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La reconnaissance d'une personnalité juridique à l'intelligence artificielle

2. LA DÉTERMINATION DU TITULAIRE DES DROITS DES CRÉATIONS

2.1. Les alternatives juridiques

2.1.1. La reconnaissance d'une personnalité juridique à l'intelligence artificielle

À première vue, reconnaitre une personnalité juridique à des robots peut sembler choquant. Pourtant, il s'agit d'une proposition soutenue par des personnes versées dans le milieu400. L'intelligence artificielle pourrait donc avoir des droits, des obligations, une certaine identité par le biais d'un numéro d'immatriculation401 et/ou d'un nom et potentiellement un patrimoine402. D'autant plus, cette solution aurait pour effet d'assujettir les oeuvres générées par intelligence artificielle à la Loi sur le droit d'auteur. Ainsi, dès que l'œuvre créée par l'IA serait originale, elle recevrait la protection au même titre qu'une oeuvre originale créée par une personne physique.

Si pour certains, cette proposition ne peut être prise au sérieux, le Parlement européen est d'un autre avis. En effet, dans la Résolution du Parlement européen du 16 février 2017403, le Parlement européen « demande à la Commission, lorsqu’elle procèdera à l’analyse d’impact de son futur instrument législatif, d’examiner, d’évaluer et de prendre en compte les conséquences de toutes les solutions juridiques envisageables, telles que […] la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions

400

Par exemple : Alain BENSOUSSAN, « Point de vue : Plaidoyer pour un droit des robots : de la ''personne morale'' à la ''personne robot'' » (2013) 1134 Lettre des Juristes d’affaires;MurielleCAHEN, « Le droit des robots », Avocats Murielle

Cahen, en ligne : <https://www.murielle-cahen.com/publications/robot.asp>; Marshal S. WILLICK (Danièle BOURCIER,

« De l'intelligence artificielle à la personne virtuelle : Émergence d'une entité juridique ? » (2001) 49 Droit et société 847; Marshall S. WILLICK, « Artificial intelligence : Some legal approaches and implications » (1983) 4 AI Magazine 5, p.7);

Mady Delvaux (RAPPORT du 27 janvier 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)); Pamela MCCORDUCK, Machines who think : a personal inquiry into the

history and prospects of artificial intelligence, 25th anniversary update, Natick, Mass, A.K. Peters, 2004, en ligne :

<https://monoskop.org/images/1/1e/McCorduck_Pamela_Machines_Who_Think_2nd_ed.pdf>, p. 238.

401

Alain BENSOUSSAN, « Le droit de la robotique : aux confins du droit des biens et du droit des personnes - ''Une démarche éthique est indispensable dans la construction d'un droit de la robotique'' » (2015) 10 Revues des Juristes de

Sciences 106.

402

Alexandra MENDOZA-CAMINADE, supra, note 320; Laurent OLIER, « Intelligence Artificielle : L'interview de Stéphane Mallard », Itesoft, 26 mai 2016, en ligne : <https://www.itesoft.com/fr/blog/intelligence-artificielle-stephane-mallard/>.

403

Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant

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autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers »404. Il est vrai que cette proposition s'adresse plus spécifiquement au régime de la responsabilité en cas de dommages causés par un robot doté d'une intelligence artificielle. Cependant, « le fait de doter celui-ci d'une personnalité juridique aura des répercussions dans d'autres domaines du droit et pourra servir d'appui aux revendications de la doctrine favorable à la titularité de droits d'auteur au profit de l'IA »405.

D'un autre côté, l'avocat français, Alain Bensoussan, spécialisé en droit du numérique et des technologies avancées, est connu comme un ardent défenseur de cette proposition406. D'abord, il défend l'idée que lorsqu'un robot est capable de réaliser des œuvres « équivalentes aux humains en termes de pouvoir émotionnel à celles d’un humain »407 et que nous ne sommes plus « capable[s] d’opérer la distinction entre deux œuvres qui suscitent la même émotion de puissance émotionnelle »408, il est temps de « doter les robots d’une personnalité juridique propre »409

. De plus, puisque l'intelligence artificielle est de plus en plus autonome et est capable « de réagir seul[e] à l'environnement et à un certain degré d'imprévu […] il est temps de créer un droit des robots pour que demain, ils deviennent des sujets de droit »410. Bensoussan a donc développé le concept de personne robot. Ainsi, il considère qu'il faut :

Créer un statut juridique adapté, en reconnaissant au robot une personnalité propre et singulière, résultant de ses interactions avec l’humain. Tout comme a été créée la notion de personne morale, considérée comme sujet de droit, il devrait être possible de créer une personne robot afin de lui reconnaître des droits et obligations qui la feront assimiler à une personne physique. Un statut qui se justifie d’autant plus lorsque les robots acquièrent un degré de liberté de plus en plus important par rapport à leur environnement.411

404 Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant

des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), par. 59.

405 Claudia G

ESTIN-VILION, La protection par le droit d'auteur des créations générées par intelligence artificielle,

Mémoire de maîtrise, Québec, Faculté de droit, Université Laval et Université Paris-Sud, 2017, p. 30.

406

Clémence JOST, « Intelligence artificielle : un avocat milite pour la notion de ''personnalité robot'' », Archimag, 28 avril 2016, en ligne : <http://www.archimag.com/vie-numerique/2016/04/28/intelligence-artificielle-droit-notion-personnalite- robot>; Florence CREUX-THOMAS, « Le temps est venu de créer un droit des robots les dotant d'une personnalité et d'une identité juridique - 3 questions à Alain Bensoussan, avocat à la cour » (2016) 51 JCP G 1403; Bérengère MARGARITELLI, « Révolution des robots : quel cadre juridique pour l'intelligence artificielle ? » (2018) 41 Journal Spécial des Sociétés 6.

407

Alain BENSOUSSAN, « Le robot créateur peut-il être protégé par le droit d’auteur ? » (2016) 42 Planète Robots 16.

408

Ibid.

409

Ibid.

410

Alain BENSOUSSAN, supra, note 400.

411

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L'avocate en droit de l'informatique et des nouvelles technologies, Murielle Cahen, appuie également la proposition en faveur d'une personnalité juridique à l'IA. Pour Cahen, avec les développements constants de « ces robots autonomes et interactifs »412, il semble nécessaire « d'encadrer cette nouvelle technologie »413. Elle soutient également que l'adoption d'un « statut juridique adapté, comparable à celui de la personnalité morale »414 serait la solution. Elle justifie la mise en place d'un régime spécifique à l'intelligence artificielle puisque « les robots acquièrent un degré de liberté et d’autonomie de plus en plus important par rapport à leur environnement et aux humains qui les utilisent […]. Même si la machine a été programmée par un informaticien, construite par un roboticien et mise en route par son utilisateur, il arrive qu’elle prenne des initiatives en s’adaptant à de nouveaux environnements »415. Par conséquent, leurs agissements ne dépendent plus forcément d'une intervention humaine. Ainsi, en cas d'incident ou de violation des droits, il va être difficile de retenir la responsabilité d'une personne physique. De là, l'intérêt de leur accorder une personnalité juridique.

Un autre partisan de longue date de cette proposition est l'avocat américain, Marshall S. Willick. Dès les années 80, il proposait de considérer les ordinateurs intelligents « au même titre qu'une personne »416. En d'autres mots, il était en faveur de reconnaitre les ordinateurs en tant que personne417. Dans son article daté de 1983, il a écrit que :

Les ordinateurs ressemblent de plus en plus à leurs créateurs humains. Plus précisément, il devient de plus en plus difficile de distinguer certains traitements informatiques effectués par un ordinateur de ceux de l'humain, à en juger par le produit final. Les ordinateurs se sont révélés capables de bien plus de fonctions ''humaines'' physiques et mentales que la plupart des gens croyaient possibles. La similitude croissante entre les humains et les machines pourraient éventuellement exiger la reconnaissance juridique des ordinateurs en tant que ''personnes''.418

412

Murielle CAHEN, supra, note 400.

413

Ibid.

414

Ibid.

415

Ibid; Jacques LARRIEU, supra, note 303.

416

Danièle BOURCIER,« De l'intelligence artificielle à la personne virtuelle : Émergence d'une entité juridique ? » (2001) 49 Droit et société 847, p. 855.

417

Ibid.

418

Libre traduction de l'auteure : Computers increasingly resemble their human creators. More precisely, it is becoming

increasingly difficult to distinguish some computer information-processing from that of humans, judging from the final product. Computers have proven capable of far more physical and mental “human” functions than most people believed was possible. The increasing similarity between humans and machines might eventually require legal recognition of

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De plus, Willick soutient qu'il n'y a pas de raison de refuser d'accorder la même fiction juridique à l'intelligence artificielle que celle dont bénéficient les personnes morales419. Dans son texte, il présente « trois facteurs essentiels déterminants si une société peut être reconnue comme une personne morale : (1) l'entité doit exister comme un ensemble organisé poursuivant un intérêt légal, (2) elle doit avoir un but précis et (3) la société doit accorder suffisamment de valeur à l'objectif poursuivi pour justifier une protection juridique »420. Puis, il conclut en précisant qu'un ordinateur peut satisfaire ces trois facteurs. Ainsi, l'IA devrait bénéficier d'une personnalité juridique. Enfin, Willick reprend également l'argument de l'auteure, Pamela McCorduck, selon lequel refuser de reconnaitre une personnalité juridique à l'intelligence artificielle parce qu'elle n'a pas de corps humain est inapproprié. Selon elle, cet argument est similaire aux affirmations des médecins du XIXe siècle selon lesquelles les femmes ne pouvaient pas penser parce qu'elles ont un corps féminin421.

Évidemment, il n'y a pas que des positions en faveur de la reconnaissance d'une personnalité juridique à l'IA. En fait, les opinions contraires sont prédominantes422. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et plusieurs autres auteurs423 s'opposent à la création « d'un statut autonome du robot »424, car ce « serait soit

computers as “persons”. Marshall S. WILLICK, « Artificial intelligence: Some legal approaches and implications » (1983) 4 AI Magazine 5, p. 5.

419

Ibid, p. 9.

420

Libre traduction de l'auteure : [...] three essential factors determining whether a corporation is recognized as a person:

the corporation must exist as an organized whole pursuing a legal interest; it must possess a definite aim (the writer called this “intelligence”); and society must place enough value in the pursued aim to warrant legal protection. Marshall

S. WILLICK, « Artificial intelligence : Some legal approaches and implications » (1983) 4 AI Magazine 5, p. 9.

421

Marshall S. WILLICK, supra, note 400; Pamela MCCORDUCK, supra, note 400.

422

Par exemple : Audrey TABUTEAU, « Intelligence artificielle : des experts se mobilisent contre la création d’une personnalité juridique pour les robots », Editions Francis Lefebvre, 18 avril 2018, en ligne : <https://www.efl.fr/actualites/affaires/themes-divers/details.html?ref=r-1216c84f-c958-480d-b969-90f16e194df3>; Emmanuelle RAGOT et Guillaume DALLY, « Émergence de l'intelligence artificielle : la responsabilité des entreprises »,

Wildgen, 15 décembre 2017, en ligne : <https://www.wildgen.lu/our-insights/article/emergence-de-lintelligence-

artificielle-la-responsabilite-des-entreprises>; Phane MONTET, « Une personnalité juridique pour les robots ? Plus de 220 experts sonnent l'alarme », Usbek & Rica, 20 avril 2018, en ligne : <https://usbeketrica.com/article/personnalite-juridique- robots-220-experts-sonnent-alarme>; Alexandra MENDOZA-CAMINADE, supra, note 320; la chercheuse Laurence Devillers (professeur à la Sorbonne, chercheuse au Limsi-CNRS), le professeur Serge Tisseron (psychiatre à l'Université Paris VII, membre de l'Académie des technologiques et de l'Institut pour l'étude des interactions robot-machine); Anne MOREAUX, « Des voix S'élèvent contre la responsabilité juridique des robots », Affiches Parisiennes, 24 avril 2018, en ligne : <https://www.affiches-parisiennes.com/des-voix-s-elevent-contre-la-responsabilite-juridique-des-robots-7902.html>; Sophie HENRY, Magalie DANSAC LE CLERC et LaurentSZUSKIN,« Intelligence artificielle : Ne bridons pas l'innovation ! »,

Legalis, 7 juillet 2017, en ligne :<https://www.legalis.net/legaltech/intelligence-artificielle/>.

423

Par exemple : Alexandra BENSAMOUN et Grégoire LOISEAU, « L'intelligence artificielle : faut-il légiférer ? », D. 2017.581; Alexandra MENDOZA-CAMINADE, supra, note 320.

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dépourvue de fondement, soit prématurée »425. Le Conseil économique et social européen va, quant à lui, plus loin dans son opposition en soulevant un « risque moral inacceptable inhérent à une telle démarche »426. Pour d'autres auteurs427, cela serait hasardeux et dangereux. Selon eux, cette démarche est dangereuse puisqu'elle implique de reconnaitre une personnalité à un objet doté d'une intelligence programmée et artificielle. Plus loin, ils déclarent que même si l'attribution d'une personnalité juridique n’était pas inenvisageable, ils considèrent cela hasardeux puisqu'ils n'auraient pas de besoins sociaux à combler428.

Bien qu'il s'agisse encore d'une opinion minoritaire, la position des partisans en faveur de la reconnaissance d'une personnalité juridique devrait être privilégiée. Les arguments qui s'y opposent ne sont pas suffisamment convaincants. Ils confirment plutôt que le milieu juridique est conservateur et réfractaire aux changements429. Le milieu juridique veut plus difficilement tenir compte des évolutions technologiques lorsque cela chamboule les règles juridiques bien établies en raison des appréhensions qu'elles suscitent, car il est plus difficile d'en mesurer les impacts430.

L'Estonie est un bon exemple de pays proactif qui n'a pas peur des changements technologiques. Il s'agit d'un « pays précurseur en matière de nouvelles technologies avec l’instauration notamment de la citoyenneté numérique ou e-residency qui vise à étendre les services proposés par le pays à des entrepreneurs étrangers qui en feraient la demande par exemple »431, la carte d'identité numérique et le « vote par Internet à l’échelle nationale »432. Le pays va maintenant encore plus loin en envisageant une personnalité juridique pour l'intelligence artificielle. « Il introduirait un statut intermédiaire entre celui

424

Anne-Sophie CHONÉ-GRIMALDI et Philippe GLASER, « Responsabilité civile du fait du robot doué d'intelligence artificielle : faut-il créer une personnalité robotique ? » (2018) 1 Contrats, conc. consom. alerte 1.

425 Ibid. 426

Ibid; Antoine CHERON, « L'Europe défavorable à la création d'une personnalité juridique pour les robots dotés d'intelligence artificielle », Village de la justice, 22 juin 2017, en ligne : <https://www.village-justice.com/articles/Europe- defavorable-creation-une-personnalite-juridique-pour-les-robots-dotes,25283.html>.

427

Grégoire LOISEAU et Mathieu BOURGEOIS, supra, note 380.

428

Ibid.

429

Par exemple, il a également été difficile d'obtenir l’adoption d’un droit spécifique pour la radiodiffusion et pour la mémoire cache. (Pierre-Emmanuel MOYSE, « La Loi canadienne sur le droit d'auteur doit-elle être repansée ? » (2002) 14 C.P.I. 695, p. 699).

430

René PÉPIN, « La Loi sur le droit d'auteur et les appareils de reproduction mécanique » (2011)23 C.P.I. 955, p. 986.

431

Clarisse BANULS, « Quel statut juridique pour l'intelligence artificielle ? », Izilaw, 24 avril 2018, en ligne : <https://www.izilaw.fr/blog/statut-juridique-intelligence-artificielle/>.

432

Arnaud LEFEBVRE, « L'Estonie veut accorder un statut légal à l'intelligence artificielle », Express Business, 11 octobre 2017, en ligne : <https://fr.express.live/2017/10/11/lestonie-veut-accorder-statut-legal-a-lintelligence-artificielle/>.

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de la personne physique et de la personne morale. La mise en oeuvre serait une question de quelques années »433. Il ne s'agit pas du seul pays qui prend cette direction, le Japon et la République de Corée envisagent également d'étendre les droits aux robots dotés d'une intelligence artificielle434.

Les arguments défavorables à la reconnaissance d'une personnalité juridique à l'intelligence artificielle présentés précédemment peuvent être réfutés. D'abord, l'argument de l'Office parlementaire selon lequel il serait prématuré ou sans fondement de reconnaitre une personnalité juridique à l'IA n'est pas très persuasif. Il est vrai que le système juridique « est plus évolutif que révolutionnaire »435. Le droit a été jusqu'à présent plutôt réactif aux réalités sociales, culturelles et économiques changeantes436. Selon Willick, « les changements dans la répartition des droits et obligations juridiques sont généralement le résultat de pressions sociétales qui ne résultent pas d'une planification planifiée de la société »437. Puis, l'argument de l'Office parlementaire ne fait que renforcer ce constat. Or, cela ne devrait pas servir d'argument pour refuser d'encadrer une nouvelle situation juridique. Ce n'est pas parce que le droit tarde toujours à se moderniser lorsqu’une nouvelle technologie voit le jour qu'il faut continuer de suivre cette tendance. Nous constatons les enjeux juridiques que l'IA cause actuellement, et ce n'est qu'un début. Celle-ci va continuer de se développer et repousser des limites. Pourquoi devrions-nous attendre ce moment pour légiférer? Dans les prochaines années, des litiges vont forcément être présentés devant les tribunaux. Une incertitude juridique persistera et provoquera des résultats potentiellement indésirables si nous attendons que le problème se présente davantage en jurisprudence avant de vouloir l'encadrer. Il n'est ni trop tôt ni injustifié puisque l'intelligence artificielle est actuellement capable de générer des oeuvres. Les questions d'auteur et de titulaire des

433

Emmanuel GARESSUS, « L’Estonie se prépare à légiférer pour donner un statut unique aux robots », Le Devoir, 20 novembre 2017, en ligne : <https://www.ledevoir.com/societe/science/513420/l-estonie-se-prepare-a-legiferer-pour- donner-un-statut-unique-aux-robots>; Emmanuel GARESSUS, « Les robots obtiendront leur propre statut juridique », Le

Temps, 16 octobre 2017, en ligne : <https://www.letemps.ch/economie/robots-obtiendront-propre-statut-juridique>;

Arnaud TOUATI et Gary COHEN, supra, note 348.

434

C. Andrew KEISNER, Julio RAFFO et Sacha WUNSCH-VINCENT, « Technologies révolutionnaires - robotique et propriété intellectuelle », OMPI Magazine, décembre 2016, en ligne : <http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2016/06/article_0002.html>.

435

Marshall S. WILLICK, supra, note 418.

436

Ibid.

437

Libre traduction de l'auteure : Similarly, shifts in the allocation of legal rights and obligations are usually the result of

societal pressures that do not result from a dispassionate masterplanning of society. Marshall S. WILLICK, supra, note 418.

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droits se posent de plus en plus. Si la littérature est pour le moment plus active sur ces questions, il ne tardera pas avant que les tribunaux canadiens s'en mêlent. L'IA aura une place de plus en plus importante dans la société. Plutôt que d'attendre qu'une décision judiciaire tranche en faveur de l'adoption d'une personnalité juridique pour l'IA, le législateur pourrait faire preuve de proactivité et commencer à y réfléchir immédiatement.

D'autre part, les arguments d'immoralité, de dangerosité et de hasard soulevés par différents auteurs438 ne peuvent qu'être contredits. D'abord, reconnaitre une personnalité juridique à l'intelligence artificielle ne signifie pas que nous l'assimilons à une personne physique. En aucun cas il ne s’agirait de lui accorder les mêmes droits qu'un être humain. Il s'agirait davantage d'un régime similaire à celui de la personne morale avec les adaptations nécessaires439. « Le droit est habitué à la fiction juridique que représente la personne morale, et cela ne poserait guère de difficulté technique d'admettre le robot au titre d'une nouvelle fiction juridique pour le doter de droits et d'obligations »440. Par exemple, au Nevada, la loi prévoit que « le robot est doté des principaux attributs de la personne morale, même s'il n'est pas explicitement qualifié ainsi. Il dispose d'un numéro et d'une assurance, et il est répertorié dans un fichier »441. Le régime de la personne robot n'aurait qu'à être tout aussi bien encadré que celui de la personne morale. De plus, les personnes morales visent des entités non humaines, ce qui n'est guère différent de l'IA. Si, à l'époque, le législateur a pu créer une nouvelle fiction juridique pour les personnes morales, il a la liberté d'en créer une nouvelle pour l'intelligence artificielle442. Ainsi, ce ne serait pas immoral d'accorder un régime spécifique et adapté à l'IA alors qu'elle est à l'origine de nombreuses réalisations impressionnantes. Si nous reprenons les trois critères énoncés dans le texte de Willick déterminant si une société peut bénéficier du statut de la personne morale, nous constatons que l'IA peut très bien satisfaire ces critères. D'abord, son but est de créer des oeuvres. Lorsque le programmeur crée un programme d'intelligence, celui-ci a une fonction précise. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit d'intelligence artificielle capable de générer des oeuvres. Ensuite, son intérêt légal est de voir ses oeuvres protégées par la Loi sur le droit

438

Anne-Sophie CHONÉ-GRIMALDI et Philippe GLASER, supra, note 424; Antoine CHERON, supra, note 426.

439

Alain BENSOUSSAN, « Les robots ont-ils une personnalité » (2013) 19 Planète Robots 92.

440

Alexandra MENDOZA-CAMINADE, supra, note 320.

441

Alain BENSOUSSAN, supra, note 401.

442

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d'auteur. De cette façon, le titulaire des droits peut tirer profit de cette œuvre ou simplement éviter qu'elle soit l'objet de contrefaçon. Enfin, l'objectif poursuivi par l'IA peut