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« Biopouvoir et biopolitique, éléments d’histoire conceptuelle »

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“ Biopouvoir et biopolitique, éléments d’histoire

conceptuelle ”

Thierry Ménissier

To cite this version:

Thierry Ménissier. “ Biopouvoir et biopolitique, éléments d’histoire conceptuelle ”. La biopolitique, une évaluation, Nov 2009, Grenoble, France. �hal-01660827�

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Philosophie, Langages & Cognition

Journée d’étude

La biopolitique, une évaluation

Mercredi 18 novembre 2009

Université Pierre Mendès France – Grenoble 2 Salle des colloques du BSHM

RePFI (Réseau de recherches Philosophiques Franco-Italiennes)

Organisée sous la responsabilité de Thierry Ménissier (Thierry.Menissier@upmf-grenoble.fr)

« Le contrôle de la société sur les individus ne s’effectue pas seulement par la conscience ou par l’idéologie, mais aussi dans le corps et avec le corps. Pour la société capitaliste, c’est le bio-politique qui importait avant tout, le biologique, le somatique, le corporel. Le corps est une réalité bio-politique ; la médecine est une stratégie bio-bio-politique »

Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale », Conférence prononcée dans le cadre du cours de médecine

sociale à l’Université de Rio de Janeiro, octobre 1974. Proposée par Michel Foucault entre 1974 et 1978 afin de conceptualiser la manière spécifique dont les populations ont progressivement été contrôlées par les Etats contemporains, l’idée de biopolitique occupe de nos jours une place centrale dans la philosophie politique. Une telle centralité apparaît légitime, tant cette idée est porteuse de bouleversements : dans l’ordre de la théorie critique, elle semble devoir renouveler considérablement la représentation du pouvoir, notamment du fait qu’elle déplace la représentation de ce sur quoi il s’exerce ; dans celui de la théorie normative, elle rend problématique toute recherche dans les termes de la théorie politique moderne, car elle tend à désactiver certaines notions cardinales comme celles d’Etat de droit, de citoyenneté et de libertés publiques – ou du moins, elle invite à les considérer à nouveaux frais, voire à les réinventer. Cette journée d’étude entend évaluer les conditions et surtout les enjeux de la notion de biopouvoir et de son prolongement dans la théorie biopolitique, à partir des recherches contemporaines menées d’un côté et de l’autre des Alpes.

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(Les interventions seront prononcées en français) Matinée, sous la présidence de Francesco Paolo Adorno

(Professore associato di Filosofia morale, Université de Salerne)

9 h 30 – 10 h : Présentation par Thierry Ménissier

(Maître de conférences de philosophie politique, HDR en science politique)

« Biopouvoir et biopolitique, éléments d’histoire conceptuelle »

10 h – 11 h : Intervention de Simona Forti

(Professore ordinario di Storia del pensiero politico contemporaneo, Université du Piémont Oriental, Alessandria)

« Biopouvoir et thanatopolitique »

11 h – 12 h : Intervention d’Olivier Razac

(Philosophe chercheur au Centre Interdisciplinaire de Recherche Appliquée au champ Pénitentiaire, Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, Agen)

« Le pathos de la survie »

12 h – 12 h 45 : Discussion 13 h – 14 h 30 : Pause déjeuner

Après-midi, sous la présidence de Thierry Ménissier 14h 30 – 15 h 30 : Gianfranco Borrelli

(Professore ordinario di Storia delle dottrine politiche e di Filosofia politica, Université Federico II de Naples)

« Parcours contemporains de biopolitique : entre gouvernance néolibérale et gouvernementalité »

15 h 30 – 16 h 30 : Intervention de Francesco Paolo Adorno

« Biopolitique, bioéconomie, somatocratie »

16 h 30 – 17 h 15 : Discussion générale.

Groupe de recherche Philosophie, Langages & Cognition, PLC – EA 3699 Université Pierre Mendès France – UFR Sciences Humaines

Bât. ARSH-2 – 1281, av. Centrale – Domaine universitaire de St. Martin d’Hères

BP 47 – 38040 Grenoble cedex

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« Biopouvoir et biopolitique, éléments d’histoire conceptuelle » Thierry Ménissier

Dans cette introduction, je veux préciser l’objet de la journée d’étude. Elle est organisée dans le cadre du réseau de Recherches Philosophiques Franco-Italiennes, par lequel nous entreprenons de confronter les recherches actuelles d’un côté et de l’autre des Alpes. Généraliste, ce réseau n’est pas uniquement tourné vers la philosophie politique, et il a vocation à nourrir par la rencontre franco-italienne les différents axes de recherche du groupe de recherches

Philosophie, Langages et Cognition dirigée par le Pr. Vernant.

Aujourd’hui, nous avons le grand plaisir d’accueillir quatre chercheurs (vous pouvez prendre connaissance de leurs publications grâce à la notice bibliographique qui a été distribuée) :

- deux chercheurs italiens, Simona Forti et Gianfranco Borrelli : Simona Forti est professeur d’Histoire de la pensée politique contemporaine à l’Université du Piémont Oriental à Alessandria. Ses recherches portent sur Hannah Arendt et le totalitarisme, auteur et thème dont elle est une spécialiste mondialement connue. Gianfranco Borrelli est professeur d’Histoire des doctrines politique set de Philosophie politique à l’Université Federico II de Naples, et il est un grand spécialiste de Hobbes, lui aussi internationalement réputé.

- un chercheur français, Olivier Razac, chercheur au Centre Interdisciplinaire de Recherche Appliquée au champ Pénitentiaire, Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, Agen. Olivier Razac est en quelque sorte un chercheur hors norme du point de vue de standards universitaires, ce dont attestent les titres de ses travaux portant sur le barbelé et autres objets philosophiquement étranges.

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- et un chercheur italo-français. Francesco Paolo Adorno, maître de conférences de philosophie morale à l’Université de Salerne. Je dis « italo-français », car s’il est de nationalité italienne et s’il travaille à l’Université de Salerne, Francesco a déjà enseigné en France (ici même) et a publié dans les deux langues, des ouvrages qui portent à la fois sur la philosophie française classique (Pascal et Port-Royal) et sur Michel Foucault.

Je veux maintenant, et un peu plus longuement, me concentrer sur la notion qui est aujourd’hui au centre de notre attention. Il s’agit de la notion de biopolitique, promue en premier lieu par Michel Foucault dans le courant des années 1970. Mon souhait est que notre effort d’aujourd’hui porte sur trois niveaux différents, car il est que nous réussissions à la fois :

(1) à analyser les conditions théoriques d’apparition de cette notion,

(2) à saisir son régime de fonctionnement, ou encore : son aire d’application, (3) à déterminer éventuellement les limites de sa validité.

C’est pourquoi j’ai parlé dans le sous-titre donné à la journée d’une « évaluation » ; en un mot, j’entends par ce terme l’opération mentale qui me semble être celle de la philosophie politique : compte tenu du projet général d’une connaissance conceptuelle du politique, prendre connaissance d’un concept, en apprécier le régime de validité, émettre des hypothèses sur son régime d’application, et suggérer ses éventuelles limites.

Les notions de « biopouvoir » et de « biopolitique » surprennent et interpellent. Elles ne sont nullement évidentes, ni intuitives, et d’abord parce que leur étymologie, en dépit du choc qu’elle produit, est fort ambiguë : « pouvoir de la vie » / « pouvoir sur la vie », « politique de la vie » / « politique qui regarde la vie ». Mais, précisément, comment entendre ces formules « sur la vie », « de la

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vie », « qui regarde la vie » ? Que veut exactement dire Foucault ? En quoi le pouvoir et la politique concernent-t-ils, s’occupent-t-ils, influencent-ils ou orientent-ils, et éventuellement (bien entendu) dominent-t-il la vie ? Et d’ailleurs qu’est-ce que « la vie » : quels types de phénomènes vivants, naturels, organiques deviennent l’objet du ou d’un pouvoir, de la ou d’une politique ? Par suite, qu’apporte exactement l’invention théorique foucaldienne à la phénoménologie des formes de pouvoir, déjà très riche avant elle ? Tel est le champ de questionnement qui s’offre à nous pour cette journée d’étude, et c’est en fonction de ces questions que j’ai demandé aux collègues invités aujourd’hui de décliner leurs propres recherches en cours.

Pour essayer de préciser mieux ces questions, je crois qu’il est fort intéressant de se plonger dans les textes du philosophe en partant à la recherche de l’acte de naissance des notions de biopouvoir et de biopolitique.

On peut se livrer ici à deux séries de considérations, la première concernant un regard panoramique de l’œuvre de Foucault, la seconde une recherche plus minutieuse de l’acte de naissance des termes « biopouvoir » et « biopolitique ».

1. Si l’on considère l’œuvre de Foucault, je crois que l’on s’aperçoit rapidement de la spécificité de la thématique biopolitique. En effet, cette dernière ne concerne en rien les différentes phases de l’œuvre publiée sous forme de livres. La biopolitique ne concerne

 ni le « premier Foucault » (celui qui se livre à l’analyse généalogique des pratiques discursives, dans l’Histoire de la

folie à l’âge classique, 1961, dans Naissance de la clinique,

1963, et dans Les mots et les choses, 1966) ;

 ni le « second Foucault » (celui qui examine les technologies politiques des individus et les dispositifs disciplinaires qui

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assignent l’individu à la normalité : ainsi dans Surveiller et

punir, 1975, et dans La volonté de savoir, 1976) ;

 ni le « troisième Foucault », le Foucault de la fin, celui de la reconstitution de la subjectivité dans le cadre d’une esthétique-éthique de l’existence, telle qu’on la voit à l’œuvre dans L’usage

des plaisirs et Le Souci de soi, 1984.

La biopolitique concerne un autre Foucault que ces trois-là, un auteur demeuré longtemps méconnu du fait de la parution tardive des cours au Collège de France. Ce qui me permet de passer à ma seconde série de considérations, concernant la première apparition de la thématique biopolitique :

2. Or, la première apparition de la notion dans les textes de Foucault apparaît peu précise, et même, rigoureusement parlant, équivoque, puisqu’elle est attestée dans deux sources différentes et qui ne disent pas la même chose :

a. d’une part, la lecture attentive des Dits et écrits, recueil qui consigne les interventions « tous azimuts » de l’intellectuel engagé qu’était Foucault, fournit la date de 1974 comme acte de naissance de la notion : dans une conférence donnée à l’Université de Rio à propos de la médecine sociale, la seconde d’un cycle de deux, Foucault traite de l’histoire de la médecine et propose ce terme de bio-politique :

[1] « Je soutiens l’hypothèse qu’avec le capitalisme on n’est pas passé d’une médecine collective à une médecine privée, mais que c’est précisément le contraire qui s’est produit ; le capitalisme, qui se développe à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle, a d’abord socialisé un premier objet, le corps, en fonction de la force productive, de la force de travail. Le contrôle de la société sur les individus ne s’effectue pas seulement par la conscience ou par l’idéologie, mais aussi dans le corps et avec le corps. Pour la société capitaliste, c’est le bio-politique qui importait avant tout, le biologique, le somatique, le corporel. Le corps est une réalité bio-politique ; la médecine est une stratégie bio-politique. »

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Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale », Conférence prononcée dans le cadre du cours de médecine sociale à l’Université

de Rio de Janeiro, octobre 1974,

Revista centroamericana de Ciencias de la Salud, n°6, janvier-avril 1977, p.

89-108, In Dits et écrits, n°196, Gallimard, 2004, tome II, p. 207-228, ici p. 209-210. Ces réflexions évoquent un thème que les lecteurs de Foucault connaissent bien, à savoir ses recherches de Naissance de la clinique, voire celles de L’Histoire de la folie : il s’agit de comprendre comment une discipline scientifique se trouve liée à des phénomènes d’organisation (interne et externe) des pouvoirs qui la structurent et la rendent socialement active. Mais ces thèmes se voient, dans le texte cité, déclinés autrement : il sont moins envisagés du point de vue des relations générales entre le savoir d’une discipline particulière et le pouvoir, que sous l’angle de vue du pouvoir qui, subtilement, s’impose au corps afin de le faire travailler, de l’exploiter. J’emploie ce mot « exploiter » à dessein : il me semble que ce que Foucault élabore (sommairement) à ce moment, c’est une réponse au marxisme sur le plan des concepts permettant de penser la domination. La présence dans le même passage du mot « idéologie » conforte cette interprétation ; il s’agit pour Foucault, dans le contexte d’une archéologie ou généalogie des rapports de pouvoir, d’œuvrer à une critique sociale qui prend le corps comme objet d’étude, car il représente un enjeu de pouvoir particulièrement important.

Mutatis mutandis, il apparaît donc possible de relier cette première manière

de concevoir la biopolitique aux orientations de recherche qui étaient celles de Foucault dans ces années 74-76 : Surveiller et punir (1975) et La volonté

de savoir (1976) développent une perspective qui se fonde sur la notion de

discipline, laquelle à la fois individualise les sujets et les place sous l’influence d’une « technologie politique du corps ». Mais je crois également

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que pour ces raisons mêmes, tel n’est pas le véritable acte de naissance de la

notion de biopolitique, ou plus exactement : la première apparition de ce terme fait écran à sa signification plus originale et plus complète. En effet,

pour que l’on puisse parler de biopolitique, il convient en effet que l’on dépasse le sujet et le corps individualisés comme objets de pouvoir, afin de s’intéresser à la « population » ; c’est ce que révèle la deuxième source dans laquelle apparaît la notion.

b. Foucault lui-même prétend au début du cours au Collège de France de 1977-1978, Sécurité, Territoire, Population qu’il en avancé le terme quelques temps auparavant et, dit-il, « comme ça, un peu en l’air », c’est-à-dire sans théoriser excessivement son invention, et avec cette imprudence dans l’expression qui est parfois le reflet d’un authentique génie. L’éditeur du cours, Michel Senellart, renvoie dans une note au cours de l’année précédente (« Il faut défendre la société ») ainsi qu’au premier volume de

l’Histoire de la sexualité. Toujours est-il que l’objet d’enquête déclaré du

cours des deux années 1977-1978 et 1978-1979 est nommément la biopolitique :

[2] « Cette année, je voudrais commencer l’étude de quelque chose que j’avais appelé comme ça, un peu en l’air, le biopouvoir, c’est-à-dire cette série de phénomènes qui me paraît un peu importante, à savoir l’ensemble des mécanismes par lesquels ce qui, dans l’espèce humaine, constitue ses traits biologiques fondamentaux va pouvoir entrer à l’intérieur d’une politique, d’une stratégie politique, d’une stratégie générale de pouvoir, autrement dit comment la société, les sociétés occidentales modernes, à partir du XVIIIème siècle, ont repris en compte le fait biologique fondamental que l’être humain constitue une espèce humaine. »

Michel Foucault, Sécurité, Population, Territoire, Cours au Collège de France,

1977-1978,

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Édition établie sous la direction de François Ewald, Alessandro Fontana et Michel Senellart, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2004, p. 3. Ce qui est intéressant dans les Cours au Collège de France, c’est le caractère vivant des élaborations foucaldiennes : on est au plus loin d’une pensée achevée, close sur elle-même, mais il s’agit d’une expérience de pensée continuée, susceptible d’écarts considérables par rapport à ses positions initiales – Foucault entreprend d’acquérir son objet, de le forger en le référant à des champs extrêmement variés. D’où un certain effet de mise en abîme, qui contribue parfois à désorienter le lecteur. Précisément, d’après ce texte programmatique, quel est exactement « l’objet d’expérience » des cours de 1977-1979 ?

Il s’agit de reformuler un problème central de la modernité, que les élaborations précédentes de Foucault avaient laissé dans l’ombre, et que les représentations traditionnelles du pouvoir occultaient, interdisaient de penser : j’ai rappelé plus haut comment dans les ouvrages publiés dans les années 1975, Foucault avait mené son enquête sur le rapport entre les savoirs et le pouvoir jusqu’au point de constituer une « technologie politique des individus ». Ainsi pouvait se comprendre le dessein et le régime carcéral de la modernité, voire la manière dont ce que Foucault appelle « la sexualité » avait à la fois discipliné et constitué les sujets. Cependant, ses considérations présentaient le défaut de pouvoir sembler verser dans une représentation simpliste de l’Etat, dominée par un antiétatisme essentialiste, peu nuancé. Ce que veut faire Foucault, c’est se doter d’une représentation du pouvoir qui contourne cet obstacle. Le biopouvoir et la biopolitique semblent être les noms mis sur cette tentative.

Mais alors, ce qui est remarquable, c’est l’ampleur de la tâche que Foucault se donne – en toute conscience – au moment de s’engager dans

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cette tentative. Pour comprendre comment le pouvoir s’est exercé et s’exerce sur les populations, il doit en effet reposer à nouveaux frais la totalité de la question des rapports entre la connaissance et le pouvoir. Une telle ambition transparaît au début du cours de 1978-1979 :

[3] « J’avais pensé pouvoir vous faire cette année un cours sur la biopolitique. J’essaierai de vous montrer comment tous les problèmes que j’essaie de repérer actuellement, comment tous ces problèmes ont pour noyau central, bien sûr, ce quelque chose que l’on appelle la population. Par conséquent, c’est bien à partir de là que quelque chose comme une biopolitique pourra se former. Mais il me semble que l’analyse de la biopolitique ne peut se faire que lorsque l’on a compris le régime général de cette raison gouvernementale dont je vous parle, ce régime général que l’on peut appeler la question de la vérité, premièrement de la vérité économique à l’intérieur de la raison gouvernementale, et par conséquent si on comprend bien de quoi il s’agit dans ce régime qui est le libéralisme, lequel s’oppose à la raison d’Etat, – ou plutôt [la] modifie fondamentalement –, c’est une fois qu’on aura su ce que c’était que ce régime gouvernemental appelé libéralisme qu’on pourra, me semble-t-il, saisir ce qu’est la biopolitique. »

(Note de Foucault : « Avec l’émergence de l’économie politique, avec l’introduction du principe limitatif dans la pratique gouvernementale elle-même, une substitution importante s’opère, ou plutôt un doublage, puisque les sujets de droit sur lesquels s’exerce la souveraineté politique apparaissent eux-mêmes comme une population qu’un gouvernement doit gérer. […] C’est là que trouve son point de départ la ligne d’organisation d’une « bio-politique ». Mais qui ne voit pas que c’est là une part seulement de quelque chose de bien plus large, et qui [est] cette nouvelle raison gouvernementale ? Etudier le libéralisme comme cadre général de la biopolitique. »)

Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collègue de France, 1978-1979, Leçon du 10 janvier 1979, Édition établie sous la direction de François Ewald, Alessandro Fontana et Michel Senellart, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2004, p. 23-24. Ce texte, proprement vertigineux, dit beaucoup de choses différentes ; l’ampleur de la tâche paraît d’ailleurs tellement grande que Foucault a cette formule bizarre pour le début d’un cours : « J’avais pensé pouvoir vous faire

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cette année un cours sur la biopolitique », comme si, après une année d’étude, le but à atteindre semblait tellement éloigné que la tâche décourageait par avance le chercheur.

Ce passage dit en effet, premièrement, qu’il apparaît nécessaire de poser la question des rapports de pouvoir qui concernent la population en fonction de la notion de gouvernement A ce propos, deux remarques : (1) Foucault suggère de manière très pertinente que l’on envisage le pouvoir à partir non pas de son action directe sur les sujets, mais à partir de son action sur le

milieu, c’est-à-dire sur ce qui permet matériellement aux sujets de vivre. (2)

Il propose dans les cours une notion tout à fait originale de « Gouvernementalité », notion qui ne se résume nullement à celle ordinaire de « gouvernement », notion originale donc au sein d’une thématique originale, et sur laquelle vont s’appesantir plusieurs interventions prononcées aujourd’hui.

Deuxièmement, Foucault suggère qu’il s’agit également avec la

biopolitique d’analyser le libéralisme, par le biais de la montée en puissance à une certaine époque historique des méthodes de l’économie politique Le point remarquable – et remarquablement prometteur – consiste ici à comprendre non pas l’opposition (thématique classique de l’histoire philosophique des idées politiques), mais bel et bien la complémentarité ou encore l’interaction entre libéralisme et étatisme : ils ne s’excluent pas mais se complètent. (Mais, bien entendu, il faudrait aussi savoir si l’on peut passer de l’un à l’autre : l’objet médiat que se donne Foucault, on le sait, est le mercantilisme : comment « passer » de l’étatisme au libéralisme par ce biais ?).

Troisièmement, dans cette optique Foucault propose une très suggestive

relecture des théories de la raison d’Etat, et l’on pourrait dire que par son interprétation, il a contribué à en renouveler la compréhension, en incitant à

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penser que, comme l’avaient montré ces théories, l’Etat n’est nullement une réalité substantielle, mais qu’il est plutôt un ensemble de pratiques conjointes.

Quatrièmement, l’étude du thème biopolitique laisse espérer la

construction d’une très originale méthode d’appréhension des phénomènes

libéraux contemporains, issus du marché et apparemment débarrassés de la

régulation de l’Etat (du moins, sous sa forme traditionnelle), mais en réalité soucieux de s’associer à des formes de contrôle subtil, œuvrant à même les conduites des sujets par le biais des techniques de gestion des populations. Une des questions que me semble poser la pensée de Foucault envisagée sous cet angle, une question très importante pour aujourd’hui, c’est précisément de

comprendre ce qu’est un sujet socialisé par le libéralisme dans sa phase actuelle, par le néolibéralisme. Comment est-il « discipliné » tout en

estimant de bonne foi suivre son intérêt personnel, et par conséquent agir librement ? Comment tout à la fois son corps, son identité et son intimité sont-ils influencés par les pratiques biopolitiques ? (Peut-on d’ailleurs, et ici s’impose le rapprochement avec Arendt comme théoricienne du totalitarisme post-autoritaire, parler d’une nouvelle forme de totalitarisme, en apparence non autoritaire, et en tout cas n’obéissant nullement à une concentration du pouvoir, voire relevant d’une déconcentration du pouvoir ?) Par suite, comment est-il possible de reconfigurer pour ce sujet un mode d’action

politique qui lui permette, sinon d’échapper à la mise sous tutelle d’un

contrôle aussi invisible qu’efficace, du moins de « résister » efficacement, et même de développer une conduite libre ou autonome ?

Nous commençons avec ces quatre orientations différentes, que la thématique biopolitique est très riche, très variée, et que le caractère inachevé qu’elle présente chez Foucault lui-même offre paradoxalement à la recherche un champ d’expérience aussi large que prometteur. Précisément, les quatre

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interventions d’aujourd’hui attestent du fait qu’il n’y a pas une seule lecture autorisée de la biopolitique, mais plusieurs, et qui s’autorisent de leur inventivité théorique et de leur fécondité conceptuelle.

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