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2. Le développement de la légende selon les sources littéraires

2.2 Démonisation de la figure de l’empereur

2.2.1 Politique religieuse

L’activité législative295 de Julien Empereur, nous l’avons noté à plusieurs reprises,

fut importante et, selon J. Bouffartigue, les auteurs anciens « s’accordent pour la juger cohérente et marquée du sceau de la compétence » 296. Cependant, les savants atténuèrent

cette affirmation puisque, pendant sa formation scolaire, Julien n’a pas fait d’études juridiques et même si son apport législatif est notable, il était appuyé par des fonctionnaires

295 Il faut citer l’excellent article de C. Dupont, « La politique de Julien à l’égard du christianisme dans les sources littéraires des IVe et Ve siècles après Jésus-Christ », AARC 2, 1977, p. 197-216, dans lequel l’auteure fait une synthèse des actions de Julien dans le cadre de sa politique religieuse. La bibliographie de cet article est impressionnante et très bien utilisée. L’auteure n’apporte pas nécessairement d’éléments nouveaux ou de conclusions spécifiques puisqu’il s’agit principalement d’une synthèse et les recherches plus récentes, par exemple J. Bouffartigue, Julien et la culture ou encore P. Renucci, Les idées politiques se basent sur cet article pour appuyer leur propos.

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et des commis de l’État, spécialistes en la matière297. Il est signataire de nombreux textes

conservés dans le Code Théodosien ainsi que dans le Code Justinien298. Dans plusieurs de

ces textes, Julien a mentionné les différentes lois qu’il fit passer299, mais au-delà de celles-

ci, qui concernaient des réformes économiques ou politiques, c’est la religion qui l’intéressait davantage. À l’égard des Juifs, Julien était bienveillant et sa politique les concernant était considérée, selon J. Juster, comme la façon dont « un polémiste anti- chrétien pouvait attaquer les Juifs sur le terrain des idées religieuses, tout en les défendant sur le terrain politique » 300. Sous le règne de Julien, les Juifs ont soutenu les Perses contre

les Romains. C’est une des principales raison pour lesquelles Julien avait voulu les rallier à sa cause : il espérait avoir leur soutien dans sa grande campagne en Perse, qu’il ferait quelques temps plus tard. Malgré son dédain pour tout ce qui ne concernait pas le culte traditionnel, Julien ne méprisait pas totalement la religion juive : « son antiquité la rend digne de respect301 ». Il s’est sérieusement interrogé sur cette religion et on peut le voir à

plusieurs reprises dans ses écrits, principalement dans le Contre les Galiléens, conservé par Cyrille. Ses connaissances non négligeables expliquent l’apparente contradiction à parler des Juifs – Moïse y tient une place particulièrement importante – surtout dans un traité dirigé contre les Chrétiens. Il ne savait pas l’hébreu, mais il a bien connu les Juifs eux- mêmes302. C’est dans une lettre adressée « à la nation juive303 » que Julien a exposé la

297 Nous ne développons pas outre mesure cet aspect, mais nous référons à deux études qui ont contribué à construire cette bonne image de Julien législateur : W. Enßlin, « Kaiser Julians Gesetzgebung und Reichsverwaltung », Klio 18, 1923, p. 104-199 ; R. Andreotti, « L’opera legislativa ed administrativa dell’imperatore Giuliano », NRS 14, 1930, p. 342-383. Et même si la compétence de Julien en matière de législation n’a pas été contestée, l’efficacité de sa politique a été mise en doute par E. Pack dans son ouvrage

Städte und Steuern in der Politik Julians. Untersuchungen zu den Quellen eines Kaiserbildes, Bruxelles,

Latomus, 1986. Par la suite, les études modernes suivirent l’idée d’E. Pack, dont l’ouvrage est devenu une référence.

298 Ces textes sont réunis par J. Bidez et F. Cumont dans Imp. Caesaris Flavii Claudii Iuliani Epistulae Leges

Poematia Fragmenta Varia, Paris, Les Belles Lettres, 1922, p. 75-90 pour les lois décrétées avant juin 362 et

p. 174-207 pour les lois promulguées lorsque l’empereur était à Antioche. On les retrouve aussi dans Les lois

religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312-438), I et II, texte établi par

Th. Mommsen, introduit et annoté par R. Delmaire et traduit par J. Rougé, Paris, Éditions du Cerf, 2005. 299 Une brève liste se retrouve dans J. Bouffartigue, « Julien par Julien », p. 22.

300 En général, les empereurs ne firent pas preuve de bonté à l’égard des Juifs et cela parut sous Constantin, lorsque des troubles éclatèrent ou encore lors de la révolte de la Galilée sous Constance (352). J. Juster, Les

Juifs dans l’Empire romain I, Paris, Librairie P. Geuthner, 1914, p. 38.

301 C. Aziza, « Julien et le Judaïsme », L’Empereur Julien, p. 149.

302 M. Adler, « The emperor Julian and the Jews », JQR 5, 1893, p. 591-651 a d’ailleurs passé en revue les jugements portés sur l’attitude de Julien envers les Juifs et il declare à la p. 592 : « Whatever be the opinion held upon Julian’s attitude towards the Christians, all are unanimous in asserting his great friendship towards his Jewish subjects. » Il a aussi conclu que, même si Julien était familier avec les Écritures, il ne connaissait pas l’hébreu. Il donne plusieurs exemples en p. 611.

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majeure partie des mesures politiques prises en faveur de ses sujets juifs. Ces derniers n’ont laissé aucun écrit sur cette question, il n’est donc pas possible de savoir quelle fut leur réaction devant les avances de Julien.

D’un autre côté, l’aversion de Julien pour le christianisme est beaucoup plus documentée que son amitié pour les Juifs. Les savants ont discuté afin de déterminer si les convictions de Julien furent assez profondes pour qu’à un moment dans sa vie, il se considère vraiment comme un chrétien. « Aucun témoignage sûr ne permet de confirmer la “docilité” avec laquelle il se serait prêté aux rites de l’initiation chrétienne304 [puisqu’il fut

baptisé305] ». Lui-même ne parle pas de son baptême, ni de ses convictions avant de

déclarer publiquement qu’il était fidèle au culte de ses ancêtres. Les auteurs que nous avons cités jusqu’à présent ne le mentionnent pas non plus, mais on peut en douter, puisqu’il fut initié, dès son plus jeune âge, aux auteurs anciens, comme par exemple Homère, et leur influence sur sa vie fut importante306. Il a d’ailleurs écrit que les chrétiens ne devaient pas

être guéris de leur maladie contre leur volonté même si cette méthode curative, c’est-à-dire de se débarrasser de la mauvaise religion, pourrait leur être bénéfique (Lettre 61, 424A-B). Il insista sur le fait que les chrétiens devaient être persuadés et guidés par la raison et non pas par des mauvais traitements (Lettre 114, 438B). Même s’il s’est montré de plus en plus impatient envers eux au fil du temps et qu’il fut parfois violent, il semble que sa politique officielle envers les chrétiens était celle de la non-violence. C’est du moins ce que les historiens ecclésiastiques du Ve siècle, bien qu’ils eussent un parti pris, ont noté chez

Julien. En effet, le prince voulait à tout prix ne pas se voir associé aux persécutions qui avaient eu lieu sous Dioclétien, un siècle plus tôt. En revanche, comme Socrate l’a dit, « il passait par dessus la cruauté excessive qui s’était déroulée sous Dioclétien, mais il ne s’abstenait pas pour autant de persécuter307 ». Cette idée se retrouve entre autres aussi chez

Rufin et Sozomène. Les historiens ecclésiastiques furent moins loquaces que Grégoire ou

303 T. Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au Judaïsme, textes présentés et complétés par C. Aziza, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 206-210. Au sujet de l’authenticité de cette lettre, voir C. Aziza, « Julien et le Judaïsme », p. 150-151.

304 C. Aziza, « Julien et le Judaïsme », p. 162.

305 Sozomène, V, 2, 7 dit que Julien a été baptisé ἐκ νέου, dès l’enfance. 306 Sur l’éducation de Julien dans son enfance, cf. J. Bidez, La Vie, p. 10-34.

307 Socrate, III, 12, 6 : καὶ τὴν μὲν ὑπερβάλλουσαν ἐπὶ Διοκλητιανοῦ ὠμότητα ὑπερέθετο, οὐ μὴν πάντῃ τοῦ διώκειν ἀπέσχετο·

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Ammien Marcellin au sujet de la manie de divination de l’empereur et évoquèrent moins sa folie.

Nous avons déjà noté que la différence de point de vue entre les historiens ecclésiastiques et les auteurs du IVe siècle était relative au genre et à la visée plutôt qu’à

l’époque. Par exemple, Grégoire a écrit deux discours expressément pour calomnier Julien tandis que les ecclésiastiques devaient parler du règne de Julien puisqu’il se retrouvait dans la période dont ils traitaient. Selon ces historiens, la politique de non-violence de l’empereur envers les chrétiens ne les concernait pas directement, mais plutôt les intérêts de l’empereur et sa lutte pour rétablir le culte traditionnel. Les auteurs ont inséré dans leurs récits des épisodes relatant la mort de martyrs sous Julien afin d’accentuer le fait qu’il y avait de la violence, malgré ce que, lui, laissait sous-entendre. On retrouve la trace de ces persécutions dans le Roman syriaque, encore une fois, plus amplifiées que ce que fut probablement la réalité, mais on peut quand même dire que les auteurs du IVe siècle ne sont

pas les seuls à avoir influencé son écriture. Les historiens du Ve siècle y ont aussi contribué,

même s’ils parlent moins des pratiques cultuelles et divinatoires. Ils ont surtout insisté sur les martyrs et n’ont pas fait mention des sacrifices humains. Sur ce point, ils n’ont donc pas influencé l’écriture du Roman. Dans ce cas, en plus des exemples que nous avons cités, il faut plutôt chercher du côté des sources orientales, notamment syriaques, de l’époque. En tant que philhellène, Julien a toujours donné l’avantage au culte traditionnel et alors qu’il s’en faisait le restaurateur, il ne pouvait tolérer également les chrétiens et ceux qui, comme lui, étaient fidèles aux pratiques ancestrales. La restauration était son premier souci, bien avant la destruction du christianisme. Julien a proclamé plusieurs édits contre les chrétiens, les a exilés, a fait fermer leurs églises, les a obligés à sacrifier aux dieux, mais il a toujours professé la non-violence physique à leur égard. Il s’agissait principalement de violence psychologique. Il a entre autres fait une injonction pour que les chrétiens soient appelés Galiléens308 :

La première mesure qu’il prend est, en tout cas, particulièrement puérile et légère, indigne non seulement d’un roi, mais encore de quelque homme doué

308 Plusieurs auteurs font état de cette pratique. Parmi notre corpus citons : Grégoire, IV, 74 ; Rufin, I, 35 ; Ephrem, III, 17 ; Socrate, III, 12 ; Théodoret, III, 8 et 21 et particulièrement Julien lui-même dans les Lettres 46, 83, 88, 89b, 110, etc.

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d’une pensée mesurée. Persuadé que, si nous changions de nom, nous changerions aussi de dispositions, ou bien croyant encore nous discréditer en ayant l’air de nous charger de quelque crime abominable, il introduit une innovation dans la façon de nous désigner. Il nous appelle Galiléens au lieu de chrétiens et donne force de loi à l’usage de ce terme tenu pour une flétrissure infamante309.

Cependant, la coupure avec le christianisme s’est produite officiellement lorsqu’il a publié sa loi scolaire interdisant aux chrétiens l’enseignement de la grammaire, de la rhétorique et de la philosophie : « qu’ils cessent d’enseigner ce qu’ils ne prennent pas au sérieux, ou bien, s’ils veulent continuer leurs leçons, qu’ils prêchent d’exemple avant tout et qu’ils persuadent à leurs élèves que ni Homère, ni Hésiode, ni aucun de ceux qu’ils expliquent *** après les avoir accusés d’impiété, de folie, et d’erreur au sujet des dieux310. » Les historiens modernes, notamment J. Bidez et J. Bouffartigue, s’entendent

pour admettre que la politique de Julien à l’égard du christianisme a pris un tournant le 17 juin 362 avec la publication de cette loi scolaire. Les auteurs anciens sont unanimes quant à l’absence d’un édit de persécutions envers les chrétiens et Grégoire aussi le reconnaît311. À

plusieurs reprises, Julien a même déclaré avoir prouvé sa tolérance envers les Galiléens et entendait la maintenir312. En l’absence d’un tel édit, plusieurs actes et décisions allaient

dans le même sens et c’est pourquoi les auteurs chrétiens en général n’ont pas hésité à

309 Grégoire, IV, 76 : Ἐκεῖνο μὲν οὖν καὶ σφόδρα μειρακιῶδες καὶ κοῦφον καὶ οὐχ ὅπως βασιλέως ἀνδρός, ἀλλ’ οὐδὲ ἄλλου τινὸς τῶν καὶ μετρίως στιβαρῶν τὴν διάνοιαν, ὅτι τῇ μεταθέσει τῆς κλῆσεως ἕψεσθαι νομίσας τὴν ἡμετέραν διάθεσιν ἢ αἰσχυνεῖν γε ἡμᾶς ὥσπερ τι τῶν αἰσχίστων ἐγκαλουμένους, εὐθὺς καινοτομεῖ περὶ τὴν προσηγορίαν, Γαλιλαίους ἀντὶχριστιανῶν ὀνομάσας τε καὶ καλεῖσθαι νομοθετήσας ὡς αἰσχρόν τι καὶ ἀπρεπέστερον. (Traduction J. Bernardi, modifiée)

310 Dans son édition du texte, J. Bidez suppose que le texte grec présente une lacune et qu’à l’endroit où se trouvent les astérisques, il faut suppléer l’idée « n’a été aussi stupide qu’ils voudraient le faire croire ». Puisqu’il s’agit d’une lettre difficile, à propos de laquelle il existe plusieurs débats sur le sens de certains mots, nous avons préféré nous en tenir exclusivement à la traduction de J. Bidez, puisque c’est surtout le fond qui nous intéresse, plus que la forme. Julien, Lettre 61 : δίδωμι δὲ αἵρεσιν μὴ διδάσκειν ἃ μὴ νομίζουσι σπουδαῖα, βουλομένους <δὲ>, διδάσκειν ἔργῳ πρῶτον, καὶ πείθειν τοὺς μαθητὰς ὡς οὔτε Ὅμηρος οὔτε Ἡσίοδος οὔτε τούτων οὕς ἐξήγηνται *** καὶ κατεγνωκότες ἀσέβειαν ἄνοιάν τε καὶ πλάνην εἰς τοὺς θεούς. (Traduction J. Bidez) Cf. Code Théodosien, XIII, 3, 5.

311 Grégoire, IV, 94 : Οὔ φασιν οἱ τὰ ἐκείνου σέβοντες καὶ τὸν νέον ἡμῖν θεὸν ἀναπλάττοντες, τὸν ἡδὺν καὶ φιλάνθρωπον, ἀλλ’ ὅτι μὴ δημοσίᾳ διωκέσθωσαν χριστιανοὶ προὔθηκε καὶ πάντα πασχέτωσαν ὅσα δοκεῖ τοῖς διώκουσιν ἀφιέντες αὐτὸν τῆς τοῦ διώκειν αἰτίας. « Non (en réponse à son affirmation précédente qui disait que la volonté du roi était plus forte qu’une loi écrite), disent ceux qui le (sc. Julien) vénèrent et qui veulent nous le faire passer pour un nouveau dieu, lui qui est doux et ami des hommes, mais qui l’acquittent du grief de persécution parce qu’il n’a pas affiché officiellement : “Que l’on persécute les chrétiens et que les persécuteurs leur fassent subir tout ce que bon leur semble.” »

312 Julien, Lettre 115, dans laquelle il proclame avoir usé de douceur et d’humanité envers les Edesséniens et, alors qu’il s’entretient avec un décurion chrétien dont le fils a apostasié, il l’exhorte à imiter sa tolérance. Ce passage est rapporté par Théodoret, III, 22, 1-3.

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parler de persécution sous Julien313. C. Dupont résume bien la question de la persécution en

disant que « Julien affecte la tolérance pour les Galiléens, tout en prenant des mesures hostiles à leur égard » et qu’il « exploite les tendances humaines susceptibles de provoquer des apostasies : goût des honneurs, de l’argent, désir de garder une situation » 314. Il mêlait

les pratiques ancestrales au culte des dieux de sorte qu’en accordant les honneurs au prince, les chrétiens adhéraient à la religion ancestrale sans en être nécessairement conscients315.

Les sentiments religieux de Julien complètent son amour de l’hellénisme et c’est pourquoi il n’a pas hésité à choisir la religion de ses ancêtres, plutôt que celle du Christ parce que, comme il a dit vouloir le démontrer dans le Contre les Galiléens, Jésus n’avait rien de divin.

En tant que fervent défenseur de l’hellénisme, Julien avait un panthéon qui se composait uniquement de dieux grecs. Il affirmait que le fondateur de Rome, Romulus- Quirinus, était le descendant direct d’Hélios-Roi, le dieu suprême. Il reconnaissait l’importance de la triade capitoline et donnait toujours aux dieux leurs noms grecs : Zeus (Jupiter), Athéna (Minerve) et Aphrodite (Vénus). L’importance de garder cette triade venait du fait que Julien se disait descendant d’Hélios, en filiation directe avec Romulus et Énée. Il ajoute ensuite Apollon à son panthéon, dieu à qui est rattaché le culte du Soleil, peut-être dans l’optique de se lier encore plus à Auguste, et mentionne que si Quirinus avait été envoyé sur terre pour fonder Rome avant de remonter vers le Soleil, c’était parce que la déesse grecque Athéna l’y avait envoyé316. Particulièrement, une fois devenu Auguste,

Julien s’identifie à la religion de Rome, mais lui fait subir une importante hellénisation et ainsi, les Romains étaient simplement légataires d’un héritage grec :

313 Cf. notamment Rufin, I, 32 ; Philostorge, VII, 6 ; Saint-Augustin, XVIII, 52 ; Socrate, III, 12 ; Sozomène, V, 12.

314 C. Dupont, « La politique de Julien », p. 211.

315 Sozomène, V, 16 et Grégoire, IV, 81 rapportent que Julien demanda au peuple de le représenter avec des figurines de divinités.

316 Julien, Hélios-Roi, 154D : Οὕτω προδήλως ἡ τῶν περιγείων δημιουργὸς ὑπ’ αὐτὸν γενομένη τὸν Ἥλιον ἐδέξατο εἰς γῆν πεμπόμενον διὰ τῆς Ἀθηνᾶς τῆς Προνοίας τὸν Κυρῖνον, ἀνιπτάμενόν τε αὖθις ἀπὸ γῆς ἐπὶ τὸν βασιλέα τῶν ὅλων ἐπανήγαγεν αὐτίκα Ἥλιον. « Preuve éclatante qu’il appartint à la déesse, préposée à la périphérie terrestre immédiatement au-dessous d’Hélios lui-même, d’accueillir sur la terre Quirinus, envoyé par Athéna-Providence, comme de le ramener à tire-d’ailes, a son départ de la terre, vers Hélios, roi de l’univers. » Sur ces éléments, cf. P. Petit, « Le Julien de Libanios », p. 75-78.

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Celui-ci (sc. Apollon) conquit, grâce aux colonies grecques, la majorité des terres inhabitées et prépara la soumission facile des Romains. Ils n’ont pas seulement en eux la race hellénique, mais ils ont aussi, depuis le début, posé des lois sacrées en établissant la confiance pieuse des Hellènes en leurs dieux pour qu’ils veillent jusqu’à la fin. […] C’est par tout cela, je pense, qu’Hélios lui-même reconnaît dans notre ville (sc. Rome) une ville grecque, tant par son origine que par sa constitution317.

Au sujet de la piété de Julien, Ammien parla de la manie de divination de Julien qui se répercutait partout318 : « Et ceux qui faisaient des progrès dans la science de la

divination, qui était autorisée sans entraves, autant les ignorants que les dociles, on leur permettait, sans limite ni ordre fixé d’avance, d’interroger les oracles et de pratiquer l’examen des entrailles, qui révèle parfois le futur319. » On remarque dans l’extrait que,

contrairement à Constance, Julien avait laissé au peuple la liberté de pratiquer la divination comme bon lui semblait. Ammien blâme plus particulièrement l’inflation démesurée et coûteuse des rites, en plus de la pratique aveugle et banalisée de la divination. Elle était devenue encore plus populaire à cause des pressions qu’elle avait subies sous les empereurs chrétiens précédents, lorsqu’ils avaient tenté de l’abolir en condamnant ceux qui la pratiquaient320.

Libanios nous fait savoir que Julien disposait des meilleurs devins de l’époque, mais qu’il les surpassait. Dans son témoignage, toujours très partial, il explique que si des décisions prises par l’empereur ont étonné ou scandalisé le peuple, c’est parce que ce dernier n’en connaissait pas les véritables raisons. En effet, Julien n’a fait que suivre les indications mystérieuses que les dieux lui transmettaient : « Il découvrit certaines choses grâce à son intelligence et d’autres parce qu’il était en communication avec les êtres supérieurs. De là vient qu’il donna des postes à des gens auxquels il ne semblait pas devoir les donner, et qu’à des gens auxquels on pensait qu’il les donnerait, il ne les donna point :

317 Julien, Hélios-Roi, 152D-153B : οὗτος ἡμέρωσε μὲν διὰ τῶν Ἑλληνικῶν ἀποικιῶν τὰ πλεῖστα τῆς οἰκουμένης, παρεσκεύασε δὲ ῥᾷον ὑπακοῦσαι Ῥωμαίοις ἔχουσι καὶ αὐτοῖς οὐ γένος μόνον Ἑλληνικόν, ἀλλὰ καὶ θεσμοὺς ἱερούς, καὶ τὴν περὶ τοὺς θεοὺς εὐπιστίαν ἐξ ἀρχῆς εἰς τέλος Ἐλληνικὴν καταστησαμένοις τε καὶ φυλάξασι […] ἀνθ’ ὧν οἶμαι καὶ αὐτὸς ἔγω τὴν πόλιν Ἑλληνίδα γένος τε καὶ πολιτείαν.

318 Notons ici que nous utilisons le terme manie dans le sens grec du terme μανία : folie, démence et non pas comme on pourrait l’entendre de nos jours, une habitude souvent bizarre.

319 Ammien, XXII, 12, 7 : et quisque, cum inpraepedite liceret, scientiam uaticinandi professus, iuxta

imperitus et docilis, sine fine uel praestitutis ordinibus, oraculorum permittebantur scitari responsa, et extispicia non numquam futura pandentia.

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c’était par une décision des dieux qu’il accordait ou refusait321. » Pour le rhéteur, la

conversion de Julien fut la conséquence de son éducation : « Tu as été poussé vers le culte des dieux par les logoi eux-mêmes322. » Libanios a aussi reconnu le rôle de Maxime

d’Éphèse qui l’introduisit à la vraie religion et il se plaisait à souligner les aspects traditionnels présents chez Julien. Ce dernier était protégé des dieux lorsque les Dioscures le sauvèrent au moment de la mort de Gallus et quand Athéna l’aida durant ses campagnes de Gaule323. Libanios le disait supérieur à la majorité de ses devins et c’est par cet argument

qu’il explique le comportement de Julien lorsqu’il tentait de changer les augures et de contrôler leurs présages324. C’est ainsi que Libanios explique certains faits et gestes de son

prince qui parurent étranges aux yeux de la majorité. Il salue avec enthousiasme la restauration de la religion qui lui est chère ainsi que la modération de Julien : l’empereur pensait qu’il ne fallait user que de la persuasion et qu’il serait fâcheux de faire des martyrs325.

Julien était en contact direct avec les dieux et Libanios a donné des exemples précis pour confirmer cette hypothèse : ce sont les dieux qui lui avaient conseillé d’accepter le Césarat ou qui révélèrent complots et embuscades ourdis contre lui : « Et là, il (sc. Julien) obtint une grande récompense pour sa piété envers les divinités locales qui l’ont informé de complots contre lui et contre son salut. Et grâce à cela, il modifia le rythme de sa marche en

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