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La protection des créations générées par intelligence artificielle par le droit d'auteur canadien

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Academic year: 2021

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(1)

La protection des créations générées par intelligence

artificielle par le droit d'auteur canadien

Mémoire

Maîtrise en droit

Sandy Caron

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL.M.)

et

Université Paris-Sud

Orsay, France

Master 2 (M2)

© Sandy Caron, 2018

(2)

ii

RÉSUMÉ

L'émergence des programmes d'intelligence artificielle capable de générer des oeuvres artistiques, musicales et littéraires soulève plusieurs enjeux notamment au niveau du droit d'auteur puisqu'il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre les créations réalisées par un humain et celles réalisées par une intelligence artificielle. Si ces créations peuvent désormais être confondues, il est alors pertinent de s'interroger sur le régime juridique qui leur est applicable. Il n'y a de cela pas si longtemps, les questions entourant les droits sur les oeuvres créées par un programme informatique ne provoquaient pas de débat puisque ce programme n'était considéré que comme un simple outil mis à la disposition de l'auteur. Toutefois, les développements récents des programmes d'intelligence artificielle démontrent que leur implication dans le processus créatif va bien au-delà de la simple assistance. Par conséquent, il devient nécessaire de se questionner sur l'identité de l'auteur de ces créations, le titulaire des droits d'auteur et l'opportunité de reconnaitre une personnalité juridique à l'intelligence artificielle.

The emergence of artificial intelligence programs capable of generating artistic works, musical works and literary works raises many stakes, especially in copyright since it becomes harder to notice the difference between creations made by a human and creations made by artificial intelligence. If these creations can nowadays be mistaken, then it is relevant to question ourselves about the legal system that is applicable to them. Not long ago, questions about copyright on work created by computer programs didn’t create debates since programs were only considered as a tool for the author’s use. However, the recent progress of artificial intelligence programs shows that their implication in the process of creation goes beyond simple assistance. Therefore, it becomes necessary to question ourselves on the identity of the work’s author, the copyright ownership and the opportunity of recognizing a juridical personality to the artificial intelligence.

(3)

iii

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... ii

TABLE DES MATIÈRES ... iii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... iv

REMERCIEMENTS ... v

INTRODUCTION ... 1

1. L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT-ELLE ÊTRE L'AUTEURE D'UNE ŒUVRE ? ... 15

1.1. Les critères à la protection du droit d'auteur ... 16

1.1.1. La notion d'auteur au sens de la Loi sur le droit d'auteur ... 19

1.1.2. La notion d'œuvre au sens de la Loi sur le droit d'auteur ... 22

1.1.3. La détermination du critère d'originalité ... 26

1.2. La détermination de l'auteur des créations générées par intelligence artificielle 30 1.2.1. L'utilisateur de l'intelligence artificielle ... 30

1.2.2. Le programmeur de l'intelligence artificielle ... 35

1.2.3. Le propriétaire de l'intelligence artificielle ... 39

1.2.4. L'intelligence artificielle en tant qu'auteure ... 42

1.2.5. La possibilité des coauteurs ... 51

2. LA DÉTERMINATION DU TITULAIRE DES DROITS DES CRÉATIONS GÉNÉRÉES PAR INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ... 54

2.1. Les alternatives juridiques ... 54

2.1.1. La reconnaissance d'une personnalité juridique à l'intelligence artificielle55 2.1.2. Le domaine public comme solution au défaut d'auteur ... 66

2.2. Les titulaires des droits envisageables dans l'hypothèse où l'intelligence artificielle est l'auteure ... 70

2.2.1. L'auteur premier titulaire des droits ... 70

2.2.2. L'utilisateur de l'intelligence artificielle ... 72

2.2.3. Le programmeur de l'intelligence artificielle ... 74

2.2.4. Le propriétaire de l'intelligence artificielle ... 76

CONCLUSION ... 78 BIBLIOGRAPHIE ... 86 ANNEXE 1 ... 101 ANNEXE 2 ... 102 ANNEXE 3 ... 104 ANNEXE 4 ... 106 ANNEXE 5 ... 107

(4)

iv

LISTE DES ABRÉVIATIONS

3D ALENA

Trois dimensions

Accord de libre-échange nord-américain CCQ

CNIL

Code civil du Québec

Commission nationale de l'informatique et des libertés CONTU National Commission on New Technological Uses of

Copyrighted Works FLAC

IA

Fédération luxembourgeoise des auteurs et compositeurs Intelligence artificielle

LDA Loi sur le droit d'auteur PETA

SACEM

People for the Ethical Treatment of Animals

(5)

v

REMERCIEMENTS

Je tiens d'abord à exprimer toute ma reconnaissance envers mes directeurs de mémoire Monsieur Georges Azzaria et Madame Alexandra Bensamoun de m'avoir aidé et conseillé tout au long de la réalisation de ce travail. Leur écoute, leur disponibilité, leur expertise et leurs conseils ont été d'une grande aide dans la rédaction de ce mémoire.

Je remercie également ma famille et toutes les personnes qui m'ont encouragée, soutenue et conseillée dans l'écriture de ce mémoire.

(6)

1

INTRODUCTION

La science-fiction existe maintenant depuis des décennies. Les oeuvres de ce genre narratif permettent de créer des histoires en s'appuyant notamment sur des anticipations de progrès technologiques qui sont ou ne seront jamais réalisables. Or, il arrive que les idées évoquées dans la science-fiction deviennent réalité. Pour ne citer que quelques exemples, il y a la visiophonie, la reconnaissance vocale, les montres intelligentes, la réalité augmentée, les voitures autonomes et les robots humanoïdes. Au niveau cinématographique, les films mettant en vedette des robots dotés d'intelligence artificielle sont assez fréquents. Qui n'a jamais entendu parler du film Ex machina ? Sorti en 2015, ce film met de l'avant une intelligence artificielle nommée Ava. Cette dernière ressemble à un humain. Elle est étudiée par le biais de discussion avec un programmeur afin de déterminer si celle-ci a une conscience. Ce film pousse évidemment la réalité un cran plus loin, mais les questions soulevées ne relèvent plus forcément que de la fiction. L'intelligence artificielle fait désormais partie de notre réalité.

L'intelligence est un concept suffisamment complexe en soi. Alors, lorsqu'il vient le temps de discuter d'intelligence artificielle (IA), il est extrêmement difficile de s'arrêter sur une définition exacte qui s'adapte aux avancées technologiques.

Initialement, l'IA était définie comme une « construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains, car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique »1

.

Le dictionnaire Larousse définit quant à lui l'intelligence artificielle comme étant un « ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine »2. Selon John McCarthy, un des instigateurs de

1

FUTURA, « Qui sont les pionniers de l’intelligence artificielle ? », Futura, en ligne : <https://www.futura-sciences.com/tech/questions-reponses/intelligence-artificielle-sont-pionniers-intelligence-artificielle-4907/>.

2

DICTIONNAIRE LAROUSSE, « Intelligence Artificielle », en ligne : <http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/intelligence_artificielle/187257>.

(7)

2

ce champ de recherche, une machine peut simuler toute activité intellectuelle à condition qu'elle soit décrite avec suffisamment de précision3.

Dans le rapport de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de décembre 2017, l'intelligence artificielle a été décrite comme étant :

Une nouvelle classe d’algorithmes, paramétrés à partir de techniques dites d’apprentissage : les instructions à exécuter ne sont plus programmées explicitement par un développeur humain, elles sont en fait générées par la machine elle-même, qui ''apprend'' à partir des données qui lui sont fournies. Ces algorithmes d’apprentissage peuvent accomplir des tâches dont sont incapables les algorithmes classiques (reconnaître un objet donné sur de très vastes corpus d’images, par exemple).4

Le milieu scientifique s'entend généralement pour diviser l'intelligence artificielle en deux catégories. Il s'agit de l'IA faible et de l'IA forte5. L'IA dite faible, « capable de simuler l’intelligence humaine pour une tâche bien déterminée »6

, vise davantage des tâches spécifiques de résolution de problèmes « tels que la reconnaissance d’images, la compréhension du langage naturel ou la pratique de jeux (jeu de dames, échecs, jeu de go […] »7

. Cette catégorie se subdivise en deux catégories. En premier lieu, il y a la sous-catégorie qui est nommée purely reactive8. Il s'agit de l'IA la plus rudimentaire. Celle-ci ne connait pas le concept du passé. Elle ne peut ni emmagasiner des souvenirs ni apprendre de ses expériences passées afin d'influencer ses décisions. C'est pour cette raison qu'elle obtiendra exactement le même résultat chaque fois qu'une situation identique se présentera9. Puis, elle va se concentrer sur un champ d'activité bien spécifique. Par exemple, dans cette catégorie d'IA faible, il y a le programme AlphaGo, développé par Google, qui a battu un

3

Ibid.

4 C

OMMISSION NATIONALE DE L'INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, Comment permettre à l'homme de garder la main ? Les

enjeux éthiques des algorithmes et de l'intelligence artificielle, Synthèse du débat public animé par la CNIL dans le cadre

de la mission de réflexion éthique confiée par la Loi pour une république numérique, France, 2017, p. 5.

5

Georgie COURTOIS, « Robots intelligents et responsabilité : quels régimes, quelles perspectives ? », D. 2016.287; Marion BARBEZIEUX, « Quel droit pour l'Intelligence Artificielle ? », Le Monde du Droit, 20 février 2018, en ligne : <https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/56320-quel-droit-intelligence-artificielle.html>.

6

COMMISSION NATIONALE DE L'INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, Comment permettre à l'homme de garder la main ? Les

enjeux éthiques des algorithmes et de l'intelligence artificielle, Synthèse du débat public animé par la CNIL dans le cadre

de la mission de réflexion éthique confiée par la Loi pour une république numérique, France, 2017, p. 75.

7

Ibid, p. 18.

8

FUTURISM, « Types of AI : From Reactive to Self-Aware », Futurism, 13 décembre 2016, en ligne : <https://futurism.com/images/types-of-ai-from-reactive-to-self-aware-infographic/>.

9

Arend HINTZE, « From Reactive Robots to Sentient Machines : The 4 Types of AI », Live Science, 14 novembre 2016, en ligne : <https://www.livescience.com/56858-4-types-artificial-intelligence.html>.

(8)

3

joueur professionnel au jeu Go10. La deuxième sous-catégorie d'IA faible est celle ayant une limited memory11. Contrairement à la première, celle-ci enregistre les expériences antérieures. Elle a suffisamment de mémoire pour apprendre du passé et ainsi, prendre des décisions plus appropriées. Les assistants personnels comme Siri et Cortana en sont des exemples. La très grande majorité des programmes d'IA actuels correspondent à cette sous-catégorie. Quant à l'IA dite forte, celle-ci fait référence à de l'intelligence artificielle « générique et autonome qui pourrait appliquer ses capacités à n’importe quel problème, répliquant en cela une caractéristique forte de l’intelligence humaine, soit une forme de ''conscience'' de la machine) »12. Elle vise donc « des systèmes susceptibles de devenir complètement autonomes »13. L'IA forte se scinde également en deux sous-catégories. La première est appelée theory of mind14. Ce sont les prochains programmes qui seront fortement développés. Ils ont la capacité de comprendre les émotions, les sentiments, les intentions, les motifs et les pensées. La deuxième sous-catégorie est quant à elle appelée self-awareness15. Il s'agit du type d'IA le plus avancé. Par contre, il n'est pas près d'exister puisque les scientifiques devront d'abord comprendre la nature de la conscience avant d'être en mesure de construire des programmes capables d'en faire preuve. Suivant cela, l'IA pourra démontrer certains désirs et reconnaître ses propres sentiments.

Avec cette présentation des différents types d'intelligence artificielle et de leurs fonctionnalités, il est aisé d'imaginer que l'IA se retrouve dans plusieurs domaines d'application. En effet, elle permet la démonstration automatique de théorèmes16, de

10

FUTURISM, supra, note 8.

11

FUTURISM, supra, note 8; Arend HINTZE, supra, note 9; Kayla MATTHEWS, « The 4 types of AI and where you encounter them », IT Pro Portal, en ligne : <https://www.itproportal.com/features/the-4-types-of-ai-and-where-you-encounter-them/>; Arif Mahmud RIAD, « Types of AI : Reactive to self-aware beings », FinTech, en ligne :

<http://www.fintechbd.com/types-of-ai-reactive-to-self-aware-beings/>; Amity MOIS, « Types of Artificial Intelligence (from Reactive to Self-aware) », Steemit, 1 décembre 2017, en ligne : <https://steemit.com/technology/@amity123/types-of-ai-from-reactive-to-self-aware>.

12

COMMISSION NATIONALE DE L'INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, supra, note 6.

13

Ibid, p. 21.

14

Arend HINTZE, supra, note 9; Kayla MATTHEWS, supra, note 11; FUTURISM, supra, note 8; Amity MOIS, supra, note 11; Arif Mahmud RIAD, supra, note 11.

15

Ibid.

16

Lise VERBEKE, « Aux origines de l'Intelligence artificielle », France Culture, 31 mars 2018, en ligne : <https://www.franceculture.fr/numerique/aux-origines-de-lintelligence-artificielle>; Nicolas ROUGIER, « L'intelligence artificielle, mythes et réalités », Interstices, 15 juin 2015, en ligne : <https://interstices.info/lintelligence-artificielle-mythes-et-realites/>; Martine QUENILLET, « Droit et intelligence artificielle : mythes, limites et réalités » (1994) 66 Les

(9)

4

s'adresser par écrit et en langage naturel à une machine (ex: la traduction)17, le traitement automatique de la parole, de se faire comprendre par la machine et de la faire parler18. De plus, elle permet l'interprétation d'images et la vision par ordinateur19, l'automatisation de tâches20 et la création de systèmes experts qui « sont capables d'atteindre les performances d'experts humains pour divers types de tâches (diagnostic, conseil, planification, conception) »21. Le domaine des jeux est également visé par l'intelligence artificielle tels que les échecs, les dames et le jeu Go22.

Si certains peuvent penser que l'intelligence artificielle est une évolution technologique du XXIe siècle, la réalité en est tout autre. Même si à l'époque cette expression n'était pas employée, Warren McCulloch, logicien et neuropsychiatre23, et Walter Pitts, mathématicien24, sont reconnus comme étant les premiers à avoir effectué des travaux appartenant à l'intelligence artificielle en 194325.

En 1946, il y a eu les premières tentatives de traduction automatique26. En 1950, le mathématicien Alan Turing, connu pour ses travaux avec les premiers ordinateurs,27 a proposé le célèbre Test de Turing dans son article intitulé Computing Machinery and Intelligence28. Il s'agit d'un test d'intelligence pour les machines29. Il avait comme objectif

17

Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, L’intelligence artificielle par la pratique, Lausanne, PPUR, 2009, p. 10.

18

Jean-Paul HATON et Marie-Christine HATON, L’intelligence artificielle, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 10.

19

MCCARTHY TETRAULT,« From chatbots to self-driving cars », Guides, manuals, etc., McCarthy Tetrault, septembre 2017, en ligne : <https://unik.caij.qc.ca/permalien/PC-a102354>; Arnaud TOUATI, « Il n'existe pas de régime adapté pour gérer les dommages causés par des robots » (2017) Revue Lamy droit civil; Jean-Paul HATON et Marie-Christine HATON,

L’intelligence artificielle, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 11.

20 Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, supra, note 17. 21

Jean-Paul HATON et Marie-Christine HATON, L’intelligence artificielle, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 13; Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, L’intelligence artificielle par la pratique, Lausanne, PPUR, 2009, p. 77 à 79; Jean-Sébastien DESROCHES,et ShanJIANG,« Intelligence artificielle : la délicate interaction entre les défis juridiques et technologiques », Le Droit de savoir, Lavery, avril 2017, en ligne : <https://unik.caij.qc.ca/permalien/PC-a99716>.

22

Sébastien GAVOIS, « Des échecs au jeu de Go : quand l'intelligence artificielle dépasse l'homme », Next Inpact, 21 mars 2016, en ligne : <https://www.nextinpact.com/news/99021-des-echecs-au-jeu-go-quand-intelligence-artificielle-depasse-homme.htm>.

23

Jean-Gabriel GANASCIA, L’intelligence artificielle: science & techniques, coll. Idées reçues, n°138, Paris, Le Cavalier Bleu, 2007, p. 27.

24

Ibid.

25

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 17.

26

Jean-Paul HATON et Marie-Christine HATON, L’intelligence artificielle, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 85.

27

Ibid, p. 5.

28

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 18.

(10)

5

de « fournir une définition satisfaisante et opérationnelle de l'intelligence »30. Pour faire ce test, un humain est mis en confrontation verbale et à l'aveugle, pendant cinq minutes, à un autre humain et à un ordinateur31. S'il est incapable de déterminer si les réponses proviennent de l'humain ou de l'ordinateur, la machine passe le test32. Elle n'a pas forcément besoin de fournir une réponse parfaite, il suffit que la réponse soit humaine. Bien que Turing ne soit pas à l'origine de l'intelligence artificielle, il fut « le précurseur le plus influent »33.

L'année 1956 fut importante. Au courant de l'été, un séminaire a été organisé à Dartmouth aux États-Unis34 réunissant de grands scientifiques35. John McCarthy, l'organisateur de ce séminaire, proposait d'entreprendre une étude sur l'intelligence artificielle. C'était la première fois qu'il employait ces mots36. Cette expression fut acceptée au cours du séminaire pour désigner cette nouvelle discipline37. Parmi les chercheurs présents, deux se sont démarqués par la présentation du premier programme d'intelligence artificielle nommé Logic Theorist38. Il s'agit d'Allen Newell et d'Herbert Simon. Leur programme était capable de démontrer des théorèmes mathématiques39.

Dans les années qui suivent, plusieurs succès prometteurs des systèmes d'intelligence artificielle ont provoqué un grand enthousiasme autour de l'IA40. Par exemple, en 1952, Arthur Samuel a commencé à écrire une série de programmes permettant de jouer aux dames41. En 195942, il y a eu le Geometry Theorem Prover d'Herbert Gelernter qui

29

Jean-Gabriel GANASCIA, L’intelligence artificielle : science & techniques, coll. Idées reçues, n°138, Paris, Le Cavalier Bleu, 2007, p. 17; Stéphane LARRIÈRE, « Confier le droit à l'intelligence artificielle, le droit dans le mur ? » (2017) 134

Revue Lamy droit de l'immatériel 38.

30

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 3.

31 Ibid, p. 1076. 32

Ibid, p. 3.

33 Jean-Gabriel G

ANASCIA, supra, note 29. 34

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, supra, note 28.

35

Il y avait notamment John McCarthy, Marvin Minsky, Claude Shannon, Allen Newell et Herbert Simon; Claire WAGNER-RÉMY, L’intelligence artificielle, Paris, Dunod, 1994, p. 27.

36

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, supra, note 28.

37

Jacques PITRAT et al., La Recherche en intelligence artificielle, coll. Points. Sciences, n°S52, Paris, Seuil : La Recherche, 1987, p. 32.

38

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, supra, note 28.

39

Ibid; Boi Faltings et Michael Schumacher, L’intelligence artificielle par la pratique, Lausanne, PPUR, 2009, p. 6.

40

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 19.

41

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6

démontrait des théorèmes considérés difficiles par des étudiants43 et le programme General Problem Solver (GPS) imitant la démarche humaine pour résoudre des problèmes44 d'Allen Newell et d'Herbert Simon. En 1963, il y a eu le programme Saint de James Slagle qui résolvait des problèmes d'intégration en forme close45. En 1966, il y a eu le programme Eliza de Joe Weizenbaum qui simulait de manière convaincante la conversation d'un psychologique avec son patient46. En 1967, il y a eu le programme Student de Daniel Bobrow qui résolvait des problèmes d'algèbre élémentaires47. En 1968, il y a eu le programme Analogy de Tom Evans qui résolvait des problèmes d'analogies géométriques48. En 1972, il y a eu le programme Shrdlu de Terry Winograd qui permettait « une conversation, raisonnait lui-même et planifiait des actions dans un monde simulé de blocs »49.

Par contre, après cette période de rayonnement, l'IA a connu une période de déception. Lorsque ces systèmes « ont été confrontés à des problèmes de plus grandes envergures ou plus complexes »50, ils ont presque tous échoué51. Une des premières raisons des difficultés rencontrées par l'IA était qu'elle n'avait pas de connaissance sur le problème qu'elle devait résoudre. Par exemple, avec les travaux sur la traduction automatique, les chercheurs ont réalisé qu'il n'était pas suffisant de faire de simples transformations syntaxiques fondées sur la grammaire et de remplacer les mots à l'aide de dictionnaires électroniques pour obtenir une traduction fidèle. Une véritable connaissance du sujet est nécessaire pour comprendre le sens des phrases et d'élucider les ambigüités linguistiques52. Puis, une autre difficulté était due à la méthode de résolution de problèmes. Les programmes d'IA réussissaient à résoudre les problèmes en essayant plusieurs combinaisons jusqu'à ce qu'ils trouvent la

42

Jean-Paul HATON et Marie-Christine HATON, L’intelligence artificielle, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 17.

43

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, supra, note 40.

44 Ibid. 45

Ibid, p. 20.

46

Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, supra, note 39.

47

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 20.

48

Ibid.

49

Ibid, p. 21; Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, L’intelligence artificielle par la pratique, Lausanne, PPUR, 2009, p. 7.

50

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 22.

51

Ibid.

52

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7

bonne. Or, si cette stratégie fonctionnait à petite échelle, dès qu'il y avait plusieurs alternatives, les programmes n'y arrivaient plus53.

Les années 70 ont été marquées par une période d'explosion « de travaux qui permettent de poser les bases de l'IA actuelle en ce qui concerne la représentation des connaissances et le raisonnement, les systèmes experts, la compréhension du langage naturel ou la robotique avancée »54. Les connaissances utilisées par les systèmes experts étaient « acquises au préalable auprès d'experts, formalisées et introduites dans une base de connaissances »55 et permettaient d'atteindre les performances d'un expert humain pour une tâche précise56. Il y a notamment le programme Dendral, créé en 1965 par Ed Feigenbaum, Bruce Buchanan et Joshua Lederrberg, qui appliquait cette approche de connaissances57. Il permettait d'identifier « des molécules chimiques avec la même précision qu'un spécialiste humain et donc automatiser une tâche qui jusque-là nécessitait de très hautes qualifications »58. Ensuite, en 1972, il y a eu le programme Mycin qui commençait à se développer59. À terme, il permettait de « diagnostiquer des affections sanguines »60 avec autant de succès sinon plus que des médecins grâce à la combinaison des connaissances d'un grand nombre d'experts61. En 1982, il y a eu le programme R1 développé chez Digital Equipment Corporation par John McDermott qui permettait de configurer des ordinateurs62.

Durant les années 80, l'industrie de l'intelligence artificielle s'est développée et de nombreuses entreprises « vendaient des systèmes experts, des systèmes de vision artificielle et des robots »63. Il y avait encore beaucoup d'attentes que l'industrie n'arrivait pas à combler. Par conséquent, de la fin des années 80 jusqu'en 1995, l'intelligence artificielle

53

Ibid.

54 Jean-Paul H

ATON et Marie-Christine HATON, L’intelligence artificielle, Paris, Presses universitaires de France, 1993,

p. 6.

55 Ibid, p. 13. 56

Ibid, p. 69.

57

Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, L’intelligence artificielle par la pratique, Lausanne, PPUR, 2009, p. 8; Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 23.

58

Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, supra, note 57.

59

Ibid.

60

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 24.

61

Ibid; Boi FALTINGS et Michael SCHUMACHER, supra, note 57.

62

Ibid.

63

Stuart J. RUSSELL et Peter NORVIG, Intelligence artificielle ; avec plus de 500 exercices, 3e éd., Paris, Pearson, 2010, p. 25‑26.

(13)

8

connue une « période de stagnation, dite ''l'hiver de l'IA'', au cours de laquelle de nombreuses entreprises ont abandonné à cause de leur incapacité à tenir des promesses extravagantes »64.

Ce sont les développements « de la technique du machine learning (apprentissage automatique) »65 qui ont contribué aux progrès de l'intelligence artificielle puisqu'elle peut désormais accomplir des tâches plus complexes qu'un simple algorithme66. Cette technique vise à alimenter l'IA « avec des exemples de la tâche que l’on se propose de lui faire accomplir. Le programmeur entraîne ainsi le système en lui fournissant des données à partir desquelles l'IA va apprendre et déterminer elle-même les opérations à effectuer pour accomplir la tâche en question »67. Il n'est plus nécessaire de programmer l'IA pour tous les détails d'une tâche puisqu'elle va apprendre et évoluer grâce aux données fournies68. Le travail du programmeur sera, par la suite, davantage axé sur l'entretien et la mise à jour du programme d'IA. Au niveau de la création d'oeuvres littéraires, musicales ou artistiques, les algorithmes d'apprentissage automatique vont également apprendre grâce aux données que les programmeurs vont leur fournir69. Ainsi, ces algorithmes « s’appuient sur ces données pour créer une nouvelle œuvre et prennent des décisions en toute autonomie, tout au long du processus de création, pour établir à quoi ressemblera le résultat final »70.

La méthode du deep learning (apprentissage profond) est une récente évolution de l'apprentissage automatique71 principalement mise en place depuis les années 201072. Cette méthode permet de simuler le fonctionnement du cerveau d'un être humain en superposant

64

Ibid, p. 26.

65

COMMISSION NATIONALE DE L'INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, Comment permettre à l'homme de garder la main ? Les

enjeux éthiques des algorithmes et de l'intelligence artificielle, Synthèse du débat public animé par la CNIL dans le cadre

de la mission de réflexion éthique confiée par la Loi pour une république numérique, France, 2017, p. 16.

66 Ibid. 67 Ibid. 68 Ibid. 69

Andres GUADAMUZ, « L'intelligence artificielle et le droit d'auteur », OMPI | Magazine, octobre 2017, en ligne : <http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2017/05/article_0003.html>.

70

Ibid.

71

COMMISSION NATIONALE DE L'INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, supra, note 65; Serge MIGAYRON, « Pratique contentieuse. Intelligence artificielle : qui sera responsable ? » (2018) 4 Comm. com. électr. prat. 7.

72

Pierre ROPERT, « Intelligence artificielle : et si la machine remplaçait l'artiste ? », France Culture, 6 avril 2018, en ligne : <https://www.franceculture.fr/sciences/intelligence-artificielle-et-si-la-machine-remplacait-lartiste>; Guillaume RENOUARD, « L'intelligence artificielle, un partenaire de discussion comme les autres ? », Julie Desk, 22 mars 2018, en ligne : <https://www.juliedesk.com/fr/blog/intelligence-artificielle-partenaire-discussion/>.

(14)

9

plusieurs couches de neurones73. En effet, « pour qu’un système soit vraiment intelligent, il ne doit pas être programmé pour réaliser une tâche, mais plutôt pour apprendre à réaliser cette tâche. D’où la nécessité du deep learning, qui s’inspire du fonctionnement de nos neurones et de leurs réseaux, et permet au système de trouver des motifs répétés dans les données qui lui sont fournies, pour apprendre une tâche »74. Beaucoup d'IA utilisent désormais cette méthode pour générer des créations puisqu'elle améliore grandement leur intelligence75. Grâce à l'absorption massive de données76 et la grande puissance de calcul77, cette technique d'apprentissage permet à l'intelligence artificielle de notamment « comprendre un langage ou de reconnaître une image grâce aux données avec lesquelles on l'alimente »78, de s'auto-entrainer, d'établir une nouvelle stratégie et de « gérer des imprévus en temps réel »79. Bref, elle permet à l'IA d'apprendre et d'évoluer grâce à sa propre expérience80.

Aujourd'hui, les développements de l'intelligence artificielle touchent tous les domaines. Les exemples sont nombreux parmi les avancées technologiques des dernières années. Par exemple, une équipe de Google a développé Google Deep Dream. Il s'agit d'une intelligence artificielle capable de créer des œuvres d'art81. « Google Deep Dream a appris à identifier des objets en scannant des millions de photos pixel après pixel »82. Il a appris à distinguer les couleurs et leurs nuances, à identifier les bordures entre les objets, à séparer

73

Bastien CUEFF, « L'intelligence artificielle bouleverse le statut d'auteur », Contrepoints, 14 décembre 2016, en ligne : <https://www.contrepoints.org/2016/12/14/274982-lintelligence-artificielle-bouleverse-statut-dauteur>; Bartu KALEAGASI, « A New AI Can Write Music as Well as a Human Composer », Futurism, 9 mars 2017, en ligne : <https://futurism.com/a-new-ai-can-write-music-as-well-as-a-human-composer/>.

74

Terence TSE, Kariappa BHEEMAIAH et Mark ESPOSITO, « Deep learning, des réseaux de neurones pour traiter l’information », The Conversation, 2 mai 2017, en ligne : <https://theconversation.com/deep-learning-des-reseaux-de-neurones-pour-traiter-linformation-76055>.

75 Ibid. 76

Alexandre LOURIÉ et Alexis AULAGNIER, « Création artistique et intelligence artificielle : de l’art ou du cochon ? »,

Medium, 19 novembre 2017, en ligne :

<https://medium.com/@louriealexandre/cr%C3%A9ation-artistique-et-intelligence-artificielle-de-lart-ou-du-cochon-728e28402b03>.

77

Terence TSE, Kariappa BHEEMAIAH et Mark ESPOSITO, supra, note 74.

78

Arnaud TOUATI, supra, note 19.

79

Terence TSE, Kariappa BHEEMAIAH et Mark ESPOSITO, supra, note 74.

80

Samir MERABET, « Intelligence artificielle » (2016) 142 Revue Lamy Droit civil.

81

Voir annexe 1 pour des exemples de ses créations. Bastien L., « Google Deep Dream – Une IA capable de créer des œuvres d’art », Artificiel.net, 3 avril 2017, en ligne : <http://www.artificiel.net/google-deep-dream-0304>.

82

Bastien L., supra, note 81; GUS, « L'intelligence artificielle remplacera-t-elle bientôt les auteurs de jeux ? », Gus and

(15)

10

un objet d’un autre, à arranger et catégoriser les objets similaires et à recréer des composantes aléatoires avec ces derniers83.

En 2016, une association de musées, des chercheurs des Pays-Bas et Microsoft ont développé une IA capable de peindre comme le célèbre Rembrandt. Pour que ce soit possible, des scanneurs 3D et la méthode du deep learning ont été employés. L'IA a analysé 346 tableaux du peintre afin de faire ressortir des caractéristiques précises84. Puis, une imprimante 3D a été utilisée pour reproduire un véritable tableau. « Formé de 148 millions de pixels, le portrait a été réalisé à partir de 168 263 fragments tirés de travaux de l’artiste et conservés dans une base de données conçue à cet effet »85. Le résultat est assez prometteur86.

Dans le domaine musical, en février 2016, AIVA (Artificial Intelligence Virtual Artist) est créée et offrait déjà une première composition au piano. Il s'agit d'une intelligence artificielle basée sur des algorithmes de deep learning87 « capable de composer de la musique symphonique et émotionnelle »88. Pour se faire, elle « a développé l’art de la composition grâce à l’apprentissage d’un très grand nombre de partitions de musique [...] afin d’élaborer son modèle à la fois mathématique et intuitif de la musique »89

. En mai 2016, AIVA est devenue la première intelligence artificielle à être reconnue comme compositrice par la SACEM, une société française de gestion des droits d'auteur. Cela lui permet de voir ses œuvres protégées90. En septembre 2016, son premier album, nommé

83 Bastien L., supra, note 81. 84

Andres GUADAMUZ, supra, note 69.

85 Ibid. 86

Grégory ROZIÈRES, « VIDÉO. Un ordinateur a peint un “nouveau Rembrandt” après avoir analysé le style de l’artiste »,

Le Huffington Post, 7 avril 2016, en ligne :

<https://www.huffingtonpost.fr/2016/04/07/nouveau-rembrandt-ordinateur-video-oeuvres-maitre-peinture_n_9631424.html>; Grégory ROZIÈRES, « 5 exemples qui montrent que les robots sont en train de se mettre à l’art », Le Huffington Post, 11 juin 2016, en ligne : <https://www.huffingtonpost.fr/2016/06/10/robots-art-intelligence-artificielle_n_10395534.html>; Alexandre LOURIÉ et Alexis AULAGNIER, supra, note 76.

87

Bartu KALEAGASI, supra, note 73.

88

AIVA TECHNOLOGIES, « About », Aiva Technologies, en ligne : <http://www.aiva.ai/about>.

89

Ibid.

90

Bartu KALEAGASI, supra, note 73; AIVA TECHNOLOGIES, supra, note 88; Pierre BARREAU, « Composing the music of the future », Medium, 24 septembre 2016, en ligne : <https://medium.com/@aivatech/composing-the-music-of-the-future-4af560603988>.

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11

Genesis, a été lancé91. Maintenant, ses œuvres sont utilisées par des agences de publicité, des studios de jeux vidéos et comme bandes sonores pour des films92.

Toujours en 2016, « les chercheurs des Sony Computer Science Laboratories ont [créé] le logiciel IA Flow Machines »93. Cette IA qui collabore avec des musiciens94 avait analysé 13 000 partitions de différents genres musicaux. Puis, une fois qu'elle avait acquis les connaissances musicales nécessaires, elle a créé la partition d'une chanson pop, Daddy's, car, selon le style qui lui avait été demandé par le musicien95. Cette chanson rappelait le style des Beatles.

D'autre part, Google a « lancé Magenta, un projet de recherche destiné à repousser les limites de ce que l’IA peut accomplir dans le domaine des arts »96

et de la musique97. Avec ce projet, Google veut développer de nouveaux algorithmes d'apprentissage profond et d'apprentissage par renforcement98 afin de notamment créer des chansons, des images et des dessins99. Une première mélodie d'une durée d'une minute et vingt-trois secondes a été réalisée100.

De son côté, la société IBM travaille aussi sur l'intelligence artificielle dans le domaine musical101. Un des programmes se nomme Watson Beat. Il « compose de la musique en ''écoutant'' au moins 20 secondes de musique et crée de nouvelles mélodies, des sons

91

AIVA TECHNOLOGIES, supra, note 88.

92

Bartu KALEAGASI, supra, note 73; AIVA TECHNOLOGIES, supra, note 88.

93

Voir annexe 2 pour lire les paroles de la chanson. Christopher TAYLOR, « La musique et l’intelligence artificielle »,

Magazine SOCAN - Paroles & Musique, 7 novembre 2017, en ligne :

<https://www.magazinesocan.ca/features/la-musique-et-lintelligence-artificielle/>.

94

FLOW MACHINES BY SONY CSL, « Flow Machines : AI music-making », Flow Machines, en ligne : <http://www.flow-machines.com/>.

95 James V

INCENT, « This AI-written pop song is almost certainly a dire warning for humanity », The Verge, 26 septembre

2016, en ligne : <https://www.theverge.com/2016/9/26/13055938/ai-pop-song-daddys-car-sony>.

96 Christopher T

AYLOR, supra, note 93. 97

MAGENTA, « Make Music and Art Using Machine Learning », Magenta, en ligne : <https://magenta.tensorflow.org/>.

98

Ibid; Bartu KALEAGASI, supra, note 73 : Reinforcement learning is a machine learning technique which teaches a

software agent (AI) to decide what action to take next in order to reach certain objectives by maximizing its “cumulative reward.” Unlike supervised learning, reinforcement learning does not require labelled inputs and outputs of data. This allows the AI to “find its own way” around the data and improve its performance without being given any explicit instructions, which makes it easier to capture the diversity and variation found in creative arts like music.

99

MAGENTA, supra, note 97.

100

Morgane TUAL, « Une intelligence artificielle écrit le scénario d’un court-métrage », Le Monde, en ligne :

<http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/06/10/une-intelligence-artificielle-ecrit-le-scenario-d-un-court-metrage_4947819_4408996.html>.

101

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ambiants et des rythmes en se fondant sur ce qu’il a appris de l’échantillon de départ — que ce soit une création de l’utilisateur ou d’autres échantillons ou chansons »102

.

Dans le domaine du cinéma, l'IA nommée Benjamin impressionne également. Ce programme a été développé par le réalisateur Oscar Sharp et le chercheur en intelligence artificielle, Ross Goodwin. À l'aide d'analyse d'une dizaine de films et de séries de science-fiction, Benjamin s'en est inspiré pour écrire son propre scénario afin de réaliser un court-métrage de neuf minutes intitulé Sunspring103.

Au Japon, depuis 2015, l’agence McCANN Millennials travaille sur une intelligence artificielle capable de penser comme un directeur créatif afin de réaliser des publicités. L'IA « est fondée sur une base de données constituée des publicités de tous les gagnants des grands prix japonais depuis 10 ans. Elle est donc capable de savoir ce qui marche et ce qui plaît auprès du grand public »104. Elle a été mise en compétition avec un véritable directeur créatif afin de réaliser une publicité et elle a remporté la majorité des votes105.

Les programmes d'IA mentionnés ci-dessus ne sont que des exemples de créations qui peuvent être générées par intelligence artificielle. L'émergence de ces programmes soulève plusieurs enjeux, dont la responsabilité civile, l'éthique et la propriété intellectuelle106. D'ailleurs, lorsque le gouvernement du Luxembourg avait commandé auprès de l'intelligence artificielle AIVA la composition d'une œuvre musicale dans le cadre de la fête nationale de 2017, de nombreuses critiques ont surgi dans le milieu artistique. La Fédération luxembourgeoise des auteurs et compositeurs (FLAC) s’est adressée au ministre de la Culture au sujet de cette commande et a fortement exprimé sa colère107. « Les auteurs-compositeurs considèrent la démarche comme ''un affront'' vis-à-vis d’eux, ''une claque en

102

Christopher TAYLOR, supra, note 93.

103

Morgane TUAL, supra, note 100; Arnaud TOUATI, « IA et propriété intellectuelle, un enjeux clef du 21ème siècle »,

Journal du Net, 20 décembre 2016, en ligne :

<https://www.journaldunet.com/economie/expert/65903/ia-et-propriete-intellectuelle--un-enjeux-clef-du-21eme-siecle.shtml>.

104

CREAPILLS, « Cette agence a créé une intelligence artificielle qui pense comme un directeur créatif », Creapills, 22 mars 2017, en ligne : <https://creapills.com/intelligence-artificielle-dc-20170322>.

105

Ibid.

106

Viviane GELLES, « Les enjeux juridiques de l’Intelligence Artificielle », Jurisexpert cabinet d’avocats, 19 juillet 2017, en ligne : <https://www.jurisexpert.net/les-enjeux-juridiques-lintelligence-artificielle/>.

107

Geneviève MONTAIGU,« Polémique : un robot joue le trouble-fête… nationale », Le Quotidien, 16 mai 2017, en ligne : <http://www.lequotidien.lu/politique-et-societe/polemique-un-robot-joue-le-trouble-fete-nationale/>.

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13

plein visage de tous les créateurs et créatrices dans tous les domaines artistiques'' »108. Le droit d'auteur est évidemment affecté puisque nous pouvons constater que « la création artistique semble, plus que jamais, à portée de programmes informatiques »109 et il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre les créations humaines et celles réalisées par une intelligence artificielle110. Si ces créations peuvent être confondues, est-ce qu'elles reçoivent juridiquement la même protection? Est-ce que la Loi sur le droit d'auteur111 permet de protéger les créations générées par intelligence artificielle? Il n'y a pas encore si longtemps, les questions entourant les droits sur les oeuvres créées par un ordinateur ne provoquaient aucun débat puisque le « programme informatique était un simple outil mis au service du processus créatif, comme le seraient un stylo et une feuille de papier »112. Par contre, les développements récents des programmes d'IA démontrent que ceux-ci ne servent plus forcément que de simple outil. Ils peuvent être en grande partie responsables « des décisions liées au processus créatif »113 et ne plus avoir besoin d'une intervention humaine.

Ainsi, ce mémoire a comme objectif de répondre aux deux principales questions que les créations générées par intelligence artificielle soulèvent en droit d'auteur : Qui peut détenir

la qualité d'auteur? Et qui peut être le titulaire des droits d'auteur?

Pour répondre à ces questions, une étude approfondie du droit d'auteur canadien sera nécessaire afin de trouver des réponses qui s'inscrivent avec la volonté du législateur. Bien que l'IA provoque plusieurs enjeux dans différents domaines juridiques, ce mémoire s'intéressera exclusivement à l'encadrement juridique par le droit d'auteur canadien des créations générées par intelligence artificielle. La littérature canadienne sur ce sujet est pour l'instant très peu abondante, ce qui justifiera les quelques incursions en droit étranger afin d'inspirer des pistes de réflexion. La solution à ce nouvel enjeu n'est pour l'instant pas tranchée puisque ces créations vont au-delà de la simple création assistée par un ordinateur. « Lorsque les changements technologiques affectent les règles juridiques, le système juridique peut réagir en essayant de gérer la nouvelle technologie en vertu des règles

108

Ibid.

109

Alexandre LOURIÉ et Alexis AULAGNIER, supra, note 76.

110

Ibid.

111

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42, ci-après : « Loi » ou « LDA ».

112

Andres GUADAMUZ, supra, note 69.

113

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14

existantes, en créant de nouvelles règles ou en modifiant les anciennes pour qu’elles correspondent à la nouvelle technologie »114. Ainsi, ce mémoire comparera dans un premier temps, les différentes solutions envisageables d'auteur conformément au droit en vigueur et déterminera si l'intelligence artificielle peut être l'auteure de son œuvre. Dans un second temps, il analysera l'opportunité d'accorder une personnalité juridique à l'intelligence artificielle et dans l'éventualité où cette dernière puisse être l'auteure, il déterminera qui peut être le titulaire des droits de ces créations.

À ce stade-ci des recherches, il est possible de présumer que le critère d'originalité présent dans la Loi sur le droit d'auteur semble suffisamment large pour envisager qu'une intelligence artificielle puisse faire preuve d'originalité. De plus, l'absence de définition de la notion d'auteur dans la Loi ne semble pas rendre impossible la possibilité de reconnaitre l'intelligence artificielle comme l'auteure de ses propres oeuvres. Enfin, dans l'hypothèse où l'intelligence artificielle puisse être l'auteure, la titularité des droits pourrait possiblement être accordée au programmeur puisqu'il semble être la personne physique ayant pris les moyens nécessaires pour rendre la création possible.

114

Traduction libre de l'auteure : When technological change affects legal rules, the legal system can respond by trying to

deal with the new technology under existing rules, by creating new rules, or by modifying old ones to fit the new technology. David FRIEDMAN, « Does Technology Require New Law? » 25 Harvard Journal of Law & Public Policy 71, p. 73.

(20)

15

1. L'INTELLIGENCE

ARTIFICIELLE

PEUT-ELLE

ÊTRE

L'AUTEURE D'UNE ŒUVRE ?

À l'heure actuelle, il n'existe pas de cadre juridique spécifique pour régler les différents enjeux qu'engendre l'intelligence artificielle115. Les créations générées par intelligence artificielle « soulèv[ent] d'importantes questions auxquelles le droit canadien ne s'est pas encore attardé »116.

Nous l'avons vu avec les exemples cités en introduction, l'intelligence artificielle est désormais capable de peindre, dessiner, réaliser des publicités et composer de la musique. Ignorer l'enjeu juridique que suscitent ces créations n'est pas une position réaliste. Leurs créations contribuent « à augmenter le fonds de l'humanité »117. Puis, les sociétés qui investissent dans le développement de ces technologies doivent pouvoir profiter, d'une certaine manière, de leurs retombées économiques118. Autrement, ils n'auraient aucun intérêt à propager leurs idées, ce qui n'est pas un résultat souhaitable. Non seulement les créateurs ne pourraient pas en tirer profit via une exploitation commerciale, mais le public ne pourrait pas faire évoluer ces idées en créant d'autres oeuvres puisqu'il n’en aurait tout simplement pas connaissance119.

Puisque les programmes d'intelligence artificielle sont « capable[s] d'apprentissage et d'autonomie décisionnelle »120, il y a lieu de s'interroger sur l'identité de l'auteur de ces créations et comment le droit peut s'adapter à celles-ci. « Pour appréhender ce nouvel objet, la solution n'est sans doute pas à rechercher dans une réinvention totale du droit, qui imposerait de faire table rase et de construire ex nihilo de nouvelles règles. Le droit en vigueur trouve naturellement à s'appliquer, sans doute complété de réponses nouvelles et spécifiques du législateur, soit par la création de règles idoines, soit par l'assouplissement,

115

Arnaud TOUATI, supra, note 19; Arnaud TOUATI, supra, note 103.

116

Camille AUBIN et Justin FREEDIN,«Vue d'ensemble de l'intelligence artificielle au Canada » (2017) 20 Bulletin Robic 1.

117

Alexandra BENSAMOUN et Grégoire LOISEAU, « L'intégration de l'intelligence artificielle dans certains droits spéciaux », D. 2017.295.

118

Éric LAVALLÉE, « La propriété intellectuelle de l'intelligence artificielle »,Le Droit de savoir, Lavery, septembre 2017,

en ligne : <https://unik.caij.qc.ca/permalien/PC-a101834>.

119

Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, Le droit de la propriété intellectuelle, Cowansville, Québec, Thomson Carswell ; Éditions Y. Blais, 2006, p. 3.

120

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16

la modulation, des règles positives » 121. Ainsi, dans cette première partie, les critères de protection du droit d'auteur seront d'abord abordés (1.1) pour ensuite laisser place à une analyse approfondie des différents intervenants susceptibles de revendiquer la qualité d'auteur des créations générées par intelligence artificielle (1.2).

1.1. Les critères à la protection du droit d'auteur

Le droit d'auteur est « un droit purement statutaire, ce qui signifie que tout droit que possède un auteur (ou un autre titulaire de droit d'auteur) sur une œuvre provient exclusivement de la Loi sur le droit d'auteur »122. À cet effet, dans la décision Compo Co c. Blue Crest Music, il est expliqué que « la loi concernant le droit d’auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte. […] La loi parle d’elle-même et c’est en fonction de ses dispositions que doivent être analysés les actes de l’appelante »123

. La Loi codifie d'ailleurs cette règle à l'article 89 en stipulant que pour revendiquer un droit d'auteur, il faut appliquer la présente loi.

Le droit d'auteur protège les expressions et non les idées124. Les idées font partie du domaine public afin d'en favoriser la diffusion125. Par exemple, dans la décision de 1950, Moreau c. St. Vincent126, le demandeur avait créé un nouveau système de distribution de réglettes. Or, la cour a refusé d'accorder un droit d'auteur sur ce système puisqu'un « principe fondamental du droit d'auteur veut que l'auteur n'ait pas un droit sur une idée, mais seulement sur son expression. Le droit d'auteur ne lui accorde aucun monopole sur l'utilisation de l'idée en cause ni aucun droit de propriété sur elle »127. Le droit du demandeur était dans l'œuvre littéraire et non « dans le système décrit par l'œuvre littéraire »128. Les livres de recettes sont un autre exemple. La recette est protégée à titre

121

Ibid.

122 Madeleine L

AMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité »

(2002) 15 C.P.I. 619, p. 621.

123

Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music et autres, [1980] 1 RCS 357, p. 372.

124

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, par. 8, ci-après : « CCH »; Teresa SCASSA, « Originality and Utilitarian Works : The Uneasy Relationship between Copyright Law and Unfair Competition » (2003-2004) 1 U. Ottawa L. & Tech. J. 51, p. 64.

125

Madeleine LAMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité » (2002) 15 C.P.I. 619, p. 633.

126

Moreau c. St. Vincent, [1950] R.C.É. 198.

127

Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, Le droit de la propriété intellectuelle, Cowansville, Québec, Thomson Carswell ; Éditions Y. Blais, 2006, p. 15.

128

(22)

17

d'œuvre littéraire par le droit d'auteur. L'idée d'utiliser certains ingrédients plutôt que d'autres ne fait pas l'objet de la protection129.

Le droit d'auteur nait dès qu'une œuvre, respectant les critères de protection, est créée130

. De cette façon, dans l'interprétation de la Loi, les tribunaux n'ont pas le rôle de « déterminer si une œuvre était ou non suffisamment pourvue de qualités esthétiques, littéraires, artistiques ou autres afin de ''mériter'' d'être protégée par le droit d'auteur »131. Ils doivent plutôt analyser si les critères de protection sont rencontrés. Parmi ceux-ci, nous verrons plus loin, dans de plus amples détails, qu'il doit s'agir d'une œuvre visée par les catégories que la Loi protège. Ensuite, cette œuvre doit être protégeable au Canada132, ce qui signifie que l'auteur doit être « à la date de la création de l'œuvre, citoyen, sujet ou résident habituel du Canada ou d'un autre pays signataire. Un pays signataire est défini en tant que pays signataire de la Convention de Berne, [de] la Convention universelle sur le droit d'auteur ou membre de l'Organisation mondiale du commerce [OMC] »133. D'autre part, puisque l'idée n'est pas protégée, c'est la forme sous laquelle cette « idée est exprimée qui pourra être protégée par le droit d'auteur »134. L'expression se traduit par la fixation de l'œuvre sous une forme quelconque135. La fixation est donc également une condition à la protection. Par contre, ce critère général n'apparait pas explicitement dans la Loi136. D'ailleurs, certains auteurs plaident qu'il ne s'agit pas d'une véritable condition préalable137. Cependant, les tribunaux ont reconnu à plusieurs reprises la nécessité d'une fixation. Dès 1954, la cour écrivait que

129

Ibid, p. 16.

130

Sébastien PIGEON, « Droit d'auteur et droit des technologies », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Congrès annuel du Barreau du Québec (2008), Cowansville, Éditions Yvon Blais, en ligne : <https://unik.caij.qc.ca/permalien/congres_du_barreau/2008/447>.

131

Stéphane GILKER, « Principes généraux du droit d'auteur », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec,

Congrès annuel du Barreau du Québec (2009), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 50.

132

Madeleine LAMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité » (2002) 15 C.P.I. 619, p. 622.

133

GOUVERNEMENT DU CANADA, « Le guide du droit d’auteur », Office de la propriété intellectuelle du Canada, 15 novembre 2016, en ligne : <https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/h_wr02281.html>; Article 5 LDA.

134

Marc BARIBEAU, Principes généraux de la Loi sur le droit d’auteur, Québec, Les Publications du Québec, 2007, p. 2.

135

Ibid; Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, Le droit de la propriété intellectuelle, Cowansville, Québec, Thomson Carswell ; Éditions Y. Blais, 2006, p. 13; Martin P. J. KRATZ, Canada’s intellectual property law in a nutshell, 2e éd., Toronto, Carswell, 2010, p. 58; Mistrale GOUDREAU, Intellectual property law in Canada, Alphen Aan Den Rijn, Wolters Kluwer Law & Bus, 2013, p. 13; Glen Gould Estate v. Stoddart Publishing Co. Ltd., (1998) 39 OR (3d) 545; Canadian

Admiral Corporation Ltd. c. Rediffusion, Inc., [1954] R.C.É. 382, p. 394; Madeleine LAMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité » (2002) 15 C.P.I. 619, p. 628; CCH, par. 8.

136

Mistrale GOUDREAU, Intellectual property law in Canada, Alphen Aan Den Rijn, Wolters Kluwer Law & Bus, 2013, p. 30.

137

(23)

18

« pour que le droit d'auteur subsiste dans une ''œuvre'', il doit s'exprimer dans une certaine mesure au moins sous une forme matérielle, capable d'identification et ayant une durée plus ou moins permanente »138. En 1998, la Cour d'appel de l'Ontario a refusé d'appliquer le droit d'auteur aux déclarations orales puisqu'elles n'étaient pas fixées139. Dans cette affaire, le pianiste de concert et d’enregistrement, Glenn Gould, avait été interviewé par Jock Carroll en 1956, pour un article dans le Weekend Magazine. Largement inspiré par les notes prises lors des rencontres et des enregistrements audio, Carroll a écrit un livre sur Gould qui a été publié en 1995, soit treize ans après la mort du pianiste. La succession de Gould poursuivait pour violation du droit d'auteur. Or, la cour rejette leur demande puisque Gould n’avait pas de droit d’auteur sur ses déclarations orales ni sur les transcriptions de celles-ci. Le pianiste faisait des commentaires spontanés qu'il savait qu'ils étaient susceptibles de se retrouver dans le domaine public140. Dans la décision Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain Inc.141, la Cour suprême du Canada a déclaré que « la ''fixation'' a un sens relativement bien établi plutôt différent en matière de droit d’auteur. Cette notion sert à distinguer les œuvres susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur des idées générales qui sont la ''propriété'' intellectuelle de tous : […] Un droit d’auteur prend donc naissance dès que l’œuvre est écrite ou autrement attestée sous une forme raisonnablement permanente (''fixée'') »142. Plus loin dans la décision, il est précisé que « la fixation à un support matériel constitue une condition sine qua non de la production d’une œuvre »143

. Enfin, dans l'arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada 144, il est réitéré que « l’œuvre doit être fixée sous une forme matérielle pour bénéficier » de la protection du droit d'auteur. Suivant cette jurisprudence, il est difficile de contester la validité de cette condition préalable. Enfin, les « deux conditions de protection les plus fondamentales : l'existence d'un auteur et le caractère ''original'' de l'œuvre »145 seront étudiées en profondeur dans les sous-sections suivantes.

138

Libre traduction de l'auteure : For copyright to subsist in a 'work' it must be expressed to some extent at least in some

material form, capable of identification and having a more or less permanent endurance. Canadian Admiral Corp. v. Rediffusion, Inc., [1954] Ex. C.R. 382, p. 394.

139

Glen Gould Estate v. Stoddart Publishing Co. Ltd., (1998) 39 OR (3d) 545; Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS,

supra, note 135; Mistrale GOUDREAU, supra, note 136.

140

Glen Gould Estate v. Stoddart Publishing Co. Ltd., (1998) 39 OR (3d) 545, par. 27.

141

Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain Inc., 2002 CSC 34.

142 Ibid, par. 25. 143 Ibid, par. 145. 144 CCH, par.8. 145

(24)

19

1.1.1. La notion d'auteur au sens de la Loi sur le droit d'auteur

« L'existence d'un auteur est une condition essentielle de la protection. En fait, cette condition est inhérente à la nature même de la protection »146. À cet effet, il y a dans la Loi des indices permettant de conclure à la nécessité d'un auteur. Premièrement, l'article 13 de la Loi prévoit que « sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une oeuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre ». Selon l'auteure Lamothe-Samson, il ressort ainsi de cet article que pour qu'une œuvre puisse exister, elle doit provenir d'un auteur sinon le législateur aurait expressément prévu un titulaire des droits pour chaque type d'oeuvres147. Le second indice relève de la durée du droit d'auteur. L'article 6 de la Loi prévoit comme règle générale que « le droit d’auteur subsiste pendant la vie de l’auteur, puis jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès ». Par conséquent, puisque la durée de la vie de l'auteur est le principe de base, « il est logique de conclure que la Loi est essentiellement destinée à protéger les oeuvres créées par des êtres humains »148. Le troisième indice est libellé à l'article 5 de la Loi. En effet, celui-ci prévoit qu'à la date de la création de l'œuvre, l’auteur doit être citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire149

. Ainsi, cette exigence s'adresse tout particulièrement à une personne physique. Enfin, le quatrième indice est la reconnaissance des droits moraux150, non seulement dans les dispositions de la Loi elle-même, mais également dans la philosophie de la conception du droit d'auteur selon laquelle les droits d'auteur sont « des droits naturels qui naissent de la relation personnelle du créateur avec l'idée et qui ne peuvent pas être aliénés sans la permission du créateur »151. Ces droits moraux se divisent en deux catégories. Il y a le droit à l'intégrité de l'oeuvre qui permet à l'auteur de s'opposer à toute modification de son oeuvre152 et le droit d'attribution qui s'agit du droit de se voir associer à sa création, même sous un pseudonyme, ou de demeurer anonyme153. Ces droits

146 Ibid, p. 636. 147 Ibid, p. 637. 148 Ibid. 149

Christie BATES, « Who can create copyrightable work in Canada ? Musings on a monkey's selfie », Intellectual

property bulletin, McMillan, octobre 2017, en ligne : <https://unik.caij.qc.ca/permalien/PC-a101773>.

150

Madeleine LAMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité » (2002) 15 C.P.I. 619, p. 638.

151

Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, Le droit de la propriété intellectuelle, Cowansville, Québec, Thomson Carswell ; Éditions Y. Blais, 2006, p. 5.

152

Snow c. The Eaton Centre Ltd., (1982) 70 C.P.R. (2d) 105; Vaillancourt c. Carbone 14, [1999] R.J.Q. 490; Prise de

parole Inc. c. Guérin, éditeur Ltée, (1995) 66 C.P.R. (3d) 257; Marc BARIBEAU, Principes généraux de la Loi sur le droit

d’auteur, Québec, Les Publications du Québec, 2007, p. 24.

153

(25)

20

appartiennent exclusivement à l'auteur. L'absence d'auteur viderait les dispositions de leur sens.

Jusqu'à la fin du XXe siècle, la place de l'auteur au sein du droit d'auteur canadien était centrale. La Loi gravitait autour de lui et lui permettait de tirer profit de l'exploitation de son œuvre154

. Dans l'arrêt Bishop c. Stevens155 de 1990, la Cour suprême écrivait d'ailleurs que la Loi « a un but unique et a été adoptée au seul profit des auteurs de toutes sortes ». Par contre, avec les modifications législatives de 1988 et de 1997, la Loi sur le droit d'auteur commençait graduellement à prendre un autre tournant et à affaiblir ce principe156. D'ailleurs, la liste d'exceptions de violation du droit d'auteur s'allongeait. Ce sont les modifications apportées à la Loi en 2012 qui confirment le tournant dans la conception du droit d'auteur. Ces modifications se sont inspirées de la jurisprudence. Alors que l'auteur occupait jusqu'à maintenant une place centrale dans le droit d'auteur, le plus haut tribunal du pays a décidé de voir le droit d'un œil différent via différentes décisions157

.

D'abord, en 2002, il conclut que la Loi permet d'assurer « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l’assurance que personne d’autre que le créateur ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés) »158. Une trop grande rétribution pour les auteurs tout comme une trop faible rétribution serait inefficace et ne permettrait pas d'atteindre les objectifs de la Loi159. De plus, les exceptions à la violation du droit d'auteur créées dans la Loi permettent d'éviter que les titulaires des droits d'auteurs160 contrôlent de manière excessive l'accès et l'usage légitime de leurs oeuvres161. « Un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société, ou créer des obstacles

154

Georges AZZARIA, « Un tournant pour le droit canadien » (2013) 25 C.P.I. 885, p. 892.

155

Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467.

156

Madeleine LAMOTHE-SAMSON, supra, note 147.

157

Georges AZZARIA, supra, note 154.

158

Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, par. 30.

159

Ibid, par. 31.

160

La notion de titularité sera abordée dans la deuxième section de ce mémoire.

161

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