabulaire, D.F. Buck a montré que Socrate avait été grandement influencé dans son écriture par Libanios, surtout en ce qui concerne les éléments biographiques de Julien et sa conversion. Peut-être que la

connaissance des écrits du plus grand admirateur de Julien lui aura fait relativiser son point de vue sur le tyran impie. Cf. D. F. Buck, « Socrates Scholasticus on Julian the Apostate », Byz. 73, 2003, p. 301-317.

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conduisit l’empire à une catastrophe et mourut dans le déshonneur280. Il gaspilla ses talents

littéraires dans des invectives sans valeur contre les chrétiens et ne fut jamais un roi- philosophe, comme il le prétendait, parce que son irascibilité et sa présomption l’en empêchèrent. Socrate a fait une très longue énumération de toutes les tentatives de Julien qui échouèrent durant son règne et il a orienté systématiquement son récit afin de rabaisser l’importance du rôle qu’il aurait pu avoir dans l’histoire281. Même si le portrait fait par

Socrate est atypique, dans le sens où il est beaucoup plus clément que ce à quoi on pourrait s’attendre d’un auteur chrétien, ce sont tout de même les traits négatifs qui prédominent dans son œuvre. Julien était vaniteux, violent, porté à la moquerie, perfide, déséquilibré, toujours prêt à élaborer un quelconque carnage sanglant282. Le premier chapitre sur Julien

se conclut avec une critique, probablement la plus virulente, que Socrate fit au sujet de l’empereur : l’historien a dit qu’un homme ne peut être à la fois un bon empereur et un bon philosophe, mais que Julien ne fut aucun des deux. En énumérant des actions de Julien, il dit que « en effet, chasser les cuisiniers et les barbiers est l’œuvre d’un philosophe, pas celle d’un empereur, mais décrier ou se moquer, ce ne l’est pas d’un philosophe, mais pas non plus d’un empereur. […] Qu’il soit permis de régner et de philosopher, tant cela concerne la sagesse, mais un philosophe, s’il veut imiter toutes les actions des empereurs,

280 Socrate, III, 21, 1-13 relate la campagne en Perse et la mort de Julien. On peut citer ce passage qui résume

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