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1. L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT-ELLE ÊTRE L'AUTEURE D'UNE

1.1. Les critères à la protection du droit d'auteur

1.1.3. La détermination du critère d'originalité

La condition d'originalité est primordiale pour qu'une œuvre puisse bénéficier de la protection de la Loi207. L'article 5 de la Loi précise d'ailleurs que le droit d'auteur existe « sur toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale ». Il s'agit du « concept fondamental qui définit la relation entre un auteur et son oeuvre, car le droit d'auteur sur une œuvre prend naissance au moment où un auteur produit une expression originale fixée »208. Or, définir les contours de ce critère s'avère beaucoup plus difficile qu'il en a l'air209. En effet, malgré son importance, celui-ci n'est pas défini dans la Loi210, ce qui a eu pour effet de susciter beaucoup de controverses. La jurisprudence a longtemps été contradictoire sur la définition à donner à la notion d'originalité211. Il y avait principalement deux positions qui s'opposaient212. D'abord, il y avait ceux213 qui soutenaient que

204

Madeleine LAMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité » (2002) 15 C.P.I. 619, p. 643.

205

Article 2 LDA.

206

Mistrale GOUDREAU, supra, note 188; Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43.

207

Carys J. CRAIG, « The Evolution of Originality in Canadian Copyright Law : Authorship, Reward and the Public Interest » (2005) 2 U. Ottawa L.& Tech. J. 425, p. 427.

208

Traduction libre de l'auteure : Further, originality is the foundational concept that defines the relationship between an

“author” and her “work”, for copyright in a work comes into existence at the moment when an author produces fixed original expression. Carys J. CRAIG, supra, note 207; Normand TAMARO, « Droit d'auteur et avancement des connaissances : notes sur la perspective judiciaire contemporaine de la notion d'originalité », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit du divertissement (2000), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 3.

209

Carys J. CRAIG, « Resisting Sweat and Refusing Feist : Rethinking Originality after CCH » (2007) 40 U.B.C.L. Rev. 69, p. 69.

210

Maxime RIVOIRE et E. Richard GOLD,« Propriété intellectuelle, Cour suprême du Canada et droit civil »(2015)60:3

McGill Law Journal 381, p. 396.

211

CCH, par.15.

212

Carys J. CRAIG, supra, note 207; Elizabeth F. JUDGE et Daniel GERVAIS, « Of Silos and Constellations: Comparing Notions of Originality in Copyright Law » (2009) 27 Cardozo Arts & Ent. L.J. 375, p. 391; Abraham DRASSINOWER, « Sweat of the Brow, Creativity, and Authorship : On Originality in Canadian Copyright Law » (2003-2004) 1 U. Ottawa

L. & Tech. J. 105, p. 107.

213

Voir par exemple : Garland c. Gemmill, [1987] 14 R.C.S. 321; Underwriters Survey Bureau Ltd. c. American Home

27

l'originalité correspondait à l'idée d'effort ou de labeur (sweat of the brow)214. Il s'agissait d'un critère peu rigoureux215. Cette position tient sa source d'un arrêt britannique de 1916216. Dans cette décision, il est reconnu que l'originalité ne nécessite pas une forme originale ou nouvelle. En effet, la créativité n'est pas exigée217. Le simple fait « qu’une œuvre émane d’un auteur et soit davantage qu’une simple copie d’une autre œuvre suffit à faire naître le droit d’auteur »218

. Selon cette position, l'emphase est davantage mise sur le fait qu'une œuvre doit avoir été réalisée par l'auteur lui-même, sans copier le travail d'une autre personne, plutôt que d'être originale ou nouvelle219. Alors que la deuxième position soutenait, quant à elle, que l'originalité exigeait « un minimum de créativité »220. Il s'agit d'ailleurs du critère utilisé aux États-Unis pour définir l'originalité221. Il consiste à étudier la possibilité pour l'auteur de faire des choix créatifs222. Si une autre personne avait pu créer la même œuvre, dans le même contexte de création, l'œuvre ne peut être originale, car il n'y a pas de place aux choix créatifs223. Les décisions canadiennes Télé-Direct224 et Édutile225 rejettent la position de l'effort où le seul travail permet de conclure qu'il y a originalité226.

214 CCH, par.15 ; Elizabeth F. J

UDGE et Daniel J. GERVAIS, Loi sur le droit d’auteur : texte annoté, 10e éd., Toronto,

Carswell, 2015, p. 16; Carys J. CRAIG, supra, note 207.

215

CCH, par. 21.

216

University of London Press Ltd. c. Universal Tutorial Press Ltd., [1916] 2 Ch. 601; Benoît CLERMONT, « Les compilations et la Loi sur le droit d'auteur : leur protection et leur création » (2006) 18 C.P.I. 219, p. 227; Katherine L. MCDANIEL etJamesJUO., « A Quantum of Originality in Copyright » (2008) 8 Chicago-Kent Journal of Intellectual

Property 169, p. 170; Krishna HARIANI et Anirudh HARIANI, « Analyzing Originality in Copyright Law: Transcending Jurisdictional Disparity » (2011) 51 IDEA 491, p. 493.

217

Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, supra, note 214.

218

CCH, par. 15.

219

Kantel c. Grant, [1993] R.C.É. 84, p. 95 ; Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, Loi sur le droit d’auteur : texte

annoté, 10e éd., Toronto, Carswell, 2015, p. 17.

220

Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, supra, note 219; Abraham DRASSINOWER, « Sweat of the Brow, Creativity, and Authorship : On Originality in Canadian Copyright Law » (2003-2004) 1 U. Ottawa L. & Tech. J. 105, p. 108.

221

Feist Publications Inc. c. Rural Telephone Service Co., 499 U.S. 340 (1991) : Cette décision rejette l'idée de l'effort pour définir l'originalité puisqu'elle apparait incompatible avec le droit d'auteur. The "sweat of the brow" doctrine had

many flaws, the most glaring being that it extended copyright protection - a compilation of original contributions - to the facts themselves. Under the doctrine, the only defense to infringement was independent creation. A later compiler was "not necessarily a source of information", "but rather had to" independently work out the matter for itself, so to arrive at the same result from the same common sources of information. " id., at 88-89 (internal quotations omitted). "sweat of the brow" is one of the most fundamental axioms of copyright law. See miller c. Universal city studios, inc., 650 f. 2d, at 1372 (criticizing "sweat of the brow" short because "making sure that the writers get the facts independently" is precisely the scope of protection given. The law is clear that facts are not entitled to such protection "); Howard B. ABRAMS, « Originality and Creativity in Copyright Law » (1992) 55 Law & Contemporary Problems 3, p. 5; Jane C. GINSBURG, « The Concept of Authorship in Comparative Copyright Law » (2003) 52 DePaul L. Rev. 1063, p. 1078.

222

Elizabeth F. JUDGE et Daniel J. GERVAIS, Loi sur le droit d’auteur : texte annoté, 10e éd., Toronto, Carswell, 2015, p. 22.

223

Ibid.

224

Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 CF 22, par. 28, 29 et 32; Daniel J. GERVAIS, « Feist goes global : A comparative analysis of the notion or originality in copyright law » (2002) 49 Journal of

the Copyright Society of the U.S.A. 949, p. 961.

225

Édutile Inc. c. Asso. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195, par. 8.

226

28

Le juge Décary explique dans Télé-Québec que cette position « est incompatible avec les normes d’apport intellectuel et créatif expressément prévues par l’ALENA, puis confirmées par les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur en 1993, et déjà reconnues par le droit anglo-canadien »227.

C'est en 2004, avec le célèbre arrêt CCH228, que la norme d'originalité s'est officiellement précisée229. La Cour suprême a choisi un critère se situant entre les deux pôles, c'est-à-dire l'exercice du talent et du jugement :

J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une ''autre'' serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre ''originale''.230

Elle a rejeté l'idée d'effort ou de labeur comme critère d’originalité puisqu'il n'est pas assez exigeant et « favorise les droits de l’auteur ou du créateur au détriment de l’intérêt qu’a la société à conserver un domaine public solide susceptible de favoriser l’innovation créative à l’avenir »231

. Elle a également rejeté le « critère d’originalité fondé sur la créativité »,232 car il « est trop rigoureux. La créativité implique qu’une chose doit être nouvelle et non évidente — des notions que l’on associe à plus juste titre au brevet qu’au droit d’auteur »233

.

227

CCH, par. 21; Édutile Inc. c. Asso. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195, par. 8.

228

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13.

229

Teresa SCASSA, « Original Facts : Skill, Judgment, and the Public Domain » (2005) 51 McGill L.J. 253, p. 255; Simon STERN, « Copyright Originality and Judicial Originality » (2013) 63 U. Toronto L.J. 385, p. 387.

230

CCH, par.16.

231

CCH, par. 23 et 24; Carys J. CRAIG, « Resisting Sweat and Refusing Feist : Rethinking Originality after CCH » (2007) 40 U.B.C.L. Rev. 69, p. 86.

232

CCH, par. 24.

233

29

Ainsi, le critère retenu par le tribunal « selon lequel une œuvre originale doit résulter de l’exercice du talent et du jugement est à la fois fonctionnel et équitable »234

. Il permet un juste équilibre entre les droits de l'auteur et l'intérêt public235. En effet, il assure que l'auteur ne reçoit pas de « rétribution excessive pour son œuvre »236 et favorise « l’épanouissement du domaine public »237 en permettant à plusieurs personnes « de créer de nouvelles œuvres à partir des idées et de l’information contenues dans les œuvres existantes »238

. La nouveauté, l'innovation, l'esprit inventif, le mérite et la qualité esthétique ne sont donc pas des critères d'appréciation239. Dans CCH, la Cour suprême conclut en écrivant que « bien qu’une œuvre créative soit par définition ''originale'' et protégée par le droit d’auteur, la créativité n’est pas essentielle à l’originalité »240

.

Le critère d'originalité actuellement en vigueur au Canada n'est donc pas très exigeant241. Par exemple, de simples « résumés ou sommaires jurisprudentiels reprenant de façon succincte les éléments essentiels des décisions judiciaires auxquelles elles se rapportent »242 et des relevés de paie243 ont été considérés comme originaux244. En somme, pour être originale, l'œuvre doit émaner d'un auteur, ne pas être une copie totale ou partielle d'une œuvre existante auquel l'auteur a eu accès et l'auteur doit faire preuve de talent et de jugement245 « ayant nécessité un certain effort intellectuel qui n'est pas négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique »246.

234 Ibid. 235

Carys J. CRAIG, « The Evolution of Originality in Canadian Copyright Law : Authorship, Reward and the Public Interest » (2005) 2 U. Ottawa L.& Tech. J. 425, p. 430.

236 CCH, par. 23. 237 CCH, par. 23. 238 Ibid. 239 Elizabeth F. J

UDGE et Daniel J. GERVAIS, Loi sur le droit d’auteur : texte annoté, 10e éd., Toronto, Carswell, 2015,

p. 25; Madeleine LAMOTHE-SAMSON, « Les conditions d'existence du droit d'auteur : n'oublions pas l'auteur et sa créativité » (2002) 15 C.P.I. 619, p. 642.

240

CCH, par. 25.

241

Stéphane GILKER, « Principes généraux du droit d'auteur », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec,

Congrès annuel du Barreau du Québec (2009), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 52.

242

Ibid.

243

Bonnette c. Dominion Blueline Inc., 2005 QCCA 342; Benoît CLERMONT, « Les compilations et la Loi sur le droit

d'auteur : leur protection et leur création » (2006) 18 C.P.I. 219, p. 235.

244

CCH.

245

Ibid, par. 25.

246

30

1.2. La détermination de l'auteur des créations générées par intelligence