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1. L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT-ELLE ÊTRE L'AUTEURE D'UNE

1.2. La détermination de l'auteur des créations générées par intelligence artificielle

1.2.2. Le programmeur de l'intelligence artificielle

Selon l'Office québécois de la langue française, un programmeur est un « spécialiste qui traduit les opérations que l'ordinateur doit effectuer en une instruction que ce dernier peut comprendre »281. C'est l'auteur des lignes de code qui sont à l'origine des actions de l'intelligence artificielle.

En l'espèce, la question qui se pose est de savoir si le programmeur peut être l'auteur des créations générées par intelligence artificielle. C'est notamment la solution que l'Angleterre282, la Nouvelle-Zélande283 et l'Irlande284 semblent retenir285. En effet, ces États reconnaissent que dans le cas d'une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique générée par ordinateur, l'auteur est la personne qui a pris les dispositions nécessaires à la création de l'œuvre. Or, cette solution n'est pas sans faille et reçoit également des critiques « selon lesquelles la fiction juridique proposée fait fit des complexités liées à la création d'un programme informatique »286. En effet, la distance entre ce que le programmeur a codé et le résultat de l'œuvre créée peut être importante287

. Il est également possible que l'intelligence artificielle crée une œuvre « complètement inattendu[e] et non souhaité[e] par

281

OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, « Fiche terminologique : programmeur », en ligne : <http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8392362>.

282

Article 9 (3) Copyright, Designs and Patents Act, 1988, c. 48 : In the case of a literary, dramatic, musical or artistic

work which is computer-generated, the author shall be taken to be the person by whom the arrangements necessary for the creation of the work are undertaken.

283

Article 5(2) a) Copyright Act, 1994 : For the purposes of subsection (1), the person who creates a work shall be taken

to be,— (a) in the case of a literary, dramatic, musical, or artistic work that is computer-generated, the person by whom the arrangements necessary for the creation of the work are undertaken.

284 Article 21 (f) Copyright and Related Rights Act, 2000 (No. 28/2000): In this Act, "author" means the person who

creates a work and includes : (f) in the case of a work which is computer-generated, the person by whom the arrangements necessary for the creation of the work are undertaken.

285

Andrée-Anne PERRAS-FORTIN,« Ars Ex Machina : l'intelligence artificielle, cette artiste », Le Droit de savoir, Lavery, mai 2018, en ligne : <https://unik.caij.qc.ca/permalien/PC-a106516>.

286

Ibid.

287

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la personne à l'origine de la programmation »288. Lorsque cette dernière hypothèse se produit, comment est-il possible d'attribuer la qualité d'auteur au programmeur?

Au Canada, il n'y a pas de réponse précise dans la Loi. Accorder la qualité d'auteur au programmeur de l'intelligence artificielle ne semble pas injustifiable. La Loi protège déjà les programmes d'ordinateur par le biais des oeuvres littéraires289. L'auteur est incontestablement le programmeur. En l'espèce, il s'agit plutôt de reconnaitre le programmeur auteur de l'œuvre créée grâce à son programme d'intelligence artificielle. Sans son travail, l'œuvre n'aurait jamais pu être créée. Il programme des paramètres permettant d'influencer le résultat final de l'œuvre générée par l'IA. Ces paramètres peuvent être très précis ou très généraux, ce qui laisse une plus grande autonomie à l'IA . C'est celui qui dit quoi apprendre à l'IA, qui lui donne des instructions et qui lui impose des limites. Après avoir créé l'intelligence artificielle, il peut devoir l'entrainer. Pour ce faire, il doit d'abord rassembler une grande quantité de données pertinentes pour créer une base de données avec les informations qui permettront d'entrainer l'intelligence artificielle. Il est primordial que les données choisies par le programmeur soient reliées à sa fonction et d'une grande qualité afin d'augmenter l'efficacité de l'IA290. Par la suite, le programmeur doit transformer ces données en une représentation numérique que l'ordinateur peut comprendre291. C'est à l'étape d'entrainement que le programmeur doit montrer à l'IA ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. « Pour qu’un programme apprenne à reconnaître une voiture, par exemple, on le nourrit de dizaines de milliers d’images de voitures, étiquetées comme telles. Un entraînement qui nécessite des heures, voire des jours, avant que le programme puisse en repérer sur de nouvelles images »292. Après avoir entrainé l'IA, le programmeur doit, par la suite, créer une seconde base de données avec de nouvelles données afin de la tester293. Tout ce travail fastidieux effectué par le programmeur lui permet de laisser l'empreinte de sa personnalité au travers de l'intelligence artificielle. En effet, si par

288

Ibid.

289

Article 2 LDA. Les programmes d'ordinateur ont été ajoutés à la liste des définitions de l'article 2 en 1988, de simples adaptations à la Loi ont été nécessaires pour inclure ces œuvres.

290

SKYMIND, « Datasets and Machine Learning », en ligne : <https://skymind.ai/wiki/datasets-ml>.

291

Ibid.

292

Morgane TUAL, « Apprentissage : l'intelligence artificielle, une élève de plus en plus douée », Le Monde, 22 décembre 2015, en ligne : <https://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/22/apprentissage-l-intelligence-artificielle-une-eleve-de- plus-en-plus-douee_4836339_4408996.html>.

293

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exemple, le programmeur veut créer une intelligence artificielle capable de composer de la musique classique, il n'est pas obligé de lui montrer tout ce qu'il existe. Il pourrait très bien choisir d'exclure un ou plusieurs artistes. Il peut aussi choisir de redéfinir le sens des mots selon sa propre conception. Au départ, l'IA n'a pas de référence ni de connaissance, elle doit tout se faire expliquer, ce qui laisse une grande discrétion au programmeur. Enfin, le comportement de l'IA peut être complètement changé par une simple ligne de code que le programmeur peut ajouter, modifier ou retirer. Il a donc beaucoup de contrôle sur ce qu'elle fait. Considérant toute l'implication, l'influence et le contrôle qu'a le programmeur sur l'intelligence artificielle, il est envisageable de considérer le programmeur comme l'auteur. Il fait potentiellement preuve de talent et de jugement294.

Jusqu'à maintenant, parmi les options envisageables d'auteur présentées, celle du programmeur semble la plus conforme au droit en vigueur. Par contre, cette option n'est pas sans faille. Elle accroche également dès que l'intelligence artificielle démontre davantage d'autonomie puisque la création ne dépend plus forcément de l'apport créatif du programmeur295.

Premièrement, si nous reprenons l'exemple du robot e-David, il est vrai que ce n'est pas lui qui décide de reproduire un élément en particulier et qu'il a besoin d'un modèle296. Toutefois, il est doté d'une fonction appelée « optimisation visuelle »297. « Celle-ci consiste à faire réfléchir le robot après chaque coup de pinceau. À chaque fois qu’il effectue une opération sur son dessin, le robot prend une photo. À partir de celle-ci, il va calculer les endroits où sa peinture a besoin d’être plus claire ou plus sombre. Il va mettre son prochain coup de pinceau en fonction de ce calcul et ainsi de suite »298. Il « se détache alors de la programmation humaine pour réaliser des créations picturales qui lui sont propres »299. E-

294

CCH, par.16.

295

Andres GUADAMUZ, supra, note 69.

296

Axel CERELOZ, supra, note 268.

297

Ibid.

298

Ibid.

299

Marie SOULEZ, « Le droit de la propriété intellectuelle à l'épreuve des technologies robotiques » (2016) 37 JCP G 972; Marie SOULEZ, « Questions juridiques au sujet de l'intelligence artificielle » (2018) 1 Enjeux numériques 81, en ligne : <http://www.annales.org/enjeux-numeriques/2018/en-2018-01/EN-2018-03-15.pdf>.

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David n'est pas le seul exemple300. Il y a également le robot Paul301. Celui-ci, « à l’aide d’une caméra et d’un stylo, […] identifie les traits d’un visage en une fraction de seconde, et utilise son bras robotisé pour les redessiner sur une feuille en papier »302. Pour Jacques Larrieu, professeur en droit français, ce robot ne se contente pas de « reproduire servilement »303 ce qu'il voit, il l'interprète304. Le programmeur n'a pas codé des instructions sur la manière de reproduire exactement chaque sujet, ce sont plutôt des instructions générales pour guider l'IA à prendre des décisions. Il lui donne la capacité de réaliser ces oeuvres305. Le programmeur n'a pas besoin de préciser pour chaque nouveau sujet comment le reproduire, l'intelligence artificielle le fait par elle-même grâce aux connaissances qu'elle a acquises. « Ces réalisations sont rendues possibles par la capacité du robot à prendre des décisions de manière libre grâce au cumul de son autonomie et de sa capacité d'apprentissage. Cette autonomie lui permet de réaliser une création artistique, qui lui est propre, voire personnelle. […] l'homme ne joue plus un rôle d'auteur […], mais se positionne comme un assistant qui fournit les éléments nécessaires à la mise en œuvre de l'activité créatrice »306. De plus, le programmeur peut difficilement prédire de quoi aura l'air l'œuvre créée par l'IA.

Ce que le programmeur a enseigné à l'IA pourrait être assimilé à des cours qu'un artiste prend pour peaufiner son art. Le professeur lui apprend de nouvelles techniques de travail, comment utiliser certains outils, comment manier les ombrages, etc. Puis, avec ces informations, l'élève est en mesure de réaliser un meilleur travail. C'est similaire avec l'IA. Le programmeur apprend, en quelque sorte à la machine qui, par la suite, est capable de faire ce qu'on lui commande. Les instructions que le programmeur code peuvent être

300

Il existe notamment les deux robots CloudPainter and BitPaintr créés par Pindar Van Arman qui réalisent des portraits à la peinture (Nadja SAYEJ,« Vincent van Bot : the robots turning their hand to art », The Guardian, 19 avril 2016, en

ligne : <https://www.theguardian.com/artanddesign/2016/apr/19/robot-art-competition-e-david-cloudpainter-bitpaintr>), le robot Picassnake qui peint selon le rythme de la musique et le robot NoRAA capable de peindre. Ces deux derniers robots génèrent des images basées sur des paramètres aléatoires qu'ils reçoivent du monde physique et non d'un être humain (MIX, « The world's next grat artist might be a robot », The next web, 22 avril 2016, en ligne : <https://thenextweb.com/insider/2016/04/22/worlds-next-great-artist-might-robot/>; ROBOT ART, « RobotArt - the $100,000 Robot Art competition! », en ligne : <https://robotart.org/>).

301

Voir annexe 5 pour des illustrations du robot et de ses créations.

302

NEWSROOM, « Le robot Paul vous tire le portrait », Humanoides magazine, 28 octobre 2012, en ligne : <https://humanoides.fr/le-robot-paul-vous-tire-le-portrait/>.

303

Jacques LARRIEU, « Les robots et la propriété intellectuelle » (2013) 2 Propr. industr. étude 1.

304

Ibid.

305

Jacques LARRIEU, « Robot et propriété intellectuelle », D. 2016.291.

306

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assimilées à des restrictions qu'on imposerait encore une fois à cet élève. Le professeur ne peut prétendre détenir quelconque droit sur l'œuvre de son étudiant. Pourquoi cela devrait-il être différent pour le programmeur? Pourquoi pourrait-il revendiquer des droits sur les créations générées par intelligence artificielle? Il ne peut pas savoir exactement de quoi aura l'air le résultat final de l'oeuvre en la programmant, et ce même si les restrictions sont très précises. Ce n'est pas un travail réalisé par lui-même, qui vient de sa main. Il rend la création possible, mais il ne peut pleinement la revendiquer.

Si la meilleure réponse à la question de l'autorat n'est pas au niveau de l'utilisateur ni du programmeur, peut-être qu'il est possible de s'inspirer de l'ancien régime de la photographie pour identifier l'auteur de ces créations.