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1. L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT-ELLE ÊTRE L'AUTEURE D'UNE

1.2. La détermination de l'auteur des créations générées par intelligence artificielle

1.2.3. Le propriétaire de l'intelligence artificielle

Les questions qui se posent actuellement quant au régime applicable aux créations générées par intelligence artificielle ne sont pas complètement nouvelles. En effet, il est possible de faire une analogie avec l'évolution du régime de la photographie. Dans les deux cas, il s'agit d'une technologie qui rend possible la création d'une œuvre.

Depuis l'Acte concernant la propriété littéraire et artistique307 de 1868, la photographie est protégée au Canada. Aujourd'hui et ce, depuis la première version de la Loi sur le droit d'auteur308, elle fait partie de l'énumération des oeuvres artistiques. Par ailleurs, la Loi précise qu'il est possible d'assimiler à une photographie « les photolithographies et toute oeuvre exprimée par un procédé analogue à la photographie »309.

Depuis l'adoption de la Loi sur le droit d'auteur de 1921 jusqu'à la version de 2012, la photographie, bien qu'elle fût protégée, échappait au régime général du droit d'auteur310. En effet, la qualité d'auteur de la photographie n'était pas reconnue à celui qui appuyait sur

307

Acte concernant la propriété littéraire et artistique, 1868, 31 Vic., c. 54.

308

Il s'agit de la version de la Loi adoptée en 1921.

309

Article 2 LDA.

310

Vivianne DE KINDER, « La protection des photographies suite aux modifications de 2012 à la Loi sur le droit d'auteur » (2013) 25 C.P.I. 951, p. 953; Margaret Ann WILKINSON et Tierney G. B.DELUZIO,« The term of copyright protection in photographs »(2015) 31 R.C.P.I. 95, p. 97.

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l'obturateur de l'appareil photo, autrement dit celui qui créait l'oeuvre311. La Loi prévoyait plutôt que c'était le propriétaire du support ou de l'élément technique312, sur lequel était prise la photo, qui était l'auteur313. Cette disposition était contestée, car elle avait « pour effet d'accorder le droit moral au propriétaire du support, au détriment de l'auteur véritable »314.

Un problème similaire aux questions entourant l'intelligence artificielle apparaissait déjà au XXe siècle. Qu'en était-il lorsque les photographies étaient prises sans l'intervention humaine? C'est exactement ce qu'il s'était passé dans l'affaire Fetherling c. Boughner315. Cette action en contrefaçon de photographie impliquait une cabine automatique de photographies. En l'espèce, le demandeur avait convié plusieurs personnes à aller prendre des clichés dans une cabine de photographies. Lors de la prise de ces photos, le demandeur était absent. Il a ensuite utilisé ces photos dans un article qui a été publié dans le numéro du 12 juin 1976 d'un magazine. La défenderesse avait acheté trente exemplaires de ce magazine et avait procédé à un transfert des photographies, par un processus de transfert d'encre, sur d'autres feuilles de papier. Il ne s'agissait pas de copie puisqu'après le transfert, la photo n'était plus dans le magazine. Un seul transfert pouvait donc être effectué à partir de chaque magazine. Puis, la défenderesse a vendu certains de ces transferts. Dans cette affaire, il n'était pas contesté que le demandeur avait un droit d'auteur sur l'ensemble de l'article dans le magazine. Ce qui posait problème était de déterminer s'il avait un droit d'auteur sur les photos prises séparément de l'article. Malheureusement, la cour conclut simplement que le demandeur n'a pas réussi à prouver qu'il était l'auteur de ces photographies, sans s'interroger davantage sur ces cabines automatiques.

311 Ysolde G

ENDREAU, « Flash sur la photo » (1999) 11 C.P.I. 689, p. 1; Ghislan ROUSSEL, Le droit d'auteur, les

photographes et les photographies, Québec, Service gouvernemental de la propriété intellectuelle - Ministère des Affaires

culturelles, 1982, p. 10; Ysolde GENDREAU, Axel NORDEMANN et Rainer OESCH, Copyright and photographs : an

international survey, coll. Information law series, n°7, London ; Boston, Kluwer Law International, 1999, p. 103-104.

312

Vivianne DE KINDER, supra, note 310.

313

Article 10 (2) LDA de la version en vigueur du 12-12-2005 au 11-06-2012 : Le propriétaire, au moment de la

confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original est considéré comme l’auteur de la photographie, et si ce propriétaire est une personne morale, celle-ci est réputée, pour l’application de la présente loi, être un résident habituel d’un pays signataire, si elle y a fondé un établissement commercial.

314

Ysolde GENDREAU, La protection des photographies en droit d’auteur français, américain, britannique et canadien, coll. Bibliothèque de droit privé, Paris, L.G.D.J, 1994, p. 100.

315

41

En 2012, la Loi sur le droit d'auteur a été modernisée316. Parmi les modifications apportées, il y a eu l'abrogation de l'article 10 (2) qui prévoyait que « le propriétaire, au moment de la confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original est considéré comme l’auteur de la photographie ». Désormais, c'est la personne ayant pris la photographie originale qui détient la qualité d'auteur suivant ainsi le régime général de droit d'auteur.

Si par le passé il était possible de déroger au régime général du droit d'auteur pour accorder la qualité d'auteur à une personne distincte de celle qui créait réellement l'œuvre, peut être que c'est la solution pour l'intelligence artificielle. Puisque l'utilisateur et le programmeur ne sont pas forcément les meilleures options d'auteur, créer une exception où le propriétaire de l'intelligence artificielle serait l'auteur, faute d'avoir une option pleinement compatible, pourrait être envisageable. Cependant, nous l'avons vu avec le régime de la photographie, cette option comporte plusieurs critiques et n'est certainement plus d'actualité. Déjà à l'époque, les tribunaux étaient réticents à appliquer la règle. Certains allaient même jusqu'à l'ignorer317. Il serait dérisoire de créer un régime distinct pour l'intelligence artificielle, non conforme avec le droit en vigueur et reconnu comme caduc depuis plusieurs années, tout simplement pour reconnaitre, à tout prix, une personne physique comme auteure. D'autant plus, nous avons vu précédemment que la condition d'originalité est indispensable pour qu'une œuvre soit protégée par la Loi318

. Il s'agit du « concept fondamental qui définit la relation entre un auteur et son œuvre » 319

. Par conséquent, reconnaitre le propriétaire de l'IA comme l'auteur de l'œuvre simplement parce qu'il possède le programme serait en contradiction avec la Loi. Il y a une absence totale de talent et de jugement puisque l'œuvre n'émane aucunement de lui. Il ne fait qu'avoir un droit de propriété sur le programme d'intelligence artificielle.

Visiblement, la question de l'autorat ne trouve pas de réponse adéquate avec l'intervention de l'utilisateur, du programmeur ou du propriétaire de l'intelligence artificielle. Ainsi, peut-

316

Ysolde GENDREAU, « Aspects internationaux de la Loi sur la modernisation du droit d'auteur du Canada » (2013) 25

C.P.I. 1027, p. 1029; Loi sur la modernisation du droit d'auteur, L.C. 2012, c. 20.

317

Ysolde GENDREAU, Axel NORDEMANN et Rainer OESCH, supra, note 311.

318

Carys J. CRAIG, supra, note 207.

319

Traduction libre de l'auteure : Further, originality is the foundational concept that defines the relationship between an

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être que les alternatives plus classiques qui envisagent la personne physique comme auteur ne sont pas la solution.